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Lettres à Juliette, (sans rapport avec une autre fanfic du nom de "les lettres à Juliette"...)

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view post Posted on 16/10/2015, 16:37
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La tête appuyée contre sa poitrine, elle jouait à faire lascivement glisser son index sur son torse, se délectant du doux contact de sa peau virile sous la pulpe de son doigt.

- Dis moi... Tu en as connu beaucoup... avant moi ?

Elle sentit contre sa joue le muscle de sa poitrine tressaillir et ne fut pas surprise de cette réaction. Elle leva les yeux vers lui et vit qu'il se mordait la lèvre d'embarras. Il s'attendait un jour ou l'autre à cette question, mais naïvement, il n'avait jamais songé à ce qu'elle la lui posât aussi directement. Une multitude de pensées s'entrechoquaient dans son esprit en quête de la meilleure réponse.

Le visage des multiples conquêtes d'une nuit lui revenait brutalement en mémoire, lui laissant un goût amer dans la bouche. Ce n'était pas très glorieux et il se demanda comment il allait pouvoir lui expliquer l'homme qu'il avait été à cette époque, bien différent de celui qui la tenait maintenant dans ses bras. Comment lui expliquer le tourbillon dans lequel il s'était jeté après leur rupture, un tourbillon de travail, d'alcool et de fêtes, pour essayer de l'oublier, elle, sans jamais y parvenir ? Ces inconnues de passage lui avaient permis un bref instant de se convaincre qu'il était encore vivant même si tout de suite après il se sentait à nouveau mort à l'intérieur. Il s'était toujours refusé à tout engagement, à toute attache, ne voulant rien promettre, n'ayant rien à offrir, encore moins son cœur. C'est pourquoi ces quelques liaisons éphémères s'étaient généralement produites en tournée où le changement de ville facilitait la fuite. Bien entendu, s'il avait su qu'un jour il retrouverait Candy, il aurait agi bien différemment et ne se serait pas comporté comme un malotru sans aucun état d'âme. Mais à présent qu'il avait fait l'expérience du véritable amour charnel, qu'il avait ressenti ce bonheur suprême entre les bras de celle qu'il aimait, cela ne pouvait souffrir la comparaison avec ce qu'il avait vécu autrefois et il réalisa combien il s'était perdu pendant tout ce temps.

Il ouvrit la bouche pour lui répondre, lui dire qu'il n'était pas fier de ce qu'il avait été, de cet être sans scrupule qui avait certainement fait souffrir, non seulement Suzanne qui n'ignorait rien de ses infidélités, mais aussi les femmes qui s'étaient données à lui, espérant secrètement pouvoir le retenir. Mais il n'y en avait eu qu'une capable de le faire, et cette femme s'appelait Candy, celle qui se tenait lovée contre lui et qui l'observait avec attention comme si elle cherchait à lire dans ses yeux ses pensées. C'était certainement ce qu'elle était parvenue à faire car elle posa un doigt sur sa bouche, scellant ses lèvres entrouvertes.

- Après tout peu importe ce qui s'est passé avant puisque tu es là à présent avec moi... - lui dit-elle avec un tendre et triste sourire – Mais...

Elle se redressa, rapprochant pudiquement le drap contre elle, et baissant les yeux.

- Je voudrais savoir si toi et Suzanne... - demanda-t-elle d'une voix presque inaudible tant elle craignait la réponse.
- Non ! - fit-il avec une telle ardeur qu'elle en eut les larmes aux yeux. Il s'était redressé à son tour et la fixait intensément – Non ! Je n'aurais jamais pu, jamais !!! Je lui dois peut-être la vie, mais la misère morale dans laquelle elle m'a plongé par la suite, ne m'a jamais permis de la considérer autrement que comme la geôlière de la prison dans laquelle elle m'avait enfermé. Tu sais, elle a beaucoup souffert durant sa maladie et je suis resté à son chevet tout ce temps, la veillant jour et nuit durant les dernières semaines de son agonie. J'ai cru naïvement que cela nous avait rapprochés et j'en suis venu à regretter mes escapades, bien que nous n'étions ni mariés, ni fiancés, m'étant refusé à tout autre rôle que celui d'homme de compagnie, chassant jusqu'à celui de compagnon. Pour être honnête, j'éprouvais tant de pitié pour elle que j'avais commencé à me reprocher mon manque de tendresse envers elle, mon indifférence pendant toutes ces années. J'aurais pu au moins faire un effort même si au fond de moi je la détestais pour tout ce qu'elle représentait pour moi. Je le lui ai dit et elle a paru soulagée. Elle est partie quelques jours plus tard, et quand j'ai retrouvé tes lettres cachées au fond d'un tiroir de son secrétaire alors que je rangeais ses affaires, le cœur rongé de culpabilité, j'ai ressenti une rage furieuse envers elle, car elle m'avait trahi et menti tout le long ! Alors qu'elle en avait eu l'occasion lors de nos dernières conversations, elle aurait pu m'avouer ce qu'elle avait fait, et j'aurais pu lui pardonner. Mais tandis que ce paquet de lettres tremblait entre mes mains, j'ai ressenti toute la monstruosité de son geste et l'entendais presque rire de moi. Je tenais ces lettres et je réalisais qu'elle les avait ouvertes, les avait lues et les avaient conservées précieusement durant toutes ces années, s'imaginant peut-être avec délectation le choc que cela me ferait en les découvrant après sa mort et toute la douleur que cela provoquerait en moi. Je suppose que c'était sa petite vengeance pour ce que je lui avais fait subir, mais crois-moi, Candy, crois-moi, même en ignorant tout cela, je n'aurais jamais pu la toucher ! Et à la lueur de ce que je sais à présent, je regrette d'avoir pris soin d'elle durant ses derniers moments alors que j'aurais du lui cracher tout mon mépris !

Il avait assené cela avec une telle haine qu'elle en avait frémi et s'était précipitée vers lui, prenant son visage entre ses mains.

- Je t'en supplie, Terry, ne laisse pas ton cœur se remplir d'aigreur ! Suzanne était un être faible qui ne cherchait que sa satisfaction personnelle. Elle croyait t'aimer et se permettait tout au nom de cet amour égoïste qu'elle éprouvait pour toi. Mais je veux que tu fasses la paix avec elle et avec toi-même. Je ne veux pas qu'elle soit un fantôme entre nous. Elle n'est plus là, tu n'es plus lié à elle, tu es lié à moi, et c'est tout ce qui compte à présent. Peu importe qu'elle ait lu et gardé mes lettres, elles ont dû la faire souffrir beaucoup plus qu'à toi. Au fond, elle est plus à plaindre qu'à blâmer...
- Mais que faudrait-il qu'on te fasse pour que tu cesses de trouver des excuses à tous ceux qui t'ont tant faite souffrir ? - s'emporta-t-il, exaspéré.
- Je ne leur trouve pas d'excuse. Je veux seulement me détacher d'eux, ne pas éprouver de haine en pensant à eux sinon ils continueraient à vivre en moi et je ne veux pas leur donner ce pouvoir. Et puis, je sais que tu es là avec moi désormais et cela me rend plus forte. Je n'ai peur de personne avec toi. Je suis heureuse, Terry, tellement heureuse que je ne veux pas gâcher ce bonheur en réveillant des douleurs qui font partie du passé.
- Je suis follement heureux, moi aussi, Candy, mais je ne sais pas si cela pourra m'aider un jour à acquérir ta sagesse et ton courage ! - soupira-t-il. Puis, son œil retrouvant toute sa malice, il se pencha vers elle – Me laisseras-tu néanmoins m'occuper du sort d'Elisa quand nous la reverrons ?
- Promets-moi que tu te tiendras tranquille ! - s'écria-t-elle en écarquillant des yeux suppliants – Je sais tout ce qu'elle nous a fait vivre mais pense à la tête qu'elle fera en nous voyant ensemble. Ce sera notre plus belle revanche !
- Présenté comme cela... - fit-il avec une moue dubitative, tout en se promettant intérieurement de s'occuper personnellement du cas de sa future cousine. Il n'était pas question qu'elle s'en sorte aussi facilement !

Rassurée, Candy s'allongea sur le ventre, le drap épousant harmonieusement les courbes voluptueuses de ses reins. Elle s'étira langoureusement, puis se tourna vers lui et, la tête en appui contre son bras replié, lui demanda alors :

- Tu sais ce qui me ferait plaisir ?
- Dis-moi.
- Je voudrais retourner à Saint-Paul...
- Saint-Paul ??? Cet endroit sordide avec ces bonnes sœurs lugubres toutes vêtues de noir qui nous suivaient presque jusqu'au petit coin ???

Elle secoua la tête avec enthousiasme tandis qu'il la regardait avec des yeux ronds d'interrogation.

- Je voudrais revoir la colline de Pony, celle où j'allais me ressourcer après les cours ou après un mauvais coup d'Elisa et de Daniel – fit-elle en souriant, nostalgique – Je voudrais me promener dans le collège, dans le parc, passer devant nos chambres, revivre ces moments heureux où nous étions tous ensemble, où la guerre n'avait pas encore éclaté et n'avait pas encore séparé certains d'entre nous pour toujours...

Le souvenir d'Alistair emplit tout à coup son cœur et des larmes de tristesse voilèrent ses jolis yeux. Remarquant sa détresse, Terry s'allongea à côté d'elle et posa une main sur sa joue, la caressant tendrement.

- Nous irons où tu voudras, mon amour – lui dit-il d'une voix douce – Et si tu veux que nous nous rendions à Saint-Paul, et bien, je m'incline, dussé-je affronter les moustaches de la Mère Supérieure !
- Oooooooh, voyons, Terry, tu es vraiment irrécupérable ! - gloussa-t-elle, indignée, en le repoussant.
- Je sais... - dit-il tout en basculant au-dessus d'elle et s'emparant de ses poignets pour l'immobiliser – Mais c'est ce que tu aimes chez moi, non ?
- Je l'admets – fit-elle tout en essayant de se dégager, mais il la tenait fermement avec ce sourire machiavélique qu'elle aimait retrouver sur son visage, annonciateur de belles promesses...
- Dans ce cas, mademoiselle André... - grogna-t-il en plongeant vers le creux de sa gorge, son souffle chaud se répandant sur sa peau, la faisant frissonner de délice – Que diriez-vous si nous reprenions notre conversation là où nous l'avions laissée ?
- De laquelle parlez-vous, monsieur ? - demanda-t-elle d'un air innocent, tandis qu'il desserrait son étreinte pour glisser vers son sein.
- De celle-ci... - fit-il d'une voix rauque, ses lèvres se refermant avec avidité sur le téton avec un soupir de plaisir. Elle s'arqua en gémissant et laissa partir sa tête en arrière en fermant les yeux, se livrant avec délectation aux divines succions de son amant, lequel malgré l'heure tardive semblait très inspiré et loin d'être fatigué...

Quand l'épuisement les emporta enfin, le ciel commençait à se colorer des premières lueurs de l'aube. Il était grand temps que Terry regagne sa chambre avant que les domestiques ne le remarque. Au bout d'un effort surhumain, il parvint à abandonner sa couche, et après s'être sommairement rhabillé, quitta discrètement la pièce non sans poser un regard adorateur sur la nymphe nue et belle qui dormait profondément dans le lit. Ses chaussures à la main, il remonta à pas de loup le couloir en direction de sa chambre, et, alors qu'il passait devant la galerie de tableaux qu'il avait précédemment contemplée avec Candy, il tressaillit de surprise, ayant croisé le regard de son fier ancêtre écossais, James Fraser, qui, il l'aurait juré, venait de lui adresser un clin d'oeil des plus complices...

Fin du chapitre 15



Edited by Leia - 20/10/2015, 22:45
 
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view post Posted on 11/11/2015, 19:07
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Chapitre 16



Cher Albert,

J'aurais bien voulu te donner de mes nouvelles plus tôt mais comme je te l'ai annoncé dans mon télégramme, un événement bien précis a bouleversé le cours de mon voyage mais aussi celui de mon existence, ce qui a fait je n'ai pu jusqu'à ce jour trouver le temps nécessaire pour t'écrire. J'espère que cette lettre t'arrivera néanmoins avant mon retour. J'aurais pu t'envoyer encore un télégramme, mais c'est un moyen de communication qui m'oblige à être succincte et tu sais combien j'aime parler ! J'ai tant de choses à te raconter qu'une lettre ne suffira pas mais je vais essayer de t'en dire le plus possible.

Figure-toi que je me trouve depuis quelques jours à Londres. Pour être plus précise, je me trouve à la campagne, à une dizaine de kilomètres de la capitale, dans la demeure des Grandchester, pour la future célébration de mes fiançailles avec qui-tu-sais. Contre toute attente, le Duc de Grandchester s'est montré très chaleureux avec moi et très enthousiaste vis à vis de ce mariage même s'il aura lieu en Amérique. C'est la raison pour laquelle nous allons célébrer nos fiançailles en Angleterre, afin de satisfaire un peu tout le monde. Je n'ai pas encore rencontré les autres membres de la famille, mais Terry m'a fait comprendre qu'ils étaient un peu particuliers et peu avenants. J'angoisse un peu à l'idée de faire leur connaissance mais je sais que Terry sera à mes côtés et ensemble nous pouvons tout affronter sans crainte aucune.

Le château des Grandchester est si grand que l'on peut s'y perdre et le parc, immense, est une véritable merveille. Quand je m'y promène, j'ai l'impression de me retrouver à Lakewood, avec ses statues, ses fontaines, ses gazons d'un vert immaculé et ses haies épaisses et verdoyantes plantées tout autour pour protéger le domaine. Il ne manque que les roses blanches d'Anthony, si belles et si odorantes, pour parfaire le lieu. Je suis si heureuse que tout me semble irréel !

J'aimerais tant que tu sois là pour pouvoir partager avec toi ce bonheur qui m'habite depuis mon séjour en Italie... Ce que je ressens est tellement fort qu'il m'est impossible de le décrire avec des mots. Je crois n'avoir jamais été aussi heureuse et je n'aurais jamais imaginé pouvoir l'être à ce point un jour... Je peine encore à croire que j'ai retrouvé Terry ! Que je l'ai retrouvé et qu' il m'aime ! Qu'il ne m'a pas oubliée, qu' il n'a cessé de m'aimer pendant tout ce temps, et bien que je sois en train de l'écrire, il m'est toujours difficile de me convaincre que cela est la réalité.

Il m'aime et il veut m'épouser ! Je vais bientôt m'appeler madame Candice Neige Grandchester et j'ai beau le répéter à haute voix, j'ai toujours l'impression que cela concerne une autre personne ! Aurais-tu pu penser qu'un jour ce que je n'avais même pas osé espéré se réaliserait ? Une petite voix intérieure me dit que tu y es certainement pour quelque chose car quand je repense à mon excursion à New-York, je réalise combien le trajet avait été orienté vers Terry, n'est-ce pas ? Patty m'a aussi avoué votre petite conspiration pour faciliter nos retrouvailles... Pour être vraiment honnête, cette incursion dans ma vie privée m'a tout d'abord contrariée puis j'ai rapidement réalisé mon erreur. Si vous ne nous aviez pas aidés à forcer le destin, nous serions certainement encore ces deux idiots incapables de revenir l'un vers l'autre. Vous aviez confiance en nous alors que nous en étions incapables, emmurés que nous étions dans nos certitudes, aveugles et sourds à cette chance qui s'offrait à nous. Je frisonne d'effroi à présent en imaginant l'obscurité dans laquelle nous serions restés plongés sans votre initiative... Comment pourrais-je un jour vous remercier, tous ?

Tu as toujours été là, mon cher Albert, prêt à m'aider ou à me consoler. Tu as tant fait pour moi. Toi, ce protecteur et bienfaiteur bien-aimé qui agissait dans l'ombre jusqu'à ce que tu te révèles à moi, mon mystérieux Oncle William. Comme j'ai été surprise et en même temps soulagée ce jour là ! Ce ne pouvait être que toi de toute manière car personne d'autre que toi ne pouvait aussi bien me connaître et me comprendre. Je me demande encore comment j'ai pu l'ignorer pendant toutes ces années passées à tes côtés. Tu as toujours su ce qui était bon pour moi, c'est pourquoi tu as décidé de m'envoyer en Angleterre après le décès d'Anthony alors que je refusais d'y aller. Si tu ne l'avais pas fait, je n'aurais jamais rencontré Terry, et je ne me serais peut-être jamais remise de la perte incommensurable qu'avait représenté pour moi sa disparation. Je n'aurais jamais compris qu'on pouvait tomber amoureuse une nouvelle fois, d'une autre façon certainement mais tout aussi fort assurément. Tu le savais, toi, c'est pourquoi tu m'as fait traverser l'océan, pour que la distance et le temps guérissent ma peine, et pour qu'une autre personne aussi merveilleuse qu'Anthony croise mon chemin. Je te dois mon bonheur présent, Albert, et je ne sais comment te chérir au delà de ce qu'une fille puisse éprouver pour son père. La force de ce lien invisible qui nous relie fait que je sais, d'ors et déjà, que quoi qu'il advienne, nous resterons toujours unis et cela me remplit de joie. J'ai trop besoin de toi dans ma vie et je nous la souhaite la plus longue possible ensemble. J'espère pouvoir un jour te rendre tout ce que tu m'as donné, mais je crois que je n'aurais pas assez d'une vie tant tu m'as apporté et comblée. Merci Albert, merci du fond du cœur...

J'ai hâte de retourner en Amérique pour te revoir, et je sais que Terry est tout aussi impatient. Tu comptes beaucoup à ses yeux et ton opinion sur notre union l'importe tout autant. Je crois qu'il sera vraiment en paix avec lui-même quand seulement tu lui auras donné ton consentement. Je le sens si fragile et si perdu parfois...

Très bientôt, tu me conduiras à lui, le long de cette allée qui nous mène à l'autel de la chapelle de la Maison Pony. Je serrerai ton bras fort et solide, les yeux troublés de l'émotion qui me submergera, puis je poserai mon regard sur toi qui me souriras avec bienveillance et toutes mes craintes s'envoleront, comme elles l'ont toujours fait quand tu es avec moi. Tu as été de toutes mes difficultés, je te veux à présent de toutes mes joies. C'est pour cela que j'ai hâte que ce grand jour arrive car je pourrai le partager pleinement avec toi...

J'entends qu'on frappe à ma porte. Cela doit être Terry qui vient me chercher car nous allons cet après-midi (tu vas trouver cela bien étrange, j'en suis sûre), revoir le Collège Saint-Paul. Je sens que cela va nous rappeler bien des souvenirs...

Je t'embrasse, cher Albert, en attendant de pouvoir te serrer contre mon cœur. Je te laisse faire part de mes tendres pensées à tous nos amis qui me manquent eux aussi un peu plus chaque jour.

A très bientôt,
Très affectueusement,

Candy


*************************



Alors qu'ils approchaient du collège Saint-Paul, Candy eut du mal à reconnaître les lieux. On avait construit partout ! La campagne environnante s'était passablement réduite sous l'effet de l'urbanisation, et bien que l'établissement se situât en périphérie de la ville, il se trouvait à présent cerné de toute part de petites maisons identiques les unes aux autres. La route qui menait au collège avait été élargie pour permettre une meilleure circulation dans les deux sens, dont le bruit sourd et régulier s'imposait en bruit de fond comme une désagréable litanie.

La jeune femme laissa échapper un soupir de soulagement en apercevant au loin les hautes grilles du collège, lesquelles n'avaient pas changé, similaires à ses souvenirs. La lumière du soleil qui se projetait sur les barreaux leur donnait néanmoins un aspect plus accueillant malgré leur austère architecture.

Terry tira sur la chaîne de la cloche fixée au mur de clôture et Candy retint son souffle, revivant avec violence son arrivée au collège dix ans auparavant et l'accueil glacial qu'elle avait reçu. Il lui adressa un regard complice mais aussi empreint d'une certaine inquiétude, comme si à son tour, il revoyait avec intensité le film de cette période de sa vie et dont il n'avait pas gardé d'excellents souvenirs, si ce n'étaient ceux avec Candy...

Au bout d'un petit moment, le bruissement de pas sur le gravier de l'allée se fit entendre. En réaction, Candy saisit la main de Terry pour se rassurer, craignant de voir apparaître le visage sévère de la sœur de ses souvenirs. Une jeune religieuse se présenta alors, dont le sourire chaleureux fit instantanément oublier le noir lugubre de son habit.

- Monsieur Grandchester et mademoiselle André, je présume ? - fit-elle en écartant les larges battants de la grille. Et tandis qu'ils opinaient du chef, elle ajouta - La mère supérieure vous attend. Veuillez bien me suivre...

Le jeune couple franchit la grille et se mit à marcher à côté de la sœur qui semblait très heureuse d'avoir de la compagnie. La plupart des élèves se trouvait en camp d'été en Ecosse, laissant le collège comme vidé de sa substance, et particulièrement silencieux. En temps normal, on entendrait des murmures, des éclats de rire, des gloussements moqueurs, on verrait des bouquets d'uniformes blancs et noirs dispersés sous les grandes arches de la cour intérieure, sous l'oeil vigilant et soupçonneux des religieuses, à l’affût du moindre rapprochement entre les filles et les garçons. Heureusement le parc du collège était immense et permettait quelques accrocs à la règle, mais Candy savait par expérience combien il était risqué de contrevenir au règlement en vigueur. Elle aperçut au loin la grange dans laquelle elle s'était faite surprendre en compagnie de Terry, et elle frissonna d'effroi au douloureux souvenir que cela lui évoquait.

Ils remontèrent la longue allée bordée de platanes centenaires tout en écoutant sœur Adélaïde – c'était son nom – leur exposer les modifications qu'avait connues le collège depuis leur départ : la rénovation du réfectoire, la modernisation des chambres qui disposaient toutes désormais de l'électricité, l'agrandissement de l'aile gauche du bâtiment pour pouvoir accueillir plus d'élèves, et même l'installation d'un poste de radio dans la salle commune !

- Je ne savais pas sœur Grey amatrice de ce genre de... distractions... - fit Candy qui avait gardé en mémoire la rigidité de la mère supérieure.
- Disons que certaines choses ont évolué depuis qu'elle a pris sa retraite – répondit la religieuse avec un petit sourire en coin tout en poussant la lourde porte du bâtiment qui grinça en s'ouvrant, laissant le bruit se répercuter en écho sur les parois d'un long couloir sombre et vide au sol carrelé de larges dalles noires et blanches.
- Soeur Grey a pris sa retraite ? - s'écrièrent ensemble Terry et Candy. Ils n'avaient jamais songé qu'elle puisse un jour s'arrêter...
- J'imaginais que cette vieille toupie occuperait son poste comme le pape, jusqu'à sa mort !... - se dit Terry en fronçant les sourcils de déception, contrarié de devoir renoncer à l'opportunité qui lui était donnée de la faire enrager comme autrefois...
- Cela va faire quatre ans qu'elle s'est retirée – répondit sœur Adélaïde tout en les conduisant vers le fond du couloir – mais elle habite toujours dans le collège.
- Qui donc a a pris sa suite ? - s'enquit Candy, intriguée. Les noms et visages des sœurs pouvant prétendre à la succession défilaient dans sa tête sans qu'elle puisse déterminer un choix particulier. Pour elle, elles étaient toutes aussi rigides et glaciales les unes que les autres !
- Vous allez le savoir très rapidement... - fit la religieuse en toquant à une porte avec un sourire énigmatique. Le bruit sourd d'un fauteuil qu'on recule leur parvint tandis qu'elle poussait la porte laissant apparaître une pièce que le jeune couple avait eu l'occasion de fréquenter plus que de coutume... La silhouette debout derrière l'imposant bureau releva la tête et Candy sursauta de surprise.
- Soeur Margareth, vous, ici ??? - s'écria-t-elle, oubliant toute formule d'usage.

Un sourire amusé s'étira sur les joues replètes de la religieuse.

- En effet, Candy, c'est bien moi...

La jeune blonde restait immobile sur le pas de la porte, stupéfaite. Soeur Margareth, Soeur Margareth était la nouvelle mère supérieure !

- Et bien, Candy, je vous ai connue beaucoup plus loquace!... - fit la soeur en s'avançant vers elle. Elle aperçut Terry en retrait, et un nouveau sourire, cette fois plus éloquent, apparut sur son visage. Quand elle avait été informée de la visite des ses deux anciens élèves, elle n'avait pas parue surprise, devinant ce qu'ils étaient devenus l'un pour l'autre. Elle l'avait compris rapidement à l'époque en les observant et s'était émue de cet amour qui naissait sous ses yeux. Deux beaux jeunes adultes se tenaient à présent devant elle, visiblement très amoureux l'un de l'autre mais aussi très étonnés de la découvrir ici.
- Pardonnez-moi, ma ssss..., pardon ma mère – bredouilla Candy en la saluant – Cela doit être l'émotion. Je suis si heureuse de vous revoir !
- Moi aussi, Candy... - fit sœur Margareth en lui prenant les mains – Cela me réchauffe le cœur de voir la ravissante jeune femme que vous êtes devenue. Nous nous étions fait tellement de souci quand vous avez subitement quitté le collège ! Heureusement, votre oncle nous avait écrit quelque temps plus tard pour nous rassurer...
- Je regrette le souci que j'ai pu vous causer, ma mère. Mon départ fut en effet très précipité... – fit Candy, embarrassée, en regardant du coin de l'oeil Terry, dont les traits s'étaient durcis à l'évocation de ce triste souvenir - Je ne manquerai pas de remercier mon oncle pour cette attention quand je le reverrai...

La religieuse les invita à s'asseoir sur un canapé de velours marron, placé contre le mur, face au bureau. Le mobilier n'avait pas changé mais on avait repeint la pièce en blanc et changé les rideaux. La lumière du jour à travers les grandes fenêtres apportait une atmosphère chaleureuse insoupçonnée qui contrastait singulièrement avec celle qu'ils avaient gardée en mémoire. On distinguait le parc par une porte-fenêtre entrouverte d'où remontait le chant des oiseaux qui jouaient à cache-cache dans le feuillage des arbres, à l'ombre des rayons ardents du soleil estival.

Le temps s'est arrêté ici... - se dit Candy, mélancolique, absorbée par le charme serein des lieux. Elle ne regrettait pas d'être venue au collège, qu'elle redécouvrait avec des yeux nouveaux, libérée de ses tourments d'alors. Le voile gris de ses souvenirs se déchirait peu à peu, et le regard empreint de tendresse que Terry lui adressait acheva de le consumer.
- Combien de temps restez-vous à Londres ? - l'interrompit dans ses pensées Soeur Margareth tout en prenant place à son tour dans un fauteuil.
- Nous restons ici pour deux semaines seulement – intervint Terry, ayant remarqué la mine songeuse de son amoureuse – Le temps pour nous de célébrer nos fiançailles, puis nous retournerons dans la famille de Candy, pour notre mariage... - poursuivit-il en s'enfonçant un peu plus dans les coussins du canapé. Il avait dit cela avec un naturel déconcertant qui le surprit lui-même, lui, si secret auparavant. Mais il était si heureux et si fier d'épouser Candy, qu'il aurait pu le crier à la terre entière !
- Quelle merveilleuse nouvelle ! - s'exclama la mère supérieure – J'espérais secrètement que vous alliez m'annoncer cela en venant ici. Vous m'en voyez ravie !

Elle les observait, les yeux pétillants de joie, un sourire béat sur les lèvres. Soeur Adélaïde revint alors, poussant un chariot sur lequel étaient posés théière fumante, tasses et petits fours. Candy jeta un œil gourmand sur la pyramide de scones qui s'offrait à ses papilles, la faisant saliver d'envie, mais le regard en biais que lui lança Terry l'obligea en grimaçant, à rentrer la langue qu'elle s'apprêtait à passer sur ses lèvres.

Le service effectué, sœur Adélaïde s'éclipsa en les saluant discrètement de la tête.

- Bien ! - fit alors sœur Margareth en soupirant d'aise – Maintenant que nous sommes seuls, vous allez pouvoir me raconter ce que vous êtes devenus tous les deux. J'aimerais bien aussi que vous me donniez des nouvelles de tous vos amis. Cela me rajeunira un peu.

Elle avait dit cela en gloussant, son corps tout secoué de rire . Candy se souvenait de la personne charmante et compréhensive qu'elle avait été avec elle, mais découvrait une personne plus détendue, affranchie de l'autorité absolue de sœur Grey. Elle n'avait pas beaucoup changé, si ce n'étaient quelques rides au coin des yeux qui lui donnaient un air plus sage malgré l'espièglerie qui y pétillait.

Ce fut Candy qui prit la parole, Terry se contentant d'acquiescer par endroit. Il n'était pas facile de résumer dix ans d'une vie en quelques minutes, sachant qu'elle devait en occulter certains aspects douloureux. Soeur Margareth n'ignorait rien de la brillante carrière que connaissait Terry mais ne savait pas que Candy était devenue infirmière, et exprima un grand enthousiasme à cette annonce. Quand elle apprit la mort d'Alistair à la guerre, elle ne put retenir ses larmes et dut se moucher à plusieurs reprises.

- Mon dieu, quelle tristesse ! - sanglotait-elle – Nous avons malheureusement perdu de nombreux anciens élèves pendant cette maudite guerre. Dire que ce pauvre monsieur Cornwell en fait partie... Quel malheur !... Il était si sympathique et si attachant. Cela va secouer Soeur Grey quand elle le saura...
- Comment va-t-elle ?
- Très bien pour quelqu'un de son âge. Vous pourrez la rencontrer tout à l'heure si vous le souhaitez. Pour l'instant, elle fait la sieste mais elle ne devrait pas tarder à se réveiller. Pourquoi n'iriez-vous pas visiter les lieux en attendant ?
- Ce n'est pas de refus ! - fit Terry qui s'était aussitôt levé, évitant de croiser les gros yeux que lui faisait Candy, trop impatient qu'il était de se dégourdir les jambes,.
- Parfait ! - s'écria Soeur Margareth, en se levant à son tour – Prenez votre temps. Il fait très bon dans le parc aujourd'hui. Je ne pense pas que vous vous y perdrez. Il n'a pas beaucoup changé depuis votre départ.

Elle se dirigea vers la porte pour l'ouvrir mais s'interrompit dans son élan au dernier moment, comme embarrassée. Un sourire nerveux crispait son visage tandis que ses joues rosissaient d'un certain émoi.

- Pourrais-je juste vous demander une petite faveur, Terrence, avant de partir ? - finit-elle par prononcer d'une voix presque inaudible en regardant le bout de ses chaussures.
- Bien entendu ma mère, que puis-je pour vous ? - répondit-il, le sourcil froncé de curiosité devant le comportement subitement étrange de la religieuse.

Il la vit hésiter et rougir de plus belle, puis plonger la main dans la poche de son habit et en sortir une photo du jeune comédien qu'elle lui tendit en baissant les yeux.

- Auriez-vous l'amabilité de me signer un autographe, Terrence ?

Terry émit un hoquet de stupéfaction devant la demande inattendue de la mère supérieure, puis se reprit, ne voulant en aucun cas la mettre mal à l'aise. Elle était si rouge qu'elle en irradiait la pièce !

Il se dirigea vers le bureau et se munissant d'un stylo-plume, griffonna un mot à son attention puis lui rendit la photo qu'elle saisit avec empressement comme si elle craignait qu'on la lui reprenne.

- « Pour sœur Margareth, avec toute mon affection, votre élève rebelle et dévoué, Terrence » - lit-elle tout bas, comme si elle se parlait à elle-même. Puis elle releva la tête, à la fois émue et ravie – Merci, merci beaucoup Terrence...

Puis dissimulant de nouveau la photo dans sa poche, elle ajouta avec une moue de petite fille fautive :

- Surtout n'en parlez pas à Soeur Grey, elle me le reprocherait...
- Ne vous en faîtes pas ma mère, cela restera entre nous... - lui répondit-il avec un clin d'oeil complice. Puis il pivota sur ses talons en direction de Candy qui l'attendait sur le seuil de la porte, avec un sourire attendri.


Il lui prit la main et l'entraîna dans le couloir qu'ils parcourent à vive allure jusqu'à la sortie, riant comme des adolescents. Le parc s'étendait majestueusement sous leurs yeux, identique à leurs souvenirs et un sentiment étrange s'empara d'eux, la nostalgie d'un passé révolu qui réveillait tout un flot de sensations et d'émotions. Ils se promenèrent tout d'abord autour du collège, longèrent le dortoir des filles, puis celui des garçons, peinant à déterminer quel balcon correspondait à leur chambre. Le temps avait fait son œuvre et effacé ce petit détail de leur vie d'alors, mais ce fut Terry qui parvint le premier à identifier avec certitude la chambre de Candy.
- Tu sais que j'avais l'habitude de t'observer chaque soir de mon balcon ? - lui dit-il, songeur - Je suivais ta silhouette à travers les rideaux, guettant le moment où tu ôterais ta robe de chambre...
- Tu m'espionnais ??? - s'écria-t-elle, indignée, la bouche grande ouverte de stupéfaction.
- Oui, et je n'ai pas honte de le dire. Il n'y avait pas plus belle vision avant de s'endormir... - répondit-il, tel un chat se pourléchant les babines.
- Je n'en reviens pas que tu me dises ça ! Dire que je croyais que tu étais un gentleman... - fit-elle en croisant les bras, retroussant le nez d'un air faussement scandalisé.

Il se tourna vers elle, les poings appuyé sur ses hanches, enchanté de se prêter au jeu de mauvaise foi vers lequel elle l’entraînait.

