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Lettres à Juliette, (sans rapport avec une autre fanfic du nom de "les lettres à Juliette"...)

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Leia
view post Posted on 6/4/2021, 21:31 by: Leia
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Chapitre 25



Ils n'étaient pas plus tôt dans la voiture que Candy réalisa l'état avancé de la grossesse d'Annie. Elle était tellement choquée par ce qu'elle venait d'apprendre sur Albert, qu'elle n'avait même pas remarqué le gros ventre de son amie.

- Tu ne peux pas faire une aussi longue route dans ton état ! Tu dois retourner à l'hôtel et te reposer.

- Je vais très bien, je t'assure, Candy.

- Tu es enceinte, Annie ! Et ce n'est pas bon pour toi de faire un si long trajet ! Je refuse que tu prennes ce risque !

- Mais non, je peux très bien....

- Je t'en supplie, Annie !... - l'interrompit Candy, la mâchoire serrée. Le ton qu'elle avait employé, empreint de colère et de désespoir, ne laissait aucune équivoque. Il valait mieux céder...

- Soit... - fit Annie en soupirant – Nous prendrons le premier train demain... Et avec couchette !... - ajouta-t-elle avec un demi-sourire. A ces mots Candy émit un grand soupir de soulagement et prit la main de son amie qu'elle embrassa avec reconnaissance.

- Merci pour ta compréhension, mon amie. Je n'aurais pas tenu cinq secondes de plus. Ne m'en veux pas. Je suis déjà au bord de la crise de nerfs quand je pense à Albert. Je ne peux pas m'inquiéter pour toi aussi, pas maintenant...

De grosses larmes roulèrent sur ses joues et elle éclata en sanglots. Assis en face d'elle, Terry lui prit les mains et les serra très fort. Il aurait donné n'importe quoi pour faire accélérer le temps et faire qu'ils soient déjà au chevet de leur ami. Un sentiment d'impuissance et d'injustice montait en lui, ne faisant qu'accroitre son désarroi.

Discrètement, Archibald fit un signe de tête au chauffeur qui détourna sa route en direction de leur hôtel. La séparation fut brève, sans grande effusion, avec la promesse de se donner des nouvelles au plus vite.

Comme l'avait promis Archibald, Chicago fut atteint au petit matin en dépit des quelques arrêts nécessaires pour s'approvisionner en carburant mais aussi pour changer de conducteur. Le pauvre chauffeur aussi professionnel qu'il fût, ne pouvait rouler douze heures à la suite sans un peu de repos, c'est pourquoi, pour plus de sécurité, Terry lui avait proposé, puis insisté pour le remplacer. Ils avaient donc alterné régulièrement, s'octroyant quand la route le permettait, quelques pointes de vitesse.

Candy était dans un tel état de nervosité qu'elle avait fini par accepter le calmant qu'Annie avait confié à Terry en prévision, ce qui lui avait permis de dormir quelques heures. Elle avait rouvert les yeux en approche de Chicago.

- Nous voilà enfin arrivés ! - se dit-elle en se redressant. Mais à mesure que son esprit s'éveillait, le sentiment d'angoisse qui l'avait habitée tout le long du trajet reprit en vigueur, oppressant, crispant chacun de ses muscles à l'en faire grimacer de douleur.

- Tu ne te sens pas bien, mon aimée ? - demanda Terry, le front plissé d'inquiétude.

- Je me sentirai bien mieux quand je serai auprès d'Albert... - fit-elle dans un souffle en tournant la tête vers la vitre. Elle ne pouvait croiser le regard de Terry de crainte d'y lire son propre tourment, les mêmes incertitudes. Dans quel état allait-elle le retrouver ? Serait-il à jamais cloué dans ce lit, inerte comme une plante verte ? Dans l'exercice de son métier, elle en avait vu si souvent dans ce cas... Elle savait aussi très bien que bon nombre ne récupéraient jamais et s'éteignaient peu à peu comme une chandelle... Non, non ! Cela n'arriverait jamais à Albert ! Elle se battrait pour lui, s'occuperait de lui jour et nuit, et il redeviendrait le Albert fort et courageux qu'elle avait toujours connu, celui qui l'avait toujours soutenue et protégée, comme un grand frère, comme un père... Non, jamais elle n'accepterait de le perdre !!!

