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Lettres à Juliette, (sans rapport avec une autre fanfic du nom de "les lettres à Juliette"...)

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Leia
view post Posted on 4/12/2015, 14:21 by: Leia
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Deuxième partie du chapitre 16


- J'espère que tu sauras bien te tenir... - fit Candy en réajustant le nœud de cravate de Terry - Je sais que tu ne gardes pas un très bon souvenir de la mère supérieure...
- C'est peu de le dire... - l'interrompit-il en grimaçant tout en ôtant à son tour une brindille des cheveux de la jeune blonde qu'elle fit mine d'ignorer.
- Mais... - reprit-elle sur un ton plus ferme, en serrant un peu plus le col de ce dernier – Tu vas lui prouver que tu es devenu un jeune homme très bien élevé et que le voyou qui la faisait enrager autrefois n'existe plus !
- Bien mon général ! - fit-il en soupirant tout en tirant sur son nœud de cravate qui l'étouffait. Candy fronça les sourcils avec un air qui se voulait menaçant lequel ne parvint qu'à le faire ricaner bêtement. Elle allait lui donner un petit coup dans les côtes quand la porte devant eux s'ouvrit brutalement, les faisant sursauter de surprise.
- Aaaaaah, je savais bien que j'avais entendu quelqu'un parler derrière la porte ! J'ai encore l’ouïe fine vous savez. Entrez, je vous en prie !

De sa main noueuse bardée de veines apparentes, Mère Grey les invita à la suivre jusqu'à la terrasse de son modeste mais confortable appartement. Le dos courbé, en appui sur une canne, elle se dirigea à petits pas vers un des fauteuils en osier qui attendaient autour d'une table, sous l'ombre protectrice d'un tilleul. Candy s'empressa de caler au mieux les coussins du fauteuil dans le dos de la vieille femme qui soupira d'aise en s'asseyant.

- Je reconnais bien là votre naturel prévenant, mon enfant... - fit la religieuse en lui tapotant affectueusement la main – Vous n'avez pas changé, Candy. Toujours aussi attentionnée. Je me réjouis de vous revoir... Tous les deux...

Elle avait insisté sur ces trois derniers mots avec une certaine gravité comme pour leur prouver sa sincérité. Elle était vraiment heureuse de les revoir, de les savoir sains et saufs après cette guerre qui avait tant fait de mal, de constater qu'ils étaient devenus de jeunes et beaux adultes avec le profond désir de faire quelque chose de bien de leur vie. Mère Margareth lui avait rendu visite quelques minutes auparavant et elle savait déjà par son intermédiaire, l'heureux projet qu'ils avaient en commun. Comme elle, elle n'avait pas été surprise de cette nouvelle même si elle aurait préféré, il fut un temps, de ne pas avoir eu à les surprendre dans une grange... C'était ce qu'elle tenait d'ailleurs à leur expliquer afin de briser définitivement la glace qui était en train de se former entre eux malgré la chaleur de cette fin de journée d'été. Elle attendit que sœur Adélaïde, venue leur servir le thé, ait terminé, pour se lancer, non sans une certaine fébrilité.

- J'aurais voulu éviter cela... - fit-elle en fixant la table ronde en métal ajourée autour de laquelle ils étaient installés – Je ne pouvais pas faire autrement que de vous renvoyer de l'école. Je ne pouvais pas mettre en jeu sa réputation. J'espère que vous me comprenez...

Les deux jeunes gens reposèrent en même temps leur tasse de thé, et s’observèrent un instant, interloqués. Ils ne s'attendaient pas à une telle entrée en matière. Peut-être auraient-ils pu l'évoquer au cours de la conversation, mais le faire ainsi, de but en blanc, les laissaient passablement désarçonnés.