- C'est vraiment cocasse de se voir reprocher ça par quelqu'un qui n'hésitait pas à se transformer en chimpanzé à jupons pour aller, la nuit de surcroît, visiter le dortoir des garçons !!!
- Alors ça ! Ça ! C'est vraiment malhonnête !!! - s'écria-t-elle, abasourdie par la fourberie de sa remarque – Cela t'a bien arrangé, un soir que tu étais complètement saoul et blessé, que je fasse le mur pour aller chercher de quoi te soigner !!!
- Hé, tout doux ! Pas la peine de prendre la mouche pour si peu, mademoiselle Tarzan-Taches-de-son ! – répliqua-t-il en ricanant tout en appuyant son index sur son joli nez parsemé de taches de rousseur que la colère accentuait.
- Roooooohhhhh ! Je t'interdis de m'appeler comme ça ! - rugit-elle tandis qu'il s'enfuyait en riant - Tu vas voir si je t’attrape !

Furieuse, elle courut à sa poursuite, désireuse de lui demander des comptes. Mais ses élégantes chaussures ne faisaient pas le poids face à de longues jambes masculines. Elle manqua de chuter à plusieurs reprises et se mit à maudire cet être exaspérant aux rires moqueurs insupportables qu'il était redevenu en cet instant.

- Grrrrr ! Ce qu'il peut être énervant parfois ! - se dit-elle tout en enlevant ses souliers qui commençaient à la faire souffrir – Il ne perd rien pour attendre !

Grommelant intérieurement, elle réalisa qu'elle était arrivée au pied de la nouvelle colline de Pony et pressa l'allure pour atteindre le sommet. Adossé contre le vieux chêne, une jambe repliée contre le tronc, il l'attendait tout en mâchonnant la tige d'un trèfle d'un air ironique.

- Tu en as mis du temps, mademoiselle Tach...
- Cela suffit, tais-toi ! - fit-elle, toute essoufflée, en s'adossant à son tour contre l'arbre. Elle aurait plus tard sa revanche, mais pour l'instant, elle ne voulait qu'une chose : se reposer et reprendre des forces - pour pouvoir le ficeler comme un porcelet ! Elle mourait de soif aussi et elle était en nage ! Mais qu'est-ce qu'il lui avait pris de lui courir après ! Il aurait été bien attrapé si elle ne l'avait pas suivi. Pourquoi fallait-il qu'elle réponde à chacune de ses provocations ??? Peut-être parce-que leur relation fonctionnait ainsi, entre disputes et réconciliations...

Elle tourna la tête vers lui. Son air narquois avait disparu et il avait le regard perdu vers l'horizon.

- A quoi penses-tu, Terry ? - demanda-t-elle.
- Je me disais... Je me disais que cette colline était certainement l'endroit où je me sentais le mieux quand j'étais au collège. Personne ne venait me déranger ici, à part toi qui t'étais approprié le lieu et qui apparaissais à la moindre occasion...
- J'ai bien l'impression que cela ne t'enchantait pas... - observa-t-elle, un brin contrariée.
- Oh non, au contraire ! J'aimais te regarder arriver et je riais en moi-même, car tu parlais souvent toute seule. Je m'étais même un peu demandé au début si tu avais bien toute ta tête...
- Suis-je parvenue à te convaincre du contraire ? - fit-elle, vexée, ses yeux se plissant en deux fentes minuscules sur son joli visage.
- Oh très rapidement, mon cœur ! - dit-il en prenant sa main pour en baiser la paume. Elle se dérida instantanément, fondant comme neige au soleil, incapable de résister à la chaleur de ses lèvres sur sa peau – J'ai vite compris que tes monologues s'adressaient à tes horribles cousins qui te menaient la vie dure en permanence et que tu libérais ainsi toute cette colère en toi. Tu m'as attendri car j'éprouvais la même colère mais je n'avais pas d'exutoire comme le tien...
- Tu as fini par le trouver avec le théâtre...
- Oui, et j'aurais bien voulu que tu sois près de moi à ce moment là...
- On ne peut pas revenir en arrière, Terry...
- Non, tu as raison, mais il y a bien quelque chose que je peux faire à présent et qui m'était impossible autrefois...
- Quoi donc ?
- Ça !

Disant ces mots, il la plaqua violemment contre l'arbre, s'empara des deux mains de son visage et l'embrassa à pleine bouche. Surprise, elle voulut le repousser, mais y renonça tout aussi vite, incapable de résister au doux contact de ses lèvres sur les siennes, à la fois tendres et audacieuses. Quand elles s'écartèrent, elle émit un gémissement de regret qui le fit sourire de satisfaction.

- Tu ne me gifles pas cette fois ? - demanda-t-il sur un ton qui laissait deviner sa fierté d'avoir réussi l'exercice. Elle le fixait amoureusement sans rien dire, les lèvres rougies de la pression de ses baisers. Sur cette colline, entre ses bras, elle lui semblait être transportée dans le temps, ce temps où elle portait un uniforme blanc et lui un costume noir, où leur visage avait conservé les rondeurs de l'enfance et où leurs yeux brillaient encore d'une certaine naïveté jusqu'à ce que tout s'effondre brutalement un soir de septembre... Comme dans un flash, lui revenaient en mémoire ces moments merveilleux qu'ils avaient passés ensemble et toutes les fois où elle avait secrètement espéré qu'il osât l'embrasser de nouveau. Elle n'aurait pas été assez bête pour le gifler cette fois... Mais ils n'avaient pas eu le temps de réitérer l'expérience...

Elle battit des cils, émergeant de sa torpeur et regarda autour d'elle. Rien n'avait changé. C'était les mêmes couleurs, les mêmes odeurs, la même ville de Londres qui s'étendait au loin, à la seule exception près que le jeune homme d’antan qui la tenait dans ses bras n'avait plus peur d'afficher ses sentiments pour elle et n'hésitait pas à le lui prouver. Elle enroula ses bras autour de son cou et l'attira à elle.

- Non, je ne te giflerai pas – finit-elle par répondre – Tant... Tant que tu continueras à m'embrasser...

Il eut un léger mouvement de recul, comme surpris de sa requête, puis son visage s'illumina, et, un sourire aux lèvres, il s’exécuta, d'abord par touches puis avec plus d'ardeur, le souffle de sa respiration se mêlant au sien qui s'échappait de sa bouche entrouverte. Peu à peu, la flamme du désir s'éveilla en eux, crispant leurs gestes, accentuant leurs soupirs, pressant leurs mouvements qui devenaient plus langoureux. Ils perdaient pied, sans équivoque, emportés par la sensualité de leurs élans auxquels le tintement salvateur de la cloche du collège vint mettre un terme avec ses cinq coups qui annonçaient l'heure du thé.

Ils s'écartèrent l'un de l'autre tout essoufflés avec les yeux troubles de ceux que la fièvre emporte. Reprenant peu à peu leurs esprits, ils s'observèrent, à la fois embarrassés et complices, conscients de leur faiblesse commune. Terry haussa finalement les épaules avec un soupir de résignation et, lui tendant la main, lui dit avec un tendre sourire :

- Viens, ne faisons pas attendre sœur Grey...

Fin de la première partie du chapitre 16



Edited by Leia - 19/12/2015, 17:43
 
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view post Posted on 4/12/2015, 14:21
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Deuxième partie du chapitre 16


- J'espère que tu sauras bien te tenir... - fit Candy en réajustant le nœud de cravate de Terry - Je sais que tu ne gardes pas un très bon souvenir de la mère supérieure...
- C'est peu de le dire... - l'interrompit-il en grimaçant tout en ôtant à son tour une brindille des cheveux de la jeune blonde qu'elle fit mine d'ignorer.
- Mais... - reprit-elle sur un ton plus ferme, en serrant un peu plus le col de ce dernier – Tu vas lui prouver que tu es devenu un jeune homme très bien élevé et que le voyou qui la faisait enrager autrefois n'existe plus !
- Bien mon général ! - fit-il en soupirant tout en tirant sur son nœud de cravate qui l'étouffait. Candy fronça les sourcils avec un air qui se voulait menaçant lequel ne parvint qu'à le faire ricaner bêtement. Elle allait lui donner un petit coup dans les côtes quand la porte devant eux s'ouvrit brutalement, les faisant sursauter de surprise.
- Aaaaaah, je savais bien que j'avais entendu quelqu'un parler derrière la porte ! J'ai encore l’ouïe fine vous savez. Entrez, je vous en prie !

De sa main noueuse bardée de veines apparentes, Mère Grey les invita à la suivre jusqu'à la terrasse de son modeste mais confortable appartement. Le dos courbé, en appui sur une canne, elle se dirigea à petits pas vers un des fauteuils en osier qui attendaient autour d'une table, sous l'ombre protectrice d'un tilleul. Candy s'empressa de caler au mieux les coussins du fauteuil dans le dos de la vieille femme qui soupira d'aise en s'asseyant.

- Je reconnais bien là votre naturel prévenant, mon enfant... - fit la religieuse en lui tapotant affectueusement la main – Vous n'avez pas changé, Candy. Toujours aussi attentionnée. Je me réjouis de vous revoir... Tous les deux...

Elle avait insisté sur ces trois derniers mots avec une certaine gravité comme pour leur prouver sa sincérité. Elle était vraiment heureuse de les revoir, de les savoir sains et saufs après cette guerre qui avait tant fait de mal, de constater qu'ils étaient devenus de jeunes et beaux adultes avec le profond désir de faire quelque chose de bien de leur vie. Mère Margareth lui avait rendu visite quelques minutes auparavant et elle savait déjà par son intermédiaire, l'heureux projet qu'ils avaient en commun. Comme elle, elle n'avait pas été surprise de cette nouvelle même si elle aurait préféré, il fut un temps, de ne pas avoir eu à les surprendre dans une grange... C'était ce qu'elle tenait d'ailleurs à leur expliquer afin de briser définitivement la glace qui était en train de se former entre eux malgré la chaleur de cette fin de journée d'été. Elle attendit que sœur Adélaïde, venue leur servir le thé, ait terminé, pour se lancer, non sans une certaine fébrilité.

- J'aurais voulu éviter cela... - fit-elle en fixant la table ronde en métal ajourée autour de laquelle ils étaient installés – Je ne pouvais pas faire autrement que de vous renvoyer de l'école. Je ne pouvais pas mettre en jeu sa réputation. J'espère que vous me comprenez...

Les deux jeunes gens reposèrent en même temps leur tasse de thé, et s’observèrent un instant, interloqués. Ils ne s'attendaient pas à une telle entrée en matière. Peut-être auraient-ils pu l'évoquer au cours de la conversation, mais le faire ainsi, de but en blanc, les laissaient passablement désarçonnés.

- Je vous comprends, ma Mère – dit finalement Candy, timidement. Elle n'avait pas envie de faire des reproches à cette vieille femme qu'elle avait tant craint auparavant mais sur laquelle le temps, comme à tout un chacun, avait oeuvré : le teint jadis hâlé de sa peau s'était terni, laissant apparaître des rides profondes qui creusaient son visage fatigué par les ans. De courtes mèches blanches dépassaient de sa coiffe qui retombait sur ses épaules voûtées, perdues sous le drap de coton gris qui lui servait de tunique. L'imposante montagne de roches qu'elle avait toujours représentée aux yeux de Candy s'était bel et bien effondrée, laissant apparaître sous les débris, une silhouette racornie, minuscule et frêle, dont seule la voix encore ferme et assurée rappelait son autorité d'antan. Non, à quoi bon retourner le couteau dans la plaie...

Terry, visiblement moins impressionné, se sentait d'attaque pour lui dire le fond de sa pensée et n'hésita à le démontrer.

- Vous oubliez, ma Mère, le traitement de faveur dont j'ai fait l'objet alors que vous condamniez impitoyablement Candy à l'expulsion ! J'étais congédié dans ma chambre tandis qu'elle était enfermée dans un cachot !

L'ancienne directrice soupira en secouant la tête et répondit :

- J'avais vos lettres entre mes mains ! J'étais furieuse de découvrir vos agissements qui n'étaient pas dignes de jeunes gens de votre rang ! Votre père, le Duc, nous versait des dons conséquents et je ne pouvais pas me permettre de perdre ces fonds qui nous aidaient énormément. J'ai sacrifié Candy à votre égard, Terrence, car malheureusement, c'était la meilleure décision à prendre pour le bien du collège. On m'aurait reproché de mettre au même niveau une jeune américaine et le fils du Duc de Grandchester et cela nous aurait porté préjudice. Je ne voyais pas d'autre solution à ce moment là ...
- Vous oubliez que nous n'avions pas écrit ces lettres, que c'était un piège tendu par Elisa Legrand ! Vous auriez pu faire machine arrière - rétorqua Terry, maîtrisant difficilement sa colère.
- Je le sais, mon enfant... - soupira-t-elle de plus belle – Mais quand la vérité m'a sauté aux yeux, vous étiez tous les deux déjà partis... J'ai été flouée par cette petite peste et je m'en suis toujours voulu d'avoir cru ses mensonges au lieu d'écouter la vérité que vous me hurliez. Croyez-moi, je regrette profondément ma décision et le tort que je vous ai causé. J'ai bien tenté de me racheter en tentant de dénoncer les agissements de cette petite chipie, mais sa famille avait des relations dans le clergé et je n'ai pu que la congédier dans sa chambre pendant deux semaines... Soyez assurés que j'ai bien retenu la leçon et que je ne me suis plus jamais laissée berner par ce genre de donzelle...

Elle avait dit cela sur un ton méprisant qui les déstabilisa, peu habitués qu'ils étaient à ce qu'elle laisse entrevoir la moindre émotion. Le comportement d'Elisa l'avait manifestement profondément blessée et on la devinait rongée par la culpabilité.

- Quelques mois après votre départ, Candy – poursuivit-elle d'une voix plus douce - j'ai reçu une lettre des dames qui vous avaient élevée avant votre adoption par la famille André. Elle voulaient me remercier de l'éducation que nous vous avions donnée à Saint-Paul. Elles me relataient aussi votre enfance, vos difficultés mais voulaient par-dessus tout insister sur votre honnêteté et votre bonté d'âme. Ce dont je n'ai jamais douté, Candy, et je regrette de n'avoir pas eu le courage de vous défendre à ce moment là. Malheureusement, les circonstances m'en empêchaient car vous vous étiez tous deux jetés dans la gueule du loup devant de nombreux témoins. J'étais pieds et poings liés !

Candy ignorait que Soeur Maria et mademoiselle Pony avaient écrit à la mère supérieure et elle se réjouit intérieurement devant leur farouche volonté à redorer son blason. Elle en était d'autant plus touchée que Mère Grey semblait très émue en lui racontant cela. Devant cette fragilité manifeste, elle se leva pour aller la rejoindre et s'agenouilla devant elle, en lui prenant la main.

- Rassurez-vous, ma Mère, je ne vous en veux pas. Je ne sais pas comment j'aurais agi à votre place. J'imagine combien il doit être difficile d'administrer un collège comme celui-ci. Vous savez, même si ce fut un moment terrible à traverser, je ne regrette rien car sans cela, je n'aurais jamais peut-être trouvé ma voie et Terry ne serait jamais devenu le comédien talentueux qu'il est à présent. Par expérience, j'ai acquis la certitude que rien n'arrive par hasard et que c'était notre destin de quitter Saint-Paul. Je regrette seulement de vous avoir déçue. Nous n'avions rien à faire dans cette grange ce soir là et nous savions ce que nous risquions de toute façon. Je voudrais juste que vous sachiez qu'il ne s'est jamais rien passé là-bas dont nous ayons à rougir...
- Pour ma part, je regrette de ne pas avoir cassé la figure d'Elisa avant de partir... - intervint Terry en scrutant ses doigts, les faisant remuer devant son beau visage comme pour contrôler leur agilité. Mais devant la mine courroucée des deux femmes, il ajouta – Et bien quoi, puisque nous en sommes aux regrets, j'ai bien le droit d'exprimer les miens !...
- Je n'irai pas jusqu'à approuver cela, mon jeune ami, mais je crois pouvoir dire que nous sommes nombreux dans ce collège à avoir souhaité que la foudre s'abatte sur elle... - répliqua étonnamment Mère Grey en gloussant de rire – mais le diable qui sévit en elle ne doit pas nous abaisser à sa vulgarité. Elle est une pauvre âme qui mérite notre pitié...
- Ou notre mépris... - ajouta Terry d'un air de dégoût. Les belles paroles de la religieuse n'exerçaient aucun effet sur lui et il était plus qu'impatient de retourner en Amérique pour régler son compte à sa future cousine...
- Voulez-vous une nouvelle tasse de thé, Ma Mère ? – demanda alors Candy pour changer le cours de la conversion. C'était fou le pouvoir de zizanie qu'Elisa pouvait avoir même sans être là !
- Volontiers, Candy.

La jeune femme souleva la théière et remplit les tasses du liquide ambré à l'arôme de bergamote, puis reprit sa place à côté de Terry qui avait du mal à retirer son air renfrogné. Elle lui prit la main et son regard s'adoucit comme par magie. Ce lieu était peut-être celui qui les avait séparés mais c'était aussi en ce lieu qu'il se trouvait avec elle à présent. Ils s'étaient aimés à Saint-Paul et s'y aimaient encore en y retournant. C'était le même endroit mais tout était différent car il était heureux désormais avec elle à ses côtés qui tenait tendrement sa main. La boucle de leurs errances se refermait avec pour ultime témoin, le regard bienveillant de Mère Grey posé sur eux.

Tout à coup, Candy se leva, les sourcils froncés d'embarras.

- Pardon, ma mère, pourriez-vous me dire où se trouve la salle de bain, je vous prie ?

Tout ce thé qu'elle avait bu commençait à faire son effet. Elle avait eu beau essayer de penser à autre chose, la dernière tasse de thé s'était avérée fatale pour sa vessie qui menaçait d'exploser. Sur les indications de son hôte, elle traversa le salon puis suivit un couloir qui menait à la chambre et au cabinet de toilette contigu à celle-ci. La porte de la chambre était ouverte et on pouvait apercevoir dans un coin le lit de la mère supérieure avec, accroché au dessus, sur le mur, un crucifix de bois. A côté du lit, se trouvait une table de chevet de fabrication modeste sur laquelle reposaient la bible et un verre d'eau : la chambre ordinaire d'une bonne sœur, simple et monacale. Candy ne s'attarda pas plus longtemps et tourna la poignée de la porte suivante, se précipitant à l'intérieur comme si le diable était après elle. Quelques minutes plus tard, soulagée et allégée de son douloureux encombrement, elle était de nouveau dans le couloir et s’apprêtait à repartir vers la terrasse, quand, tandis qu'elle repassait devant la chambre, son regard s'arrêta sur la bibliothèque qu'elle n'avait pas remarquée en sens inverse, sur laquelle étaient posées des photos anciennes. Poussée par la curiosité, elle s'enhardit jusqu'à entrer, prétextant pour se rassurer qu'il n'y avait pas de mal à regarder et approcha du meuble. Les photos de ton sépia piquetées de tâches brunes, rappelaient un autre temps, celui d'Alice au pays des merveilles, avec ces petites filles coiffées d'anglaises, aux robes bouffantes qui laissaient apparaître leurs mollets ronds sous des bas de soie blanc. Un portrait retint plus particulièrement son attention : celui de deux fillettes blondes au visage semblable, si identique qu'on avait du mal à les distinguer l'une de l'autre. Au regard familier qu'elles avaient, Candy comprit que cela devait être Mère Grey enfant et sa sœur jumelle dont le grain de beauté au menton permettait de la différencier. C'étaient deux jolies petites filles aux joues rebondies et au sourire espiègle dont la complicité apparente rappelait à Candy celle qu'elle avait connue avec Annie. Un sourire nostalgique se dessina sur ses lèvres et elle poursuivit sa découverte, remarquant une autre photo où les deux sœurs, un peu plus âgées, posaient l'une à côté de l'autre avec leur jeune chien. La photo suivante représentait Mère Grey, aux alentours d'une vingtaine d'années, vêtue de ses habits de religieuse, entourée de ce qui devait être toute sa famille ainsi que du chien qui avait bien vieilli, mais étrangement, ne figurait pas sa sœur... D'instinct, Candy retourna le cadre où se trouvait la photo avec les deux fillettes et leur chien, et remarqua quelque chose d'écrit à la main : 1865, Elisabeth et notre chère Audrey, disparue trop tôt...

Le cœur de Candy se serra immédiatement en lisant ces mots et des larmes brouillèrent sa vue. Tant d'information soudaine ressortait de ces objets ! Ainsi, Mère Grey, avait été une petite fille du nom d'Elisabeth, avant d'en changer au moment d'entrer en religion... Elle avait eu une sœur jumelle qu'elle aimait tendrement et qui était décédée quand elle était encore enfant... Etait-ce ce drame qui avait par la suite influencé le cours de sa vie et qui l'avait orientée vers cette vocation ? Etait-ce cette terrible déchirure qui l'avait rendue si dure ? Tant de questions s'entrechoquaient dans son esprit avec pour toute réponse de multiples hypothèses qu'elle ne pourrait jamais vérifier à moins d'aller questionner directement Mère Grey et mourir de honte pour son inconséquente indiscrétion... Mais elle n'avait que trop tardé, et séchant ses larmes, elle repartit la rejoindre avec le secret espoir qu'elle n'ait pas remarqué son absence.

Débouchant sur le salon, elle fut étonnée de les y découvrir tous deux, penchés au-dessus d'une table, en train de feuilleter un livre.

- Ah Candy ! C'est extraordinaire ! Figure-toi que Mère Grey a en sa possession une des premières éditions de Roméo et Juliette ! - s'écria Terry, extatique, en l'apercevant – Viens donc voir cette petite merveille !

Candy opina et s'approcha d'eux. Le visage du jeune homme exprimait une joie indescriptible, à la limite de la ferveur. Pouvoir toucher ce livre que Shakespeare avait peut-être tenu entre ses mains le faisait exulter. Cette édition de 1597 était dans un incroyable état, conservée à l'abri dans un linge puis dans une boite, derrière les vitres de la bibliothèque de la mère supérieure. Il contemplait l'ouvrage d'un regard ému, poussant régulièrement des exclamations au rythme des pages qui se tournaient. Au bout d'un moment, Mère Grey referma le livre et le lui tendit.

- Tenez, il est pour vous.
- Pardon, ma mère ? - éructa-t-il, comme si on venait de lui assener un coup violent dans le ventre – Vous, vous me le donnez ???
- En effet, vous en ferez un meilleur usage que moi...
- Mais je ne peux pas accepter ! Ce livre vaut une fortune ! Avez-vous une idée de ce que les gens seraient capables de dépenser pour l'acquérir ???
- J'ai fait vœu de pauvreté en rentrant dans les ordres, mon fils. Ce prétexte ne peut donc pas m'influencer...
- Mais... Mais... - bredouillait-il, cherchant ses mots avec agitation – Vous devez beaucoup y tenir ! Pourquoi vous en séparer ?
- Cher Terrence... Ce livre est dans ma famille depuis des générations. Ce fut mon père qui me le donna le jour où je prononçais mes vœux. Nous étions tous les deux de grands admirateurs de Shakespeare et j'imagine que de me le confier symbolisait le lien qui nous unissait dans ce nouvel univers dans lequel j'entrais et qui m'éloignait de lui. Je n'ai pas d'enfant, ni de neveu ou de nièce. Je voudrais que ce livre revienne à quelqu'un qui le chérirait autant que moi, et cette personne, je l'ai trouvée. C'est vous, Terrence... Je n'ai jamais pu vous voir sur scène mais je possède néanmoins quelque chose qui peut justifier mon choix.

Disant cela, elle se dirigea vers la bibliothèque et en retira une pochette en papier d'une trentaine de centimètres et de forme carrée, à l'intérieur de laquelle se trouvait un disque phonographique. C'était un enregistrement de la pièce Roméo et Juliette interprétée par Terry en 1920 à Broadway !

- Vous voyez ! - dit-elle, en brandissant fièrement le 78 tours – Le monde moderne n'a aucun secret pour moi ! Dieu, dans sa bienveillance, a voulu que ce progrès technique parvienne jusqu'à moi et que je découvre par son intermédiaire votre talent. Quel don du ciel, vous possédez, mon enfant !

Saisi de surprise, le jeune homme se tenait devant elle comme statufié, la bouche grande ouverte et les yeux de la taille d'une soucoupe. C'était bien sa silhouette qu'on devinait en filigrane sur la couverture ainsi que son nom imprimé sur le côté avec celui des autres comédiens principaux. Il connaissait ces enregistrements mais n'aurait jamais imaginé en retrouver un dans la bibliothèque de l'ancienne mère supérieure du Collège Saint-Paul de Londres !!!

- M'accorderiez-vous une faveur en échange, Terrence ? - demanda-t-elle en penchant la tête pour attirer son attention qui restait fixée sur le disque.
- Tout ce que vous voudrez, Ma Mère – parvint-il à articuler en revenant peu à peu à la réalité.
- Pourriez-vous me le signer, je vous prie ? - fit-elle avec un sourire de jeune fille tandis que ces yeux à lui s'agrandissaient encore plus d'étonnement. En retrait, observant la scène, Candy se mit à pouffer intérieurement, se demandant si après toutes ces émotions, ils parviendraient à retrouver un jour leur taille normale...
- Vous serez bien aimable – ajouta à voix basse la vieille femme en lui tendant un stylo plume - de ne pas en parler à Mère Margareth. Elle me le reprocherait...

Terry retint un sourire tout en signant la couverture du disque, se gardant bien de lui confier que quelques heures auparavant, cette dernière lui avait fait une requête identique...

- Voilà, Ma Mère ! - dit-il en lui rendant le disque. Elle le remercia avec chaleur et gratitude, puis, tenant le disque entre ses mains, elle lut d'un air ravi l'affectueux message qu'il lui avait écrit, et, rougissante, s'empressa de le ranger dans sa bibliothèque. Elle referma la porte vitrée avec précaution puis rejoignit le jeune couple qui la regardait avec amusement et curiosité.
- Je vous le confie donc... - fit-elle en tendant de nouveau à Terry le livre qu'il avait reposé sur la table.
- Vous me faites vraiment trop d'honneur, ma mère... - dit-il en s'inclinant poliment.
- L'honneur est pour moi, Terrence ! - répondit-elle en retrouvant son ton ferme et assuré d'antan – Voyez-vous, cette école a vu passer nombre de futurs ministres et hommes d'affaires. Il n'y a pas de gloire à être ce qu'ils sont car ils étaient formatés depuis leur naissance pour cela. Mais il n'y a pas plus grande gratification pour la directrice que j'ai été, de voir des élèves improbables comme vous, réussir dans la voie qu'ils se sont choisie. Vivre de sa passion est un luxe que les grands de ce monde ne peuvent pas s'offrir. Vous, vous avez su faire ce sacrifice, quitte à tout perdre. Par votre travail, votre ténacité, votre courage, vous nous avez prouvé que cela est possible. Je commets un péché d'orgueil en vous disant cela, mais, je ne mentirai pas non plus – ce qui m'évitera de commettre un deuxième péché - en vous avouant que je suis fière et honorée que Saint-Paul vous ait eu comme élève, Terrence Grandchester...

L'émotion se lisait sur le visage blême du jeune homme. Candy s'approcha au plus près de lui et, de crainte qu'il s'évanouisse, lui prit la main. Il n'était pas commun que la mère supérieure se répande en éloges sur quelqu'un, et plus particulièrement sur un élève comme Terry, qui lui avait fait vivre un enfer pendant toutes les années où il avait été pensionnaire. La sincérité de la vieille femme venait de nettoyer son cœur des dernières rancoeurs et reproches qu'il éprouvait à son égard. Il n'était plus cet adolescent orgueilleux et revanchard mais un jeune adulte rempli d'un sentiment nouveau qui le surprenait lui-même : celui d'un profond respect pour cette vieille dame qui, cachée sous son ample habit gris, l’impressionnait encore et toujours.

Une atmosphère étrange mêlée de paix et de sérénité s'était instaurée dans la pièce, les laissant tous trois silencieux et méditatifs. Mais c'est alors que le replet chérubin, allongé sur l'horloge de style Louis XVI qui trônait sur une des étagères de la bibliothèque, se mit à égrener les six coups de six heures, brisant tout net le phénomène paranormal qu'ils étaient en train de vivre.

- Doux Jésus ! - S'écria la mère supérieure en s'agitant comme si on venait de lui piquer le derrière – Je vais être en retard pour les vêpres !

Tournant la tête dans tous les sens, elle semblait chercher quelque chose.

- Où donc ai-je pu mettre mon missel ? - gémit-elle en poursuivant, d'un air désemparé, sa recherche dans tous les coins de la pièce.
- Est-ce cela que vous cherchez ? - demanda Candy en apercevant la tranche d'un livre sous un coussin du canapé.
- Ouiiiii, en effet ! Merci ma chère enfant ! - s'écria la vieille femme en enfouissant le livre dans la poche de son habit – A mon âge, on a tendance à égarer beaucoup de choses...

Elle rajusta son crucifix qui pendait autour de son cou puis se tourna vers eux, l'oeil humide et avec une pointe de déception dans la voix, leur dit – Je dois vous dire adieu à présent. Il est temps pour moi de rejoindre mes sœurs à la chapelle.
- Nous comprenons ma mère et nous n'allons pas vous retarder plus longtemps... - fit Candy en lui prenant affectueusement les mains.
- Je vous remercie d'être venus me voir mes enfants. Vous m'avez rajeunie de quelques années. Vous continuerez à me donner de vos nouvelles, n'est-ce pas ?
- Bien entendu, ma mère. Ne vous inquiétez pas pour cela.

La religieuse opina de la tête sans rien dire, la gorge nouée par l'émotion, réalisant qu'à l'âge avancé qu'elle avait, c'était peut-être la dernière fois qu'elle les voyait. Elle avait toujours eu horreur des séparations qui la laissaient à chaque fois désarmée et fragile et c'était bien cette fragilité qu'elle s'était toujours efforcée de dissimuler. Ils échangèrent quelques dernières paroles d'adieu puis se séparèrent au seuil de la porte d'entrée avant de prendre chacun une direction opposée.

- Comme c'est étrange... - fit Terry alors qu'ils regagnaient leur automobile - Je n'aurais jamais imaginé pouvoir éprouver de l'affection en pensant à Mère Grey, et pourtant, c'est bien ce que je ressens en ce moment...
- Tu avais besoin de faire la paix avec cet endroit, Terry, et surtout avec la mère supérieure... - lui dit Candy en effleurant d'un geste taquin son menton.
- N'en avais-tu pas besoin, toi aussi ? - l'interpella-t-il, sur la défensive.
- Plus depuis longtemps... - répondit-elle en lui prenant la main, sentant la contrariété l'envahir – Moi aussi j'en ai voulu à la Mère Supérieure puis j'ai réalisé que c'était ici que je t'ai vraiment rencontré et que je t'ai aimé. J'étais arrivée à Saint-Paul, meurtrie et désespérée, et j'en suis repartie libre et le cœur plein d'espoir de te revoir. Cela a été plus long que je ne l'avais prévu, mais nous y sommes arrivés. Ce lieu et ces gens qui y vivent sont le point d'ancrage de tout ce qui nous unit. Je voulais que tu le voies avec des yeux différents et non pas déformé par l'amertume.
- Tu y es parvenue... - fit-il en entraînant vers sa bouche la main qu'elle tenait pour baiser la sienne – Tu arrives toujours à tes fins, n'est-ce pas ?
- Tu commences à bien me connaître... - roucoula-t-elle.
- De mieux en mieux, en effet... - lui chuchota-t-il à l'oreille sur un ton éloquent qui ne laissait aucune équivoque. Elle rougit, cherchant à tâtons la poignée de la portière, pour se réfugier dans la voiture. Il éclata de rire devant son embarras tandis qu'elle se hâtait de s’asseoir du côté passager.
- Aurais-tu peur de moi ? - demanda-t-il, le sourcil arqué d'ironie tout en s'asseyant à son tour.
- Non, j'ai peur de ce que tu serais capable de me faire faire...

Il simula l'étonnement par un bref mouvement de recul, mais ne put se retenir de rire devant le regard en biais qu'elle lui lançait.

- Je n'ai pas autant de pouvoir que cela sur toi, voyons...
Elle répondit par une moue dubitative, se remémorant la passion qui les avait étreint sur la fausse colline de Pony. Un peu plus et... Ils auraient pu... Elle baissa la tête, les joues en feu et le cœur battant.
- Ecoute – finit-il par dire en lui relevant le menton d'un geste tendre – Je n'ai pas envie de rentrer au château. Que dirais-tu si nous continuions notre route jusqu'à Plymouth ? J'aimerais revoir Cookie et m'assurer qu'il va bien...
- Plymouth ? Mais c'est très loin d'ici !!!
- On trouvera bien en chemin un hôtel pour y passer la nuit... - fit-il en arquant des sourcils de manière répétitive. Il n'allait faire qu'une bouchée d'elle ... Elle déglutit péniblement. Elle était à sa merci...
- Mais je n'ai pas de vêtements de rechange ! - couina-t-elle dans une ultime tentative de bravoure devant le sourire carnassier qu'il lui déployait - On ne va pas se présenter tout chiffonnés devant Cookie !
- Nous demanderons au service d'étages de les faire nettoyer... Tu n'en auras pas besoin d'ici demain de toute façon...
- Devant de tels arguments – soupira-t-elle, vaincue, cachant son émoi derrière ses boucles blondes - Je ne peux qu'accéder à cette honnête proposition...
- Sage décision... - fit-il en enveloppant sa nuque de sa main pour la rapprocher de lui. Ses lèvres si proches effleurèrent les siennes. Elle crut qu'il allait l'embrasser. Son corps s'engourdissait. Elle ferma les yeux...
- Plus tard, belle impatiente... - murmura-t-il en s'éloignant d'elle, un sourire goguenard au coin des lèvres. Elle le toisa, les bras croisés, la bouche ronde de stupéfaction, tandis que l'effronté tournait d'un air innocent la clé qui actionnait le moteur, lequel démarra sans encombre, désireux de ne pas retarder leur voyage.... Ni leurs étreintes... La voiture s'engagea sur la route en direction de la côte, laissant derrière elle les hautes grilles du collège Saint-Paul, qui ne devinrent rapidement plus qu'un point dans l'horizon, pour disparaître définitivement et retourner vers un passé destiné désormais à le rester...