De grosses larmes brûlantes roulèrent sur ses joues et un soupir tremblotant s'échappa de sa bouche. La main de Terry se posa sur la sienne qu'elle accueillit avec un triste sourire.

- Ne perds pas espoir, Candy... - fit-il, de sa voix douce – Il en a vu d'autres, tu le sais. Il s'en remettra...

Candy hocha tristement la tête et se tourna de nouveau vers la vitre, le regard perdu. Les paroles de Terry se voulaient encourageantes mais ne pouvaient l'empêcher d'imaginer le pire. Décidément, dès qu'un peu de bonheur prenait place dans sa vie, un triste évènement venait tout gâcher, comme une piqûre de rappel déterminée à lui signifier que ce que la vie lui offrait pouvait lui être retiré sans autre forme de procès. Cette vie si souvent cruelle et injuste avec elle.... Elle pensait avoir mérité un peu de répit après tout ce qu'elle avait traversé, et voilà que l'épée de Damoclès tremblait une nouvelle fois au-dessus de sa tête...

- Cela prendra-t-il fin un jour ? - se dit-elle, tristement - Quand pourrais-je enfin être heureuse avec ceux que j'aime ?

La main de Terry serra un peu plus fort la sienne. Elle posa sa tête contre son épaule et ferma les yeux, le corps secoué de spasmes nerveux. Enfermés depuis des heures dans cet habitacle, aussi luxueux fut-il, il restait une prison mobile, qui bien que les rapprochant à chaque minute de leur destination, ne dépassait pas aux yeux de Candy, la vitesse de celle d'une tortue.

*********************



Au bout d'une interminable demi-heure, ils arrivèrent devant l'hôpital. Le chauffeur avait à peine posé un pied hors du véhicule que le jeune couple se trouvait déjà à l'extérieur. Sans attendre, ils montèrent quatre à quatre les marches, tirèrent avec autant d'empressement la grande porte et se retrouvèrent dans le hall d'accueil, vierge de monde en cette heure matinale. Un homme assis sur une banquette se leva alors en les apercevant.

- Mademoiselle Candy, monsieur Terrence ! Je vous attendais ! - fit George en se dirigeant vers eux - Monsieur Archibald m'a prévenu de votre arrivée.

- Où est Albert ??? - s'écria Candy, oubliant toute forme de politesse. Elle n'avait vraiment pas de temps à perdre !

Georges ne s'en offusqua point, comprenant tout à fait l'impatience de la protégée de son maître. Néanmoins, il devait l'informer de certains détails dont il ne voulait pas parler devant le malade.

- Il faut que je vous dise, mademoiselle.... L'état de santé de monsieur William est très préoccupant. Les médecins ont prévu de l'opérer ce matin à la vue des dernières radiographies...

Le sol sembla s'échapper sous les pieds de la jeune femme.

- De... De quoi souffre Albert ? - parvint-elle à prononcer - Je vous en prie, ne me cachez rien? Je veux la vérité.

George baissa les yeux et répondit d'une voix étranglée.

- Il a une tumeur au cerveau...

- Une tumeur, mon Dieu !!! - gémit Candy, horrifiée, en portant une main à sa bouche.

- C'est ce qu'ils ont découvert sur les radios... - répondit George en soupirant - Ils vont l'opérer ce matin pour déterminer sa dangerosité et essayer de l'ôter...

- Je ne comprends pas, Georges ! Albert avait l'air en forme quand je suis partie ! Cette tumeur n'est pas apparue comme par magie !

- En effet, mademoiselle... Pour tout vous dire, votre père souffrait depuis quelques mois de très douloureux maux de tête qui l'handicapaient énormément. Mais vous le connaissez, il n'en avait parlé à personne, ni à son médecin, ni à moi, se contentant de prendre quelques pilules qui le soulageaient momentanément. Puis sa main s'est mise à trembler. Il n'a pas pu me le cacher bien longtemps. C'est là que j'ai insisté pour qu'il voie un spécialiste, lequel a remarqué une tache sur la radio de son cerveau mais trop petite pour que l'on risque une intervention. Il fallait donc attendre qu'elle grossisse et malheureusement, c'est ce qui est arrivé. Son état a empiré rapidement : tremblements, raideurs, malaises qui par chance ne se produisaient que lorsque nous étions seuls... Jusqu'à ce qu'il s'effondre avant-hier dans son bureau et qu'il ne reprenne pas connaissance...