- Je vous comprends, ma Mère – dit finalement Candy, timidement. Elle n'avait pas envie de faire des reproches à cette vieille femme qu'elle avait tant craint auparavant mais sur laquelle le temps, comme à tout un chacun, avait oeuvré : le teint jadis hâlé de sa peau s'était terni, laissant apparaître des rides profondes qui creusaient son visage fatigué par les ans. De courtes mèches blanches dépassaient de sa coiffe qui retombait sur ses épaules voûtées, perdues sous le drap de coton gris qui lui servait de tunique. L'imposante montagne de roches qu'elle avait toujours représentée aux yeux de Candy s'était bel et bien effondrée, laissant apparaître sous les débris, une silhouette racornie, minuscule et frêle, dont seule la voix encore ferme et assurée rappelait son autorité d'antan. Non, à quoi bon retourner le couteau dans la plaie...

Terry, visiblement moins impressionné, se sentait d'attaque pour lui dire le fond de sa pensée et n'hésita à le démontrer.

- Vous oubliez, ma Mère, le traitement de faveur dont j'ai fait l'objet alors que vous condamniez impitoyablement Candy à l'expulsion ! J'étais congédié dans ma chambre tandis qu'elle était enfermée dans un cachot !

L'ancienne directrice soupira en secouant la tête et répondit :

- J'avais vos lettres entre mes mains ! J'étais furieuse de découvrir vos agissements qui n'étaient pas dignes de jeunes gens de votre rang ! Votre père, le Duc, nous versait des dons conséquents et je ne pouvais pas me permettre de perdre ces fonds qui nous aidaient énormément. J'ai sacrifié Candy à votre égard, Terrence, car malheureusement, c'était la meilleure décision à prendre pour le bien du collège. On m'aurait reproché de mettre au même niveau une jeune américaine et le fils du Duc de Grandchester et cela nous aurait porté préjudice. Je ne voyais pas d'autre solution à ce moment là ...
- Vous oubliez que nous n'avions pas écrit ces lettres, que c'était un piège tendu par Elisa Legrand ! Vous auriez pu faire machine arrière - rétorqua Terry, maîtrisant difficilement sa colère.
- Je le sais, mon enfant... - soupira-t-elle de plus belle – Mais quand la vérité m'a sauté aux yeux, vous étiez tous les deux déjà partis... J'ai été flouée par cette petite peste et je m'en suis toujours voulu d'avoir cru ses mensonges au lieu d'écouter la vérité que vous me hurliez. Croyez-moi, je regrette profondément ma décision et le tort que je vous ai causé. J'ai bien tenté de me racheter en tentant de dénoncer les agissements de cette petite chipie, mais sa famille avait des relations dans le clergé et je n'ai pu que la congédier dans sa chambre pendant deux semaines... Soyez assurés que j'ai bien retenu la leçon et que je ne me suis plus jamais laissée berner par ce genre de donzelle...

Elle avait dit cela sur un ton méprisant qui les déstabilisa, peu habitués qu'ils étaient à ce qu'elle laisse entrevoir la moindre émotion. Le comportement d'Elisa l'avait manifestement profondément blessée et on la devinait rongée par la culpabilité.

- Quelques mois après votre départ, Candy – poursuivit-elle d'une voix plus douce - j'ai reçu une lettre des dames qui vous avaient élevée avant votre adoption par la famille André. Elle voulaient me remercier de l'éducation que nous vous avions donnée à Saint-Paul. Elles me relataient aussi votre enfance, vos difficultés mais voulaient par-dessus tout insister sur votre honnêteté et votre bonté d'âme. Ce dont je n'ai jamais douté, Candy, et je regrette de n'avoir pas eu le courage de vous défendre à ce moment là. Malheureusement, les circonstances m'en empêchaient car vous vous étiez tous deux jetés dans la gueule du loup devant de nombreux témoins. J'étais pieds et poings liés !

Candy ignorait que Soeur Maria et mademoiselle Pony avaient écrit à la mère supérieure et elle se réjouit intérieurement devant leur farouche volonté à redorer son blason. Elle en était d'autant plus touchée que Mère Grey semblait très émue en lui racontant cela. Devant cette fragilité manifeste, elle se leva pour aller la rejoindre et s'agenouilla devant elle, en lui prenant la main.