Fin du chapitre 16



Edited by Leia - 6/12/2015, 15:52
 
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view post Posted on 16/12/2015, 19:11
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Chapitre 17



Candy sortit de la salle de bain, enveloppée d'un peignoir, puis se dirigea vers la porte-fenêtre de leur chambre qui s'ouvrait sur un petit balcon avec vue sur la mer. En arrivant la veille au soir à Plymouth, ils avaient fait le choix d'un hôtel plus commun que de coutume mais propre et très confortable. De cette manière, Terry ne courait pas le risque que des relations de sa famille le reconnaissent en compagnie d'une femme avec laquelle il n'était pas (encore) marié. Ce n'était pas le micro-scandale que cela aurait occasionné qui le gênait car cela faisait bien longtemps qu'il se fichait de ce que les gens pensaient de lui, mais plutôt la réputation de Candy qui aurait pu être engagée, ce qu'il souhaitait plus que tout éviter. Ils s'étaient donc présentés à l'accueil sous le nom de monsieur et madame Darcy, dont l'allusion plaisante n'avait pas manqué de faire sourire Candy, grande admiratrice de Jane Austen et de ses œuvres. Le réceptionniste avait noté leur nom sur son registre sans sourciller et leur avait remis la clé de leur chambre en leur souhaitant de passer une agréable nuit dans son établissement.

La nuit avait été des plus agréables en effet et encore une fois bien trop courte pour les jeunes amoureux passionnés l'un de l'autre qu'ils étaient. Cela faisait bien des jours qu'elle ne s'était pas réveillée avec lui à ses côtés et le plaisir de sentir la chaleur de sa peau contre la sienne au réveil, l'avait tant émue qu'elle en avait presque pleuré. Bientôt, elle pourrait partager la même couche en toute liberté, sans crainte des jugements, et cette perspective la rendait encore plus impatiente de voir venir ce jour béni. Mais avant cela, il lui faudrait passer par quelques étapes qui allaient s'échelonner encore sur plusieurs semaines ; une éternité pour elle, mais une éternité avec Terry était loin de représenter un supplice...

La tête penchée sur le côté, elle achevait d'essuyer ses cheveux humides avec une serviette, le regard perdu vers l'horizon. Le ciel sans nuage se reflétait sur l'eau calme en un bleu azur éclatant, que seules quelques mouettes rieuses venaient perturber de leur vol rasant au dessus des flots. Elle l'entendit soupirer fortement et se retourna. Saisie d'émotion devant la vue, irréelle, qui s'offrait à elle, elle prit appui contre le battant de la fenêtre et se laissa aller à le contempler. Non, vraiment, jamais elle ne pourrait s'y habituer...

Il se tenait là, devant elle, couché sur le ventre, dans ce lit auréolé du soleil du matin. Même endormi, il lui donnait toujours l'impression déstabilisante d'être une pauvre mortelle en présence d'un dieu grec, un dieu de lumière assurément, tant irradiait de sa personne la perfection. Ses bras fins et musclés enfouis sous l'oreiller, il dormait paisiblement, la respiration lente et régulière, les traits détendus sans aucun tressaillement d'inquiétude. Sa mèche rebelle recouvrait en partie ses yeux bordés de cils noirs qui dissimulaient avec délicatesse ses vertes prunelles dont le pouvoir hypnotique savait lui ôter toute résistance. Son nez droit et fin, ses pommettes hautes, sa longue bouche relevée aux commissures dans un subtil et perpétuel sourire, sa mâchoire à la fois raffinée et virile, s'harmonisaient en un ensemble esthétique parfait qui lui renvoyait, sans aucune retenue, l'indécence de sa beauté qu'elle ne se lassait point d'admirer. Son regard émerveillé se déplaça vers son torse nu, révélant un ventre musclé aux abdominaux saillants, des épaules rondes dont la ligne se prolongeait en courbe douce vers la chute de ses reins qu'un drap froissé recouvrait, dont un pli, légèrement écarté sur le côté, révélait l'ombre naissante de son intimité. Ses oreilles rosirent à l'évocation de ce que ce troublant organe était capable de lui procurer, le souvenir de leurs joutes nocturnes ravivant en elle un émoi violent qui s'empara d'elle avec fulgurance. Une confusion de gémissements, de soupirs, de cris sourds se répandait en écho dans son esprit tandis que chaque parcelle de sa peau, frémissante, revivait avec intensité ces moments de fusion où leurs membres se nouaient et se dénouaient au rythme de leurs caresses, le balancement de leurs corps qui s’intensifiait jusqu'à la rage, le plaisir contrôlant leur chair et leur âme qui s'abandonnaient dans l'étourdissement, jusqu'à la rupture ultime de la jouissance...

Haletante, elle laissa échapper sans se rendre compte la serviette qu'elle tenait à la main, qui tomba sur le sol dans un bruissement feutré. Elle leva les yeux et croisa son regard à lui, qui semblait l'observer depuis un petit moment. Rougissante, la bouche entrouverte, elle le fixa, les yeux écarquillés de surprise car elle devinait sans peine, au sourire narquois qui se dessinait sur ses lèvres, qu'il avait compris les pensées inavouables qui l'avaient traversée. Il bascula sur le côté en s'étirant, la tête en appui sur son bras replié, exhibant sa poitrine divinement musclée, véritable tentation pour ses doigts désireux de la toucher. Intimidée, elle n'osait avancer de peur qu'un geste maladroit de sa part vienne briser le charme. Il lui tendit la main.

- Approche... dit-il d'une voix douce et rassurante.

Elle marcha vers lui, hésitante, et posa un genou sur le lit. La tête lui tournait du trouble qu'il lui procurait. Mais avant qu'elle ait eu le temps de reprendre son souffle, il l'attira à lui, ses bras l'enserrant comme un étau dont elle voulait plus que tout rester la captive. Il roula au-dessus d'elle et plongea son regard pénétrant dans le sien empreint de curiosité et d'impatience.

- Tssss, tsssss ! Vous n'auriez pas dû me regarder de cette manière, mademoiselle André... - fit-il, les yeux mi-clos, tel un félin taquinant sa proie. Il lui tenait fermement les poignets au dessus de sa tête, l'empêchant de bouger. Il était si proche, ses lèvres humides effleurant les siennes qui lui échappaient au moindre arc-boutement de sa part. Elle était au supplice !
- Mais... Mais tu dormais... - bredouilla-t-elle d'une petite voix plaintive alors que tout son être ne souhaitait que se libérer pour l'étreindre à son tour. Il sourit, amusé, puis détacha sa main de son poignet pour aller recouvrir tendrement sa joue jusqu'à la naissance de sa nuque, son pouce caressant amoureusement le haut de sa pommette. Ses traits à lui se crispèrent soudain comme sous l'effet d'une intense émotion. Elle y lut la fièvre de la passion et sentit son corps en frémir de vertige.
- Plus maintenant... - l'entendit-elle alors prononcer d'une voix rauque tandis qu'il enfouissait sa tête dans le creux de son cou. Elle ferma les yeux, accueillant ce corps qui s'appesantissait contre le sien et cherchait un passage entre ses cuisses, puis, dans un soupir langoureux, se laissa emporter vers ce monde d'éternelles découvertes dont il était le guide, fort habile, sa bouche grande ouverte se scellant dans une plainte étouffée à la sienne, comme un sésame vers la volupté...

Fin de la première partie du chapitre 17 :Demon12: :Demon12: :Demon12:



Edited by Leia - 24/9/2016, 12:24
 
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view post Posted on 23/9/2016, 22:10
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Cookie s'était rapidement assoupi pendant que Candy lui faisait la lecture. On l'avait installé sur une chaise longue, dans le jardin de la demeure des Grandchester, à l'ombre d'un arbre qu'une brise légère venait régulièrement visiter, emportant sur son sillage toute la moiteur de cette chaude journée d'été.

Contre toute attente, cet été londonien s'avérait tout aussi caniculaire que celui qu'elle avait connu en Italie, mais Candy en souffrait beaucoup plus ici car elle ne pouvait plus se permettre de porter les petites robes légères et confortables qu'elle avait achetées à Vérone. Ici, elle se devait d'être irréprochable en toute circonstance, elle devait faire honneur à la famille Grandchester et à la famille André devant les visiteurs qui venaient au domaine pour faire sa connaissance. Elle devait tenir son rang, et même si elle s'en acquittait avec bonne volonté, elle ne pouvait s'empêcher de s'imaginer en train de piquer une tête dans la rivière toute proche, comme elle l'aurait bien volontiers fait si elle avait été à la maison Pony.

Le livre n'était pas très épais, et elle se mit à l'agiter devant son visage, comme d'un éventail. Elle regardait Cookie qui dormait paisiblement, un sourire tranquille sur les lèvres, les traits reposés de celui qui se remet tout doucement. On s'était bien occupé de lui à Plymouth, mais on sentait malgré tout, sous ses faux airs enthousiastes, qu'il commençait à s'ennuyer et que son humeur en pâtissait. Ses anciens collègues qui ne pouvaient se permettre de rester sans travail avaient trouvé un autre bateau et étaient repartis, le laissant seul dans cette chambre d'hôpital, avec pour toute vue, celle du cimetière voisin, ce qui ne favorisait pas un bon moral. Ainsi, il avait été rapidement décidé que Cookie viendrait s'installer à Londres pour poursuivre ses soins et qu'il y resterait le temps de sa convalescence.

Il ne pouvait pas encore marcher mais il n'avait pas perdu sa langue, si bien que les repas en sa compagnie devenaient interminables tant il avait d'histoires de marin à raconter, des anecdotes du bout du monde qui emportaient les convives vers des contrées lointaines, où le magique se mêlait au merveilleux, grâce à l'imagination débordante du jeune infirme qui n'hésitait pas à enjoliver ses souvenirs pour retenir l'attention. Cookie se sentait visiblement plus à l'aise dans cette maison que ne l'était Candy, laquelle avait toujours peur de mal agir ou de mettre Terry dans l'embarras. C'était plus simple pour lui car ce n'était pas lui qui allait épouser Terry, et elle sentait peu à peu grandir en elle l'angoisse du grand jour, celui de leurs fiançailles qui devait avoir lieu à la fin de la semaine. Mais avant cela, elle devait faire face à quelque chose de bien plus angoissant : sa rencontre avec la Duchesse Grandchester et ses deux enfants qui devaient arriver le lendemain. Malgré la chaleur, elle frissonna d'effroi à cette évocation, se demandant avec inquiétude comment cette rencontre allait se dérouler et si tout allait bien se passer. Elle en avait vu d'autres avec la famille Legrand ou la Grand-Tante Elroy, mais elle n'en restait pas moins en alerte surtout vis à vis de Terry, chez qui la patience était loin d'être une vertu, ce qui laissait présager quelques grincements de dents.

Elle leva les yeux vers l'immense bâtisse derrière elle, à la fois austère d'apparence, mais bien vivante à l'intérieur, avec son armée de petites mains qui allait et venait dans les étages, guettant la moindre imperfection pour la corriger dans l'instant, avec le frêle espoir que cela n'ait pas déjà été constaté par Carson, le majordome, lequel se montrait particulièrement intransigeant pour ce qu'il considérait être de la négligence. Malheur à celui qui laissait trainer un seau de nettoyage, qui avait laissé un grain de poussière sur les meubles, ou qui n'avait pas changé les fleurs fanées ! Personne n'avait envie d'avoir affaire à lui dans ces moments là, et en conséquence, faisait de son mieux pour éviter que cela arrive. Candy aimait cette atmosphère d'agitation perpétuelle, cela lui rappelait son enfance chez les Legrand. Elle aussi avait travaillé comme domestique, avait frotté bien des sols et fait briller bien des parquets. Elle savait ce que c'était que d'avoir les mains abimées par le travail, elle qui les avait souhaitées si douces et si jolies pour Anthony… Et pourtant, pour rien au monde elle n'aurait échangé son sort contre celui d'Elisa et de Daniel, pour la bonne raison que tout le monde les détestait, se moquant d'eux derrière leur dos avec une moue de mépris qui témoignait de la réelle hostilité de leurs sentiments. Candy, au contraire, avec sa gentillesse et sa bonne humeur, avait su se faire apprécier tout de suite du personnel, l'accueillant chaleureusement à chacune de ses visites, lui mettant de côté les restes d'un bon repas, l'encourageant quand elle avait le moral au plus bas, pestant avec elle après un mauvais coup des enfants Legrand… Elle en avait gardé un si bon souvenir, qu'elle n'avait pas hésité à réitérer l'expérience avec les domestiques du Duc, qui n'en étaient pas revenus de la voir déambuler un jour dans les couloirs du sous-sol, visiblement très à l'aise, avec un mot aimable pour chacun. En quelques minutes, elle les avait conquis et ils ne tarissaient pas d'éloges à son encontre depuis.

Chaque matin, à la première heure, elle aimait aussi partir se promener seule dans la campagne environnante, son corps engourdi de la nuit s'éveillant à son tour au rythme des rubans de brume flottant au-dessus des champs disparaissant progressivement sous le soleil levant. Elle appréciait ce moment de calme et de solitude, loin du tumulte du château qu'elle contemplait de loin, dominant l'horizon de sa majestueuse stature. Au fur et à mesure que les jours passaient, elle en avait conclu qu'elle n'était pas faite pour vivre dans un tel endroit, si grand que l'on pouvait aisément s'y perdre, où toute communication n'était possible qu'au moyen de clochettes tant chaque occupant pouvait se trouver éloigné l'un de l'autre, où tout était réglé et règlementé comme dans une caserne, organisation nécessaire pour éviter le chaos. Tout ceci était bien trop complexe pour elle et elle était soulagée de repartir en Amérique après leurs fiançailles. Elle s'était alors demandé où ils habiteraient. Certainement à New-York, dans l'appartement de Terry, pourtant cette éventualité avait du mal à devenir certitude car depuis quelques jours, l'image d'une jolie maison à colombages en bord de rivière lui apparaissait en rêve. Etrangement, elle s'y sentait chez elle, avec son jardin de roses blanches et ses massifs de jonquilles tout autour, et la voix de Terry qui chuchotait à son oreille "bienvenue chez nous"… Elle se réveillait à chaque fois, le cœur en joie et tremblante d'émotion avec l'étrange impression que cela se réaliserait un jour, mais pas pour l'instant assurément, les immeubles newyorkais éprouvant une aversion manifeste pour toute habitation vieille de plus de vingt ans. Le mystère de la localisation de cette maison restait donc entier…

Un tendre baiser dans le cou la tira de ses pensées et elle tourna la tête d'un air surpris.

- Terry ! – fit-elle en souriant – Tu es déjà revenu de Londres ?
- Ce que j'avais à y faire s'est déroulé plus vite que je ne l'avais prévu et je suis immédiatement rentré te retrouver, mon aimée. Ces quelques heures loin de toi étaient un véritable supplice…

Il s'était accroupi à côté d'elle et avait pris sa main pour l'embrasser. Fermant les yeux, elle pencha la tête vers lui à la rencontre de son front contre lequel elle s'appuya avec tendresse.

- Tu m'as manqué toi aussi… - murmura-t-elle en prenant sa main à son tour – Le temps me paraît si long loin de toi…
- Cela fait plaisir à entendre ! Ma compagnie est-elle si ennuyeuse que cela ???

Les deux jeunes amoureux se tournèrent vers l'intrus qui venait d'interrompre leur tendre échange.

- Ma parole, Cookie ! Ne pourrais-tu pas te faire plus discret par moment ??? – rugit Terry, visiblement contrarié qu'on ait pu les écouter.
- Mille excuses, monseigneur ! Mais à défaut de jambes, j'ai conservé de bonnes oreilles qui s'avèrent très utiles pour entendre mais qui ne me permettent pas encore de marcher…
- Ne sois pas ironique ! Tu pouvais tout au moins continuer à faire semblant de dormir !...
- Et vous laisser roucouler à qui mieux mieux en ma présence ? Un peu de pudeur, que diable ! – renchérit-il, simulant l'indignation.
- Haaaaa, Cookie ! Quand cesseras-tu donc de faire l'enfant !... – s'exclama Terry en se dirigeant vers lui. L'œil malicieux qu'il lui décocha intrigua ce dernier qui arqua un sourcil perplexe en remarquant au même moment une silhouette blanche qui venait dans leur direction et que le jeune aristocrate ne semblait pas du tout surpris de voir arriver – Cookie, permets-moi de te présenter Lucille, ta nouvelle infirmière !
- Ma nouvelle infirmière ??? – s'écria-t-il en sursautant d'étonnement – Mais je croyais que c'était Candy, mon infirmière !
- Tu as bien usé et abusé de sa gentillesse ces derniers jours mon ami, et je souhaite à présent récupérer ma future fiancée… C'est pourquoi j'ai requis les services de Lucille pour s'occuper de toi…
- C'était donc ça, tes petits allers-retours à Londres depuis deux jours…Vous en avez assez de moi, c'est ça !
- Cesse de gémir sur ton sort, tu sais très bien que ce n'est pas du tout le cas ! Lucille est une infirmière très compétente et je suis certain que vous allez bien vous attendre.

Sur ce, il s'écarta, cédant le passage à la jeune femme. Cookie finit par lever des yeux dubitatifs vers l'importune qui s'agrandirent d'étonnement au fur et à mesure qu'ils remontaient vers elle. Il ne pouvait certainement pas encore marcher mais il avait toujours une très bonne vue qu'il promena de bas en haut à plusieurs reprises sur elle, la bouche ouverte d'étonnement. Quand Terry avait dit qu'ils s'entendraient certainement bien, il n'avait pas sur l'instant soupçonné l'ironie qu'il détectait à présent tant la jeune soignante qui se tenait devant lui était jolie !

- Bonjour monsieur Dicks – fit la jeune demoiselle en lui tendant la main qu'il serra machinalement de sa main libre, en marmonnant les mots d'usage, tout en se reprochant son manque de contrôle.

- Ressaisis-toi, andouille ! – se dit-il en tentant d'adopter une attitude indifférente. Mais le mal était déjà fait et la jeune Lucille avait bel et bien remarqué son embarras qu'elle accentua en arborant un demi-sourire, ses yeux d'un noir profond brillant d'une étincelle moqueuse comme s'il avait un nez rouge planté au milieu du visage.

- Les présentations étant faites – ricana Terry – Nous allons vous laisser tous deux faire plus ample connaissance. Candy et moi avons encore de nombreuses choses à terminer avant la cérémonie. A plus tard…

Sans laisser le temps à Cookie de réagir, Terry s'empara de la main de Candy, laquelle eut juste le temps de donner à Lucille le livre qu'elle avait commencé à lire à son ami, et l'entraina vers le château.

- Tu m'as l'air bien pressé ! – fit remarquer Candy alors qu'ils s'éloignaient d'un pas rapide.
- C'est que, j'ai une petite surprise pour toi… que je ramène de Londres…
- Une surprise ? De Londres ??? – s'écria-t-elle, écarquillant les yeux d'étonnement – Je me demande bien ce que cela peut être !...
- Tu ne vas pas tarder à le savoir… - fit-il en pénétrant dans le château.

Les hypothèses défilaient dans l'esprit de la jeune femme au fur et à mesure qu'ils traversaient les salons. Elle questionnait Terry régulièrement, scrutant son regard à chacune de ses propositions qui restaient à chaque fois sans réponse, la laissant rageuse devant le sourire énigmatique qu'il se contentait de lui afficher en chantonnant. Quand ils s'arrêtèrent finalement devant la porte de la bibliothèque, elle se tourna vers lui, le visage crispé d'exaspération.

- Pourquoi m'amènes-tu jusqu'ici ??? – demanda-t-elle d'un air soupçonneux.
- J'ai pensé que c'était l'endroit le plus tranquille pour des retrouvailles…
- Des retrouvailles ??? Mais avec qui d… ?

Le jeune aristocrate poussa la porte qui s'ouvrit sur une longue salle dont chaque mur était recouvert de livres et de manuscrits anciens. Une agréable odeur de vieux papier s'exhalait des étagères en boiseries précieuses, répandant dans la pièce une atmosphère d'un autre temps, intimant silence et recueillement. Intimidée, Candy entra à petits pas, cherchant du regard la mystérieuse personne qui était censée s'y trouver, tandis que Terry se tenait en retrait, adossé à un mur, les bras croisés, observant la scène. Soudain, dans un coin de la pièce, elle aperçut une silhouette se lever d'un fauteuil qui lui tournait le dos. C'était un jeune homme de grande taille, habillé ordinairement, arborant un tablier de toile, comme s'il sortait d'un atelier. La lumière de la fenêtre en contre jour, l'empêchait de discerner clairement ses traits et elle s'approcha plus près de cet inconnu qui la regardait avec intérêt, comme s'il la dévisageait. Elle croisa son regard qu'elle perçut à travers ses cheveux noirs en broussailles, et il lui sembla que son cœur allait exploser dans sa poitrine. Tout un flot de souvenirs lointains venait de se réveiller en elle, ceux en compagnie d'un petit garçon pas beaucoup plus jeune qu'elle, avec lequel elle avait partagé tant de belles années à la Maison Pony…

- Petit John… - murmura-t-elle, les larmes aux yeux en portant une main tremblante à sa bouche. Et comme il acquiesçait, elle n'hésita pas une seconde de plus, et se précipita dans ses bras en sanglotant de bonheur…

Fin de la deuxième partie du chapitre 17



Edited by Leia - 24/9/2016, 12:26
 
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view post Posted on 26/10/2016, 13:30
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Ce soir là, Candy éprouva tout le mal du monde à trouver le sommeil tant l'excitation de ces retrouvailles avaient été intenses ! Revoir Petit John après toutes ces années l'avait bouleversée. Elle avait quitté un petit garçon et avait retrouvé un jeune homme qui avait perdu jusqu'à son accent du Michigan, s'exprimant dans un phrasé des plus British. Impatients de tout savoir l'un de l'autre, les questions avaient fusé dans une véritable cacophonie, les empêchant de comprendre ce qu'ils se disaient. Ils avaient fini par se calmer, riant de leur enthousiasme, et s'étaient assis face à face pour discuter à leur aise. Candy n'avait eu de cesse de le toucher comme pour s'assurer qu'elle n'était pas en train de rêver et que c'était bien son petit frère de cœur assis devant d'elle.

- Raconte-moi tout, John. Je savais que tu avais été adopté par un forgeron et que vous aviez quitté la région. Explique-moi donc ce qui vous a conduits à Londres !...

Le jeune homme avait acquiescé en soupirant, comme si le récit de sa vie n'était pas si aisé à livrer. Il avait levé les yeux vers elle, ses noires prunelles survolant son épaule pour se aller se perdre dans le jardin qu'on voyait à travers la grande fenêtre derrière elle. Il le contemplait sans vraiment le regarder, absorbé dans ses pensées qui s'agitaient dans son esprit.

- J'ai bien peur de te décevoir avec mon histoire, Candy...

- Pourquoi cela, John ?

- Parce-qu'elle n'a pas été aussi parfaite que j'ai bien voulu vous le faire croire...

- Mais, dans les lettres que tu envoyais à la Maison Pony, tu disais aimer ta nouvelle vie et être ravi des parents que tu avais...

- Je ne voulais pas que nos mères s'inquiètent. A quoi bon les tourmenter avec la triste réalité ?...

- Tu me fais peur, John! – avait fait Candy, d'un air alarmé – Que t'est-il donc arrivé après avoir été adopté ???

Elle avait saisi sa main et l'avait serrée très fort.

- A vrai dire... - avait-il fini par répondre - Tout allait bien au début. C'étaient les grandes vacances et je prenais plaisir à aider mon père à la forge en attendant la rentrée des classes. Mais à la fin de l'été, quand je demandai dans quelle école j'allais aller, mon père me fit bien comprendre que je n'y irais plus et que je travaillerais désormais avec lui... J'essayai bien de contester mais je reçus en retour une telle correction que plus jamais je n'osai réclamer quoi que ce soit.

- Ton père te battait ?!!!... – gémit Candy, d'un air horrifié - Mais, ta mère, ne te défendait-elle pas ???

- Si, bien sûr, mais il la frappait elle aussi, surtout quand il buvait, et comme il buvait souvent...

- Mon pauvre petit John... Je suis si triste pour toi! Je suis tellement désolée de n'avoir pu t'aider!

- Oh, détrompe-toi, tu m'as beaucoup aidé, Candy! Je n'avais pas oublié ce jour où je t'avais rendue visite chez les Legrand et où j'avais découvert la façon dont ils te traitaient. Tu avais gardé la tête haute malgré tout ce qu'ils te faisaient subir. Alors, je m'accrochais à ce souvenir, à cet exemple de force et de courage que tu m'avais donné, et j'ai essayé de faire comme toi, de tenir le coup en attendant un jour meilleur...

Les larmes coulaient sur le visage de Candy et elle avait commencé à palper sa robe en quête d'un mouchoir qui tardait à apparaître.

- Tiens ! – avait fait Petit John en lui tendant le sien qu'il avait sorti de la poche de sa veste. Il avait haussé les épaules d'un air gêné – Excuse-moi, il y a des taches de peinture dessus mais je n'ai pas mieux.

- Il fera très bien l'affaire... - avait-elle répondu avec un triste sourire. Elle avait baissé les yeux, la voix chevrotante – Si nous avions su, nous serions venues te rechercher. Ces gens ne méritaient pas d'être tes parents... J'ai tant de peine pour toi, John !

Cette fois, c'était le jeune homme qui lui avait pris la main qu'il avait calleuse, des mains de travailleur...

- Tu es bien placée pour savoir que nous apprenons de nos joies et surtout de nos peines... Peut-être que si je n'avais pas vécu tout cela, je n'aurais pas éprouvé cette soif de liberté qui m'a poussé à partir au décès de ma mère...

- Partir ??? Mais tu avais quel âge ???

- Tout juste quatorze ans !

- Ma parole, mais tu n'étais encore qu'un enfant !

- Je n'étais plus traité comme tel depuis bien longtemps... - avait-il soupiré - Je partis le jour même où ma mère fut enterrée. Plus rien ne me raccrochait à cette famille. Mon père s'était soulé plus que de coutume ce jour là, et je profitai de son inconscience pour lui emprunter de quoi payer mon billet de train pour New York. Je rassemblai le peu d'affaires que j'avais dans un maigre baluchon et je m'enfuis. Par chance, j'étais grand pour mon âge et je paraissais plus âgé. On ne me posa pas de questions et encore moins à New York quand je sollicitai du travail sur un bateau. J'embarquai le lendemain comme mousse sur un navire de marchandises qui faisait la liaison avec l'Afrique. Je bourlinguai ainsi pendant deux ans à transporter des sacs de café et de cacao. Et lors de mes temps libres, je dessinais ces paysages magnifiques qui s'offraient à mes yeux, ces peuples qu'on côtoyait dans les plantations. Le travail était dur mais ce fut de très belles années pour moi.

- Mais alors... Comment es-tu devenu peintre ?

- Un jour, j'en eus assez et je décidai d'aller à Paris, la capitale des artistes. J'avais un style un peu différent et je me fis rapidement remarquer par les peintres qui évoluaient à Montmartre. Contre toute attente, ils m'acceptèrent sans trop de problème au sein de leur communauté. J'appris énormément à leurs côtés. Retiens bien ces noms, Candy ! Matisse, Modigliani, Picasso. On s'arrachera leurs œuvres très bientôt !

- Je n'en reviens pas de tout ce que tu as traversé en quelques années ! C'est digne d'un roman !

- Mon histoire est bien banale comparée à celle de certains...

- Ne sois pas modeste, John. Tu peux être fier de ce que tu as accompli en si peu de temps. Tu es encore si jeune. Tu vas devenir un grand artiste à ton tour, j'en suis sûre ! J'ai vu ce que tu as réalisé avec la Maison Pony. C'est magnifique !!! Quand me montreras-tu toutes les autres choses que tu as faites?

- Tu peux passer à la galerie quand tu veux. Terry sait où elle se trouve. C'est là que nous nous sommes rencontrés il y a quelques années...

- Il ne l'a pas oublié visiblement puisqu'il a su où te retrouver, petit frère. Mais dis moi, pourquoi t'es-tu installé à Londres si tout se passait si bien à Paris ?

- En fait... J'avais rencontré quelqu'un... - avait-il dit en rougissant tout en baissant les yeux d'embarras – Quelqu'un qui avait une galerie d'art à Londres. Nous sommes tombés amoureux et je l'ai suivi ici...

- C'est merveilleux ! Comment s'appelle cette personne ? J'ai hâte de faire sa connaissance !

- Elle... Enfin, il s'appelle Humphry...

- Hum... Humphry ??? – avait-elle bredouillé en rougissant à son tour, gênée par le manque de naturel de sa réaction.

- Tu es choquée, peut-être ? Excuse-moi... - avait-il fait en risquant un regard coupable vers elle.

- Dieu du ciel, non ! – avait-elle répondu en s'empressant de reprendre sa main pour le rassurer – Peu m'importe que tu aimes un homme ou une femme, John. J'ai été un peu surprise, c'est tout. C'est moi qui devrais être gênée de t'avoir mis mal à l'aise. Ce n'était pas mon intention, je te prie de me croire. Je suis soulagée de savoir qu'après tout ce que tu as traversé, tu as trouvé une personne qui t'aime et qui prend soin de toi. Je voudrais d'ailleurs...

Elle avait jeté un œil vers Terry qui avait opiné, devinant ce qu'elle allait lui demander.

- Je voudrais t'inviter ainsi que ton compagnon à nos fiançailles. Nous n'allons pas rester ici très longtemps et je voudrais profiter de toi le plus possible. Et puis, cela me permettrait de faire la connaissance d'Humphry. J'imagine qu'il est très beau garçon !...

- Il l'est, en effet ! – avait ricané Petit John en rougissant de plus belle – Je suis certain qu'il te plaira.

- Je n'en doute pas une seule seconde !

L'après-midi s'était terminé ainsi dans la joie de ces retrouvailles et de cette révélation inattendue. Terry avait fini par se joindre à eux et ils avaient discuté tous trois encore un moment. Le chauffeur des Grandchester avait ensuite reconduit Petit John en ville avec l'heureuse promesse de se retrouver pour les fiançailles. Debouts dans la cour, ils l'avaient regardé s'éloigner jusqu'à ce qu'il disparaisse au détour d'un virage, puis elle s'était tournée vers son futur époux, un sourire extatique éclairant son visage.

- Merci pour cette belle surprise, mon amour... - avait-elle murmuré en passant ses bras autour de son cou – Tu ne pouvais pas me faire plus plaisir. En revoyant Petit John, j'ai vraiment eu l'impression d'être transportée dans le passé, ce passé heureux avec lui, avec Annie et tous les autres enfants de la Maison Pony...

Il l'avait enlacée à son tour et avait posé un regard tendre sur elle empreint d'une certaine inquiétude. Comprenant son désarroi, elle s'était empressée d'ajouter :

- Mais ce bonheur n'est rien comparé à celui que j'éprouve en étant à tes côtés, Terry... Le seul fait d'être là, près de toi, à respirer le même air que le tien, m'apporte une joie incommensurable. Je pourrais me contenter que de cela, vois-tu. Te regarder vivre, uniquement cela, ferait de moi la plus heureuse des femmes...

Il était resté coi quelques secondes puis elle avait perçu une étincelle de malice briller dans ses yeux qui l'avait poussée à s'écarter légèrement, d'un air soupçonneux.

- Je ne peux pas en dire autant, malheureusement... - avait-il dit avec un demi-sourire alors que ses yeux à elle s'écarquillaient d'interrogation – Je ne pourrais jamais me contenter d'autant de retenue, mon aimée... J'ai trop besoin de pouvoir te...

Il s'était baissé vers elle pour lui chuchoter quelque chose. Sa réaction ne s'était pas faite attendre, et elle l'avait repoussée, avec un cri offusqué.

- Comment oses-tu dire cela avec tous les serviteurs qui nous regardent ??? – s'était-elle écriée, les oreilles rougissantes, cherchant nerveusement des yeux curieux derrière les fenêtres.

- Ils ne savent pas lire sur les lèvres que je sache... - avait-il rétorqué en se dandinant, les mains dans les poches de son pantalon, fier de ce qu'il avait provoqué en elle. Il adorait la taquiner, lui faire perdre ses moyens, et voir ses joues virer écarlates. C'était devenu un jeu dont il ne se lassait point.

- Cesse de me regarder avec cet triomphant !... – grommela-t-elle, vexée.

- Quel air triomphant ? J'aurais pensé que tu étais d'accord avec ce que je t'ai dit... - avait-il observé, son sourire malicieux s'élargissant.

- Oui...Non... Oui ! Enfin... - avait-elle répondu en rougissant de plus belle tout en le maudissant intérieurement pour l'émoi qu'il lui procurait – Mais... C'est juste que... Ce n'est ni le lieu ni le moment, voilà !

- Alors, nous en trouverons un autre... - avait-il ronronné tout en tentant de s'approcher d'elle, arquant des sourcils éloquents.

- Décidément ! Tu es... Tu es... irrécup...

Il l'avait enlacée. Elle avait essayé de lui résister mais n'avait pu tenir plus de quelques secondes, incapable de soutenir son sourire enjôleur et le contact de ses mains puissantes autour de sa taille. Elle aimait le sentir sa large poitrine contre la sienne, la douce chaleur de son corps qui enveloppait le sien, et sa voix, envoutante, qui, alors qu'il avait incliné la tête vers le creux de sa gorge, venait frôler son oreille en un irrésistible charme magique qui mollissait ses membres, la transformant en poupée de chiffons.