- Mon Dieu, Albert ! - sanglotait Candy, en secouant la tête - Ce n'est pas possible, cela ne peut pas être aussi grave !...

- Il ne faut pas perdre espoir, mademoiselle... - dit Georges en lui prenant les mains et les serrant très fort - Nous en serons un peu plus après l'opération... D'ici là....

- D'ici là, il nous faut attendre... - murmura-t-elle, d'une voix cassée par le chagrin - Attendre...

Intérieurement, un sentiment profond de rage contenue grandissait et menaçait d'exploser. Elle avait envie d'hurler !...

- Menez moi à lui, tout de suite !!!

- Suivez-moi, je vous prie...

Leurs pas rapides résonnaient sur le sol carrelé, croisant en chemin ceux du personnel qui prenait la relève de l'équipe de nuit, et qui regardait passer d'un air interrogatif ce trio bien empressé de si bon matin.

Parvenus devant la chambre d'Albert, Candy eut un instant d'hésitation.

Dans quel état allait-elle le retrouver ? Le supporterait-elle ?

D'une main fébrile, elle poussa la porte qui s'ouvrit sur une chambre de taille moyenne à l'aménagement très sommaire. Albert se trouvait là, allongé sur un lit à côté d'une fenêtre avec vue sur le parc. Un long tuyau partait de son bras jusqu'à une bouteille suspendue au-dessus de lui. Il semblait si fragile...

Candy s'approcha, la vue brouillée de larmes. Il était si pâle... Elle s'agenouilla à côté de lui et lui prit la main.

- Albert... C'est moi, Candy... - fit-elle d'une voix chevrotante - Je suis de retour.... Je ne vais plus te quitter. Quand tu te réveilleras, je serai là, je te le promets...

Mais Albert ne réagit pas, prisonnier du sommeil profond dans lequel il était plongé. Le coeur de Candy se serra de plus belle devant son impuissance à le ranimer. Naïvement, elle avait pensé qu'en sentant sa présence, il se serait immédiatement réveillé ou aurait tout au moins esquissé un geste vers elle. Mais la réalité était tristement tout autre...

Etrangement, quand l'équipe d'infirmiers apparut dans la pièce pour le conduire en chirurgie, elle se sentit soulagée. On allait l'opérer, le soigner, et elle le retrouverait comme avant, comme au moment où elle l'avait quitté avant de partir pour l'Europe...

Si elle n'était pas partie, si elle était restée avec lui, si....

Elle avait dû parler à voix haute car Terry la fit se tourner vers lui et prit son visage entre ses mains.

- Chasse ces pensées de ton esprit, mon aimée ! Je t'en supplie !...

Il avait dit cela sur un ton tellement désespéré qu'elle s'était jetée à son cou en sanglotant.

- Pardonne-moi mon amour, pardon !... Je me sens si perdue !...

- Tu n'es coupable de rien... Je t'en prie, ne te rends pas responsable de son état... Tu n'aurais rien pu faire... Et puis...

Il la serra plus fort contre lui.

- C'est ce qu'il voulait... Que nous nous retrouvions... Ne gâchons pas ce que nous avons si durement acquis...

Elle opina, la tête enfouie dans son épaule tout en pleurant.

- Oui, oui, tu as raison. Pardon, pardon !...

Elle se redressa, le visage baigné de larmes.

- Ne va pas croire que... que je regrette.... Non !... Mais j'ai si peur, Terry ! Oh oui, j'ai si peur ! - fit-elle en redoublant de sanglots contre lui.

Pendant de longues minutes, ce dernier la tint dans ses bras, caressant son dos, ses épaules, murmurant des paroles apaisantes qui peu à peu calmèrent ses pleurs. Lui seul, par sa seule présence, avait ce pouvoir d'adoucir sa peine et d'alléger son coeur. Cet homme, qui dans quelques semaines, deviendrait celui qui prendrait soin d'elle pour le restant de leurs jours, son mari aimant et protecteur, à l'issue d'une union pour laquelle Albert avait tant œuvré... Tout devint alors limpide dans l'esprit de Candy et un cri étouffé s'échappa de sa gorge sous le coup de l'émotion qui la traversait.

Albert savait... Il savait qu'il était malade et voulait mettre de l'ordre dans sa famille avant de... de...