- Rassurez-vous, ma Mère, je ne vous en veux pas. Je ne sais pas comment j'aurais agi à votre place. J'imagine combien il doit être difficile d'administrer un collège comme celui-ci. Vous savez, même si ce fut un moment terrible à traverser, je ne regrette rien car sans cela, je n'aurais jamais peut-être trouvé ma voie et Terry ne serait jamais devenu le comédien talentueux qu'il est à présent. Par expérience, j'ai acquis la certitude que rien n'arrive par hasard et que c'était notre destin de quitter Saint-Paul. Je regrette seulement de vous avoir déçue. Nous n'avions rien à faire dans cette grange ce soir là et nous savions ce que nous risquions de toute façon. Je voudrais juste que vous sachiez qu'il ne s'est jamais rien passé là-bas dont nous ayons à rougir...
- Pour ma part, je regrette de ne pas avoir cassé la figure d'Elisa avant de partir... - intervint Terry en scrutant ses doigts, les faisant remuer devant son beau visage comme pour contrôler leur agilité. Mais devant la mine courroucée des deux femmes, il ajouta – Et bien quoi, puisque nous en sommes aux regrets, j'ai bien le droit d'exprimer les miens !...
- Je n'irai pas jusqu'à approuver cela, mon jeune ami, mais je crois pouvoir dire que nous sommes nombreux dans ce collège à avoir souhaité que la foudre s'abatte sur elle... - répliqua étonnamment Mère Grey en gloussant de rire – mais le diable qui sévit en elle ne doit pas nous abaisser à sa vulgarité. Elle est une pauvre âme qui mérite notre pitié...
- Ou notre mépris... - ajouta Terry d'un air de dégoût. Les belles paroles de la religieuse n'exerçaient aucun effet sur lui et il était plus qu'impatient de retourner en Amérique pour régler son compte à sa future cousine...
- Voulez-vous une nouvelle tasse de thé, Ma Mère ? – demanda alors Candy pour changer le cours de la conversion. C'était fou le pouvoir de zizanie qu'Elisa pouvait avoir même sans être là !
- Volontiers, Candy.

La jeune femme souleva la théière et remplit les tasses du liquide ambré à l'arôme de bergamote, puis reprit sa place à côté de Terry qui avait du mal à retirer son air renfrogné. Elle lui prit la main et son regard s'adoucit comme par magie. Ce lieu était peut-être celui qui les avait séparés mais c'était aussi en ce lieu qu'il se trouvait avec elle à présent. Ils s'étaient aimés à Saint-Paul et s'y aimaient encore en y retournant. C'était le même endroit mais tout était différent car il était heureux désormais avec elle à ses côtés qui tenait tendrement sa main. La boucle de leurs errances se refermait avec pour ultime témoin, le regard bienveillant de Mère Grey posé sur eux.

Tout à coup, Candy se leva, les sourcils froncés d'embarras.

- Pardon, ma mère, pourriez-vous me dire où se trouve la salle de bain, je vous prie ?