- Je vous aime, mademoiselle André... - avait-il murmuré en la serrant un peu plus fort contre lui. Elle s'était blottie en retour en soupirant de bonheur, la tête posée contre sa poitrine et avait fermé les yeux, savourant cet instant de douce et éphémère harmonie, refoulant cet étrange pressentiment qu'un orage se préparait dans les jours à venir...

**********



Candy s'était réveillée avec un sentiment d'angoisse que rien, pas même le délicieux petit-déjeuner en compagnie de Terry n'avait pu chasser. Ce dernier l'avait accueillie dans la salle à manger avec un chaleureux sourire qui témoignait de la joie de la retrouver comme si cela faisait des jours qu'il ne l'avait pas vue, alors qu'il avait discrètement quitté sa chambre au petit matin... Elle avait passé la nuit à le regarder dormir, le sommeil peinant à venir, l'esprit confus des évènements de la journée mais aussi de ceux qu'elle allait devoir affronter avec l'arrivée de la belle-mère de Terry. Elle avait à peine touché à sa salade de fruits et croqué dans ses toasts, se contentant d'un air perdu de boire une tasse de thé, seul aliment qui parvenait visiblement à passer dans sa gorge.

- Tout va bien se passer... - fit Terry en lui prenant la main, ayant remarqué la préoccupation sur son visage – Je serai avec toi. De toute façon, que pourrait-elle te reprocher ? Tu es tellement adorable !

- Disons que... - répondit Candy en faisant la moue – J'ai par expérience tendance à redouter ce genre de femmes qui aiment me rappeler mes origines. Non pas que j'en ai honte, mais j'ai toujours l'impression que dans leur bouche, je ne vaux pas mieux qu'une criminelle.

- Rassure-toi, je saurai l'en empêcher. Je ne la crains pas, et elle le sait. D'ailleurs, une petite joute verbale avec elle ne me déplairait pas !...

- Si on pouvait éviter les disputes... Déjà que j'angoisse à l'idée de rencontrer tous ces inconnus qui vont me toiser, m'observer comme un vulgaire animal de foire.

- Tssss, tsssss !... Tu t'inquiètes sans raison, mon aimée. Les gens vont t'adorer, et les hommes vont m'envier d'être le fiancé d'une si jolie jeune femme...

- L'amour t'aveugle, Terry ! – fit-elle en éclatant de rire.

- Au contraire... - fit-il en portant sa main à sa bouche pour y déposer un baiser – L'amour me rend encore plus conscient de l'être merveilleux que tu es et de la chance que j'ai d'être aimé de toi...

- Oh Dieu, oui, je t'aime Terry ! – murmura-t-elle, les larmes aux yeux – Je t'aime et ne cesserai de t'aimer, jusqu'à mon dernier souffle...

- N'oublie pas de répéter cela devant monsieur le curé ! – ricana-t-il pour cacher le trouble qui le submergeait.

- Je tacherai de m'en souvenir ! – répondit-elle en lui tirant la langue.

Tout en avalant une gorgée de café, le jeune homme avait arqué des sourcils d'un air dubitatif, ce qui lui avait valu un petit coup de coude dans les côtes. Cette divertissante querelle lui avait ouvert l'appétit, et elle était sur le point de planter avec gourmandise ses dents dans un toast, quand des cris provenant de l'extérieur la retirent dans son élan.

- Qu'est-ce que cela peut-être ? – demanda-t-elle en se levant et en se dirigeant vers la fenêtre. De son point de vue, elle distinguait un attroupement mais elle était trop mal placée pour en comprendre la raison.

- Allons voir ce qui se passe ! – fit Terry, piqué à son tour par la curiosité.

Arrivés dans le jardin, ils aperçurent en contre-bas de la vaste pelouse, Carson ainsi que trois autres membres du personnel, regroupés devant un arbre gigantesque, leur nez pointé vers le sommet. Mathilda, une des servantes, se tenait la tête entre les mains en gémissant :

- Comment allons nous faire ? Mademoiselle va me renvoyer sur le champ si nous ne parvenons pas à le faire descendre de là... - se désolait-elle.

- Que se passe-t-il ici ? – demanda Terry, ce qui eut pour effet de faire sursauter le petit groupe.

- Oh, My Lord, vous nous voyez bien ennuyés... - répondit Carson en soupirant – Le chat de mademoiselle votre sœur a croisé le chemin des chiens de monsieur le Duc alors qu'il rentrait de la chasse. Un des chiens a échappé à la surveillance du domestique en charge de les reconduire au chenil, et s'est mis à poursuivre le chat, lequel est venu se réfugier dans cet arbre auquel aucun d'entre nous n'est capable de grimper...

Le jeune couple leva la tête et aperçut l'animal en équilibre sur une des plus hautes branches qui se balançait dangereusement, menaçant de le faire tomber. Candy se dit à ce moment là que la bonne éducation anglaise mériterait quelques leçons d'escalade tant ils semblaient tous désarmés et désolés devant leur impuissance.

- Je peux peut-être essayer de le ramener ? – fit-elle en ôtant ses chaussures.

- Tu n'y penses pas ! – s'écria Terry en la retenant par le bras – Cet arbre fait au moins quinze mètres de haut ! Si tu tombes, tu pourrais te rompre le cou !

- Tu oublies que je sais monter aux arbres depuis ma plus tendre enfance et que j'excelle en la matière ! – rétorqua-t-elle en esquissant un geste du coude pour se libérer.

- Ne sois pas si présomptueuse ! Je t'ai vue chuter mémorablement plusieurs fois à Saint-Paul et les arbres étaient loin d'avoir cette taille !

- Je vais faire attention ! Ne t'inquiète pas ! – dit-elle tout en se dirigeant vers l'imposant tronc.

- Je t'interdis de grimper ! – rugit-il

- Mademoiselle Andrew, je vous en prie – gémit Carson – Ne prenez pas ce risque. Je vais faire appeler les pompiers et ils sauront le récupérer.

- Ce chat tient à peine sur la branche. Il peut tomber à tout moment ! – fit Candy en posant d'autorité un pied sur l'arbre – Faites-moi donc confiance. Je ne serai pas longue !

Sitôt dit, sitôt fait, la jeune blonde entreprit l'escalade de l'arbre, saisissant chaque branche avec agilité, prenant appui sur ses jambes et ses bras pour se hisser de plus en plus haut. Malgré son expérience, elle glissa à plusieurs reprises et se rattrapa de justesse, provoquant les cris d'horreur du petit attroupement qui s'était entre temps élargi, ayant attiré par son étrangeté de nouveaux curieux.

- Surtout, ne regarde pas en bas ! – se dit-elle, le cœur battant, tout en poursuivant son ascension. Ledit matou se tenait à présent à sa portée et elle se mit à l'appeler pour attirer son attention. Ce n'était pas le moment qu'elle l'attrape par surprise et qu'affolé, il la griffe ou tombe en tentant de s'échapper ! Il tourna la tête vers elle et poussa un miaulement désespéré, les pupilles dilatées par la peur – Me voilà, mon ami. Ne crains rien ! Je vais te sortir de là !

De son bras libre, elle se saisit du chat qui vint se lover contre elle en tremblant, et elle poussa un cri de douleur sous la pression des griffes qui s'étaient enfoncées dans sa chair sous le coup de la panique qui l'avait envahi. Tout le long de l'interminable chemin du retour, elle ne put s'empêcher de pester contre l'animal qui s'accrochait à elle douloureusement tout en l'assourdissant de ces miaulements.

- La prochaine fois – se dit-elle en grimaçant de douleur – Tu resteras là-haut, mon Coco, et tu te débrouilleras pour descendre !

Quand, elle eut, enfin, posé le pied sur la terre ferme, elle ne fit aucun cas des acclamations enthousiastes saluant sa prouesse, et s'empressa de se dégager de son instrument de torture qu'elle remit entre les mains de la servante Mathilda, laquelle la remercia d'une révérence avec un soupir de soulagement. Terry s'avança vers elle et la prit dans ses bras.

- Ne me fais plus jamais ça ! – lui dit-il, livide, en la serrant fort contre lui – Plus jamais !!!

Elle opina sans plus de fanfaronnade, ravie de se retrouver dans ses bras plutôt qu'en équilibre précaire dans l'arbre. Elle pouvait bien se l'avouer : elle n'avait plus l'âge pour ce genre de folie...

Un bruit étrange l'interpella alors, un genre de soupir réprobateur marqué de mépris, pareil à celui qu'elle avait régulièrement entendu à travers la bouche de Madame Legrand ou de la Grand-Tante Elroy.

- C'est donc vous, l'Américaine !

Candy se raidit, un frisson désagréable lui parcourant l'échine et s'écarta de son bien aimé dont le regard s'était subitement durci. Elle se retourna et croisa les yeux noirs d'une élégante Lady d'âge mûr, qui l'observait avec hauteur. Elle la toisait de haut en bas, la moue dédaigneuse, s'éternisant sur ses pieds nus et sa robe souillée de feuilles et de brindilles.

- Candy, permets moi de te présenter ma belle-mère, lady Beatrix... - fit Terry d'une voix glaciale – Beatrix, je vous présente, C....

- Je crois que les présentations peuvent attendre... – fit-elle, avec un sourire ironique - Je suis d'avis que votre "amie" a avant tout besoin de se nettoyer et de revêtir une tenue plus descente...

Elle tourna les talons en soupirant de désappointement, et marmonna, dissimulée derrière son ombrelle qu'elle faisait tournoyer.

- Décidément, cette attirance pour les femmes vulgaires est héréditaire...

Le jeune homme allait se précipter sur elle quand Candy le retint fermement par le bras. Luttant contre le regard implorant qu'elle lui adressait, il pesta, maugréa, puis ils repartirent en direction du château. Dans la cour, le véhicule qui avait transporté la duchesse et sa fille était en train d'être vidé, les domestiques s'affairant autour avec dextérité. Ils pénétrèrent dans le grand hall d'entrée et se dirigèrent vers l'escalier qui menait aux chambres. C'est à ce moment là qu'ils croisèrent Cookie, poussé par la jolie Lucille.

- Quel remue-ménage, ce matin ! – s'écria-t-il – J'ai cru m'être trompé de jour et me suis mis à croire que les fiançailles avaient commencé.

- On pourrait s'y méprendre en effet – grommela Terry – Mais ce ne sont que ma belle-mère et ma sœur qui viennent d'arriver... Elles ont tendance à monopoliser beaucoup de monde...

- On dirait qu'elles ont déménagé tout le château ! – observa-t-il, moqueur, devant la file de serviteurs chargés de paquets.

- Si elles pouvaient déménager définitivement !... – soupira Terry en levant les yeux au ciel.

Des bruits de voix féminines se rapprochaient dangereusement et le jeune aristocrate fit signe à Candy de commencer à monter les escaliers, mais elle ne fut pas assez rapide et se trouva nez à nez avec l'héritière des Grandchester, son illustre génitrice derrière elle...

- Vous aviez raison, mère. Elle est tout à fait ordinaire... - fit la jeune femme en la détaillant avec attention. Décontenancée, Candy recula d'un pas et buta contre la rampe de l'escalier.

- Bonjour Sybille – fit Terry sèchement en s'interposant entre elles deux - Les bains de Bath n'ont visiblement pas atténué le poison qui te sert de langue...

Cette dernière, vexée, fronça les sourcils et s'apprêtait à répondre quand sa mère l'interrompit, ayant remarqué Cookie :

- Qu... Qu'est ce donc ? – fit-elle à son attention, avec un léger mouvement de recul.

- Permettez-moi de me présenter, Milady – répondit-il, les yeux brillants d'insolence – Mon nom est Cookie, Cookie Dicks. Pour vous servir...

Devant son air interloqué, il poursuivit :

- Je suis un ami de longue date de Terrence. Je suis marin et il y a quelques semaines de cela, le bateau sur lequel je travaillais a sombré et j'ai été blessé. Votre fils m'a proposé de finir ma convalescence ici...

La duchesse resta sans parole quelques secondes devant le spectacle ahurissant qui s'offrait à ces yeux. Non seulement le fils bâtard de son époux était de retour, qui plus est avec une américaine dont le comportement tenait plus de l'acrobate de foire que de la lady, mais il était aussi accompagné d'un espèce de personnage dont le regard hardi et le sourire effronté la mettaient mal à l'aise. Elle sentait bien qu'elle n'aurait aucun ascendant sur lui et cela la déstabilisait.

- Seigneur !... – s'écria-t-elle avec un soupir de consternation – Il suffit que je m'absente quelques semaines pour que cette maison se transforme en cour des miracles ! J'ai grand besoin d'un peu de repos pour me remettre de tout cela !

Ceci dit, elle posa la main sur la rampe et commença à monter les marches de l'escalier, sa fille sur ses talons, laquelle se retourna une dernière fois pour les toiser d'un regard mêlé de haine et de mépris.

- Vivement que ces fiançailles soient passées car je crois que je ne pourrai pas tenir plus longtemps... - gémit Terry en serrant fort la main de Candy, tout en regardant les deux harpies s'éloigner.

- Je dois t'avouer que je partage ton impatience ! Tu ne m'avais pas menti. Elles sont vraiment... Vraiment...

- Odieuses ! – intervint Cookie en insistant sur chaque syllabe. Lucille, l'infirmière, avait porté la main à sa bouche pour étouffer un éclat de rire, ses yeux larmoyants de retenue.

- Le mot est bien trouvé, en effet, mon ami. Odieuses ! Voilà ce que sont les femmes de cette famille ! Pardonnez-moi, mais je vais aller prendre un peu l'air avant de ne pouvoir me retenir de casser quelque chose dans cette fichue bâtisse !

Sur ce, il partit à grandes enjambées en direction de la cour et croisa en chemin son père qui rentrait des écuries, encore vêtu de son costume de chasse.

- Elles sont arrivées... - fit-il d'un air abattu en remarquant la mine furieuse de son fils.

- En effet, père. Je me permets d'ailleurs d'insister pour que vous gériez au mieux leur attitude sinon, je crains que ce ne soient pas des fiançailles que nous célébrions après-demain, mais des funérailles !!!

Les yeux du Duc s'écarquillèrent de stupeur devant la mise en garde désespérée de son fils et les bras ballants, le laissa partir en direction des écuries pour une promenade libératrice. Il fronça les sourcils et pénétra dans le vaste hall d'entrée avec l'horrible impression que l'atmosphère paisible de ces derniers jours s'était évanouie, ayant cédé la place à un climat de tension palpable conforté par le regard perdu des serviteurs qu'il rencontrait. Pendant des années, il s'y était accoutumé, s'isolant dans son bureau ou désertant les lieux, abandonnant lâchement son fidèle Carson à la tyrannie de son épouse. Mais l'accident de Terry lui avait ouvert les yeux sur la médiocrité de sa vie, et il n'avait plus l'intention de se laisser manipuler par cette intrigante, même si elle en avait pris l'habitude en vingt-cinq ans de mariage ! Il poussa la porte de la chambre de sa femme et la découvrit assise devant sa coiffeuse. Au regard sévère qu'il lui adressa, la servante qui s'occupait de la coiffer, s'éclipsa dans une révérence et ferma la porte derrière elle précautionneusement.

- Vous voilà enfin, mon ami ! – fit-elle en tournant légèrement la tête vers lui – Et crotté à ce que je vois !...

- Je me passerai de vos observations désobligeantes, madame ! – répondit le Duc en serrant les poings – Ce que j'ai à vous dire ne pouvait attendre que je fasse un détour par ma chambre pour me changer...

- Tiens donc ? Qu'y a t'il de si urgent qui vous amène aussi négligé devant moi ?

- Un sujet qui mérite toute votre attention, Beatrix, croyez-moi...

Perplexe, la duchesse pivota sur son fauteuil et croisa le regard ferme et menaçant de son époux qui ne présageait rien de bon. Elle ne l'avait jamais vu dans cet état auparavant, et plissa le front d'inquiétude devant la détermination qui se lisait sur son visage, réalisant, en un instant, que son existence serait un peu plus compliquée dorénavant...

Fin du chapitre 17



Edited by Leia - 17/11/2016, 17:50
 
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view post Posted on 9/3/2017, 18:05
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Chapitre 18




Le grand jour était enfin arrivé. On pouvait sentir l'agitation dans le château aller croissant au fur et à mesure que les heures s'écoulaient. On avait installé de grandes tables nappées de blanc dans le jardin, une estrade pour le petit orchestre qui accompagnerait en musique le repas, et des tentes autour de tout cela au cas où le soleil déciderait de leur faire faux bond. Il est vrai qu'on était à l'abri de rien en Angleterre !

Le Duc surveillait les derniers préparatifs avec attention. Tout devait être parfait. Bien que ce ne soit que des fiançailles, il voulait que cela soit une véritable cérémonie. Son fils avait fait le choix de ne pas se marier sur la terre de ses ancêtres, mais il pouvait lui offrir une belle fête, entouré de tout ce qu'il y avait de plus noble et de plus aristocratique. C'était sa façon à lui de le reconnaître définitivement aux yeux de tous comme son fils légitime, ce qui ferait peut-être grincer quelques dents mais il n'en avait cure. Le Duc de Grandchester n'avait de compte à rendre à personne ! C'était d'ailleurs ce message qu'il avait fait passer à son épouse Béatrix, laquelle lui opposait une résistance farouche quant il s'agissait de Terry. Il restait pour elle ce bâtard qu'il lui avait imposé et qu'elle avait dû supporter durant des années, cet enfant rebelle à toute discipline qui la toisait à travers les yeux de celle que son époux n'avait jamais cessé d'aimer. Chaque fois que le garçon s'approchait d'elle, elle éprouvait une jalousie féroce et le chassait violement pour qu'il disparaisse au plus vite de sa vue et de ses pensées. C'était elle qui avait tenté de l'envoyer en pension dès l'âge de six ans, mais le Duc lui avait opposé un refus catégorique. Elle était néanmoins parvenue à ses fins quand il avait atteint les dix ans, et avait proposé Gordonstoun School, au nord-est de l'Ecosse, avec comme raison que des têtes couronnées y avaient étudié. Le Duc avait bien compris que si elle avait pu trouver un pensionnat en Laponie, son choix se serait porté sur celui-ci, tant elle voulait éloigner Terry de sa famille. C'est pourquoi il avait proposé le Collège Saint Paul qui n'était pas très loin de Londres et qui lui permettrait de rendre visite à son fils quand bon lui semblait. Leurs relations étaient toujours aussi tendues mais il avait préféré, le caractère de Terry s'affirmant de plus en plus, le garder non loin de lui pour veiller sur lui. Ils en avaient connu des disputes et des affrontements, mais il était très fier de son fils qui avait su tracer son propre chemin, se bâtir une carrière admirée de tous, et se faire aimer de cette délicieuse blonde qui apportait de la gaieté dans toute la maison. Il s'était même bien habitué à la présence de Cookie et à l'esprit vif et fin qui le caractérisait, à son humour sarcastique qui témoignait du recul qu'il avait sur la vie et sur les gens. Rien ne l'impressionnait, et encore moins Beatrix qui l'évitait comme la peste. Elle n'avait pas diné avec eux depuis son retour, prétextant à chaque fois un mal de tête ou une extrême fatigue. Seule Sybille se hasardait par sa présence, mais ses piques blessantes ne parvenaient jamais à passer la barrière ironique que Cookie lui dressait, trop soucieux qu'il était de vouloir défendre Candy et Terry.

Le Duc restait néanmoins sur ses gardes quant à l'attitude de son épouse. Celle-ci lui avait annoncé avec grandiloquence qu'elle ne participerait pas à cette mascarade, ce qui revenait à se demander pourquoi elle était revenue au domaine familial alors qu'elle aurait pu rester tranquillement à Bath. Il en connaissait la raison : c'était tout bonnement pour le contrarier, pour le défier comme de coutume, mais cette fois, il n'avait pas l'intention de céder pour avoir la paix, et c'est très menaçant qu'il lui avait déclaré :

- Madame, je ne requiers pas mais ordonne votre présence le jour des fiançailles. Dès l'instant où le premier invité posera un pied dans l'allée, je vous veux présente pour l'accueillir. Et ne vous méprenez pas. Je suis tout disposé à venir vous tirer du lit et à vous traîner en chemise de nuit devant tout le monde. Vous m'en verriez navré, mais vous le seriez plus encore !

Sur ce, il l'avait sèchement saluée d'un signe de tête puis s'en était allé, la laissant muette d'étonnement et tremblante de rage. Cette menace semblait avoir porté ses fruits puisqu'au moment il revenait vers le château, il l'aperçut marchant vers lui, vêtue de ses plus beaux atours.

- Cette tenue correspond-elle à vos attentes, mon ami ? – fit-elle ironique en le toisant avec insolence.
- Peu m'importe à vrai dire… - rétorqua-t-il avec un regard empreint d'une profonde indifférence – Du moment où vous vous en tenez au rôle qui vous est attribué, celui de la parfaite hôtesse. D'ailleurs, il serait judicieux de votre part de commencer à guetter l'arrivée de nos invités qui ne saurait tarder. Terrence est déjà dans la court, prêt à les accueillir…
- Mais… Pourquoi devrais-je attendre avec lui ???
- Vous préférez peut-être que ce soit Candy qui se joigne à lui ? Ce serait dommage que la fortune en bijoux que vous exhibez soit éclipsée par la simplicité d'une jeune et jolie américaine…

Vexée, elle voulut riposter, mais il avait déjà tourné les talons, les épaules secouées d'un petit rire moqueur. Furibonde, elle resta quelques secondes immobile, le temps de retrouver son calme, puis elle se résigna à aller vers l'entrée où se tenait, comme convenu, l'héritier des Grandchester. Il avait fière allure dans son beau costume, les mains croisées dans le dos, pensif. Si ce n'était pas ces yeux qu'il tenait de cette autre femme, elle lui aurait aisément trouvé une franche ressemblance avec le Richard de sa jeunesse. Dieu qu'elle avait aimé cet homme et comme il le lui avait si mal rendu ! Encore aujourd'hui, il venait de l'humilier avec ces mots blessants qu'il savait lui assener sans aucune délicatesse, tandis qu'il lui imposait la présence de son bâtard de fils et cette fête somptueuse pour célébrer sa future union avec une parvenue sans éducation qui ne devait pas valoir mieux que l'autre, l'actrice ! Que pouvaient donc avoir ces américaines de mieux que les anglaises pour parvenir à les retenir ? Ce ne pouvait pas être cet accent campagnard et leurs mauvaises manières !… Peut-être ressentaient-ils le besoin de s'encanailler avec quelqu'un d'une classe inférieure, mais cela n'expliquait toujours pas cette attirance qu'ils avaient envers ce genre de femmes, ni ce besoin de s'afficher avec ! En ce qui concernait Terrence, ma foi, il était à moitié américain par sa mère et par conséquent, contaminé dans ses gènes. Heureusement que ses enfants à elle ne souffraient pas de cette tare. Elle pouvait être fière de sa lignée ! – se dit-elle tout en observant d'un air dédaigneux cet écart de jeunesse qui lui tournait en cet instant le dos. Ce dernier remarqua alors sa présence et elle ne put retenir une moue de contrariété. Son regard pénétrant croisa le sien et à la façon curieuse qu'il la regarda, elle eut la désagréable sensation qu'il pouvait lire dans ses pensées. Frissonnant de dégoût, elle lui dit, peinant à dissimuler sa gêne :

- N'y voyez aucune amabilité de ma part, mon jeune ami, je ne fais qu'obéir à la volonté de votre père…
- Vous m'en voyez navré…
- Certainement moins que moi, mais parfois, il faut faire bonne figure même dans les situations les plus éprouvantes…
- Sur ce point, je ne peux qu'être d'accord avec vous, Béatrix. Mais rassurez-vous, il n'est de supplice qu'à l'importance qu'on lui porte, et pour ma part, elle est inexistante.
- J'ai peur de ne pas comprendre, Terrence… - fit-elle en fronçant les sourcils.

Il se tourna franchement vers elle, un sourire amusé au coin des lèvres.

- Voyons Beatrix, cessons de jouer les hypocrites. Nous savons tous deux combien nous nous détestons. Je me suis habitué à votre mépris envers ma propre personne et cela fait bien longtemps qu'elle a cessé de m'émouvoir. Vous êtes peut-être l'épouse de mon père, mais cela ne représente qu'un titre à mes yeux, qu'une signature sur un contrat, et en aucun cas une quelconque obligation morale. Si cela ne tenait qu'à moi, je ne vous porterais aucune attention, aucun intérêt tant vous m'importez peu. Vous m'êtes indifférente. Néanmoins…

Cette fois, le sourire moqueur qu'il lui adressait s'évanouit pour laisser place à un regard froid, menaçant, qui la fit reculer d'un pas.

- Néanmoins – reprit-il – Je ne serai pas indifférent à la moindre tentative de votre part de blesser la femme que j'aime.
- Voyons, Terrence, qu'insinuez-vous là ? Vous avez une mauvaise opinion de moi… - bredouilla-t-elle en évitant son regard figé au sien.
- Bien au contraire, ma chère belle-mère ! Je vous connais que trop bien ! Et je sais par expérience de quoi vous êtes capable ! Si pour une fois, vous vouliez bien assumer ce que vous êtes devant moi, vous descendriez d'un cran sur l'échelle de votre médiocrité. Vous êtes une méchante femme, Béatrix. Je pourrais user de bien d'autres adjectifs pour vous décrire, mais celui de méchante résume bien ce qui vous caractérise. Vous êtes de ces êtres méprisables qui n'hésitent pas à se venger de leurs aigreurs et de leurs frustrations sur des personnes plus faibles, et dans votre cas plus précisément, sur un petit garçon que vous a avez maltraité et martyrisé pendant des années. Vous êtes laide à l'intérieur et si vous vous regardiez plus attentivement dans le miroir, vous y verriez clairement le reflet de la laideur de votre âme !

La duchesse de Grandchester chancela, le souffle coupé sous le coup de l'émotion. Comment osait-il lui parler ainsi, lui, ce petit bâtard qu'elle avait recueilli (sous la contrainte peut-être) et dont elle avait dû supporter la présence pendant plus de dix ans ?!!! Dix ans d'humiliation quotidienne qu'elle avait dû subir sous le regard condescendant de ses congénères féminines qu'elle faisait mine d'ignorer. Tout le gotha connaissait les origines du fils de son époux mais personne ne l'évoquait, tout au moins devant elle. Comme on avait dû rire derrière son dos, encore plus maintenant depuis qu'il était devenu une vedette américaine et que sa roulure de mère l'avait officiellement reconnu !

Submergée par la rage que ces pensées provoquaient en elle, elle leva la main vers lui pour le gifler, main qu'il retint dans son élan peu avant qu'elle s'abatte sur sa joue.

- Maîtrisez-vous, belle-maman ! - fit-il entre ses dents tout en déployant un large sourire - Vous oubliez que le personnel nous regarde…

Il serrait sa main si fort qu'elle laissa échapper un cri de douleur. Il la lâcha en retour avec une moue de mépris, la laissant furieuse et tremblante, faisant mine d'ignorer le regard embarrassé des domestiques qui allaient et venaient du jardin où ils s'affairaient.

- Vous êtes dangereux, Terrence !... – bredouilla-t-elle en se frottant discrètement la main.
- Vous ne croyez pas si bien dire, Beatrix. Je suis ravi que vous l'ayez enfin compris !

Du coin de l'œil, elle aperçut Carson qui s'approchait d'eux et elle se figea, convaincue qu'il avait assisté à toute la scène. Son air impassible ne laissait rien afficher, mais elle évita néanmoins son regard de peur d'y déceler de l'approbation, connaissant la complicité qui liait les deux hommes.

- Ah, vous tombez à point nommé, Carson ! – s'exclama Terry en l'apercevant – Pourriez-vous apporter un verre d'eau à sa seigneurie. Elle ne se sent pas très bien…
- N'en faîtes rien, mon ami, d'autant plus que je vois poindre une voiture au bout du chemin… - fit-elle en toussotant d'embarras. Sa silhouette se redressa quand elle reconnut le véhicule. Les traits blêmes de son visage se transformèrent sous l'effet d'un étrange sourire qui interpella le jeune duc. La voiture s'arrêta enfin devant eux et un élégant jeune homme en sortit, dont la longue silhouette rappelait celle d'un autre jeune homme un peu plus âgé.

- Rodolphe ! – fit Beatrix, dissimulant avec peine son soulagement – Tu n'imagines pas à quel point je suis heureuse de te revoir !
- Voyons, mère, vous parlez comme si nous nous étions pas vus depuis des années ! – répondit le jeune homme en lui prenant les mains pour y déposer un baiser – Vous êtes bien pâle. Vous vous sentez bien ?
- A présent que tu es là, tout va beaucoup mieux…

Rodolphe tourna alors la tête vers Terry, lequel le détaillait avec curiosité. Son petit frère avait bien changé ! Sur le moment, il se sentit presque troublé de ses retrouvailles, mais quand il croisa son regard dans lequel brillait la lueur malveillante de sa véritable nature, malveillance dont il avait si souvent souffert dans son enfance, il se raidit, serrant les mâchoires, prêt à bondir sur lui.

- Terrence… - fit Rodolphe en lui tendant une main qui suintait l'hypocrisie.
- Rodolphe… - répondit Terry en la serrant à peine en retour.
- Je n'aurais pas parié un penny sur ton retour en ces lieux un jour ! – gloussa l'arrogant demi-frère – Décidément, la vie nous réserve bien des surprises !
- Certaines sont malheureusement pourvues d'épines…
- Hahaha, Terry ! J'avais oublié combien tu pouvais être amusant ! S'il est une qualité que je ne peux te retirer, c'est bien cet humour grinçant dont tu sais parfaitement user.
- Notre famille est une grande source d'inspiration…

La tête de Rodolphe bascula en arrière dans un grand éclat de rire.

- Décidément, Terry, tu me feras toujours autant rire !
- Pas à mes dépends, cette fois, je te l'assure…

Le jeune frère, saisissant l'allusion, abrégea son enthousiasme par un ricanement embarrassé. Au regard éloquent que lui adressa Terry, il comprit que ce dernier n'avait pas oublié ces funestes années au château rythmées par les brimades que lui et sa sœur lui avaient infligées. Il n'en avait gardé pour sa part que des souvenirs diffus, quelques plaisanteries cruelles sans conséquence... A vrai dire, ils n'étaient que des enfants et c'est bien connu, les enfants sont parfois impitoyables avec leur entourage… Un silence pesant s'instaura entre les deux jeunes hommes.

- Voulez-vous que je fasse monter vos bagages dans votre chambre, My Lord ? – les interrompit Carson, soucieux de faire remonter de quelques degrés la température glaciale autour d'eux.
- Oui, Carson, merci ! – répondit Rodolphe, sans grande conviction, de plus en plus gêné par le regard scrutateur de son frère sur lui. Soudain, flanqué d'un regain d'intérêt pour son illustre mère, le sourcil faussement froncé d'inquiétude, il s'avança vers elle, prenant sa main entre les siennes.

- Je vous trouve vraiment très pâle, maman. Laissez-moi vous conduire à votre chambre. Un peu de repos vous fera le plus grand bien avant l'arrivée des invités…
- Est-ce bien nécessaire ? – fit-elle d'une petite voix – J'ai promis à ton père d'être là pour les accueillir.
- Terrence s'en acquittera comme un chef, j'en suis sûr !
- Je vous en prie, belle-maman. Allez vous "reposer". Vous avez ma bénédiction… - fit Terry avec une moue entendue, peinant difficilement à cacher son soulagement de les voir s'éloigner de lui. La mère et le fils ne se firent pas prier plus longtemps et disparurent prestement à l'intérieur du château. Que la journée allait être longue avec des gens aussi détestables ! Heureusement, ils seraient dilués dans la masse des convives et il pourrait les éviter aisément. Il avait hâte que tout le monde soit là pour retrouver Candy qui devait être en train de finir de se préparer. Elle avait reçu la veille sa robe de fiançailles confectionnée par un des plus grands couturiers de Londres. Il n'avait pas eu le droit de la voir mais il savait déjà que quoi que ce fût, cela lui irait divinement bien.

Une autre voiture pointa au bout du chemin, suivie d'une autre. Terry se redressa, le poing serré de nervosité. Carson se rapprocha de lui, les mains croisées dans le dos.

- Ma vue n'est pas parfaite mais je crois bien apercevoir la voiture de monsieur le curé ainsi que celle des Crawley… - fit-il d'un ton tranquille qui se voulait apaisant, devinant l'état de stress dans lequel se trouvait le jeune duc.
- Verriez-vous un inconvénient, Carson, à rester près de moi ? – demanda alors Terry, d'un air anxieux - J'ai pratiquement oublié les noms de tous ces gens…
- Je serai ravi de vous apporter mon aide, My Lord…
- Merci, Carson. Vous êtes un véritable… ami…

Carson sentit son cœur bondir dans sa poitrine et une chaleur bienfaisante l'envahir. Il ferma à demi les yeux de contentement et sautilla discrètement sur ses grands pieds, savourant intérieurement ce moment seul à seul avec son protégé…

****************



- Décidément, cet imbécile de Terry est toujours aussi insupportable ! – s'écria Rodolphe tandis qu'ils montaient les marches de l'escalier qui menait aux chambres.
- Je ne peux malheureusement qu'acquiescer ! – répondit sa mère en s'appuyant sur la rampe – Dire que je dois supporter ses grands airs depuis trois jours. Vivement que cette comédie soit terminée et qu'il reparte en Amérique avec son infirmière !

Devant le regard interloqué de son fils, elle ajouta, perfide :

- Hé oui, il n'y a bien qu'en Amérique que les femmes riches travaillent !...
- Soit !... – ricana-t-il – Mais… Dites-moi, comment est-elle ? J'ai entendu parler de sa famille, mais je n'ai aucune idée de ce à quoi elle ressemble.
- Oh… Elle est blonde, petite. Tout à fait quelconque !...
- Hé bien, j'aurais cru Terry plus exigeant !
- Qu'espérais-tu ? Il n'est qu'à moitié de notre sang et il n'en a pas hérité des qualités !...