Elle secoua la tête, refusant cette pensée terrible qui s'imposait à elle...

- Je voudrais aller marcher... - fit-elle la gorge nouée. Il fallait qu'elle sorte d'ici avant de devenir folle !...

- Je t'accompagne... - fit Terry tout en jetant un oeil discret vers Georges qui acquiesça.

- Prenez tout votre temps. S'il se passe quelque chose, je vous avertirai...

Le jeune couple sortit de la chambre et se dirigea vers le parc qui entourait le bâtiment. Quelques patients avaient déjà pris place sur des bancs, le visage tourné vers la lumière du matin qui scintillait à travers le feuillage des arbres centenaires. Il faisait bon, on entendait le concert joyeux des oiseaux qui s'éveillaient, le frétillement des grosses carpes du bassin central, la douce mélodie de l'eau qui s'écoulait dans la fontaine toute proche... Tout était si calme et apaisant, et pourtant rien n'aurait pu calmer le bouleversement intérieur qui agitait Candy.

- Comment vais-je pouvoir attendre ainsi sans pouvoir rien faire ??? - se disait-elle. Perdue dans ses pensées, elle se laissait guider par le bras de Terry, indifférente à tout ce qui se passait autour d'elle. Elle n'était plus capable de penser sereinement, son esprit tournant en boucle tandis que l'angoisse la taraudait. Terry devinait sans peine son inquiétude et tentait de faire diversion, essayant de capter son intérêt sur le paysage environnant. Mais il savait qu'il ne la retrouverait dans un état normal que lorsqu'Albert reviendrait de son opération, et surtout quand ils auraient le retour du chirurgien...

Cette attente dura de longues heures, et ce ne fut qu'en début d'après-midi qu'une infirmière vint leur apporter les premières nouvelles.

- L'opération s'est bien passée. Monsieur André est pour l'instant en salle de réveil et devrait être reconduit dans sa chambre dans peu de temps. Le docteur Walker ne va pas tarder à venir vous voir...

- Je vous en prie ! - fit Candy, tremblant d'impatience - Dites-lui de faire au plus vite ! Nous n'en pouvons plus d'attendre !

- Ne vous inquiétez pas, il ne va pas tarder.

L'infirmière quitta la pièce puis contre toute attente, réapparut quelques minutes plus tard, la mine soucieuse.

- Mademoiselle André, le docteur Walker souhaiterait s'entretenir avec vous dans son bureau. Veuillez me suivre s'il vous plaît...

Les sourcils froncés d'interrogation, Candy se leva. Elle posa un regard inquiet sur Georges et Terry qui ne semblaient pas plus rassurés qu'elle. Elle se raidit. Il effleura sa main tandis qu'elle passait devant lui, puis la regarda s'éloigner, la gorge sèche et le coeur empli d'angoisse...

*************************



Le docteur Walker était en train de rédiger son compte-rendu quand l'infirmière fit entrer Candy dans son bureau. C'était un homme d'une cinquantaine d'années, de taille moyenne et aux larges épaules. Une petite moustache aux coins recourbés lui donnait des airs étranges d'écrivain mondain croisé avec un joueur de rugby. Mais les nombreux diplomes qui tapissaient les murs, témoignaient de l'excellence de sa qualification. Il leva les yeux vers Candy, et le regard direct et déterminé qu'il lui adressa la rassura. Avec lui, elle allait savoir ce qu'il en était vraiment de l'état d'Albert...

- Asseyez-vous mademoiselle, je vous en prie... - fit-il en lui indiquant un fauteuil devant lui. Elle prit place docilement, le coeur battant à tout rompre. L'inquiétude et le manque de sommeil avaient figé ses jolis traits, et ses lèvres, tremblotantes, menaçaient à tout moment de rompre sous le poids des sanglots qu'elles retenaient.

Malgré l'expérience des années, Theodore Walker ne s'était jamais habitué aux visages dévastés des familles qu'il rencontraient. Le temps l'avait endurci mais il n'en restait pas moins désarmé, chaque cas bien que souvent similaire par sa nature, se distinguant des autres par le pronostic qu'il lui portait.... Une tâche presque ordinaire mais toujours terriblement ardue... Manipulant nerveusement son stylo à réservoir, il cherchait ses mots, ceux qui seraient les plus appropriés pour décrire la situation.