Tout ce thé qu'elle avait bu commençait à faire son effet. Elle avait eu beau essayer de penser à autre chose, la dernière tasse de thé s'était avérée fatale pour sa vessie qui menaçait d'exploser. Sur les indications de son hôte, elle traversa le salon puis suivit un couloir qui menait à la chambre et au cabinet de toilette contigu à celle-ci. La porte de la chambre était ouverte et on pouvait apercevoir dans un coin le lit de la mère supérieure avec, accroché au dessus, sur le mur, un crucifix de bois. A côté du lit, se trouvait une table de chevet de fabrication modeste sur laquelle reposaient la bible et un verre d'eau : la chambre ordinaire d'une bonne sœur, simple et monacale. Candy ne s'attarda pas plus longtemps et tourna la poignée de la porte suivante, se précipitant à l'intérieur comme si le diable était après elle. Quelques minutes plus tard, soulagée et allégée de son douloureux encombrement, elle était de nouveau dans le couloir et s’apprêtait à repartir vers la terrasse, quand, tandis qu'elle repassait devant la chambre, son regard s'arrêta sur la bibliothèque qu'elle n'avait pas remarquée en sens inverse, sur laquelle étaient posées des photos anciennes. Poussée par la curiosité, elle s'enhardit jusqu'à entrer, prétextant pour se rassurer qu'il n'y avait pas de mal à regarder et approcha du meuble. Les photos de ton sépia piquetées de tâches brunes, rappelaient un autre temps, celui d'Alice au pays des merveilles, avec ces petites filles coiffées d'anglaises, aux robes bouffantes qui laissaient apparaître leurs mollets ronds sous des bas de soie blanc. Un portrait retint plus particulièrement son attention : celui de deux fillettes blondes au visage semblable, si identique qu'on avait du mal à les distinguer l'une de l'autre. Au regard familier qu'elles avaient, Candy comprit que cela devait être Mère Grey enfant et sa sœur jumelle dont le grain de beauté au menton permettait de la différencier. C'étaient deux jolies petites filles aux joues rebondies et au sourire espiègle dont la complicité apparente rappelait à Candy celle qu'elle avait connue avec Annie. Un sourire nostalgique se dessina sur ses lèvres et elle poursuivit sa découverte, remarquant une autre photo où les deux sœurs, un peu plus âgées, posaient l'une à côté de l'autre avec leur jeune chien. La photo suivante représentait Mère Grey, aux alentours d'une vingtaine d'années, vêtue de ses habits de religieuse, entourée de ce qui devait être toute sa famille ainsi que du chien qui avait bien vieilli, mais étrangement, ne figurait pas sa sœur... D'instinct, Candy retourna le cadre où se trouvait la photo avec les deux fillettes et leur chien, et remarqua quelque chose d'écrit à la main : 1865, Elisabeth et notre chère Audrey, disparue trop tôt...

Le cœur de Candy se serra immédiatement en lisant ces mots et des larmes brouillèrent sa vue. Tant d'information soudaine ressortait de ces objets ! Ainsi, Mère Grey, avait été une petite fille du nom d'Elisabeth, avant d'en changer au moment d'entrer en religion... Elle avait eu une sœur jumelle qu'elle aimait tendrement et qui était décédée quand elle était encore enfant... Etait-ce ce drame qui avait par la suite influencé le cours de sa vie et qui l'avait orientée vers cette vocation ? Etait-ce cette terrible déchirure qui l'avait rendue si dure ? Tant de questions s'entrechoquaient dans son esprit avec pour toute réponse de multiples hypothèses qu'elle ne pourrait jamais vérifier à moins d'aller questionner directement Mère Grey et mourir de honte pour son inconséquente indiscrétion... Mais elle n'avait que trop tardé, et séchant ses larmes, elle repartit la rejoindre avec le secret espoir qu'elle n'ait pas remarqué son absence.

Débouchant sur le salon, elle fut étonnée de les y découvrir tous deux, penchés au-dessus d'une table, en train de feuilleter un livre.

- Ah Candy ! C'est extraordinaire ! Figure-toi que Mère Grey a en sa possession une des premières éditions de Roméo et Juliette ! - s'écria Terry, extatique, en l'apercevant – Viens donc voir cette petite merveille !

Candy opina et s'approcha d'eux. Le visage du jeune homme exprimait une joie indescriptible, à la limite de la ferveur. Pouvoir toucher ce livre que Shakespeare avait peut-être tenu entre ses mains le faisait exulter. Cette édition de 1597 était dans un incroyable état, conservée à l'abri dans un linge puis dans une boite, derrière les vitres de la bibliothèque de la mère supérieure. Il contemplait l'ouvrage d'un regard ému, poussant régulièrement des exclamations au rythme des pages qui se tournaient. Au bout d'un moment, Mère Grey referma le livre et le lui tendit.