Poursuivant leurs médisances, ils parvinrent au premier étage et longèrent le long couloir sombre jusqu'à la chambre de Beatrix. S'étant acquitté de sa tâche avec application, Rodolphe avait à présent l'intention d'abréger la séparation. En ce jour de fête, il devait bien y avoir une bouteille de champagne qui n'attendait qu'à être honorée par l'alcoolique mondain qu'il était ! Mais au moment où sa mère tournait la poignée de la porte, la lumière crue du jour provenant d'une autre chambre à l'autre bout du couloir les interpella. Une créature d'une beauté éblouissante, vêtue d'une robe longue en crêpe de soie jaune très pâle en sortit. Elle s'avançait vers eux, les mètres qui les séparaient se réduisant, révélant au fur et à mesure la perfection de ses traits. Elle s'arrêta devant l'escalier et d'un geste gracieux posa sa main sur la rampe. Son regard émeraude croisa ingénument celui de Rodolphe, provoquant en lui un flot de pensées folles et déstabilisantes. Il déglutit péniblement, les yeux exorbités, fixés sur cette apparition divine qui s'apprêtait à descendre les marches.

- Qui… Qui est-ce ? – bredouilla-t-il, le souffle coupé par l'émotion.
- C'est Candy. Candice Neige André. La fiancée de ton frère… - répondit en grimaçant Beatrix.

Il resta un instant interdit par la nouvelle, cherchant à récupérer du trouble que Candy venait de provoquer en lui. Mais il en était incapable, comme si sa rétine avait brulé au contact de sa lumière, laissant une empreinte indélébile, disposée à hanter ses jours et ses nuits.

- Ce… Ce soit-disant laideron est la fiancée de Terry ? – grogna-t-il entre ses dents tout en adressant un regard ulcéré à sa mère. Elle hocha la tête, surprise par l'étrangeté de sa réaction. Ce qu'elle lut dans ses yeux la paralysa d'effroi : une rage sourde, contenue, mêlée d'une ardente convoitise qui rougissait sa gorge, menaçant d'exploser.
- Tu vas bien, Rodolphe ? – demanda-t-elle d'un air inquiet.
- Le mieux du monde, mère… - mentit-il tout en dévorant Candy des yeux, laquelle s'éloignait peu à peu de son champ de vision. Ce n'était pas le moment qu'il la perde de vue, d'autant plus que son idiot de frère était occupé dehors. C'était l'occasion rêvée de faire les présentations !

D'une main tremblante, il se passa la main dans les cheveux, réajusta sa veste et abandonna sa mère sans plus de cérémonie. Les poumons gonflés de suffisance, il hâta le pas vers l'objet de son désir, avec la farouche prétention d'en découvrir tous les mystères…

Fin du chapitre 18

 
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view post Posted on 13/9/2017, 17:40
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Chapitre 19



Parvenu au pied de l'escalier, il la chercha du regard et l'aperçut en train de traverser le salon, saluant amicalement le personnel qu'elle croisait sur son chemin. Il ne la voyait que de dos mais n'en était pas moins subjugué par sa beauté et la grâce qui se dégageait d'elle.

Comment son empoté de frère avait-il pu séduire une femme comme elle ?

Il la détaillait avec envie, fasciné par le décolleté plongeant qu'elle arborait dans le dos, dévoilant discrètement la cambrure de ses reins. Son imagination s'échauffa et les pensées les plus folles, à faire rougir le marquis de Sade, le traversèrent. La fixant de ses yeux libidineux, il passa sa langue sur ses lèvres gonflées de gourmandise et hâta le pas dans sa direction, les quelques mètres les séparant lui semblant durer une éternité.

Elle était tout près de lui à présent, et semblait occupée avec une servante. Il soupira d'aise et tendit le bras vers son épaule, laissant ses doigts glisser sur sa peau laiteuse qu'elle avait divinement douce. A leur contact, elle sursauta de surprise et se retourna vivement vers lui, provoquant dans l'action une collision frontale entre sa tête à lui et la masse multicolore qu'elle tenait entre les mains, tandis qu'il se courbait légèrement en signe de révérence.

- Sacrebleu, qu'est-ce donc ? – hurla-t-il en s'agitant, asphyxié, comme un possédé.
- Mais calmez-vous, voyons ! – s'écria Candy – Vous êtes en train de détruire mon bouquet !!!

C'était un magnifique bouquet qu'on venait de lui remettre de la part de Patty et ce malotru était en train de tout abîmer ! Elle recula d'un pas, le libérant de l'emprise de son arme défensive et eut un mal fou à se retenir de rire devant le spectacle drolatique que le jeune homme lui offrait : il avait des pétales de fleurs dans la bouche mais aussi dans les cheveux, lesquels débordaient de ses grandes oreilles. Pour compléter le tableau, du pollen recouvrait son nez empâté et auréolait d'un halo safrané ses yeux qu'il avait rapprochés, ce qui lui donnait des allures d'une chèvre échappée d'un enclos qu'elle aurait dévasté. D'une main vive, il essuya les pétales collés à ses lèvres en marmonnant des jurons, heureusement à peine audibles. Candy en reconnut néanmoins quelques uns et se dit qu'elle avait affaire à un personnage vraiment singulier. Elle le considérait de ses magnifiques yeux verts pailletés d'or avec interrogation et une certaine méfiance. Sa haute et mince silhouette lui rappelait quelqu'un sans qu'elle puisse y mettre un nom, les traits disgracieux de son visage ne facilitant pas la tâche. Déstabilisé, l'inconnu redressa fièrement son menton, feignant d'ignorer le ridicule de son apparence, mais au bout de quelques secondes, son nez se mit à le grattouiller.

- Fichue allergie ! – se dit-il tout en éternuant bruyamment à plusieurs reprises.

Il se redressa en reniflant, les yeux rougis, tout en tirant sur les pans de sa veste, essayant de retrouver un peu de dignité. Voulant la saluer d'un baisemain, il remarqua qu'elle avait les siennes toujours occupées par le bouquet, et dut se contenter d'un signe de tête révérencieux :

- Veuillez excuser mon outrecuidance, mademoiselle… - parvint-il à dire entre deux éternuements - Je n'avais aucune intention de vous effrayer… Permettez-moi (Atchoum!) de me présenter. Rodolphe Grandchester, pour vous servir. (Atchoum!)
- Vous… Vous êtes le frère de Terry ? – fit Candy en portant une main à sa bouche pour dissimuler le sourire moqueur qui se dessinait sur ses lèvres. Elle retint difficilement un hoquet, signe annonciateur d'un éclat de rire qui menaçait gravement d'exploser.
- En quelque sorte, oui… - répondit-il avec une moue de dédain. Il l'avait faite discrètement mais elle l'avait remarquée et l'agacement s'empara d'elle. Décidément, il n'y en avait pas un pour rattraper l'autre dans cette famille ! Il ne manquait plus qu'elle croise Sybille et sa future belle-mère pour compléter le tableau du trio diabolique !
Ce fut donc avec un plaisir non dissimulé qu'elle lui répondit, de sa voix la plus angélique :
- Je suis ravie de faire votre connaissance Rodolphe, même dans une situation aussi… cocasse (d'un air malicieusement ingénu, elle agita de plus belle le bouquet devant lui ce qui eut pour effet de redoubler ses éternuements).
- (Atchoum!) Le plaisir est pour moi, mademoiselle… Mademoiselle ? – feignit-il d'ignorer.
- Candice… Candice Neige André, la fiancée de Terrence… Du moins, sur le point de l'être…

Ce grand bêta est le frère de Terry ? Mon dieu, il est aussi vilain que sa sœur ! J'espère qu'il n'est pas aussi fourbe qu'elle…

- Enchanté de faire votre connaissance… - fit-il en essayant de lui voler sa main pour y déposer un baiser. Elle tenta de résister mais ne voulant pas paraître impolie, elle se résolut à subir le supplice, esquissant une moue de dégoût au contact de ses lèvres qui frôlaient sa peau. Ceci fait, elle retira prestement sa main avec un sourire crispé qui cachait difficilement son embarras.

Comment allait-elle pouvoir se débarrasser de ce pot de colle ?

Par chance, elle aperçut Cookie qui arrivait sur sa chaise roulante poussée par Lucille, la jolie infirmière. Saisissant l'opportunité, elle bondit sur lui et sans lui laisser le choix, lui présenta, avec l'énergie du désespoir, l'encombrant demi-frère.

- Cookie, je te présente Rodolphe, le frère de Terry ! - s'écria-t-elle avec le théâtral enthousiasme d'un bonimenteur sur un stand de foire.
- Lui, le frère de Terry ? – marmonna-t-il, incrédule, en le détaillant de haut en bas, se demandant s'il n'avait pas plutôt affaire à l'épouvantail qu'il avait aperçu tantôt planté au milieu du jardin potager du château.
- Mon cher Cookie, Rodolphe ne connaît pas encore tes aventures maritimes, et je suis certaine que cela pourrait le passionner. N'est ce pas ? – fit-elle en battant des cils en direction de ce dernier.
- Ma foi… - bredouilla-t-il, déconcerté. S'il y avait bien une chose dont il se fichait, c'étaient bien les exploits de soiffards en pull rayé!
- Magnifique ! Je suis sure que vous allez bien vous entendre ! – fit-elle en adressant un clin d'œil complice à Cookie qui la regardait avec de grands yeux désespérés.

Se dressant alors sur la pointe des pieds, le cou tendu vers le fond de la pièce, elle s'écria :

- Oh ! Je viens de voir passer Mrs Hughes ! Vous me voyez navrée de devoir vous laisser mais je dois régler quelque chose au plus vite avec elle avant que tous les invités ne soient arrivés. Je ne peux rester plus longtemps en votre charmante compagnie, j'en suis désolée…

Elle prit un air faussement contrit tout en tournant les talons, et s'éloigna d'un pas vif, sans se retourner.

- Mais… - gémirent en même temps les deux jeunes hommes, stupéfaits.

Elle avait honte de ce qu'elle venait de faire mais ce Rodolphe la mettait vraiment mal à l'aise. Son instinct lui dictait de rester le plus loin possible de lui, instinct qui lui avait bien souvent sauvé la mise par le passé. C'était donc cela qu'elle était bien décidée à écouter, quitte à vexer le cadet des Grandchester !

Elle se dirigea vers les cuisines qui se trouvaient au sous-sol, non pas pour s'y terrer en attendant la cérémonie mais en quête d'un vase pour le bouquet de Patty. Cette dernière y avait ajouté un petit mot qu'elle avait eu juste le temps de lire avant d'être interrompue par l'hideux "petit frère", dans lequel elle lui souhaitait une merveilleuse journée de fiançailles avec l'espoir de prochaines retrouvailles en Amérique. Cela signifiait-il que Patty avait décidé de repartir là-bas ? Qu'allait-il advenir d'Alessandro ? Elle avait hâte d'en savoir plus et se promit de prendre de ses nouvelles dès le lendemain. Ces deux dernières semaines étaient passées si vite !

Toute à ses pensées, elle tomba nez à nez avec Mrs Hughes, la gouvernante, qui sortait de son bureau. A l'étrange tête que faisait Candy, elle comprit aussitôt et lui dit :

- Vous venez de faire la connaissance de monsieur Rodolphe, n'est ce pas, mademoiselle ?

Candy opina frénétiquement de la tête, serrant son bouquet contre elle en guise de consolation. Un sourire complice se dessina sur les lèvres de la vieille femme.

- Venez – fit-elle en passant un bras compatissant autour de ses épaules tout en l’entraînant à l'intérieur de son office – Je crois qu'un petit verre de Porto ne vous fera pas de mal pour passer cette épreuve. J'ai pour ma part tendance à en user plus que de coutume quand les enfants Grandchester sont là…

Un long soupir accompagnait ces paroles dans lesquelles pointaient le sarcasme et la résignation. Le cœur de Candy se serra, réalisant que la vie ne devait pas être facile tous les jours avec de tels maîtres, et se promit d'en souffler un mot à Terry, à tête reposée. Mais pour l'instant, une longue journée l'attendait. Un peu d'encouragement ne lui ferait pas de mal et c'est avec gratitude qu'elle accueillit le verre à liqueur que la gouvernante lui tendait…

******************

C'était la fin de l'après-midi et la fête battait son plein dans le jardin du château. Le personnel restait néanmoins sur le qui-vive, surveillant le ciel régulièrement après avoir remarqué de lourds nuages noirs qui s'accumulaient au loin. Avec un peu de chance, ils se dissiperaient grâce au vent léger qui venait de se lever, mais la vigilance était de mise car on n'était jamais à l'abri d'un orage soudain. Bien que tout ait été prévu dans cette éventualité, mot d'ordre avait été donné pour éviter que les invités soient surpris par la pluie. Mais pour l'instant, les grandes tentes qu'on avait installées dans cette hypothèse se contentaient d'accueillir les convives en quête d'ombre ou de repos après avoir effectué quelques danses sur la piste. Le repas, succulent, et surtout son vin, avaient quelque peu brisé les dernières résistances des invités, encore stupéfaits par ces fiançailles entre le fils du Duc de Grandchester et cette jeune américaine dépourvue de sang noble. Les a priori étaient encore tenaces dans la haute aristocratie et difficiles à combattre, même pour un couple aussi moderne que celui de Candy et Terry. Pourtant, au moment où cette dernière avait fait son apparition dans le grand salon, des murmures s'étaient élevés dans l'assistance dans un brouhaha de ravissement et d'admiration. Surpris par sa beauté et sa grâce alors qu'elle avançait vers Terry, ils n'avaient pu que reconnaître la qualité de sa personne. Les hommes, subjugués, l'avaient suivie du regard non sans envier intérieurement le jeune fiancé qui se tenait fièrement à côté de son père, un sourire de satisfaction sur les lèvres. Ils ne s'étaient pas croisés de la matinée, et comme la majorité des invités, il l'avait découverte, sublime, dans cette robe qui suivait divinement ses courbes et dont l'ourlet frôlait le sol dans un léger bruissement. Le jaune lui allait à ravir, exaltant la couleur de sa peau qui s'était colorée avec les beaux jours, et rehaussant le vert de ses yeux qu'elle avait maintenus tout le long sur lui pour ne pas être troublée par ces regards étrangers qui la dévisageaient. Il lui avait pris la main et lui avait souri tendrement, devinant son angoisse.

De son côté, étrangement, il s'était senti très à son aise. Pour lui, ces fiançailles n'avaient valeur que de répétition. La grande première n'aurait lieu que dans quelques semaines, à laquelle assisteraient et participeraient des gens qu'il respectait et qu'il aimait, contrairement à ceux qui se trouvaient là présentement et pour lesquels il n'éprouvait que du mépris ou de l'indifférence. Lui, que l'on avait toujours regardé avec condescendance pour la nature de ses origines se délectait de leurs mines déconfites devant le bonheur insolent qu'il leur affichait. Tous ces mariages arrangés pour préserver leurs rangs et leurs richesses faisaient pâle figure devant l'amour véritable et inconditionnel qui l'unissait à Candy. Leurs visages crispés de jalousie et de frustration retenue lui étaient apparus comme la meilleure des revanches, et c'était avec les yeux brillants de fierté qu'il avait écouté son Duc de père, présenter de manière élogieuse sa future épouse devant tout le gotha aristocratique. Elle les avais salués d'un air timide tout en évitant le regard insistant sur elle de son beau-frère qu'elle avait aperçu du coin de l'oeil, à côté de ses illustres sœur et mère. Dieu que cet homme la mettait mal à l'aise ! Heureusement, un peu à l'écart, elle avait remarqué la présence de John et de son compagnon qui lui souriaient avec bienveillance, et elle s'était sentie aussitôt rassurée. D'une oreille distraite, elle avait écouté le Duc célébrer sa présence, faire l'éloge de sa famille et de son père adoptif, William André. La veille, Richard Grandchester lui avait fait part de son souhait d'évoquer son adoption afin de tuer dans l'oeuf les mauvaises langues. Elle n'y avait vu aucun inconvénient, n'ayant pour sa part jamais cherché à cacher cette filiation. Mais être acceptée par cet homme de grande noblesse devant la haute aristocratie britannique l'avait rendue d'autant plus fière d'Albert et de son choix en faisant d'elle sa fille...

Les présentations faites, ils s'étaient tous rendus à la chapelle familiale toute proche où les attendait le prêtre, venu directement d'Edimbourg pour célébrer la messe traditionnelle puis, à la fin de celle-ci, le jeune couple et leurs plus proches parents avaient été réunis à l'écart pour la bénédiction des fiançailles. John, seul membre proche de Candy avait lu un texte biblique, puis plusieurs prières avaient été récitées. Le prêtre avait prononcé les paroles de conclusion et on avait terminé par un chant à la gloire de Marie. Contre toute attente, Terry en était sorti bouleversé car, au moment de passer la bague de fiançailles au doigt de Candy, il avait réalisé que ce qu'il avait ardemment souhaité n'était plus un rêve impossible. Peu importait que la cérémonie se déroula devant son idiot de frère et sa stupide sœur, ou sous le regard sournois de sa belle-mère, le regard ému de Candy posé sur lui avait tout balayé. Elle était officiellement sa future épouse et il avait beaucoup de mal à en maîtriser la joie.

Le repas de fiançailles déroula autour d'un somptueux buffet permettant ainsi aux jeunes fiancés de saluer les invités, de discuter plus aisément avec eux, mais aussi de fuir les plus ennuyeux. Il y avait tellement de monde qu'il était facile de passer de l'un à l'autre avec un petit mot d'excuse pour qu'ils ne se sentent pas délaissés. Néanmoins, toute cette attention laissait peu de temps aux amoureux de trouver un moment pour eux. Souvent séparés, ils se jetaient discrètement des oeillades complices en soupirant. Candy se trouvait particulièrement au cœur des attentions, régulièrement sollicitée par ces messieurs pour une danse ou une conversation innocente. Rodolphe, plus entreprenant que jamais, venait régulièrement réclamer une danse, danse qu'elle ne pouvaitu malheureusement lui refuser au risque de paraître très mal élevée. A chaque fois, profitant de l'aubaine, il la serrait fort contre lui, sa main plaquée contre ses reins lui empêchant tout mouvement d'esquive. Son haleine chaque fois plus alcoolisée venait brûler ses joues rougissantes du calvaire qu'il lui faisait subir et elle détournait la tête, saisie de dégoût. Par chance, il y avait toujours un prétendant suffisamment insistant pour qu'il lâchât prise, le savoir-vivre britannique s'imposant face à ses pulsions primaires, et il la libérait à contre-coeur, avec le détestable sentiment qu'on la lui volait.

A présent, il était plus contrarié que de coutume, car il savait qu'il ne pourrait lui demander une autre danse, ayant dépassé outre mesure son quota, tout futur beau-frère qu'il était. Il se mit à alors errer parmi les invités, son verre de whisky à la main, ayant délaissé depuis un moment déjà le champagne, trop léger à son goût. Il remarqua Cookie en grande discussion avec John et son compagnon, un très séduisant homme d'âge mûr, dont les belles dents blanches brillaient à travers sa barbe blonde. Il leur adressa un regard désapprobateur en passant devant eux, la bouche pincée d'indignation.

Comment ces deux là peuvent-ils s'afficher ainsi devant tout le monde ? Comme si on ignorait ce qu'ils sont l'un pour l'autre ? Je me demande comment mon frère a pu oser inviter ces... ces deux folles ??? Il est décidément plus dérangé que je ne le pensais ! Comment donc la belle Candice peut-elle avoir des sentiments pour ce un tel dégénéré ???

Ses yeux se posèrent alors sur Terry, son bâtard de frère, et la jalousie s'empara de lui, rendant l'air irrespirable. Tandis qu'il l'observait en train de discuter, il surprit sa main, frôlant discrètement celle de Candy au moment où elle passait à côté de lui. Il perçut le regard éloquent qu'elle lui adressait en retour, le conviant à sa conquête : ce fugace échange qui ne laissait plus aucun doute sur l'immoralité de leur relation...

Tremblant de rage, il sentit le démon de la concupiscence pénétrer tout son être, et il lui fallut un long moment pour retrouver ses esprits, notamment grâce à un nouveau verre de whisky qu'il avait intercepté au passage d'un serviteur. Il entendit rire et tourna la tête dans la direction dudit bruit. C'était Candy, visiblement amusée par ce que venait de lui chuchoter à l'oreille son amoureux. Il serra le poing, livide, le regard fixé sur elle qui riait aux éclats. Comme elle était belle, et comme il la désirait !...

Quelqu'un s'approcha de lui, si près qu'il pouvait sentir son haleine contre son oreille. Il connaissait bien cette voix, si familière qu'elle pouvait deviner ce qui le tourmentait, et il fronça les sourcils d'agacement.

Tu devrais cesser de la dévorer ainsi des yeux, frérot, sinon tu risques de t'attirer des ennuis... - fit Sybille sur un ton moqueur.
Laisse-moi tranquille, veux-tu ? Je n'ai que faire de tes sarcasmes ! C'est un homme désespéré que tu as devant toi !

La jeune femme ricana en haussant les épaules, son visage ingrat dissimulé sous un éventail qu'elle tenait devant sa bouche dont les piques mordantes traversaient le papier avec la vigueur d'une flêche empoisonnée.

Comment peux-tu t'être amouraché de cette paysanne ? Elle n'a ni grâce ni élégance ! Tout juste bonne à faire passer le plateau de petits fours !
Ta mauvaise foi t'aveugle, soeurette ! Elle est juste sublime, une vraie déesse ! Et t'écouter la critiquer ainsi m'incite à penser que tu es juste jalouse d'elle !
Moi, jalouse ??? - s'écria la jeune aristocrate dans un grognement porcin.
Oui, jalouse comme toutes les femmes qui sont ici. Regarde un peu comme elles l'observent du coin de l'oeil en parlant à voix basse, usant de leurs petits commentaires acerbes sur son incomparable beauté. Elles la détaillent, l'examinent, cherchant un défaut qui n'existe pas... Elle est merveilleuse...
Si tu le dis... - soupira-t-elle - mais tout aussi « merveilleuse » qu'elle soit, tu devrais chercher une autre proie, car celle-ci, malgré toutes tes tentatives, n'a d'yeux que pour Terrence !

Sur ce, elle tourna les talons, abandonnant son frère à ses irréalistes pensées, lequel regarda s'éloigner son imposant postérieur en grommelant.

C'est ce que nous verrons, soeurette ! C'est bien ce que nous verrons...

****************



Le moment tant redouté finit par arriver... L'orage qui s’amoncelait au loin, comme attiré par les bruits de la fête, se manifesta d'abord par un grondement sourd et rauque. Puis, poussé par le vent, sa progression s'accéléra, obscurcissant le ciel et repoussant le soleil derrière d'épais nuages qui s'accumulèrent au dessus du château, menaçant d'éclater à tout moment. Aux premières gouttes, on invita tout le monde à rentrer à l'intérieur, les domestiques se précipitant avec des parapluies pour les protéger. En un rien de temps, une averse torrentielle s’abattit sur le jardin qui surprit deux retardataires, lesquels se réfugièrent précipitamment sous les tentes en attendant qu'on vienne les chercher. Le vent soufflait si fort que les tentes menaçaient de s'envoler, renversant les verres sur les tables et faisant voler les serviettes. Cookie, ledit retardataire, coincé sur place avec Lucille, devenait de plus en plus inquiet. Dans leur hâte pour rentrer, son fauteuil roulant s'était coincé, et ils avaient préféré retourner à leur abri plutôt que d'être trempés comme une soupe. Leur situation devenant de plus en plus incertaine, la jeune infirmière prit alors la décision de braver la pluie pour chercher main-forte.

- Je reviens au plus vite, monsieur Dicks ! Ne vous inquiétez pas ! - fit-elle en s'éloignant, maintenant d'une main ferme sa coiffe dont les longs pans fouettait son visage et entravait sa vue. Pénétrant toute dégoulinante dans le château, elle fut surprise par la sérénité des lieux. L'orchestre, réuni dans le grand salon, s'était remit à jouer et les invités avaient repris leurs conversations que l'orage avait interrompues pendant un instant. Déambulant comme une âme en peine, elle finit par croiser Candy, occupée à éviter son indésirable beau-frère qui la harcelait de ses regards pervers.

Mon dieu, Lucille ! Vous êtes trempée !!! - s'écria-t-elle, horrifiée – Mais où est monsieur Dicks ???
Il est resté sous la tente, madame. Son fauteuil est coincé. J'ai couru jusqu'ici pour chercher de l'aide. Cela secoue fort dehors !

La description de la jeune infirmière était loin d'être exagérée. Les gens s'étaient d’ailleurs éloignés des fenêtres, la pluie cinglant avec une telle violence les vitres qu'on craignait qu'elles se brisent.

Candy jeta un regard circulaire autour d'elle à la recherche de Carson ou d'un autre domestique. Mais l'ensemble du personnel était occupé à rapporter de quoi sécher les invités trempés. Il n'y avait plus alors de temps à perdre ! Elle aperçut Terry qui discutait avec un homme de petite taille, aux cheveux blancs et aux lunettes rondes. Tous deux semblaient bien se connaître car le jeune homme semblait très à l'aise avec lui.

- Excusez-moi de vous interrompre... - fit-elle en le prenant par le bras.
- Oh Candy ! Permets-moi de te présenter monsieur Davies, qui fut mon professeur de piano...
- Enchantée, monsieur... - répondit-elle tout en l'entraînant à l'écart, sans se préoccuper de l'impolitesse de son geste. Il y avait plus urgent pour le moment !
- Mais que se passe-t-il ? - s'écria Terry, surpris par son étrange attitude.
- Cookie est à l'extérieur ! Son fauteuil est bloqué et il ne peut pas rentrer !
- A l'extérieur ? Sous cette pluie battante ??? Pauvre diable !!! Dépêchons-nous !

Sans plus attendre, ils se précipitèrent dehors et poussèrent un cri d'effroi. Le vent avait déchiré le toit de la tente et laissait passer l'eau qui se déversait à seaux sur le pauvre Cookie, étendu sur le sol, son fauteuil renversé à côté de lui.

- J'ai voulu essayer de me lever... - gémit-il alors que Terry, parvenu auprès de lui, le soulevait en ahanant. Carson, alerté à son tour par Lucille les avait rejoints, et de ses deux bras vigoureux, aida son maître à installer le jeune infirme dans son fauteuil, lequel ne put retenir un cri de douleur.
- Tu as dû aggraver tes blessures en tombant mon pauvre Cookie... - lui dit Candy en passant une main affectueuse sur son front - Tiens bon, nous serons à l'abri dans quelques secondes.

Réunissant toutes leurs forces, ils entreprirent le déplacement de leur bringuebalant chargement vers château, non sans essuyer une nouvelle rafale de pluie qui manqua de les déséquilibrer. Enfin, après moult efforts, ils parvinrent à destination, épuisés et trempés jusqu'aux os. Leur irruption dans le grand salon, maculés de boue, ne passa pas inaperçue...

- Dieu du ciel, mais que vous est-il arrivé ???

C'était Béatrix Grandchester, trainant à sa suite sa fouine de fille, qui les interpellait. L'ensemble des invités était dirigé vers eux, un air interrogatif mêlé d'incompréhension sur leur visage. Terry baissa les yeux sur lui et réalisa l'apparence misérable qu'il offrait à la vue de tous. Ses habits tout ruisselant trempaient le tapis, créant une auréole autour de ses pieds. Candy de son côté n'était pas en reste. Elle était toute décoiffée et sa jolie robe maculée de terre. On aurait dit qu'ils s'étaient tous deux trainés dans la boue.

- Monsieur Dicks était bloqué dehors sous la pluie... - soupira Terry, avec agacement – Comme les domestiques étaient occupés avec les invités, nous avons, Candy et moi, préféré agir sans attendre !
- Pffff ! Le résultat est à la hauteur de vos prétentions ! Vous êtes-vous regardés ? Vous n'êtes pas beaux à voir ainsi crottés, croyez-moi ! - fit remarquer Sybille, de sa voix sifflante.
- Il est vrai qu'à l'abri entre ces murs, vous ne preniez aucun risque ma chère sœur, à moins que le toit ne s'effondre sur vous et soulage mes pauvres oreilles en fermant pour un moment votre clapet, ce qui ne restera qu'un rêve et un vœu inexaucé pour moi !...

Sybille pinça ses lèvres de rage ce qui eut pour effet de gonfler ses joues rougeâtres et enfoncer un peu plus ses yeux sournois. Elle se tourna vers sa mère, qui, pour éviter le scandale, lui fit signe d'un discret geste de la main, de se calmer.

- Bien!... Il vous faudra revoir l'organisation de votre équipe, Carson ! - s'écria cette dernière en jetant un regard oblique à son maître d'hôtel, lequel bredouilla des mots d'excuse en baissant les yeux – Il est anormal que ce soit le fils du Duc qui soit obligé de faire votre travail !!! Allons, allons, activez-vous bon sang ! Ramenez tout ça à sa chambre (elle avait montré Cookie d'une main dédaigneuse en disant cela). Il nous a causé assez de problèmes comme cela ! … Quant à vous deux, Terrence et Candice, je vous serais très obligée de bien vouloir changer de tenue et de rejoindre vos invités au plus vite. Cette plaisanterie n'a que trop duré !

Puis elle tourna les talon, la moue méprisante, tout en intimant d'un signe de la tête à sa fille de la suivre, laquelle s'exécuta non sans lancer un large sourire moqueur à son frère qui venait de se faire réprimander comme un mal propre devant tout le monde ! Dieu qu'il détestait cette famille !!!

- Si tu le souhaites – fit-il, sur le ton du désespoir, en prenant la main glacée de Candy – nous quittons cette maison dans la seconde ! Je ferai ce que tu veux !
- Nous ne pouvons pas faire cet subir affront à ton père après tous les efforts qu'il a déployés pour organiser nos fiançailles. Nous lui devons bien cela… - répondit-elle d'une voix douce – Oublie Béatrix et oublie ta sœur. Elles ne seront bientôt plus que de lointains souvenirs…
- Tout paraît si simple quand on t'écoute. Mais j'aimerais tant pouvoir leur rendre la monnaie de leur pièce !

Il avait dit cela en dressant son poing qu'elle retint instinctivement en se pressant contre lui.

- Tsssss ! Tsssss! Calme-toi, on nous regarde. Ce n'est pas le moment de faire un scandale ! Cela se retournerait contre toi. Allons nous changer et retrouvons-nous ici dans quelques minutes.
- Tu as raison… - fit-il d'une voix lasse – Tu as toujours raison…

Sur ce, ils se dirigèrent vers l'étage. En chemin, il s'arrêta devant Mrs Hughes et il demanda d'appeler leur docteur de famille pour qu'il se rende au chevet de Cookie.

- Je voudrais m'assurer que mon ami va bien.
- Ne vous en faîtes pas My Lord, nous allons bien nous occuper de lui. Voulez-vous que je vous envoie un domestique pour vous aider à vous changer ?
- Cela ne sera pas utile, Mrs Hughes. C'est une habitude que j'ai perdue depuis longtemps et qui ne me manque point, je dois bien vous l'avouer.

Mrs Hughes esquissa un sourire complice puis prit la direction de son bureau tandis que Terry reprenait le chemin de sa chambre. Il poussa la porte et s'assit sur le rebord du lit pour un moment de répit. Puis après quelques longs soupirs de résignation, il alla dans la salle de bain. Il se regarda dans le miroir et constatant le désastre prit la décision de se doucher. L'eau chaude ruisselait sur ses muscles transis de froid et réchauffait peu à peu son corps. Il aurait aimé rester plus longtemps sous le jet mais il devait se hâter, ses hôtes l'attendant assurément avec impatience. Il se sécha brièvement, puis ouvrit son armoire où un costume plus traditionnel l'attendait.

- Qu'est ce que je fais ici ? – se demandait-il en achevant de nouer son nœud de cravate – Que ne donnerais-je pas pour être à New-York loin de tous ces abrutis ???

Il commençait à avoir de plus en plus le mal du pays, et sa belle-famille, à vrai dire, ne l'aidait pas à se sentir mieux. Comme il était impatient de repartir d'ici !!! Candy et lui avaient prévu de s'en aller dans trois jours, mais le comportement de sa belle-mère, les remarques désobligeantes de sa sœur, et les regards lubriques de son frère sur sa fiancée, l'avaient convaincu qu'ils devaient partir, sinon fuir au plus tôt ces lieux devenus insupportables pour lui. Il avait bien entendu remarqué le comportement suspect de Rodolphe envers Candy. Maintes fois il avait voulu lui faire comprendre, à sa manière, qu'il devait cesser toute approche, mais à chaque fois Candy lui avait intimé de se tenir à l'écart, devinant la tournure que les évènements prendraient à la moindre provocation de son crétin de frère. Encore une fois, elle le protégeait de ses réactions qui pouvaient devenir terribles si la colère s'emparait de lui. Et quand il s'agissait de son frère, la moutarde lui montait rapidement au nez tant il le haïssait.