- Je vous ai fait venir dans mon bureau, mademoiselle André, car je préférais m'entretenir avec vous seul à seul. J'aurais pu le faire avec monsieur Georges, l'assistant de votre père, mais vous êtes sa fille, et c'est à vous qu'il revient d'être informée en priorité...

Il avait délaissé son stylo. Une tension extrême s'était abattue dans la pièce. Il posa ses avant-bras sur le bureau, joignit ses mains, et lâcha enfin, sur un ton sec et maladroit malgré toute la bienveillance qu'il éprouvait envers la jeune femme aux yeux larmoyants assise en face de lui.

- Je ne vais pas vous mentir, mademoiselle André... Nous avons pu ôter la plus grosse partie de la tumeur qui compressait le cerveau de votre père mais...

- Mais ?... - fit Candy, retenant son souffle.

- Mais ce n'est qu'un répit...

- Que... Que voulez-vous dire ?...

- Je veux dire qu'il est impossible d'ôter la tumeur dans sa totalité... Elle va malheureusement se développer de nouveau...

- Pardon docteur, mais.... - l'interrompit Candy, fébrile - Même si elle devait regrossir, vous pouvez toujours la réduire et permettre qu'elle se maintienne ainsi...

- Malgré mes efforts, et même si j'en enlève une partie à chaque fois, elle va s'étendre peu à peu et...

- Mais... - gémit la jeune femme, dont la voix s'envolait dans les aigus - Il existe un traitement à cela, n'est-ce pas ?

- La tumeur est en analyse au labo, mais vu son aspect, je peux déjà en déduire que nous avons affaire à une tumeur maligne qui, je le regrette, est... incurable...

- Vous voulez dire que.... que mon père est... PERDU ?!!!!

Elle s'entendit prononcer ces paroles comme si c'était une autre personne qui les disait, comme si elle était spectatrice de cette scène cauchemardesque. Tout était bloqué dans sa tête. Ses oreilles sifflaient d'hyperventilation. Elle voyait le médecin lui parler mais sa voix lui revenait déformée, comme si on lui avait plongé la tête sous l'eau. Ce n'était pas possible, elle allait se réveiller !!!

- Je suis vraiment désolé... - fit le docteur en baissant les yeux d'embarras - S'il y avait une chance, même infime, de le sauver, je vous le dirais... Malheureusement, la maladie de votre père est déjà trop avancée...

- Je ne comprends pas... Je ne comprends pas... - répétait Candy en secouant la tête - Il y a quelques semaines encore il paraissait en pleine santé !

- Sur les populations jeunes comme votre père, ce cancer se développe très vite... Et quand on le détecte, il est déjà trop tard...

Comme sous l'effet d'un coup de poignard, Candy poussa un cri de douleur, pliée en deux sur le fauteuil. C'était comme si des dizaines de lames la traversaient tant son corps n'était plus que douleurs et larmes. Elle voulait hurler mais sa gorge restait nouée, la laissant à bout de souffle. Au fond d'elle, elle savait qu'il n'y avait plus d'espoir, une certitude intime qui l'avait hantée depuis leur départ de New-York, comme si le malheur qui s'abattait sur elle ne lui laissait aucune possibilité de douter, si coutumier du fait qu'il était avec elle, la sidérant par sa soudaine cruauté et l'abandonnant à l'immensité de son chagrin.

A une vitesse fulgurante, un flot d'images et de souvenirs défilaient dans son esprit, pour s'évanouir aussi vite qu'ils étaient venus : sa première rencontre avec Albert sur la colline de Pony... Les traits juvénile du beau jeune homme qu'il était en devenir, vêtu du costume traditionnel écossais, avait charmé la petite fille qu'elle était et influencé par la suite son choix de partir vivre chez les Legrand, ce qui lui avait permis de faire la connaissance d'Anthony, son premier grand amour... Puis monsieur Albert le vagabond, celui qu'on chassait sans ménagements des terres de Lakewood, l'amoureux de la nature et des animaux, celui qui l'avait sauvée des eaux déchaînées de la rivière, puis plus tard des griffes de Daniel qui avait jeté son dévolu sur elle. Cet Albert dont elle avait pris soin à Chicago, cet ami si proche au point de l'aimer comme un frère, cet homme si secret qui avait pourtant toujours fait partie de sa vie, ce grand oncle William qui l'avait prise sous sa protection jusqu'à lui donner son nom. Cet homme qu'elle aimait comme un père, cet homme, dont la présence et le soutien si précieux la maintenaient en équilibre, son Albert, allait disparaître, et ne laisser à la place que le vide de l'absence, cette absence qu'elle connaissait si bien et dont la seule évocation la faisait trembler d'horreur...