- Tenez, il est pour vous.
- Pardon, ma mère ? - éructa-t-il, comme si on venait de lui assener un coup violent dans le ventre – Vous, vous me le donnez ???
- En effet, vous en ferez un meilleur usage que moi...
- Mais je ne peux pas accepter ! Ce livre vaut une fortune ! Avez-vous une idée de ce que les gens seraient capables de dépenser pour l'acquérir ???
- J'ai fait vœu de pauvreté en rentrant dans les ordres, mon fils. Ce prétexte ne peut donc pas m'influencer...
- Mais... Mais... - bredouillait-il, cherchant ses mots avec agitation – Vous devez beaucoup y tenir ! Pourquoi vous en séparer ?
- Cher Terrence... Ce livre est dans ma famille depuis des générations. Ce fut mon père qui me le donna le jour où je prononçais mes vœux. Nous étions tous les deux de grands admirateurs de Shakespeare et j'imagine que de me le confier symbolisait le lien qui nous unissait dans ce nouvel univers dans lequel j'entrais et qui m'éloignait de lui. Je n'ai pas d'enfant, ni de neveu ou de nièce. Je voudrais que ce livre revienne à quelqu'un qui le chérirait autant que moi, et cette personne, je l'ai trouvée. C'est vous, Terrence... Je n'ai jamais pu vous voir sur scène mais je possède néanmoins quelque chose qui peut justifier mon choix.

Disant cela, elle se dirigea vers la bibliothèque et en retira une pochette en papier d'une trentaine de centimètres et de forme carrée, à l'intérieur de laquelle se trouvait un disque phonographique. C'était un enregistrement de la pièce Roméo et Juliette interprétée par Terry en 1920 à Broadway !

- Vous voyez ! - dit-elle, en brandissant fièrement le 78 tours – Le monde moderne n'a aucun secret pour moi ! Dieu, dans sa bienveillance, a voulu que ce progrès technique parvienne jusqu'à moi et que je découvre par son intermédiaire votre talent. Quel don du ciel, vous possédez, mon enfant !

Saisi de surprise, le jeune homme se tenait devant elle comme statufié, la bouche grande ouverte et les yeux de la taille d'une soucoupe. C'était bien sa silhouette qu'on devinait en filigrane sur la couverture ainsi que son nom imprimé sur le côté avec celui des autres comédiens principaux. Il connaissait ces enregistrements mais n'aurait jamais imaginé en retrouver un dans la bibliothèque de l'ancienne mère supérieure du Collège Saint-Paul de Londres !!!

- M'accorderiez-vous une faveur en échange, Terrence ? - demanda-t-elle en penchant la tête pour attirer son attention qui restait fixée sur le disque.
- Tout ce que vous voudrez, Ma Mère – parvint-il à articuler en revenant peu à peu à la réalité.
- Pourriez-vous me le signer, je vous prie ? - fit-elle avec un sourire de jeune fille tandis que ces yeux à lui s'agrandissaient encore plus d'étonnement. En retrait, observant la scène, Candy se mit à pouffer intérieurement, se demandant si après toutes ces émotions, ils parviendraient à retrouver un jour leur taille normale...
- Vous serez bien aimable – ajouta à voix basse la vieille femme en lui tendant un stylo plume - de ne pas en parler à Mère Margareth. Elle me le reprocherait...

Terry retint un sourire tout en signant la couverture du disque, se gardant bien de lui confier que quelques heures auparavant, cette dernière lui avait fait une requête identique...

- Voilà, Ma Mère ! - dit-il en lui rendant le disque. Elle le remercia avec chaleur et gratitude, puis, tenant le disque entre ses mains, elle lut d'un air ravi l'affectueux message qu'il lui avait écrit, et, rougissante, s'empressa de le ranger dans sa bibliothèque. Elle referma la porte vitrée avec précaution puis rejoignit le jeune couple qui la regardait avec amusement et curiosité.
- Je vous le confie donc... - fit-elle en tendant de nouveau à Terry le livre qu'il avait reposé sur la table.
- Vous me faites vraiment trop d'honneur, ma mère... - dit-il en s'inclinant poliment.
- L'honneur est pour moi, Terrence ! - répondit-elle en retrouvant son ton ferme et assuré d'antan – Voyez-vous, cette école a vu passer nombre de futurs ministres et hommes d'affaires. Il n'y a pas de gloire à être ce qu'ils sont car ils étaient formatés depuis leur naissance pour cela. Mais il n'y a pas plus grande gratification pour la directrice que j'ai été, de voir des élèves improbables comme vous, réussir dans la voie qu'ils se sont choisie. Vivre de sa passion est un luxe que les grands de ce monde ne peuvent pas s'offrir. Vous, vous avez su faire ce sacrifice, quitte à tout perdre. Par votre travail, votre ténacité, votre courage, vous nous avez prouvé que cela est possible. Je commets un péché d'orgueil en vous disant cela, mais, je ne mentirai pas non plus – ce qui m'évitera de commettre un deuxième péché - en vous avouant que je suis fière et honorée que Saint-Paul vous ait eu comme élève, Terrence Grandchester...