C'était décidé ! Ils n'attendraient pas trois jours pour partir. Ils partiraient le lendemain… pour ne plus jamais revenir…

Il réajusta une dernière fois son nœud de cravate puis ouvrit la porte. Il pouvait entendre la douce musique de l'orchestre en provenance du grand salon. Une valse… Il avait hâte d'en danser une avec Candy qui devait l'attendre patiemment en bas…

Il s'approcha de l'escalier et s'apprêtait à descendre les marches quand un cri perçant, gorgé de terreur résonna dans le tout château. Un cri si fort et si épouvantable qu'on l'entendit jusque dans la salle de bal, faisant s'interrompre l'orchestre dans son élan. Le cœur de Terry bondit dans sa poitrine, si violemment qu'il en eut le souffle coupé. Il n'avait jamais entendu un tel hurlement, si horrible, si effroyable qu'il vous glaçait le sang, mais il savait, au plus profond de lui même, de qu'elle gorge il avait été poussé, et il courut, fou d'angoisse, en direction de la chambre de Candy…

Fin du chapitre 19

 
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view post Posted on 15/9/2017, 18:53
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Chapitre 20



Candy était frigorifiée et elle pressa le pas en direction de sa chambre. Par dessus la rampe de l'escalier, elle aperçut Terry en grande conversation avec Mrs Hughes, et comprit qu'il lui parlait de Cookie. L'esclandre provoqué précédemment par la duchesse de Grandchester avait précipité les choses et éloigné en un clin d'œil leur pauvre ami. Ce n'était pas tant le bain forcé qu'il avait subi qui l'inquiétait, mais sa chute quand il avait essayé de se lever de son fauteuil.

- Se mettre debout avec une fracture au tibia, on n'a pas idée, quand même ! – se dit-elle en secouant la tête.

Cookie venait de leur prouver une nouvelle fois combien il était casse-cou ! Souffrant chaque jour un peu moins de ses blessures grâce aux soins attentifs de la jolie Lucille, elle le soupçonnait de s'être senti pousser des ailes, ailes qui s'étaient royalement brisées sur le sol mouillé des Grandchester ! Avec un peu de chance, il s'en sortirait avec quelques ecchymoses, c'était du moins tout le mal qu'elle lui souhaitait. De toute façon, elle avait prévu de passer le voir avant de retrouver les invités. Elle n'aurait pas l'esprit tranquille tant qu'elle n'en saurait pas plus sur son état.

Elle tourna la poignée de la porte et entra dans sa chambre déjà plongée dans la pénombre. Quelques minutes de tranquillité après une journée aussi animée ne lui ferait pas de mal !… Sa robe humide lui collait à la peau et elle s'empressa de faire rouler chaque bretelle de par et d'autre de ses épaules. La robe retomba à ses pieds, la laissant en sous-vêtements. Le vent soufflait par rafales contre la fenêtre et elle frissonna. Elle se dirigea vers la salle de bain et tourna l'interrupteur. La lampe au-dessus d'elle grésilla, éclairant la pièce de lueurs intermittentes au rythme des soupirs gémissant du vent qui s'insinuait sous les plinthes malgré l'épaisseur des murs.

Elle perçut soudain le cliquetis dans la serrure de la porte de sa chambre. Ce devait être la bonne qui venait lui préparer sa nouvelle tenue… Rassurée, elle tira sur le rideau de douche et s'apprêtait à se dévêtir complètement quand deux mains caressantes se posèrent sur sa taille, l'attirant en arrière.

- Terry ! – fit-elle en gloussant de surprise – Voyons, ce n'est pas le moment…

Pour toute réponse, des lèvres effleurèrent ses épaules puis se collèrent goulument sur sa peau. Elle gémit, basculant la tête en arrière, mais se raidit tout aussitôt à l'odeur d'alcool reconnaissable entre toutes qui pénétra ses narines, cette odeur qu'elle avait subie toute l'après-midi à chaque approche de… Rodolphe !!! Elle se retourna vivement en reculant, horrifiée, son corps tremblant butant contre le rebord de la baignoire.

- Rodolphe !!! Que… Que faîtes-vous ici ??? – fit-elle d'une voix blanche.

Il se tenait devant elle, les yeux avides, le souffle haletant.

- Tu m'as aguiché toute la journée, coquine, avec tes clins d'œil et tes sourires…
- Mais jamais de la vie !!! Comment pouvez-vous penser cela ??? Vous avez perdu la tête ???
- En effet, je l'ai perdue ! – s'écria-t-il en la saisissant par les épaules – Tu me rends fou ! Et je sais que toi aussi tu me désires autant que je te désire, n'est-ce pas ?…
- Mais laissez-moi !!! Au secours, Terryyyyy !!! – hurla-t-elle en se débattant. Mais elle réalisa rapidement que Terry ni personne d'autre ne pouvait l'entendre avec ce vent assourdissant qui secouait tout le château. Son cœur battait à tout rompre ! Elle avait si peur que ses membres se tétanisaient et perdaient en vigueur. Elle était à sa merci, dans cet espace exiguë qui ne lui laissait aucune possibilité de fuite !

Rodolphe s'empara vivement d'elle et la plaqua contre lui, cherchant sa bouche, son haleine imprégnée de whisky se répandant sur son visage. Ses mains puissantes emprisonnaient les siennes. Il était fort, bien plus fort que ce qu'elle aurait imaginé ! Tandis qu'il l'enserrait d'un bras ferme, il parcourait de l'autre main chaque partie de son corps, s'écrasant sur elles avec empressement tout en poussant des petits cris d'excitation. Elle était terrorisée ! Puis il saisit son visage et força sa bouche, sa langue râpeuse cherchant la sienne pour déborder sur ses joues en laissant un filet de salive visqueuse. Elle hurla mais son cri mourut aussitôt sur les lèvres goulues de son agresseur, l'étouffant à demi. Il s'écarta enfin en soupirant de satisfaction. Elle pencha la tête sur le côté, suffocante, sentant la nausée monter dans sa gorge et l'amertume de la bile envahir sa bouche. Elle leva les yeux et vit qu'il lui souriait d'un de ces sourires fiers et comblés qu'elle avait bien souvent vus se dessiner sur le visage d'un autre jeune homme, dont les traits, bien que différents, paraissaient soudainement si comparables : Daniel !… En l'espace d'une seconde, elle se revit dans ce vieux manoir avec lui qui lui barrait le passage, et ce sentiment de danger, de violence qu'elle s'apprêtait à vivre. Elle s'en était échappée, épouvantée et incapable par la suite d'en parler à qui que ce soit. Seuls Albert puis Terry avait été mis dans la confidence mais elle en avait édulcoré le récit pour ne pas les affoler. C'était une blessure intime qu'elle ne se sentait pas le courage de partager…

Rodolphe resserra alors son étreinte, sa main moite poursuivant la découverte de son corps pétrifié d'effroi.

- Tu es à moi à présent ! – haleta-t-il à son oreille tout en cherchant un chemin entre ses cuisses – Tu vas voir ce que c'est qu'un homme, un vrai !

Elle écarquilla les yeux d'horreur, se débattant de plus belle. Elle ne voulait pas, elle ne voulait pas finir ainsi, violée sur ce carrelage glacial ! Il fallait qu'elle se sauve de cet endroit coûte que coûte ! Soudain, mue par la force du désespoir, elle parvint à se dégager et prenant appui sur le bord de la baignoire, elle lui assena dans les parties un coup violent dont la rage avait décuplé la force. Il se redressa en hurlant de douleur, plongeant ses mains sur son entrejambe. Profitant de son inattention, elle passa derrière lui et le poussa dans la baignoire, entraînant dans sa chute le rideau de douche qui le recouvrit tout entier. Sans plus attendre, elle s'empressa de quitter la salle de bain mais buta dans sa course contre le lavabo et se cogna la hanche douloureusement. Un peu sonnée, elle poursuivit néanmoins sa fuite et courut vers la porte de sa chambre, mais elle avait beau tourner la poignée, celle-ci restait résolument fermée !!!

- Vas-tu t'ouvrir saleté de porte ???? – gémissait-elle en secouant désespérément la poignée.
- C'est cela que tu cherches, ma jolie ?

Elle sursauta et tournant la tête, elle vit Rodolphe qui s'approchait d'elle, une clé sautillant dans la paume de sa main. Horrifiée, elle fixait cette clé, son seul sésame vers la liberté, vers la sécurité, et c'était lui, ce monstre, qui la détenait ! Cela ne pouvait pas finir ainsi ! Non, jamais elle se laisserait faire !

Rassemblant ses dernières forces, elle se rua sur lui. Surpris, il bascula en arrière, lachant la clé qui roula au pied du lit. Elle s'en saisit et se précipita sur la serrure. Sa main tremblait, manquant à plusieurs reprises le trou. Enfin, la clé tourna dans la serrure et la porte s'ouvrit ! Le soulagement emplit son cœur et elle s'élança vers l'extérieur, mais au même moment, une main vigoureuse la retint, déchirant en partie sa combinaison ! Elle se cramponnait à la poignée comme une désespéré ! La porte allait se refermer sur elle et elle serait prise au piège !

Alors, dans un dernier sursaut, elle s'agrippa à l'encadrement de la porte, et gonflant sa poitrine, elle hurla ! Elle hurla à pleins poumons avec toute la force de la terreur et de la détresse! C'était un cri inhumain, ce genre de cri que l'on pousse quand on ne veut pas mourir…

Ensuite, telle une vulgaire poupée de chiffons, elle se sentit catapultée vers l'intérieur. Rodolphe l'avait tirée en arrière si violemment et avec une telle fureur qu'elle trébucha et sa tête buta contre le lit. Son crâne lui faisait horriblement mal et elle sentit qu'on la jetait par terre. Elle entrouvrit les yeux et vit son bourreau penché au dessus d'elle.

- Tu voulais t'échapper, sale garce, hein ! Tu vas voir ce que tu vas voir !!! – s'écria ce dernier en déboutonnant son pantalon.

Elle secoua la tête dans tous les sens, essayant de le repousser de ses mains qu'il empoigna avec force.

- Cesse donc de gigoter !!! – s'écria-t-il tout en la maintenant collée au sol. Mais comme elle résistait, il lui flanqua du revers de la main une gifle à toute volée, la laissant à demi étourdie de douleur. Puis serrant un peu plus fort son bras, il lui murmura à l'oreille – Si tu n'arrêtes pas de bouger, je te casse le bras. Compris ?

Son regard de fou fixait le sien et elle comprit qu'il n'hésiterait pas à exécuter sa menace. Terrorisée, elle opina d'un battement de paupières, et serra les dents en gémissant tandis qu'il s'allongeait sur elle et se frayait un passage entre ses cuisses avec des grognements d'animal. Elle voulait hurler mais sa bouche restait muette, paralysée par la peur. L'air lui manquait tant il pesait de tout son poids sur elle. Ses mains répugnantes glissèrent sur ses fesses et d'un coup sec, il arracha le lien qui retenait son panty. Elle gémit d'horreur, serrant les paupières de dégout. Il la saisit par le menton, l'obligeant à le regarder.

- Tu fais moins la maline, ma belle, hein ? Ne te fais pas d'illusions ! Personne ne va venir à ton secours ! Ils sont tous en bas en train de boire et de danser. Tu es à moi, à moi seul !...

Elle tendit le cou de répulsion, cherchant des yeux un quelconque objet dans la pièce qui pourrait l'aider à repousser cet être immonde qui l'immobilisait et s'apprêtait à la violer ! Toute à sa lutte, elle aperçut du coin de l'oeil une de ses chaussures qu'elle avait enlevées en rentrant dans la chambre. Une jolie chaussure avec un talon bobine bien solide… Elle était à portée de main… si elle parvenait à tendre le bras ! Par chance, Rodolphe s'écarta légèrement à ce moment là pour fouiller dans son pantalon à la recherche de son attribut, qui à l'évidence avait bien des difficultés se manifester… Profitant de cette seconde de répit, elle dégagea son bras, se saisit de la chaussure et le frappa au visage aussi fort que son corps entravé le lui permettait. Il se redressa immédiatement en hurlant de douleur et tomba à la renverse, la main plaquée son oeil. Libérée, Candy bondit comme un ressort, serrant toujours aussi fort la chaussure dans sa main. Son agresseur geignait, couché sur le sol. Du sang coulait de son visage. Elle le fixait, pétrifiée, incapable de faire le moindre mouvement. L'homme blessé qui lui barrait le chemin semblait inoffensif à présent, mais il fallait le contourner et risquer qu'il la capture de nouveau. Il fallait faire vite avant qu'il ne se ressaisisse !

Rassemblant tout son courage, la jeune blonde fit un pas, puis un autre tout en le suivant avec méfiance du regard, lequel continuait à geindre, son visage dans ses mains. C'était le moment ou jamais ! Bandant ses muscles, elle bondit avec un cri plaintif au dessus de ce corps qui restait immobile, indifférent à sa présence, mais au moment où son pied touchait le sol, elle sentit une main qui s'agrippait à sa cheville et elle bascula en avant, s'écroulant de tout son poids sur le tapis. Emergeant de sa torpeur, elle releva la tête et aperçut Rodolphe, derrière elle, qui s'approchait en rampant.

- Où vas-tu comme cela ma jolie ? – fit-il, un sourire carnassier déformant son visage. De son œil blessé perlaient des larmes de sang. Il ressemblait à ces hideuses créatures décrites dans les livres d'épouvante ! Sa progression se faisait lente mais constante. Déjà sa main remontait sur son mollet. Le scenario horrible qu'il venait de lui faire subir était en train de se répéter !… Et elle ne voulait plus revivre cela. Plus jamais !

D'un mouvement vif, elle se retourna, obligeant Rodolphe à lâcher prise, et en appui sur ses coudes, elle l'affronta. La surprise se lut l'espace d'une seconde sur le visage de ce dernier. Ce n'était plus la peur qu'il lisait dans son regard mais la colère et la détermination ! Sans lui laisser le temps de réfléchir plus longtemps sur son compte, elle lui assena un grand coup de pied qu'il reçut en pleine mâchoire, le faisant basculer sur le côté. Puis il en reçut un autre tout aussi violent au nez avec un bruit d'os qui se brisent et cette douleur insupportable qui lui arracha un cri. Profitant de son étourdissement, elle se rua alors sur lui en hurlant rage, le matraquant de ses poings, le frappant, le griffant avec toute la furie que sa peur avait engendrée. Déstabilisé, il essayait de se protéger de ses bras, incapable de maîtriser cette folle furieuse qui le cognait avec une force incroyable. Elle allait le tuer, à coup sûr !

Soudain, les coups cessèrent et il rouvrit les yeux. De son œil valide, il aperçut le visage blême de Terry, et un frisson d'angoisse le parcourut. Il se dit que si ce n'était pas elle qui allait le tuer, ce serait lui car la façon dont il le regardait ne présageait rien de bon pour lui. Il se sentit soulevé de terre et trainé par les cheveux sur plusieurs mètres. Puis les coups redoublèrent avec une telle intensité qu'il pensa que son compte était bon, qu'il allait mourir comme un misérable dans cette chambre. Chaque coup assené le faisait chaque fois un peu plus sombrer dans l'inconscience, il n'avait plus la force de se défendre, ni même de demander grâce.

- Je t'en supplie, Terry, arrête ! – crut-il entendre soudain dans une semi-conscience. C'était la voix de Candy – Je t'en supplie, arrête, tu vas le tuer !!!
- C'est bien ce que j'ai l'intention de faire ! Allons, salopard, lève-toi et bats-toi !!!
- Tu vois bien qu'il en est incapable ! Il a eu son compte crois-moi. Laisse-le, je t'en supplie !...

A bout de souffle, Terry se releva. Ses mains étaient recouvertes d'un sang qui n'était pas le sien… Candy passa son bras autour du sien et leva des yeux remplis de larmes vers lui. Elle tremblait…

- C'est fini… - dit-elle en posant sa tête contre son épaule – C'est fini…

Puis elle regarda Rodolphe et frissonna de dégoût devant le spectacle pitoyable qu'il lui renvoyait. Cet être odieux, ce lâche qui l'avait attaquée par surprise s'était changé en une pauvre chose misérable, ridicule avec son pantalon saucissonné sur les chevilles. Il était vraiment grotesque !

- Terrence, Candice ?!!! – s'écria une voix masculine. Le Duc de Grandchester venait de faire irruption dans la chambre. Il avait le visage livide, comme vidé de ses couleurs. Il comprenait ce qu'il venait de se passer… Il posa un regard glacial sur son fils, couché par terre et gémissant, puis se tourna vers Candy, réfugiée dans les bras de Terry.

- Vous… Vous allez bien, Candice ? – demanda-t-il d'une voix hésitante, ébranlé par le choc de ce qu'il venait de découvrir.
- Oui… - fit-elle en opinant du chef – Je vais bien. Ne vous inquiétez pas…

Il soupira tristement et esquissa un geste affectueux vers elle, geste interrompu dans son élan par les hurlements hystériques de sa femme.

- Mon dieu, Rodolphe, que lui est-il arrivé ??? – s'écria-t-elle en se précipitant vers son illustre fils, dont la tête avait triplé de volume. Elle s'assit à côté de lui et l'installa entre ses genoux, le caressant comme il eut été d'un enfant – Là, là, mon chéri. Tout va bien. Je suis là…

Son regard se promena autour d'elle, puis s'arrêta sur Candy et Terry qui la fixaient sans rien dire. Leurs vêtements déchirés et leurs blessures au visage témoignaient de la violence qui s'était déchainée dans la pièce. Le menton tremblant d'émotion, elle caressa de plus belle son fils qui gémissait entre ses bras. Soudain, elle se tourna vers eux et ouvrit la bouche, s'arquant tel un cobra sur le point de cracher.

- Quel piège lui avez-vous tendu, petite aguicheuse, hein ?!!!! Vous n'allez pas vous en sortir comme ça ! Je vais vous faire jeter en prison tous les deux et vous n'en sortirez pas avant longtemps ! Vous n'êtes que des criminels, des…
- Suffit, madame !!! Un seul mot de plus et je vous chasse de cette maison pour n'y plus revenir !!! Votre aveuglement n'est qu'une insulte de plus à notre famille ! Votre fils, par son comportement inqualifiable vient de l'entacher de façon irrémédiable, un déshonneur impardonnable qui nous poursuivra de génération en génération !
- Ce fils que vous blâmez tant est aussi le votre, je vous le rappelle !
- Il l'est, à mon grand regret et pour notre plus grand malheur… - soupira-t-il – Je ne puis ignorer les liens du sang, mais je peux toujours ignorer jusqu'à son existence…

L'incompréhension se lisait sur le visage de Beatrix.

- Que voulez-vous dire, Richard ?

Pour toute réponse, le Duc s'approcha de son fils.

- Rodolphe ! – dit-il d'une voix impérieuse et glacée - Vous quitterez ce château dès ce soir et n'y reviendrez plus jamais ! Je vous retire tous vos titres et tous vos biens. Vous n'êtes plus noble, vous n'êtes qu'un moins que rien. Je vais faire envoyer jusqu'à la moindre de vos affaires à vos appartements de Londres. Je veux que ces lieux soient vidés de votre présence d'ici demain où vous prendrez le bateau pour Canberra en Australie. Je ne veux plus jamais entendre parler de vous ! Je veux oublier jusqu'à votre existence !
- Mon dieu, Richard, vous n'y pensez-pas ??? Que va-t-il devenir ?
- Veuillez bien croire, madame, que je m'en fiche comme d'une guigne !
- Richard, pour l'amour du ciel, ayez pitié !!! Ne faites pas cela, c'est notre fils !!!

Elle s'était jetée à ses pieds en sanglotant, les mains agrippées au bas de son pantalon.

- Ma décision est prise, madame, et je n'y reviendrai pas dessus. Soyez heureuse que je ne contacte pas la police ! Vous êtes libre de le suivre si vous le souhaitez. Je ne vous retiendrai pas !…

Puis, il se tourna vers Terry et lui dit d'une voix lasse.

- Amène Candy le plus discrètement possible dans ta chambre. Changez-vous et quittez le château au plus vite ! Cette famille vous a fait suffisamment de mal…
- Mais, père !...
- Ne t'inquiète pas. Je vais rejoindre nos invités et prétendre que tout va bien. Je peux être très bon comédien moi aussi quand je le veux… - avait-il ajouté avec un triste sourire. Il posa une main réconfortante sur l'épaule de son fils puis quitta la pièce, sans un regard pour Beatrix ou Rodolphe.

Cette fois, Terry obéit à son père et conduisit Candy à sa chambre. Une domestique, certainement envoyée par le Duc, les rejoignit peu de temps après avec une nouvelle toilette pour Candy. Tandis que celle-ci se changeait dans la salle de bain, Terry écrivit un message à l'attention de John et demanda à la servante de le lui remettre. Quelques minutes plus tard, ils rejoignaient ce dernier qui les attendait avec sa voiture dans la cour. Le jeune couple s'engouffra dans le véhicule qui s'éloigna à vive allure en direction du domicile de leurs amis, bienveillant refuge pour leurs âmes meurtries…

Fin de la première partie



Edited by Leia - 22/9/2017, 09:55
 
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Chapitre 21



Assis dans la pénombre sur un fauteuil à côté du lit, les yeux rougis par le manque de sommeil, il l'avait regardée dormir tout au long de la nuit. Il redressa la tête et aperçut par la fenêtre les lueurs rosées de l'aube naissante. C'était déjà le matin. Il avait perdu la notion du temps tant son esprit peinait à s'apaiser.

Quand ils étaient arrivés dans l'appartement de John, Candy avait immédiatement demandé à aller se coucher et s'était écroulée comme une masse sur le lit. Terry lui avait ôté ses chaussures, l'avait recouverte d'une couverture, et s'était assis à côté d'elle pour ne plus bouger, se contentant, à la lueur pâle d'une lampe de chevet, de l'observer dans son sommeil, guettant le moindre froncement de sourcil ou plissement du front.

Pensif, les coudes en appui sur les genoux, les mains jointes devant sa bouche, il soupira de découragement face à son incapacité à chasser les terribles images qui repassaient en boucle dans son esprit depuis l'insoutenable scène à laquelle il avait assisté au château.

En entrant dans la chambre, il avait tout d'abord poussé un soupir de soulagement en la découvrant vivante tant il avait craint le pire pendant qu'il courrait à sa rescousse. Elle était vivante, pour sûr, mais aussi à moitié dévêtue et toute échevelée, et pendant quelques secondes, il s'était trouvé incapable de réagir, trop choqué par ce qui se déroulait sous ses yeux. Son frère se tenait roulé en chien de fusil sur le sol, essayant tant bien que mal de se protéger tandis qu'elle le frappait de ses poings et de ses pieds avec des cris étranglés de rage. Pourtant, avec sa haute stature, Rodolphe aurait pu d'un seul geste la repousser, mais il semblait terrorisé par la fureur qui émanait d'elle, saisissant contraste avec son petit corps frêle qui, sans aucune pitié, s'acharnait sur lui. C'était quand elle s'était dirigée vers la cheminée et qu'elle avait saisi l'énorme chandelier qui trônait sur le manteau, que Terry s'était précipité vers elle pour la retenir. Elle avait levé la tête de surprise et ce qu'il avait lu alors dans ses yeux l'avait horrifié : un regard fou, empreint de colère mais aussi de terreur et de dégoût.

- Dieu du ciel ! - avait-il gémi en la prenant dans ses bras - Que t'a-t-il fait ? Que t'a-t-il fait ????

Il l'avait serrée fort contre lui, bredouillant à son oreille des mots qui se voulaient rassurants, mais emportée dans sa confusion, elle ne l'avait pas entendu et s'était débattue en geignant comme une bête apeurée. Finalement, sa voix, cette voix tendre et grave qu'elle chérissait tant, était parvenue à franchir les barrières de son esprit tourmenté, et elle s'était effondrée dans ses bras en sanglotant.

- Tu n'as rien ? Dis-moi que tu n'as rien ! - lui avait-il demandé, la voix brisée, tout en palpant ses épaules, ses bras, ses mains.

- Je... Je n'ai rien... - avait-elle répondu en hoquetant. Il lui semblait qu'elle émergeait d'un cauchemar. Mais cette fois, le monstre de ses rêves gisait à ses pieds, terrassé, et elle en éprouvait une véritable délivrance. Plus jamais, plus jamais elle ne laisserait quelqu'un poser ses mains ainsi sur elle !

Le bruit d'un frottement sur le sol avait alors interpellé Terry qui s'était retourné et avait aperçu son frère, qui, profitant de leur effusion, s'était redressé et avait entrepris de leur fausser compagnie. Ne pouvant plus refréner plus longuement l'envie furieuse de lui régler son compte, il s'était jeté sur lui et l'avait secoué sans aucun ménagement.

- Tu vas le payer, fumier !!!! - avait-il hurlé en le tirant par les cheveux, le déplaçant ainsi sur plusieurs mètres, sans aucune compassion pour ses cris de douleur. Puis sa furie s'était abattue sur lui, froidement, sans aucun mot, juste des coups. Il était dans un tel état second, qu'il était incapable à présent de se souvenir exactement du traitement qu'il lui avait infligé, ni du temps que cela avait duré. Il se rappelait seulement les supplications de Candy pour qu'il arrête de cogner sur ce pauvre diable qui ne représentait plus rien d'humain à ses yeux. Il n'avait alors qu'une idée en tête : éliminer cette vermine pour qu'elle ne fasse plus jamais de mal à la femme qu'il aimait ! Il l'aurait certainement tué si elle n'était pas parvenue à le ramener à la raison. Grâce à elle, il n'était pas devenu un assassin, mais il conservait ce goût d'inachevé qui l'empêchait d'être délivré de la culpabilité de n'avoir pas été là quand il le fallait. Il savait que désormais il ne pourrait s'empêcher de craindre pour elle à tout moment et cela l'angoissait terriblement.

Comment n'ai-je rien soupçonné de ce qu'il avait en tête... ? - n'avait-il de cesse de se demander. Il s'en voulait terriblement d'avoir sous-estimé son frère, ce frère qu'il n'avait pas vu depuis des années et dont il ignorait tout. La dernière fois qu'ils s'étaient vus, il n'était qu'un jeune adolescent prétentieux et méprisant, dont le regard fourbe aurait dû l'alerter sur les démons intérieurs qui l'animaient déjà. Il le savait stupide et cruel, mais jamais il n'aurait imaginé qu'il puisse se comporter ainsi. Et pourtant, il semblait bien que ce n'était pas la première fois qu'il se montrait violent avec une femme car, alors que Candy et lui s'enfuyaient par les cuisines pour rejoindre John et son compagnon qui les attendaient dehors, il avait surpris une des domestiques dire à une autre :

- J'espère que nous n'entendrons plus jamais parler de monsieur Rodolphe ! Il a fallu qu'il s'attaque à mademoiselle Candy pour qu'enfin le maître réagisse ! Pourtant, ce n'est pas faute de l'avoir alerté sur la brutalité de son fils. Combien de fois n'avons-nous pas failli tomber dans les pièges qu'il nous tendait, combien de fois n'avons nous pas manqué d'être frappées ou violées ??? Je ne devrais pas dire ça mais c'est une bonne chose qu'il ait tenté de violenter mademoiselle Candy, sinon ce monstre aurait continué à faire ce qu'il voulait de nous !

A ces mots, Terry avait stoppé net devant elles. Les deux jeunes femmes avaient sursauté, paralysées de peur en réalisant qu'il les avait entendues.

- Ex... Excusez-moi My Lord, je ne voulais pas, je ne pensais pas... - avait bredouillé l'une d'elles en tremblant tandis que le regard glacial de ce dernier passait attentivement de l'une à l'autre. Elles allaient être renvoyées, c'était sûr ! Contre toute attente, son regard s'était adouci et il s'était adressé à elles en se courbant respectueusement.

- Veuillez excuser ma famille, et plus particulièrement mon frère pour tout ce qu'il vous a fait subir, mesdemoiselles. Je ne peux imaginer l'enfer que vous avez vécu en sa compagnie. Je puis vous promettre qu'il ne vous importunera plus désormais car je veillerai personnellement à ce qu'il ne ne vienne plus jamais souiller ces lieux de sa présence.

Les yeux ronds de stupéfaction, les deux jeunes femmes, pour toute réponse, avaient opiné de la tête. Elle s'attendaient à être renvoyées et recevaient en retour les excuses du jeune Duc ! Cette soirée là resterait gravée dans leur mémoire à tout jamais... et dans les esprits de tous !...

Ainsi, le caractère violent et pervers de Rodolphe n'était qu'un secret de Polichinelle... Comment son père avait-il pu rester sourd aux plaintes de son personnel ? Par son inaction, il avait laissé son frère croire qu'il pouvait tout se permettre et que rien ne pouvait lui arriver en retour. Combien de femmes avait-il agressé sous couvert de la « bénédiction » familiale ? Décidément, cette famille lui soulevait le coeur et il était plus qu'heureux de la quitter !

Des coups discrets à la porte l'interrompirent dans ses pensées et il tourna la tête. John se tenait dans l'entrebâillement, une tasse de thé à la main.

- Humphrey a préparé du thé. Tu viens nous rejoindre au salon ?

Le regard de Terry se promena de Candy à John avec hésitation.

- Elle est en sécurité ici... - lui dit ce dernier d'une voix rassurante - Allons, viens avec nous, cela te changera les idées plutôt que de rester dans cette chambre à te morfondre.

John avait raison. Candy dormait paisiblement et il n'y avait pas lieu de s'inquiéter. De toute façon, il ne serait pas très loin d'elle, à quelques mètres tout au plus...

Rassuré, il accepta d'un signe de tête la proposition de John et se leva, non sans laisser la porte entrouverte pour plus de tranquillité. Ainsi, il pourrait l'entendre si elle venait à se réveiller...

L'appartement de John et Humphrey était situé dans un des quartiers les plus huppés de Londres, non loin de la galerie d'art que possédait Humphrey. Les œuvres de John y étaient exposées mais aussi nombre d'autres jeunes talents, comme un certain Christian Blake, dont les magnifiques nus commençaient à faire de l'ombre au frère de cœur de Candy. Contre toute attente, cette concurrence, loin de le démoraliser, stimulait le jeune artiste qui voyait dans cette rivalité une motivation nouvelle.

- J'ai connu le succès très vite - expliquait John à Terry alors qu'il contemplait une de ses œuvres - Et ce n'est pas très bon pour un artiste, surtout si jeune. J'ai rapidement cru que j'étais arrivé au sommet et que rien ne pourrait m'en faire redescendre. Heureusement que des petits nouveaux comme Blake m'ont ramené à la réalité sinon je ne me serais jamais remis en question et je serais vite devenu un peintre démodé. Je soupçonne d'ailleurs Humphrey d'avoir surexposé Blake pour me mettre à l'épreuve.

- Tu avais besoin d'un électrochoc, mon aimé - intervint Humphrey tout en tendant une tasse de thé à Terry - Et j'ai bien fait car tes derniers tableaux sont les plus beaux que tu aies jamais réalisés. Ils sont promis à connaître un grand succès.

- Espérons que tu dises vrai - fit John en levant sa tasse en guise de vœu de réussite. Terry leva la sienne à son tour puis la porta à ses lèvres, mais l'étrange tête qu'il fit à la première gorgée provoquèrent le rire bruyant de ses interlocuteurs.

- Hahaha !!! J'ai oublié de te préciser qu'Humphrey est écossais - gloussa John - Et que par conséquent, il a tendance à mettre du whisky un peu partout, et notamment dans le thé.

- Vous avez dû y tomber la bouteille, Humphrey !... - s'écria Terry en toussant bruyamment - Mais en tant qu'écossais moi-même, je ne peux que louer cette initiative... néanmoins surprenante !

- Vous m'en voyez ravi, Terrence ! - fit Humphrey en trinquant à son tour - Il n'y a pas mieux qu'un peu de whisky pour chasser les soucis.

- Puissiez-vous avoir raison... - fit Terry en soupirant tristement.

- Elle s'en remettra, ne t'inquiète pas - lui dit John en posant une main réconfortante sur son épaule - Il n'y a pas plus forte et courageuse que Candy, je peux en témoigner !

Devant l'air interrogateur que Terry lui renvoyait, il l'invita à s'asseoir sur le canapé et lui narra le jour où, alors qu'il vivait encore à la maison Pony, il était allé en cachette lui rendre visite chez les Legrand. Il avait fini par découvrir qu'elle vivait dans une étable, qu'elle était leur domestique et qu'ils la maltraitaient. Sa vie là-bas n'était pas facile et pourtant, elle n'avait rien perdu de sa bonne humeur ni de sa bienveillance.

- Elle a toujours été un modèle de courage et d'espoir pour moi. J'ai souvent pensé à elle quand ça n'allait pas dans ma vie et cela m'a beaucoup aidé. Je sais qu'elle se remettra de cette triste expérience avec Rodolphe, certainement plus rapidement que ce dernier, vu l'état dans lequel elle l'a laissé... Cet abruti ignorait à qui il avait affaire !

Terry ne répondit pas, se contentant de fixer d'un air perdu le contenu de sa tasse.

- Elle a beaucoup plus de ressources que tu ne l'imagines...

- A vrai dire... - fit Terry en soupirant - Je ne doute pas de la capacité de résilience de Candy. Je pense que celui qui aura le plus de mal à s'en remettre, c'est moi... Candy s'est défendue et a vaincu son assaillant. Alors que de mon côté, je garde une impression d'inachevé qui ne me laisse pas en paix...

- D'inachevé ?

- D'inachevé, oui. Et je sais que si je ne fais pas quelque chose cela me hantera jusqu'à la fin de mes jours.

A ces mots, il se leva et demanda à John.

- Puis-je te confier Candy quelques heures ?

- Bien entendu, mais... mais... Où vas-tu ?

- Finir ce que je n'ai pas pu terminer... - répondit-il en se dirigeant vers la porte d'entrée.

- Ne commets rien d'irréparable, Terry ! - s'écria John alors que le jeune comédien franchissait déjà le seuil de leur appartement - Candy a trop besoin de toi !

Terry lui répondit d'un vague signe de la main et disparut dans le couloir sombre. Les deux compères se tournèrent l'un vers l'autre d'un air ahuri et se laissèrent tomber sur le sofa avec lassitude. Qu'allaient-ils raconter à Candy si elle venait à se réveiller avant le retour de son fiancé ? Qu'ils l'avaient laissé partir achever son frère ? John secoua la tête pour chasser cette angoissante pensée qui avait toutes les chances malheureusement de se réaliser. Autant se préparer à la réponse adéquate qui éviterait de l'alarmer, réponse qu'il devait se hâter de trouver, son amie venant de faire son apparition au milieu du salon en baillant.