- Il n'a que 38 ans... - se dit-elle - 38 ans !!!!! Il a encore toute la vie devant lui, tant de choses à faire et voilà que... que.... C'est tellement injuste ! Oh mon Dieu, Albert, comme je suis malheureuse pour toi !...

Le visage de gisant qu'elle avait découvert dans la chambre contrastait tant avec celui de l'Albert qu'elle avait laissé avant de partir pour l'Europe. Elle se remémorait son sourire bienveillant, ses yeux si clairs brillants de malice tandis qu'il l'accompagnait à la gare. Ses paroles encourageantes et rassurantes alors qu'elle rechignait encore sur le quai à laisser le docteur et ses mères se débrouiller sans elle. Car il savait tout déjà de son destin et du bonheur des retrouvailles qui l'attendait. Il avait tout prévu, n'ignorant peut-être pas que son temps était compté et qu'il fallait faire vite...

- Combien... Combien de temps lui reste-t-il ? - parvint-elle enfin à prononcer.

- Six mois, un an dans le meilleur des cas... - répondit le chirurgien en soupirant tristement.

- Six mois... - murmura Candy d'une voix morte, les yeux baissés sur ses mains qui tremblaient sur ses genoux. Sa vue recommença à se troubler de larmes, et un sanglot libérateur s'échappa de sa poitrine.

- Avec beaucoup de soin et de repos, il pourra peut-être vivre quelques mois de plus... - fit le médecin, cherchant à provoquer l'espoir dans ce jeune coeur en souffrance qui gémissait devant lui. Mais il devait manquer de conviction car elle leva les yeux sur lui, et lui demanda d'une voix étonnamment affirmée :

- Comment cela va-t-il évoluer ? Va-t-il souffrir ?

- Nous ferons de notre mieux pour qu'il souffre le moins possible...

- Docteur Walker, j'insiste ! Comment la maladie de mon père va évoluer ???

Devant le regard déterminé de son interlocutrice, le chirurgien obtempéra et se lança à contre-coeur dans le récit des différentes étapes qui jalonneraient les derniers mois d'existence d'Albert : tout d'abord la perte de motricité, puis celle de la parole, les douleurs, terribles, les pertes de conscience qui lui seraient vers la fin fatales... Il lui sembla qu'elle était en train de mourir elle aussi tant ce qu'elle entendait lui était insupportable.

- Albert, Albert va mourir !.... - se disait-elle, chaque mot se répercutant en écho dans sa tête.

Elle regarda autour d'elle. Tout avait perdu de sa forme, de sa lumière, recouvert d'un voile sombre que seul un miracle pouvait déchirer, ce miracle qu'elle avait si souvent sollicité en prières mais qui lui avait été à chaque fois refusé. Elle savait que pour Albert, on ne lui consentirait aucune exception, même si elle proposait sa vie en sacrifice, et son coeur, à bout de force, se brisa...

**************************



Terry ne savait plus depuis combien de temps il attendait dans ce couloir le retour de Candy. Les yeux rivés sur la porte du bureau du docteur Walker, il faisait les cent pas, son coeur sursautant au moindre bruit ou mouvement qu'il décelait derrière la cloison. Soudain, la porte s'ouvrit alors qu'il se trouvait à quelques mètres en recul. Elle apparut dans l'encadrement. Elle avança, chancelante et tourna un visage perdu dans sa direction. Un frisson glacé parcourut tout son être. Il avait compris...

Candy... - murmura-t-il, la gorge nouée.

Elle ne répondit pas, le fixant de son regard vide, muette, ses lèvres entrouvertes ne laissant s'échapper aucun son... Elle fit un geste vers lui et dans un sursaut d'énergie esquissa un pas pour le rejoindre. Puis sa tête bascula en arrière et elle s'effondra dans ses bras qu'il avait tendus en se précipitant vers elle...

Fin du chapitre 25

 
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59 replies since 22/11/2011, 18:57   34648 views
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