L'émotion se lisait sur le visage blême du jeune homme. Candy s'approcha au plus près de lui et, de crainte qu'il s'évanouisse, lui prit la main. Il n'était pas commun que la mère supérieure se répande en éloges sur quelqu'un, et plus particulièrement sur un élève comme Terry, qui lui avait fait vivre un enfer pendant toutes les années où il avait été pensionnaire. La sincérité de la vieille femme venait de nettoyer son cœur des dernières rancoeurs et reproches qu'il éprouvait à son égard. Il n'était plus cet adolescent orgueilleux et revanchard mais un jeune adulte rempli d'un sentiment nouveau qui le surprenait lui-même : celui d'un profond respect pour cette vieille dame qui, cachée sous son ample habit gris, l’impressionnait encore et toujours.

Une atmosphère étrange mêlée de paix et de sérénité s'était instaurée dans la pièce, les laissant tous trois silencieux et méditatifs. Mais c'est alors que le replet chérubin, allongé sur l'horloge de style Louis XVI qui trônait sur une des étagères de la bibliothèque, se mit à égrener les six coups de six heures, brisant tout net le phénomène paranormal qu'ils étaient en train de vivre.

- Doux Jésus ! - S'écria la mère supérieure en s'agitant comme si on venait de lui piquer le derrière – Je vais être en retard pour les vêpres !

Tournant la tête dans tous les sens, elle semblait chercher quelque chose.

- Où donc ai-je pu mettre mon missel ? - gémit-elle en poursuivant, d'un air désemparé, sa recherche dans tous les coins de la pièce.
- Est-ce cela que vous cherchez ? - demanda Candy en apercevant la tranche d'un livre sous un coussin du canapé.
- Ouiiiii, en effet ! Merci ma chère enfant ! - s'écria la vieille femme en enfouissant le livre dans la poche de son habit – A mon âge, on a tendance à égarer beaucoup de choses...

Elle rajusta son crucifix qui pendait autour de son cou puis se tourna vers eux, l'oeil humide et avec une pointe de déception dans la voix, leur dit – Je dois vous dire adieu à présent. Il est temps pour moi de rejoindre mes sœurs à la chapelle.
- Nous comprenons ma mère et nous n'allons pas vous retarder plus longtemps... - fit Candy en lui prenant affectueusement les mains.
- Je vous remercie d'être venus me voir mes enfants. Vous m'avez rajeunie de quelques années. Vous continuerez à me donner de vos nouvelles, n'est-ce pas ?
- Bien entendu, ma mère. Ne vous inquiétez pas pour cela.

La religieuse opina de la tête sans rien dire, la gorge nouée par l'émotion, réalisant qu'à l'âge avancé qu'elle avait, c'était peut-être la dernière fois qu'elle les voyait. Elle avait toujours eu horreur des séparations qui la laissaient à chaque fois désarmée et fragile et c'était bien cette fragilité qu'elle s'était toujours efforcée de dissimuler. Ils échangèrent quelques dernières paroles d'adieu puis se séparèrent au seuil de la porte d'entrée avant de prendre chacun une direction opposée.