- John... Humphrey... Mais où est donc Terry ?...

*************************



Les couleurs ocres du soleil levant se déployaient lentement sur les façades des immeubles qui bordaient le port. Au loin, on apercevait les silhouettes des bateaux de retour de leur pêche nocturne, leurs filets gonflés de poissons et de crustacés pour être vendus à la criée. Il était tôt mais déjà beaucoup de gens s'affairaient sur les quais, ne portant que peu d'intérêt à la voiture de couleur sombre qui passait à côté d'eux en direction d'un bateau de marchandises amarré plus loin. La voiture s'arrêta devant le cargo. Le chauffeur sortit, contourna le véhicule et ouvrit la portière arrière, laissant apparaître la tête de Rodolphe Grandchester, dont le front soucieux témoignait de sa profonde contrariété. Il sembla hésiter quelques secondes, puis redressant fièrement le menton, il descendit de la voiture.

Il réajusta le revers de sa veste, et leva les yeux vers le paysage urbain qui s'étendait pour la dernière fois derrière lui. Encore sous le choc des événements de la soirée, il peinait à réaliser ce qu'il était en train de vivre. Le chauffeur venait de poser à côté de lui l'unique valise qu'il avait eu le droit de prendre et il la regarda avec consternation.

Banni comme un malpropre, lui, le fils du Duc de Grandchester ! Comment avait-il pu en arriver là ?... C'était la faute de cette fille, cette aguicheuse de Candice qui lui avait fait les yeux doux toute la journée pour ensuite se refuser à lui après l'avoir attiré dans sa chambre ! Sale garce d'Américaine ! Si elle ne s'était pas lâchement attaqué à lui, il n'aurait pas été pris par surprise et aurait pu lui montrer qui était le maître et elle aurait aimé cela, la bougresse ! Ses cris de plaisir auraient attiré cet abruti de Terrence qui l'aurait découverte en pleine jouissance entre les bras d'un homme, d'un vrai !... Comme il regrettait d'avoir été aussi naïf ! Il avait été trop bon avec elle, il aurait dû lui casser la mâchoire dès le début, cela l'aurait bien calmée, cette furie ! Et si cela n'avait pas suffi, il lui aurait aussi brisé le nez ! Il en avait maîtrisé des plus récalcitrantes, et elles ne s'étaient jamais plaintes en retour ! Encore une qui ne savait pas ce qu'elle voulait!...

- Il est temps que vous montiez dans ce bateau, monsieur Rodolphe... - intervint alors Carson d'une voix sans émotion. Le Duc lui avait demandé de s'occuper du départ de son abominable fils, départ qu'il souhaitait discret, et surtout, rapide ! Le majordome s'était plié à cette exigence avec un enthousiasme et une ardeur difficiles à dissimuler. Il n'avait jamais apprécié cet être odieux et méprisant, dont il n'ignorait point la perversité, et éprouvait un grand soulagement d'en être enfin débarrassé.

Tiré de ses sordides pensées, Rodolphe tourna son visage tuméfié vers lui et grimaça :

- Rassurez-vous, Carson, je vais le prendre ce fichu bateau ! Mais ne vous réjouissez pas trop vite tous autant que vous êtes ! Mon père n'est pas éternel, et le moment venu, je reviendrai, oui, je reviendrai ! Je serai le nouveau Duc et vous vous prosternerez à mes pieds !

- Tu devrais vraiment monter dans ce bateau avant que je ne puisse plus résister à l'envie de te jeter à l'eau !...

Rodolphe se retourna en sursaut et reconnut son frère dont la silhouette en ombre chinoise se découpait sous le soleil levant.

- T.... Terry ??? Mais que fais-tu ici ??? - s'écria-t-il en reculant prudemment.

- Je voulais m'assurer de ton départ... Tu es si lâche que tu es bien capable de t'enfuir ! Tu n'es pas à un déshonneur près !...

- Tu es bien mal placé pour parler de déshonneur, toi qui n'a pas hésité à molester ton propre frère !

- Mon... Frère ??? Mais de quel frère parles-tu ? - fit Terry en s'approchant de lui, si près que sa poitrine frôlait celle de ce dernier, qu'il sentait tremblotante, secouée d'une peur incontrolable - Je n'ai plus de frère depuis que j'ai découvert sa véritable nature... Nos ancêtres doivent se retourner dans leur tombe !

Rodolphe leva les yeux au ciel en haussant les épaules.

- Cesse donc ce ton moralisateur avec moi, frérot ! On sait bien qu'elles disent toutes « non » mais que c'est tout le contraire qu'elles veulent ! J'aurais pu te le prouver si tu ne nous avais pas interromp...

Un uppercut en pleine mâchoire le fit basculer violemment en arrière, l'entrainant vers le bord du quai. Cette fois, il n'allait pas y échapper ! Tandis qu'il se redressait lentement, Terry l'empoignait déjà par le col, et, sans autre forme de procès, le soulevait au dessus de l'eau noirâtre.

- Mais... Qu'est-ce qu'il te prend ??? Tu es malade ??? Nooooon ! Arrête !!! - hurla Rodolphe, penché en arriere, en équilibre sur la pointe des pieds. Paralysé de frayeur, il n'osait se débattre, jetant des regards inquiets vers l'eau profonde qui clapotait sous ses pieds.

Attirés par les cris, quelques marins occupés à finir de charger le fret, levèrent la tête dans leur direction, puis secouant la tête d'un air désabusé, retournèrent à leur travail en maugréant dans leur barbe.

Un règlement de comptes entre aristos, ici... On aura tout vu !...

- Pardon, Rodolphe, mais... - fit Terry, d'un air moqueur - Tu viens bien de dire « non » là, n'est-ce pas ? Dois-je alors interpréter cela comme un « oui » ? Parce que je n'ai pas très bien compris ton raisonnement de tout à l'heure. C'est donc un « non » qui veut dire « oui », ou un « non » qui veut dire « non » ? Sois plus explicite, « frérot » !

- Non, non, noooooon ! - gémit son frère en secouant la tête - Je t'en supplie Terry, ne me lâche pas !!! Je suis un... un très mauvais nageur, tu le sais bien ! Par pitié !!!

Pour une fois, Rodolphe disait vrai. Il avait manqué se noyer dans la rivière quand il était enfant et avait conservé depuis lors une peur maladive de l'eau. Il devait vraiment être effrayé, suspendu ainsi au dessus de l'eau. Tétanisé, il gémissait et couinait comme une bête apeurée. L'agresseur de femmes sans défense n'avait vraiment pas fière allure !

Terry hésita encore quelques secondes, puis, avec un soupir de lassitude, le tira sans ménagement vers lui, lequel expira de soulagement en touchant de plein pied la terre ferme.

- Tu n'es vraiment qu'une merde, mon pauvre Rodolphe !!! - fit Terry avec une moue de dégoût - Allez, déguerpis d'ici au plus vite avant que je ne change d'avis !!!!

Mais alors que son frère s'éxécutait, il le retint une dernière fois par le col, et ajouta sur un ton des plus menaçants.

- Tu n'auras pas de seconde chance, Rodolphe. Je ne veux plus jamais te revoir, plus JAMAIS entends-tu, sinon, sinon... JE TE TUE !!! - lui dit-il, la mâchoire serrée - M'as-tu bien compris ?

Rodolphe opina fébrilement de la tête, terrorisé par ce qu'il avait lu dans le regard de son frère qui ne laissait aucun doute sur sa détermination, et s'écarta de lui d'un air piteux.

- Va, maintenant ! Que l'on oublie jusqu'à ta misérable personne !...

Sans se laisser prier, il prit d'un geste vif sa valise et s'engagea sur la passerelle qui reliait le quai au bateau de marchandises. Mais parvenu de l'autre côté, il pivota sur ses talons, et levant le poing, s'adressa en hurlant à Terry et Carson :

- Je me vengerai ! Un jour vous regretterez la façon dont vous m'avez traité !

- File d'ici ou je mets tout de suite ma menace à exécution ! - s'écria Terry en s'approchant d'un pas vif vers la passerelle, déterminé à rosser une fois pour toute son couard de frère.

Courageux mais pas téméraire, le jeune homme courut s'abriter à l'intérieur du bateau pour ne plus, cette fois, réapparaître.... Terry et Carson guettèrent néanmoins avec inquiétude le départ du bateau et reprirent seulement leur souffle quand ce dernier disparut à l'horizon. Visiblement éprouvés, ils échangèrent un regard des plus éloquents et se dirigèrent en silence vers la voiture. Mais au moment où Terry allait monter dans le véhicule, il s'arrêta et se tourna vers Carson.

- Je suis désolé, Carson, que vous ayez dû assister à tout cela... J'ai tellement honte de ce qu'est ma famille...

- My Lord, ce que j'ai vu aujourd'hui n'a fait que confirmer la grande estime que vous m'inspirez. Vous auriez pu jeter à l'eau votre frère et l'humilier devant tous ces gens. Il n'aurait eu après tout que ce qu'il mérite. Mais vous ne vous êtes pas abaissé à cette médiocrité. Vous êtes noble de sang mais par dessus tout, vous êtes noble d'âme. Ceci, à mes yeux, symbolise la véritable noblesse que vous incarnez naturellement. Vous êtes un homme bien, Terrence et c'est pour moi un grand honneur et une immense fierté de pouvoir vous servir...

Le majordome porta immédiatement la main à sa bouche, horrifié par la familarité de ses paroles.

- Mille excuses, my Lord, je ne sais pas ce qu'il m'a pris de m'adresser à vous par votre prénom...

- Rassurez-vous, mon ami - répondit Terry en posant une main affectueuse sur son épaule - Je n'en suis point formalisé. Bien au contraire ! Et si vous le voulez bien, j'apprécierais grandement que vous continuiez à m'appeler ainsi quand nous sommes tous les deux...

- Je... Je veux bien essayer My Lord, pardon, Terrence... Mais je crois que je n'y parviendrai jamais vraiment...

- Hahaha ! C'est ce que nous verrons, Carson ! Comptez sur moi pour vous le rappeler !

A ces mots, il s'apprêtait à monter dans la voiture quand une voix féminine l'interpella.

- Terry ?

- Candy ! - s'écria-t-il, surpris, tandis qu'elle se jetait dans ses bras avec un soupir de soulagement.

- Oh mon dieu, Terry, j'ai eu tellement peur pour toi !!!

- Mais pourquoi donc, mon aimée ? - demanda-t-il tout en lui caressant tendrement la joue. Les rayons du soleil jouaient avec l'iris de ses yeux, les rendant translucides. Comme elle était belle et comme il mourrait d'envie de l'embrasser !

- Quand j'ai compris que tu serais ici - répondit-elle d'une voix troublée par l'émotion - j'ai eu si peur que tu commettes l'irréparable !

- Pour être honnête, je n'ai pas pu résister à lui mettre mon poing dans la figure...

- Et ? - s'enquit-elle d'un air inquiet en cherchant Rodolphe autour d'eux.

- Et rien de plus... Je l'ai regardé et je n'ai vu qu'un être pitoyable pour lequel je n'éprouvais que mépris. Je n'avais pas envie d'être atteint par sa souillure. Je me suis donc principalement assuré qu'il partait bel et bien, et qu'il avait bien compris qu'il ne devait plus jamais revenir... Il est loin maintenant, mon aimée. N'aie plus aucune crainte...

- Oh, Terry ! - s'écria-t-elle en se blotissant de plus belle dans ses bras - Ne disparais plus ainsi, je t'en prie. J'ai vraiment cru mourir d'angoisse !

- Je ne te quitterai plus jamais, Candy. Nos destins sont liés à tout jamais. Allons, rentrons preparer nos bagages et partons d'ici ! Je veux rentrer en Amérique au plus vite pour faire de toi ma femme !

- Tu ne pouvais pas me faire plus belle proposition ! - fit-elle en souriant malicieusement.

- Mais avant cela, me laisseras-tu ?...

- Quoi ?

- Me laisseras-tu t'embrasser une dernière fois sur le sol britannique, mademoiselle tâches de son ?

Candy fronça les sourcils en attendant ce surnom qu'elle détestait mais ne le repoussa point alors qu'il prenait son joli visage entre ses mains et posait ses lèvres contre les siennes. La chaleur de son souffle l'envahit toute entière et elle répondit à son baiser avec une tendre pudeur, les joues en feu de désir contenu. Dans quelques heures, dans quelques jours, ils seraient libres, loin de toutes entraves. Libres et plus forts à deux, pour l'éternité... Ce que Candy ignorait, c'est qu'elle aurait besoin de toute cette force pour surmonter les nouvelles épreuves qui l'attendaient à son retour...

Fin du chapitre 21

 
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view post Posted on 14/9/2019, 11:03
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Chapitre 22



Appuyée contre la balustrade, les cheveux balayés par le vent, Candy regardait le port de Southampton s'éloigner tout doucement au rythme tranquille du paquebôt qui les transportait. Malgré l'immense joie qu'elle éprouvait à repartir en Amérique, elle n'en avait pas moins le cœur gros de quitter John et Humphrey, mais aussi Cookie qui était encore loin d'être rétabli. Le Duc de Grandchester lui avait promis de prendre soin de lui. Elle n'avait bien entendu aucun doute sur ce point, mais elle n'en restait pas moins contrariée de les avoir tous retrouvés et de n'avoir pu rester auprès d'eux plus longtemps. Décidément, ce pays lui avait apporté bien des bonheurs mais aussi bien des peines, distillant à petites gouttes des moments de douceur pour les lui retirer tout aussi rapidement. C'était néanmoins dans ce pays qu'elle avait rencontré Terry, un soir de nouvel an, et malgré tous les obstacles que la vie avait semés par la suite sur son chemin, il en resterait pour cette raison, éternellement cher à son cœur.

Une semaine s'était écoulée depuis l'agression de Rodolphe, tragique événement qui avait précipité leur départ. Candy n'était pas revenue au château des Grandchester, mais Terry avait tenu à rendre une dernière visite à son père, et surtout à affronter ces deux vipères de Beatrix et Sybille, lesquelles, sentant le vent tourner en leur défaveur depuis quelques jours, s'étaient fait sans surprise excuser, fuyant quelque part en province. Cette visite d'adieu, avait rapidement pris la tournure d'un règlement de compte. Ne s'étant pas remis de l'épisode funeste qui s'était déroulé le soir de ses fiançailles, il avait saisi l'occasion qui se présentait à lui, alors qu'il se trouvait seul avec son père dans son cabinet de travail, pour condamner fermement le silence coupable de la famille sur le comportement déviant de son frère, silence qui lui avait permis d'agir en toute impunité pendant des années.

- Vous rendez-vous compte, père – s'était-il écrié en tapant du poing sur le bureau - que si Candy n'avait pas pu se défendre, il aurait pu... Il aurait pu !...

Les mots s'étaient étranglés dans sa gorge en repensant à cette scène insoutenable. Le duc avait baissé les yeux d'un air grave. Il avait les traits tirés de ceux qui n'avaient pas beaucoup dormi depuis des jours. Remarquant sa détresse, Terry s'était senti coupable. Il devinait l'avoir blessé avec ses reproches et la colère qu'il avait éprouvée en arrivant, s'était aussitôt évanouie. En signe d'apaisement, il était allé se servir un verre de whisky et en avait tendu un à son père, que ce dernier avait accepté d'un hochement de tête.

- Je... Je regrette profondément ce qui s'est passé ici... - avait finalement prononcé ce dernier après plusieurs gorgées, le regard fixé sur le liquide ambré qui dansait dans son verre – Je n'ai pas voulu reconnaître le mal qui sommeillait en ton frère. J'ai préféré voir en lui un séducteur, un homme à femmes plutôt qu'un... Vois-tu, Terrence, c'est très dur pour un père d'accepter que son fils soit un... monstre...

Sa main avait tremblé à cette évocation puis il s'était repris, et avait poursuivi, tristement :

- J'ai commis l'erreur de fermer les yeux, préférant ne pas voir, comme si cela n'existait pas.. Mal m'en a pris ! Je suis bien puni, et notre famille aussi...

Il avait dit ses mots en grimaçant de douleur, meurtri par le déshonneur qui les avait frappés, conscient que bien des années devraient s'écouler avant qu'ils puissent s'en relever. Il était convaincu qu'il ne verrait pas ce jour arriver... Bien que seulement quelques personnes et membres du personnel fussent au courant, il savait combien les rumeurs se propageaient vite, telles une infection, répandant des horreurs plus crédibles que la vérité... Son impuissance à combattre ce mal le rongeait intérieurement et l'affectait profondément.

Devant cette fragilité affichée, le sentiment de culpabilité s'était accru dans le cœur de Terry. Il ne reconnaissait plus son père, cet homme si dur en apparence, était finalement humain, avec ses forces et aussi ses faiblesses. Le cœur serré devant tant de désarroi, il s'était approché de lui et avait posé une main sur son épaule :

- Ce qui est fait, est fait, père. Tout au long des siècles, notre famille a connu bien des drames et des tragédies, et ce n'est pas celle-ci qui va nous abattre. Vous avez pris la bonne décision en chassant Rodolphe. Je devine combien cela a dû vous coûter. Si Dieu le veut, je serai père à mon tour un jour, et je n'ignore pas la complexité de la tâche qui m'attend. Et si je devais avoir à affronter une situation identique à la votre, je sais que je passerai par des tourments similaires. Renier la chair de sa chair, reconnaître les démons qui l'habitent, demande beaucoup de courage. Ce courage vous me l'avez démontré ce soir là, fermement et sans hésitation aucune. Vous nous avez défendus, Candy et moi, devant votre femme et votre fils, devant tous ces gens qui en aparté, s'interrogent encore sur ma filiation. Ce soir là, pour la première fois, j'ai ressenti que j'étais vraiment votre fils...

Le duc de Grandchester avait levé vers Terry des yeux emplis de larmes contenues et avait balbutié:

- Pardonne-moi, encore une fois, Terrence, d'avoir été... un si mauvais père... De t'avoir fait penser, par pudeur, que tu m'importais moins que mes autres enfants, alors que tu m'as toujours rempli de fierté. J'ai été très maladroit et cruel envers toi, je le sais et je le regrette... Tu es mon fils, et tu en es assurément plus digne que ton frère et ta sœur qui ne sont que perpétuelle déception...
- Père... - avait murmuré Terry en déglutissant avec peine.
- Tu es un enfant de l'amour, ne l'oublie pas... Tu es ce que j'ai de plus cher au monde... - s'était exclamé le Duc en l'attirant contre lui.

Bouleversés, les deux hommes s'étaient longuement étreints en soupirant bruyamment, pour s'écarter enfin, le visage baigné de larmes.

- Vous... Vous viendrez à mon mariage, n'est-ce pas, père ? - avait bredouillé Terry, la voix cassée par l'émotion.
- Ce sera un honneur pour moi d'y assister... - avait-il répondu tout aussi ému, tout en se demandant en même temps si Eleonore serait présente. Quelle imbécile ! Bien entendu que la mère de son fils le serait ! Et son cœur s'était mis à battre un peu plus vite à cette perspective...

Les deux hommes avaient discuté pendant encore un moment puis l'heure de se séparer était arrivée. Toutes ces confessions les avaient bouleversés et ils éprouvaient du mal à se quitter. Au moment de franchir le seuil, Terry s'était retourné une dernière fois.

- En venant ici, je voulais aussi vous faire part d'une décision que j'ai prise, père... - Et devant le regard interrogatif de ce dernier, il avait ajouté – Je vais reprendre le nom des Granchester...

Et sans laisser à son père le temps de réagir, il avait disparu dans le couloir. Secoué par cette nouvelle inattendue, les jambes du Duc s'étaient mises à flancher, et il s'était laissé tomber dans un fauteuil, la vue brouillée par l'émotion qui le submergeait...


**************************




Au moment où Terry rejoignit Candy sur le pont, elle remarqua qu'il affichait une mine des plus maussades...

- Que se passe-t-il mon aimé, tu as l'air bien contrarié ?

Il ouvrit la bouche pour lui répondre, mais le son de cris stridents en provenance de l'intérieur, l'interrompit dans son élan.

- Qu'est-ce donc ? - fit-elle avec un sourire moqueur tout en cherchant du regard la cause de ce vacarme, – Tes admiratrices Véronaises t'auraient-elles suivies jusqu'ici ?
Pfff ! - grogna Terry en haussant les épaules – Si tu savais !...

Apparut alors sur le pont une nuée de jeunes donzelles, qui telles des abeilles sur un pot de miel, se regroupaient autour d'une silhouette que Candy avait du mal à distinguer.

- Rudolph, Rudolph ! - hurlaient-elles en sautillant autour de l'inconnu dont elle n'apercevait toujours pas le visage. Un cours instant, en entendant ce prénom, son sang se glaça à la pensée que cela pouvait être l'horrible frère de son futur époux, mais elle réalisa bien vite que cela était impossible, d'autant plus que le visage du jeune homme qu'elle venait d'entrevoir entre deux têtes bouclées n'avait rien de commun avec la laideur du fils banni des Grandchester.
Rudolph Valentino... - murmura-t-elle tout en portant une main à son cœur – Mon dieu, Terry, C'est RUDOPLH VALENTINO !!!
- Je le vois bien, je ne suis pas aveugle... Ni sourd !... - maugréa-t-il tout en croisant les bras.
- Mon dieu, Terry, j'ai vu tous ses films, tu sais !
- Tu m'en diras tant ! - soupira-t-il en levant les yeux au ciel.

Indifférente au ton sarcastique qu'il avait employé, elle poursuivait son monologue d'une voix fébrile, le regard fixé sur le séduisant jeune homme brun qui tournoyait au milieu des jeunes femmes avec la grâce d'un danseur de ballet.

- Je n'arrive pas à croire qu'il soit là devant moi, en chair et en os ! Il est si beauuuuu, encore plus beau qu'au cinéma !
- Beau ? - s'offusqua Terry, d'une voix suraiguë - Ce bellâtre gominé ??? Mais qu'est ce que vous lui trouvez toutes ??? Il n'est bon qu'à battre des cils devant une caméra ! Il... Il ne sait même pas parler !!!
- Ma parole, Terry, tu es jaloux !
- Moi, jaloux ??? Tu n'y penses pas ?!!! - ricana ce dernier en redressant fièrement le menton – Comment pourrais-je être jaloux de cette escroquerie ambulante ?

Peu convaincue, Candy se mit à pouffer de rire ce qui eut pour effet d'accroître son irritabilité qu'il peinait à dissimuler. C'est à ce moment là que l'attroupement se déplaça vers le ravissant couple qu'ils formaient. Rudolph Valentino eut alors un léger moment d'arrêt devant Candy dont le charme innocent ne laissait aucun homme indifférent. En réaction au regard éloquent que le beau ténébreux posait sur elle, Terry la rapprocha de lui en passant un bras ferme et protecteur au tour de sa taille. Rudolph Valentino leva la tête et écarquilla les yeux de surprise en découvrant ceux, furieux, de Terry qui lui lança, les dents serrés :

- Prends garde, guignol ! Chasse gardée !

Faisant mine de n'avoir rien remarqué, le célèbre acteur pivota sur ses talons et s'éloigna dans la direction opposée, emportant avec lui la horde de jeunes filles énamourées qui le poursuivaient depuis son arrivée. D'un air stoïque, indifférent au vacarme ambiant, il tourna son regard vers l'horizon et se mit à penser que ces cinq jours de voyage jusqu'à New-York allaient lui paraître bien longs dans ces conditions...


*****************************




Terry fulminait de rage ! Il avait beau tout faire pour l'éviter, ce Rudolph Valentino se trouvait en permanence sur leur chemin. La meute de groupies du premier jour s'étant évaporée, grâce aux bons soins de la garde rapprochée qu'il avait emportée dans ses bagages, ce dernier se pavanait désormais librement, se délectant des regards et murmures admiratifs sur son passage. Tout ce manège ridicule pour attirer l'attention laissait Terry perplexe, n'ayant jamais compris l'engouement pour cet homme qui ne devait sa célébrité qu'à des rôles incongrus de sheik ou de torrero. C'était du moins la haute opinion qu'il avait des acteurs de cinéma, et ce bellâtre aux yeux de braise ne méritait pas un jugement plus complaisant, d'autant plus qu'il n'avait de cesse de tourner autour de sa fiancée ! Heureusement, la traversée arrivait à son terme. Selon les dires du capitaine, il était prévu qu'ils atteignent New-York le lendemain après-midi, avec quelques heures d'avance, Inutile de préciser qu'il était impatient d'arriver à destination, ce jeu du chat et la souris ayant mis ses nerfs à rude épreuve.

En effet, chaque soir, le jeune couple était convié à la table du capitaine en compagnie d'autres convives de haut rang ainsi que celle de ce poil-à-gratter de Valentino qui s'arrangeait toujours pour prendre place en face d'eux. Bien que muet dans ses films, le bougre savait manier sa langue en public, révélant un esprit vif et un grand talent pour divertir son entourage, et en particulier Candy qui ne se cachait pas d'apprécier sa compagnie. Combien de fois n'avait-il pas souhaité écraser son poing aristocratique sur le nez de ce pizzaiolo du dimanche qui faisait les yeux doux à sa dulcinée à longeur de journée. Pas une seconde de répit il ne leur laissait ! Quoi qu'ils fassent, où qu'ils aillent, le timbre infernal de sa voix à l'accent chantant et roucoulant surgissait au détour d'une allée ou d'une pièce, comme s'il guettait le moindre de leurs mouvements. Tout ceci avait tendance à agir sur l'humeur de l'héritier des Grandchester mais surtout sur sa relation avec Candy qu'il trouvait bien trop indulgente vis à vis de cette célébrité de pacotille.

- Je t'en prie, Terry – était-elle en train de lui reprocher alors qu'il la raccompagnait à sa cabine (qu'une simple porte séparait de la sienne...) - Essaie d'être un peu plus aimable avec Rudolph. On dirait à chaque fois que tu vas lui sauter à la gorge !
- Ce n'est pas l'envie qui me manque ! Je n'aime pas la façon qu'il a de te regarder...
- Tu te fais vraiment des idées ! Il essaie juste d'être sympatique ! Tu n'as pas remarqué combien il s'intéresse à ton métier, et toutes les questions qu'il te pose à ce sujet ? Même quand il m'invite à danser c'est pour me parler de toi. Il est vraiment admiratif de ta carrière !
- Mouais... C'est juste un moyen détourné pour mieux m'amadouer pendant qu'il te fait du charme... Je ne suis pas dupe ! J'ai bien vu tout à l'heure son pied en quête du tien alors que je me penchais sous la table à la recherche de ma serviette ! J'ai bien failli lui mettre mon poing à la figure !!!
- Dieu que tu es soupçonneux ! Il essayait certainement d'étendre ses jambes. Ce repas de gala était d'une longueur, il y a de quoi avoir les membres engourdis ! Je t'assure, Terry, ta jalousie n'est vraiment pas justifée !
Pas justifiée ??? Elle est bien bonne celle-là ! Comment veux-tu que je ne sois pas jaloux quand je te vois t'extasier à la moindre de ses plaisanteries !
- C'est peut-être parce-qu'elles sont amusantes ! Il faut dire qu'avec la tête renfrognée que tu affiches à chaque fois qu'il est là, tu ne donnes pas trop envie qu'on te fasse la discussion ! Et pour ta gouverne, je ne m'extasie pas. J'avoue que j'apprécie sa compagnie car je le trouve sympathique, c''est tout.
- Tu vois, tu viens de l'avouer ! Tu apprécies sa compagnie !

Excédée, Candy haussa les épaules et pressa le pas en direction de sa cabine qu'elle apercevait au loin.

- Cette conversation devient ridicule ! Je préfère aller me coucher (sans toi) en espérant que tu auras retrouvé tes esprits demain matin !
- N'y compte pas ! - rugit-il tout en maltraitant de rage la serrure de sa propre cabine – Je ne veux plus qu'il t'approche, m'as-tu compris ?
- Tu ne veux plus ??? Mais je ne suis pas ta chose, figure-toi !
- Ma chose, peut-être, mais ma femme, prochainement, oui !
- Ça, c'est à voir ! Je n'ai nullement envie d'épouser un homme jaloux et possessif, qui ne supporte pas qu'un autre homme m'adresse la parole !
- Quel joyeux portrait tu fais de moi ! Il est encore temps de changer d'avis, mademoiselle André, je ne voudrais pas vous embarrasser de ma détestable compagnie !
- C'en est assez, je ne veux plus t'entendre ! Bonne nuit ! - s'exclama-t-elle en claquant la porte.
- C'est ça, bonne nuit !!! - répondit-il en claquant la sienne à son tour.

C'était sans compter leur fichu caractère ! A travers la cloison qui les séparait, leurs échanges, bruyants et animés, se poursuivirent, l'un reprochant à l'autre le ridicule de son comportement. Le ton montant de plus en plus, Terry s'apprêtait à ouvrir la porte communicante pour affronter l'effrontée quand il remarqua une petite enveloppe qu'on venait de glisser sous sa porte. Abandonnant Candy à son virulent monologue, il alla ramasser l'enveloppe, l'ouvrit, et resta quelques secondes bouche bée à la lecture du mot qu'elle contenait :

L'intérêt que j'ai lu dans votre regard ce soir me pousse à la hardiesse. Rejoignez-moi dans ma cabine et gouttons à cette nuit d'amour qui s'offre à nous... Rudolph

C'en était trop !!! Et dire que cet imbécile était assez stupide pour glisser son mot sous la mauvaise porte ! Haha ! Quelle belle surprise tu vas avoir mon gaillard ! Je te promets une belle nuit étoilée, tu vas voir !!!

Sur ces belles pensées, il jeta au sol le billet tout chiffonné, ouvrit la porte avec emportement, et partit à grandes enjambées en direction de son rival...


*************************************




Au bout d'un petit moment, Candy réalisa qu'elle parlait dans le vide, aucun écho à ses attaques ne lui parvenant.. Elle décida d'ouvrir la porte communicante et ne put que constater alors l'absence de Terry. Contrariée qu'il l'ait laissée choir en pleine joute (qu'elle menait, elle en était convaincue, avec entrain), elle remarqua le morceau de papier qui jonchait le sol et le ramassa. Sa lecture la laissa à son tour pantoise, mais aussitôt la surprise passée, l'angoisse lui étrégnit la gorge, l'étouffant de son emprise.

Mon dieu, il va le tuer ! - se dit-elle, haletante – Il faut que je le retrouve avant qu'un drame ne se produise.

A ces mots, elle s'élança à son tour par la porte que Terry dans sa hâte avait laissée ouverte, et le cœur battant, courrut aussi vite que ce peut, sa longue robe de soirée la gênant dans ses mouvemente, vers les quartiers du célèbre acteur.


*******************************




Quand elle arriva à destination, elle fut surprise de n'entendre aucun bruit. Elle cogna à la porte, attendit, puis réitéra son geste. Pas de réponse... Elle colla son oreille contre la porte et c'est alors qu'elle perçut du mouvement ! D'une main tremblante, mue par l'inquiétude horrible qui l'envahissait, elle tourna la poignée. Contre toute attente, la porte s'ouvrit, révélant aux yeux de la jeune femme une scène épouvantable :

- Mon dieu, Terry, que c'est-il passé ici ????

Rudolph Valentino, visiblement nu sous un kimono de soie, gisait immobile sur le sol, face contre terre ! Terry, tout échevelé et la chemise déchirée, se tenait devant lui, le fixant d'un air hagard.

- Candy... - bredouilla-t-il, le visage blême – J'ai bien peur de l'avoir l'ai tué...


Fin du chapitre 22



Edited by Leia - 15/9/2019, 12:08
 
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view post Posted on 28/1/2020, 17:07
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Le chapitre suivant présente un contenu qui, par sa nature, s'adresse à un public, disons, "ADULTE"... Afin d'éviter toute réaction négative envers cette fiction, veuillez donc prendre en considération cet avertissement...



Chapitre 23



- Tu es vraiment certaine qu'il n'a rien ? - demanda une nouvelle fois Terry, la respiration en suspend.
- Oui, oui, ne t'inquiète pas. Il se réveillera avec une belle bosse au front (et une dent en moins malheureusement). - - Allez, aide-moi plutôt à le coucher. J'aimerais qu'on soit parti d'ici avant que quelqu'un ne nous surprenne...
- Aucun risque, il avait donné congé à tout son personnel... - dit Terry sur un ton faussement détaché tout en hissant avec peine sur le lit le corps inanimé de la star hollywoodienne.
- Ah bon, mais pourquoi ? - fit Candy, la bouche ronde d'étonnement. Embarrassé, le jeune homme la regardait en se mordillant la lèvre.
- Tu ne me croirais pas si je te le disais...
- Vraiment, Terry, je ne comprends rien à cette histoire ! - s'écria-t-elle, agacée - Vas-tu me dire ce qui s'est passé dans cette chambre, oui ou non ?

Son regard se heurta alors à une paire de menottes en fourrure pendue à la tête de lit. Elle fronça les sourcils d'interrogation, de drôles de pensées lui venant à l'esprit confortées par la décoration chargée autour d'elle, les draps de soie de couleur pourpre, et ce parfum de cocotte qui flottait dans la chambre... Elle n'avait pas fait attention à tout cela en arrivant, trop absorbée qu'elle était à examiner l'hôte des lieux, mais à présent qu'elle avait retrouvé son calme, elle ne pouvait ignorer l'étrangeté de ce qui l'entourait.

- On dirait une boite à bonbons croisée avec une maison close... - se dit-elle, gênée d'être involontairement témoin de ce dont elle n'aurait pas dû être.

Un gémissement l'interrompit alors dans ses pensées. C'était l'endormi qui commençait à émerger de son sommeil forcé.