- Comme c'est étrange... - fit Terry alors qu'ils regagnaient leur automobile - Je n'aurais jamais imaginé pouvoir éprouver de l'affection en pensant à Mère Grey, et pourtant, c'est bien ce que je ressens en ce moment...
- Tu avais besoin de faire la paix avec cet endroit, Terry, et surtout avec la mère supérieure... - lui dit Candy en effleurant d'un geste taquin son menton.
- N'en avais-tu pas besoin, toi aussi ? - l'interpella-t-il, sur la défensive.
- Plus depuis longtemps... - répondit-elle en lui prenant la main, sentant la contrariété l'envahir – Moi aussi j'en ai voulu à la Mère Supérieure puis j'ai réalisé que c'était ici que je t'ai vraiment rencontré et que je t'ai aimé. J'étais arrivée à Saint-Paul, meurtrie et désespérée, et j'en suis repartie libre et le cœur plein d'espoir de te revoir. Cela a été plus long que je ne l'avais prévu, mais nous y sommes arrivés. Ce lieu et ces gens qui y vivent sont le point d'ancrage de tout ce qui nous unit. Je voulais que tu le voies avec des yeux différents et non pas déformé par l'amertume.
- Tu y es parvenue... - fit-il en entraînant vers sa bouche la main qu'elle tenait pour baiser la sienne – Tu arrives toujours à tes fins, n'est-ce pas ?
- Tu commences à bien me connaître... - roucoula-t-elle.
- De mieux en mieux, en effet... - lui chuchota-t-il à l'oreille sur un ton éloquent qui ne laissait aucune équivoque. Elle rougit, cherchant à tâtons la poignée de la portière, pour se réfugier dans la voiture. Il éclata de rire devant son embarras tandis qu'elle se hâtait de s’asseoir du côté passager.
- Aurais-tu peur de moi ? - demanda-t-il, le sourcil arqué d'ironie tout en s'asseyant à son tour.
- Non, j'ai peur de ce que tu serais capable de me faire faire...

Il simula l'étonnement par un bref mouvement de recul, mais ne put se retenir de rire devant le regard en biais qu'elle lui lançait.

- Je n'ai pas autant de pouvoir que cela sur toi, voyons...
Elle répondit par une moue dubitative, se remémorant la passion qui les avait étreint sur la fausse colline de Pony. Un peu plus et... Ils auraient pu... Elle baissa la tête, les joues en feu et le cœur battant.
- Ecoute – finit-il par dire en lui relevant le menton d'un geste tendre – Je n'ai pas envie de rentrer au château. Que dirais-tu si nous continuions notre route jusqu'à Plymouth ? J'aimerais revoir Cookie et m'assurer qu'il va bien...
- Plymouth ? Mais c'est très loin d'ici !!!
- On trouvera bien en chemin un hôtel pour y passer la nuit... - fit-il en arquant des sourcils de manière répétitive. Il n'allait faire qu'une bouchée d'elle ... Elle déglutit péniblement. Elle était à sa merci...
- Mais je n'ai pas de vêtements de rechange ! - couina-t-elle dans une ultime tentative de bravoure devant le sourire carnassier qu'il lui déployait - On ne va pas se présenter tout chiffonnés devant Cookie !
- Nous demanderons au service d'étages de les faire nettoyer... Tu n'en auras pas besoin d'ici demain de toute façon...
- Devant de tels arguments – soupira-t-elle, vaincue, cachant son émoi derrière ses boucles blondes - Je ne peux qu'accéder à cette honnête proposition...
- Sage décision... - fit-il en enveloppant sa nuque de sa main pour la rapprocher de lui. Ses lèvres si proches effleurèrent les siennes. Elle crut qu'il allait l'embrasser. Son corps s'engourdissait. Elle ferma les yeux...
- Plus tard, belle impatiente... - murmura-t-il en s'éloignant d'elle, un sourire goguenard au coin des lèvres. Elle le toisa, les bras croisés, la bouche ronde de stupéfaction, tandis que l'effronté tournait d'un air innocent la clé qui actionnait le moteur, lequel démarra sans encombre, désireux de ne pas retarder leur voyage.... Ni leurs étreintes... La voiture s'engagea sur la route en direction de la côte, laissant derrière elle les hautes grilles du collège Saint-Paul, qui ne devinrent rapidement plus qu'un point dans l'horizon, pour disparaître définitivement et retourner vers un passé destiné désormais à le rester...

Fin du chapitre 16



Edited by Leia - 6/12/2015, 15:52
 
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