- Vite, vite, ne trainons pas ici ! - dit-elle tout bas en agitant les mains de panique. Elle vérifia une dernière fois son pouls et ses pupilles, puis d'un coup de menton, fit signe à Terry de la suivre. A pas de loup, ils sortirent de la chambre, traversèrent le salon, fermèrent le plus discrètement possible la porte derrière eux, puis s'éclipsèrent, à la limite de la téléportation tant ils étaient pressés de rentrer chez eux !

-------------------------------------



Terry n'avait pas poussé la porte de sa cabine qu'il sentit une forte pression dans son dos. Déséquilibré, il tituba sur quelques mètres pour s'écraser avec fracas contre la table basse du salon. Surpris par la violence du coup, il se retourna, étonné. Candy le fixait, les bras croisés, d'un air déterminé.

- Maintenant, Terrence Grandchester, tu vas te mettre à table ou je te promets que tu vas le regretter jusqu'à la fin de tes jours !

Aux yeux furibonds qu'elle lui jetait, il comprit que sa menace était réelle. De toute façon, tarder encore ne faisait que reculer l'échéance inutilement. Autant affronter le couperet avec courage ! Avec un peu de chance, elle serait magnanime...

- Assieds-toi, je t'en prie... - lui dit-il en lui indiquant du regard le canapé. Puis, prenant une forte inspiration, il se lança dans son récit...

-------------------------------------



Fou de rage, Terry s’apprêtait à défoncer la porte de son rival quand un éclair de lucidité lui traversa l'esprit. Puisque c'était Candy que cet « enfoiré » attendait, autant lui laisser croire que c'était bien elle qui le rejoignait... Il frappa donc à la porte tout doucement, s'amusant à en griffer le bois comme l'eut fait une demoiselle impatiente. Sans surprise, la porte s'ouvrit sur le playboy gominé, vêtu de ses plus beaux atours, compte tenu de la qualité de l'étoffe du kimono qu'il portait, largement ouvert sur sa poitrine imberbe...

- Haaaaa, Terrence, quel empressement ! - s'écria Rudolph en sautillant de joie tout en l'invitant à entrer d'un geste gracieux de la main.

Devant cet étrange comportement, Terry eut un mouvement de recul, mais plus désireux encore d'avoir une explication, il hocha la tête et pénétra dans la pièce, dont l'éclairage tamisé l'interpela...

- J'ai donné congé à mon personnel pour que nous soyons plus tranquilles... - lui dit tout bas Rudolph avec un clin d'oeil complice tout en lui tendant une coupe de champagne.
- Je n'ai pas peur d'affronter vos gardes du corps, vous savez ! - répliqua Terry en refusant la coupe.
- J'en suis certain mon ami, mais pour ma part, j'aime bien faire ce genre de choses dans la discrétion...
- Je comprends, il ne serait pas de bon ton que tout le monde soit au courant de votre attitude envers tous ces maris ou compagnons dont vous convoit'...

Son interlocuteur l'interrompit en fouettant l'air d'un revers de la main.

- Rhoooo, oublions ces histoires de bonshommes !... L'essentiel, c'est que vous soyez venu, Terrence, les autres ne comptent pas... ou ne comptent plus...

Devant la singularité de ces propos, le front de Terry se plissa tandis que tout son corps se raidit, sur la défensive.

- Qu'est ce qu'il mijote, celui-là ? - se dit-il tout en l'observant du coin de l'oeil se diriger en chantonnant vers le gramophone. D'un geste aérien, ce dernier déposa le bras de l'appareil sur le disque et une douce musique se mit jouer. La tête penchée sur le côté, les yeux fermés, ses bras virevoltant au rythme de la mélodie, il revint vers Terry en se balançant, ses mules en cuir frôlant le sol.

- Décidément, ce type est vraiment bizarre ! - se dit-il, déconcerté par l'allure et le comportement de plus en plus étranges de la star américaine. Il se moquait de lui, il n'y avait pas de doute ! Comment pouvait-il fanfaronner devant lui tel un paon tout en faisant semblant d'ignorer la raison de sa visite ?! A bout de patience, Terry le saisit au vol et l'empoignant par le col de son kimono, plaqua son nez contre le sien.

- Valentino, je ne suis pas venu ici pour cueillir des pâquerettes ! Nous avons à parler !!!

Terry vit alors passer une lueur étrange dans le regard du bourreau des cœurs, lequel, profitant de cette providentielle proximité, s'enhardit et d'un bond, lui plaqua un baiser sur la bouche ! En réaction, le jeune aristocrate le repoussa vivement et bascula dans son élan contre la banquette derrière lui.

- Q... Qu'est ce qu'il vous prend, Rudolph ??? - s'écria-t-il d'une voix hystérique. Il tenta de se relever, mais déjà ce dernier s'asseyait à côté de lui, le buste penché en avant et le cou tendu vers lui.
Excusez-moi, Terrence, mais ce fut plus fort que moi .Vous étiez si près de moi que je n'ai pas pu résister à la tentation de vous embrasser. Vous m'en voulez ?

Terry était tellement choqué que rien de compréhensible ne sortait de sa bouche. Rudolph se glissa alors contre lui et nullement effarouché, se mit à jouer avec les boutons de sa chemise, tandis que son autre main remontait le long de son biceps (bandé et surtout tout disposé à user de sa force de catapultage !...)

- Otez vos mains de moi !... - grogna Terry, mâchoires serrées.

Sa voix, cette fois, avait repris un aspect normal, ferme et menaçante, mais visiblement pas assez convaincante, son entreprenant interlocuteur persistant dans son entreprise de charme.

- Haaa, Terrence ! Si vous saviez comme je suis heureux ! Au fond de moi subsistait un doute, mais maintenant que vous êtes là, je n'en ai plus...
J... J'ai peur de ne pas très bien comprendre... - protesta Terry tout en essayant de se dégager de cette emprise de plus en plus embarrassante.

L'envie d'envoyer valser Valentino dans le décor le démangeait, mais paradoxalement, il ressentait aussi de la pitié pour l'énergumène qui s'alanguissait contre lui. Comment avait-il pu s'imaginer que... ? Ce n'était pas la première fois qu'un homme s'amourachait de lui. Le théâtre regorgeait de comédiens sensibles à la gent masculine et il était habitué à leurs regards énamourés. Néanmoins, il n'aurait jamais imaginé que le plus grand séducteur d'Hollywood, celui que toutes les femmes idolâtraient, celui que les maris détestaient et jalousaient, puisse préférer les hommes ! Il imaginait déjà la tête qu'allait faire Candy en l'apprenant. Cette perspective le réjouissait intérieurement...

Désireux de s'extirper de cette situation incommode au plus vite, il saisit fermement son admirateur par les épaules et l'écarta de lui. Ce dernier parut surpris de ce soudain rejet et battit des cils d'incompréhension tandis que l'objet de tous ses désirs se dirigeait à grandes enjambées vers la porte. Vif comme l'éclair, il courut lui barrer le passage.

- Pourquoi m'évitez-vous, Terrence ? Nous avons tant de choses à nous dire pourtant...

Agacé, Terry essayait de forcer le passage, mais Rudolph, motivé par ses sentiments, freinait chacune de ses tentatives, si bien qu'ils tournaient l'un autour de l'autre.

- Au secours !!! - gémit Terry intérieurement – Comment vais-je me sortir de ce pétrin ???

Il se dirigea alors vers la chambre avec l'espoir d'y trouver une autre issue. Malheureusement, comme il le craignait, c'était un cul de sac. Il se retourna et aperçut Rudolph qui, nullement découragé, s'approchait de lui avec une lenteur hypnotique...

- Ecoutez, Rudolph... - bredouilla Terry, gêné, alors que ce dernier posait à nouveau ses mains sur sa poitrine, ses yeux implorants cherchant les siens, qu'il fuyait en gémissant d'agacement – Je regrette mais... Vous vous méprenez...
- Tsss... Tssss... Mon ami... J'en ai dompté des plus récalcitrants que vous... Avouez, vous ne seriez pas là si...
Je n'avoue rien du tout, bien au contraire ! - rugit Terry en se débattant plus fermement - Et pour tout vous dire, je trouve que tout ceci prend une tournure vraiment déplaisante, monsieur !
- Désagréable ? Mais je ne veux en rien vous êtes désagréable, Terrence ! - s'écria Rudolph en s'agrippant à lui - Mon cœur bat pour vous depuis que je vous ai vu au théâtre à New-York ! Vous étiez un Hamlet si... ! Les mots me manquent pour qualifier l'émoi que j'ai éprouvé ce soir là ! Puis, quand je vous ai vu sur le pont du bateau au premier jour de la traversée, j'ai vraiment cru que j'allais m'évanouir de bonheur tant votre présence était inattendue et inespérée. J'ai bien tenté de dissimuler mon émotion à ce moment là, mais mon regard croisant alors le votre et j'ai remarqué que vous me dévisagiez à votre tour... J'en ai été si bouleversé que je ne n'ai pu dormir de la nuit !... Depuis, je n'ai eu de cesse de chercher à vous approcher, de vous parler et... de vous séduire... Confirmation m'en a été faite alors que mon pied cherchait le votre sous la table l'autre soir. Le regard que vous m'avez lancé en retour était si éloquent !..

La mâchoire de Terry se décrocha à l'écoute de cette improbable déclaration. Les bras ballants, il n'en croyait pas ses oreilles. Depuis le début du voyage, il avait cru que c'était Candy qui était l'objet des assiduités de la star. Comment avait-il pu être aussi naïf et aveugle ? De cette interrogation émana tout aussi vite la réponse : son amour pour Candy, à la fois possessif et adorateur, lui interdisait à l'évidence tout discernement. Chaque homme devenait naturellement une menace, un rival, qui ne pouvait que la désirer, elle, et vouloir la conquérir. Comme il se sentait stupide à présent devant cet homme qui soupirait devant lui, le revers de la main sur le front, tel le fils du scheik devant la belle Yasmin.

Ils avaient bonne mine tous les deux...

Honteux de son manque de jugement qui l'avait entrainé dans cette situation embarrassante, il bredouilla quelques mots d'excuses et sans autre forme de procès, pivota sur ses talons en direction de la porte d'entrée.

- Mais ? Que vous arrive-t-il Terrence, vous partez, alors que je vous ai ouvert mon cœur ??? - gémit dans un trémolo son soupirant tout en agrippant de plus belle à lui.
- Ecoutez, Rudolph... - fit Terry, terriblement gêné. Il se rendait compte qu'il avait affaire à un homme très amoureux de lui et il ne savait comment l'éconduire sans le blesser... - Tout ceci est un malheureux malentendu... Il se trouve que je suis très amoureux de ma future épouse, et je regrette sincèrement d'avoir involontairement pu vous faire croire que j'avais des sentiments pour vous. Si parfois je vous ai donné à penser, par l'insistance de mes regards, que vous m'attiriez, c'est parce qu'au contraire, j'étais convaincu que vous aviez des vues sur ma fiancée...
- Mademoiselle André ??? - couina Rudolph en relâchant sa proie – Elle est assurément une personne ravissante et charmante mais... C'est bien à vous que je m'adressais en permanence et non à elle...
- Je regrette, Rudolph – soupira Terry devant la mine déconfite de son interlocuteur – Je n'ai jamais été attiré par les hommes,..
- Mais, c'est peut-être parce-que vous n'avez jamais essayé ? - fit ce dernier en se collant une nouvelle fois contre lui dans une ultime tentative de séduction.

Cette fois, c'en était trop ! Il n'en pouvait plus de ce type fardé qui battait des cils devant lui, de ses mains qui glissaient sur lui, le touchaient sans vergogne, sourd à son refus et n'écoutant que son désir. Il l'empoigna par le col et le repoussa violemment, lequel dans sa bascule, emporta un morceau de sa chemise. Il tomba avec fracas au sol, jambes écartées, révélant un magnifique « service trois pièces » parfaitement épilé... Un vrai moment de grâce !...

- Dieu du ciel !!! - s'écria Terry horrifié par ce désolant spectacle. Il ne savait plus s'il devait en rire ou s'en alarmer, mais une chose était sûre, il devait s'échapper de cet endroit au plus vite ! Il traversa le salon mais au moment où sa main s’apprêtait à tourner la poignée de la porte vers la liberté, il entendit derrière lui la voix hystérique de Rudolph l'interpeler. Il tourna la tête en réaction et aperçut ce dernier qui se relevait, empêtré dans les larges manches de son kimono.

- Je vous interdis de partir, Terrence ! - s'écria-t-il, rouge de colère, en sautillant sur place de rage.
- Cause toujours ! - se dit Terry en tournant la poignée de la porte. Etrangement, elle ne cédait point...
- Si tu veux sortir mon mignon... - ricana alors Rudolph en agitant la clé de la porte au dessus de sa tête – Il va falloir que tu viennes la chercher !...

Fulminant de rage, Terry se précipita à la poursuite de son geôlier, lequel, en bon danseur qu'il était, esquivait avec dextérité chacune de ses tentatives pour l’attraper. S'en suivit alors une course poursuite dans toute la cabine jusqu'à ce que sa main parvienne à s'emparer d'une des extrémités de la ceinture en soie qui retenait le kimono. Terry tira d'un coup sec, espérant ramener vers lui le fuyard, lequel, stoppé net dans son élan, se mit à patiner sur place, entrainé par le cuir de ses mules qui glissaient joyeusement sur le sol moquetté. Sentant que ce dernier perdait l'équilibre, Terry relâcha sa proie ce qui eut pour effet, tel un élastique sur lequel on a trop tiré, de propulser en avant le dom Juan italien, qui, tête première, partit s'écraser, dans un soleil majestueux, sur l'épaisse moquette ! Ejectée par la violence du choc, une des mules alla se figer dans le miroir de la commode tandis que sa jumelle accrochée au lustre au dessus d'eux, tremblait d'ultimes soubresauts.

Terry resta quelques secondes sans réaction, hébété. Rudolph Valentino, à moitié nu sur le sol, ne bougeait plus... La chanson sur le disque bien que terminée depuis longtemps, continuait à tourner, dans un silence de mort, avec un bruit de craquement répétitif. Le cœur battant, Terry s'approcha du corps et le secoua légèrement avec le pied. L'inanimé restait désespérément inerte....

- Mon Dieu, je l'ai tué !!! - se dit-il en prenant sa tête entre ses mains. Il tournait dans la pièce en gémissant, s'imaginant déjà en prison pour le restant de ses jours. Il ne verrait plus jamais Candy, qui deviendrait de son côté la risée du pays pour s'être fiancée à un assassin ! Un a-ssa-ssin ! Voilà bien ce qu'il était devenu, tout cela par la faute de sa stupide jalousie !!!

C'est ce moment là qu'on choisit de frapper à la porte...

- Misère, misère, me voilà définitivement perdu ! - murmura-t-il, une goutte de sueur perlant à son front. Il regarda autour de lui : le désordre qui y régnait ne penchait pas en sa faveur. Il était facilement reconnaissable qu'il y avait eu affrontement physique. Valentino au sol et sa chemise à lui déchirée en étaient des preuves flagrantes.

Derrière la porte, la personne se faisait insistante.

- Terry ? Terry, ouvre-moi !!! - entendit-il alors. C'était la voix de Candy ! L'espace d'une seconde, il se sentit soulagé, puis il réalisa qu'elle allait le découvrir dans cette triste posture. Comment allait-elle réagir ? Elle ne lui laissa pas le temps de réfléchir à la question, tambourinant de plus belle à la porte. Il se décida enfin à lui ouvrir avant qu'elle n'ameute toutes les chambres alentour, et se mit en quête de la clé. Il se souvint que Valentino la tenait avant de tomber. Il devait donc l'avoir encore en sa possession. Il revint vers lui, le palpa non avec une certaine réticence, et finit par retrouver la clé nichée sous son poitrail. Il le souleva légèrement, récupéra l'objet de malheur et se dirigea vers la porte, d'un pas lent et lourd, engourdi du choc émotionnel qu'il venait de subir.

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- Et c'est ainsi que tu m'as trouvé... - soupira Terry en baissant piteusement le nez.

Candy se leva, pensive. Il s'attendait à une nouvelle remontrance de sa part mais ce qu'elle laissa échapper le laissa pantois :

- Rudolph Valentino aime les hommes ! - s'écria-t-elle en parcourant la pièce de long en large – Rudolph Valentino aime LES HOMMES !

Sa voix montait crescendo au rythme de sa prise de conscience. Jamais elle n'aurait imaginé que celui qui avait incarné les plus grands héros de la littérature, celui pour lequel elle avait pleuré en le voyant mourir dans les bras de sa bien aimée dans « Arènes Sanglantes », celui qu'elle était allée voir à plusieurs reprises au cinéma de La Porte en compagnie de Soeur Maria et de Mademoiselle Pony (ses plus grandes fans après Terry), celui là, ma foi, aurait préféré se lover dans les bras d'Armand Duval que dans ceux de la Dame aux camélias !

- Rudolph Valentino est gay ! - ne cessait-elle de répéter en agitant les bras, visiblement abasourdie par la nouvelle.
- C'est tout ce que tu retiens de cette histoire ? Que Valentino est gay ??? - rétorqua Terry vexé - Tu oublies que j'ai frôlé la prison ! Cela n'a pas l'air de te bouleverser outre mesure !

La réflexion du jeune homme eut tôt fait de la ramener sur terre. Piquée au vif, le nez froncé de colère, elle lui rétorqua :

- Tu n'as rien frôlé du tout ! Il s'est assommé en tombant et voilà tout !
- Cela aurait pu être plus grave !
- Hé bien ce ne fut pas le cas ! Et n'oublie pas que si tu en es là, c'est parce que tu es un JALOUX MALADIF et PARANOIAQUE de surcroit ! Même pas fichu de remarquer que c'était à toi qu'il faisait du gringue !
- Cela te va bien de te moquer ! Ce n'est pas toi qui t'es trouvée dans cette situation ! Il m'a vraiment fichu la frousse, tu sais !
- Je n'ai aucun mal à te croire ! - ricana Candy – Toi qui voulais lui casser la figure, bien mal t'en a pris ! Haha !
- Je t'avoue que je suis un peu déçu de ne pas avoir pu coller mon poing sur sa face fardée, mais que veux-tu, je n'allais pas frapper quelqu'un en situation de faiblesse ! – fit Terry avec un léger sourire.
- J'en conviens ! - pouffa Candy – Nu sous un kimono n'est pas une tenue pour se défendre. La preuve, il a glissé comme une savonnette !

A ces mots, ils ne purent retenir un rire qui rapidement devint fou, au point de les obliger à s'asseoir. La tension de la nuit se libérait et jaillissait comme un geyser, par éclats tonitruants. Ce n'est qu'au bout de longues minutes, (après surtout que leur voisin de chambre les informât par quelques coups fermes contre la cloison qu'ils étaient un peu trop bruyants) qu'ils se calmèrent, le visage baigné de larmes d'avoir trop ri.

- J'espère qu'il va vite se remettre... - fit Terry entre deux derniers hoquets.
- C'est surtout son dentiste qui va avoir du travail... J'ai trouvé une belle incisive sur la moquette. Les dents de devant, ça ne pardonne pas, surtout pour une vedette comme lui...

Terry sentit le fou rire le reprendre.

- Arrêtons d'en parler sinon nous allons encore faire du bruit et il y aura des plaintes... - fit-il en essayant de retrouver un peu de maîtrise – On ferait mieux d'aller se coucher. Tu viens ?
- Où ça ? - répondit Candy d'un air interrogatif.
- Hé bien, au lit, avec moi, voyons !
- Tu plaisantes ??? Après la soirée que tu viens de me faire passer ??? Figurez-vous monsieur Grandchester, que c'est bien la dernière chose que j'ai envie de faire ! Pour une fois, je trouve que l'idée d'avoir pris des chambres séparées (pour éviter de faire jaser) est excellente et me rend bien service ce soir. Vous dormirez dans votre chambre et moi dans la mienne, ce sera très bien ainsi !
- Ma parole !!!! Mais quelle mouche t'a piquée ??? Tu as vraiment un fichu caractère !
- Je te renvoie le compliment !...

Déstabilisé par tant d'effronterie, il resta quelques instants muet, puis redressant orgueilleusement, le nez, il tourna les talons tout en levant un bras en l'air en signe d'indifférence.

- Soit... Je mérite ce châtiment... Mais pour une nuit seulement, mademoiselle Taches de son ! Entendez-vous bien, une nuit !

De rage, elle lança vers lui le premier coussin qui se trouvait à sa portée, mais manqua sa cible qui, déjà, avait disparu dans sa chambre d'où lui provint cet insupportable ricanement moqueur qui avait le don de l'horripiler. Fulminant de rage, elle ouvrit la porte communicante qui la séparait de sa propre cabine et la claqua avec fracas, bien déterminée à ne pas lui adresser la parole pendant plusieurs jours !

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Elle se réveilla en sursaut milieu de la nuit. En dépit du sang-froid admirable qu'elle avait affiché devant Terry, les émotions de la soirée l'avait passablement secouée. Sans surprise, ses rêves avaient rapidement cédé la place à un affreux cauchemar dans lequel Rodolphe, le frère de Terry l'attaquait de nouveau tout en prenant peu à peu l'apparence de Rudolph Valentino. Malgré tous ses efforts pour paraître sereine, elle ne s'était pas encore bien remise de l'agression de son beau-frère, dont le souvenir la surprenait parfois, sournoisement, dans son sommeil. Le cœur battant et la respiration haletante, elle chercha d'une main tremblante l'interrupteur de sa lampe de chevet. Tout était calme dans la pièce et elle secoua la tête, contrariée de n'avoir pu contrôler sa peur. Elle se leva, se versa un verre d'eau pour se nettoyer de toute cette noirceur intérieure, puis se rendit dans le salon où la lumière de la nuit se reflétait sur les meubles en ondoyant. Un silence paisible régnait dans la pièce et pourtant, une envie irrépressible de rejoindre Terry la saisit. Lui seul avait le pouvoir de chasser ses craintes et d'adoucir son âme meurtrie.

Elle tourna la poignée de la porte communicante, et contre toute attente se retrouva nez à nez devant lui, uniquement vêtu de son pantalon de pyjama. Surprise, elle resta quelques secondes sans rien dire.

- Toi aussi tu ne dors pas ? - lui dit-il enfin en posant tendrement une main sur sa joue. Elle opina de la tête tout en plongeant son regard émeraude dans le sien. Comme elle était heureuse de le revoir ! Oubliées les disputes, oubliée la colère, elle ne voulait qu'une chose, être accueillie dans ses bras protecteurs.

Elle se lova contre lui et nicha sa tête au creux de sa poitrine. Il sentait son cœur battre très vite, comme un animal apeuré, et la serra un peu plus fort contre lui pour la rassurer. Dieu qu'il détestait la savoir dans cet état, lui qui s'était juré de toujours la protéger.

Peu à peu, la chaleur de leurs deux corps les enveloppèrent. Le cœur de Candy ralentit et sa respiration devint plus régulière. Elle sentit l'étreinte de Terry se resserrer, ses mains caressantes glisser vers ses reins. Elle releva la tête et aperçut, dans la faible clarté de la nuit, ses yeux qui brillaient d'un trouble qu'elle reconnaissait, celui qu'elle mourait d'envie de partager avec lui. Dressée sur la pointe des pieds, elle passa ses bras autour de sa nuque et partit en quête de sa bouche, qu'elle rencontra en chemin, pressante et affamée. Emportés dans un baiser fougueux, ils se sentirent aspirés dans un vertige voluptueux qui les étourdissait. S'abandonnant sans retenue aux caresses de Terry, elle sentait ses doigts courir sur sa poitrine nue, qu'il avait, d'un geste vif, dégagée de toute contrainte. Collée à lui, elle ne pouvait ignorer la passion qui le possédait, et elle y répondit d'un imperceptible mouvement de tout son corps. Soudain, elle se sentit soulevée et transportée avec empressement dans sa chambre, puis posée sans grande précaution sur son lit où il la rejoignit, délesté à son tour de son vêtement de nuit...

Elle s'alanguit sur la couche et l'attendit, soumise avec délice au souffle court qui la caressait, impatiente d'accueillir ce corps qui maintenant s'appesantissait sur elle. Elle entrouvrit les lèvres et sentit le doux contact de sa langue sur la sienne tandis qu'il ramenait ses fines jambes autour de lui. Elle se cabra légèrement quand il entra en elle, laissant échapper un long soupir d'extase. Un plaisir violent, paralysant, prit alors possession d'elle, une brûlure intense et exquise qui pénétrait chacun de ses muscles, jusqu'à l'éblouissement. Le balancement sensuel de leurs corps sous tension rythmait leurs plaintes lascives, excitant leurs sens qui vibraient sous leur peau.

C'est alors qu'audacieuse, elle le renversa par surprise, se positionnant en amazone pour mieux le dominer. Troublé, frémissant et haletant, Terry l'observait, maîtresse de son corps dont elle voulait combler le sien. Assise au-dessus de lui, elle commença à le stimuler, se mouvant en lui, à l'écoute de ses soupirs qui allaient crescendo tandis que son regard se voilait de fièvre. Se sentant perdre pied, il se redressa, caressa longuement, d'une main brûlante, sa poitrine, pour, à bout de résistance, s'emparer goulument d'un des tétons, et jouer de sa langue avec lui, suscitant chez elle des sensations aiguës, excitantes, qu'elle encourageait par des petits cris de plaisir. Ses lèvres se crispèrent et sa respiration se fit de plus en plus haletante, signes annonciateurs d'une jouissance prochaine. Il empoigna alors ses hanches et se mit à guider ses mouvements, lesquels prirent force et vitesse, poussés par la hâte d'atteindre la satisfaction céleste. La respiration rauque et sifflante de Terry résonnait dans la tête de la jeune femme, une musique enivrante qui précipitait en chute libre vers le plaisir ultime. Le flot violent et irrésistible de la délivrance les emporta soudain, dans un cri de volupté libérateur, les laissant sans souffle, à demi inconscients sur le lit.

Haletant, Terry se tourna vers Candy, échouée à côté de lui. Les lueurs de la nuit jouaient sur son doux visage, dont les traits détendus par l'amour bouleversaient toujours autant le jeune homme. Il caressa tendrement sa figure, traçant du bout des doigts la courbe de sa bouche entrouverte d'où s'échappait le son paisible de sa respiration. Il comprit qu'elle dormait déjà et un sourire ému se dessina sur ses lèvres. Il rabattit le drap sur sa peau délicate et s'allongea à côté d'elle, les yeux rivés sur elle, longuement, émerveillé, l'esprit débordant de mots tendres pour elle jusqu'à ce que la fatigue s'empare à son tour de lui et l'emporte dans un sommeil sans rêve jusqu'au petit matin...

Fin du chapitre 23

 
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view post Posted on 18/2/2021, 18:45
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Chapitre 24



Cela faisait plus d'une heure que Candy et Terry occupaient une des tables du restaurant principal du paquebot, sans pour autant avoir touché à leur plat. Installés près de la baie vitrée qui donnait sur le pont, ils n'avaient de cesse de lever le nez de leur assiette à chaque apparition d'un passager dans la pièce ou d'un promeneur sur le pont, espérant voir surgir avec sa majesté coutumière celui qui occupait toutes leurs pensées depuis les évènements de la nuit.

- Je crois que c'est peine perdue... - soupira Terry en finissant par porter une tasse de café à sa bouche. Il grimaça. Le café était froid... – Il ne viendra jamais ici. Il doit se terrer dans sa chambre en attendant notre arrivée à New-York...
- Ce n'est pas étonnant vu les circonstances... Ce sont ses admiratrices qui doivent être déçues, lui qui les avait habituées à sa présence ici.

En disant cela, Candy déplaça son regard vers un groupe de jeunes femmes bien pomponnées, attablées un peu plus loin, qu'on avait l'habitude d'apercevoir à longueur de journée en périphérie de leur idole. La mine contrariée qu'elles affichaient ne laissait aucun doute sur l'objet de leur abattement. Soudain, leurs visages s'illuminèrent à la vue d'une de leurs camarades qui se dirigeait vers elles d'un pas vif.

- Alors ??? - s'écrièrent-elles toutes en choeur.
- Rassurez-vous, les amies, il va très bien ! Je viens de parler à son assistant. Monsieur Valentino souffre d'une violente migraine et préfère rester dans sa chambre.
- Hoooooo – firent-elles dans un miaulement compatissant.
- Pauvre amouuur !... - gémit une des groupies en secouant la tête.
- J'aimerais tant être à son chevet... - renchérit une autre.
- Quel soulagement ! - s'écria une troisième dans un soupir libérateur – J'étais tellement habituée à le voir déjeuner ici, que je craignais le pire ! Déjà qu'on nous avait interdit d'approcher de sa cabine hier soir !...

A ces mots, Candy et Terry échangèrent un regard complice...

- C'est vrai ! D'habitude, il nous laissait le saluer une dernière fois. Mais hier soir, son équipe nous avait bien fait comprendre de le laisser tranquille. Peut-être était-il déjà souffrant ?
- Tu dois avoir raison. Il souffrait et il voulait nous le cacher pour ne pas nous inquiéter !
- Quel homme attentionné et courageux quand même !
- Oh oui, quel hoooooooomme ! - soupirèrent-elles à l'unisson d'un air émerveillé.

Les épaules de Candy tressautèrent imperceptiblement.

- Si elles savaient !... - gloussa-t-elle – Elles ne s'en remettraient pas !...

Un sourire éloquent se dessina sur les lèvres de son amoureux.

- Quoi ? - demanda-t-elle, le sourcil arqué d'interrogation.
- Ho rien... Je trouvais qu'elles me rappelaient quelqu'un qui avait eu la même réaction hier soir...
- Tu ne vas pas me comparer à ces bécasses quand même !!!
- Je te ferais remarquer que tu as arpenté la cabine de long en large pendant dix minutes !
- Mais... Mais... C'est parce-que j'étais sous le choc !

Le sourire moqueur de Terry s'élargit de plus belle...

- Bon d'accord !... - grommela-t'elle – Je n'étais pas dans mon état normal, je l'avoue... Mais j'avais des circonstances atténuantes !...
- Je ne vais pas te contredire sur ce point... - dit-il, songeur.
- Tu sais... - fit-elle alors en lui prenant la main – Je suis soulagée moi aussi...

Elle sentit que sa main à lui tremblait sous la sienne et remarqua un voile sombre glisser sur son visage...

- C'est terminé à présent ! Tu ne le reverras pas de sitôt et si tu devais le croiser de nouveau, je suis prête à parier qu'il t'évitera comme la peste !
- Dieu m'en préserve ! Je ne veux plus jamais connaître une frousse pareille !
- Il n'y a aucune chance que cela t'arrive si tu apprends à calmer tes nerfs et par dessus tout, TA JALOUSIE !
- Je pense que je t'aime trop pour y arriver un jour... - soupira-t-il – D'ailleurs, tu devrais te dépêcher de boire ton café...
- Pourquoi ? Nous avons tout notre temps !
- Pas assez en tout cas si je veux pouvoir te faire l'amour avant que les femmes de chambre viennent s'occuper de nos cabines...

Le teint de Candy vira immédiatement à l'écarlate. Elle toussota, ayant manqué de s'étrangler avec la gorgée de café qu'elle était en train d'avaler. Elle fixait sa tasse, n'osant regarder autour d'elle, convaincue que tout le restaurant les avait entendus. D'un calme olympien, Terry l'observait, une lueur d'amusement dans les yeux. Il ne se lassait pas de la pousser dans ses retranchements et adorait l'expression offusquée qui s'était figée sur ses jolis traits. Mais soudain, elle se redressa, et relevant le menton d'un air digne, elle se leva. Puis, sans un regard pour lui, murmura discrètement en s'éloignant :

- Rejoins-moi au plus vite ! J'aurais déjà retourné la pancarte sur la poignée pour qu'on ne nous dérange pas...

*************************



Le bateau arriva au port de New-York en fin d'après-midi. C'était la cohue dans les couloirs mais aussi sur le quai. Heureusement, les premières classes bénéficiaient d'une sortie privative qui leur permettaient de quitter le bateau sans avoir à faire la queue tandis que le personnel s'occupait de leurs bagages.

Trépignant d'impatience derrière une grand-mère qui avançait très prudemment, Candy se demandait qui les attendait à terre. Peut-être Georges et Albert ? Ces deux-là ne se quittaient jamais, un vrai binôme. Ou peut-être Annie et Archibald ? Ou peut-être tous les quatre ensemble ? Elle soupira d'aise à cette évocation et s'engagea enfin sur la passerelle. Elle aperçut alors Annie et Archibald qui lui faisaient signe. Son cœur bondit de joie. Elle était si heureuse d'être de retour en compagnie Terry, l'homme qu'elle aimait depuis toujours. Après toutes ces années de souffrance, la boucle était enfin bouclée. A cet instant, elle éprouvait définitivement un bonheur incommensurable que rien n'aurait pu ternir...

A mesure qu'elle avançait, elle remarqua un groupe de photographes attroupés devant la passerelle au point d'en boucher la sortie. Elle se dit qu'ils étaient là pour Rudolph Valentino (qui n'était toujours pas réapparu), et ne s'en soucia point jusqu'à ce qu'elle les entendent hurler le nom de Terry. En quelques secondes elle réalisa qu'elle était à New-York et que leur intimité n'en serait plus une. Ici, il était une super star !

Ce dernier lui prit la main et lui chuchota à l'oreille :

- Laissons-les prendre quelques photos, nous en serons plus vite débarrassés.

Elle hocha la tête et se laissa guider par le jeune homme qui maîtrisait visiblement l'exercice. Les flashs des photographes crépitaient autour d'eux comme des feux d'artifices.

- Qui est donc cette jeune femme qui se tient à votre bras, Terrence Graham ? - demanda un reporter en brandissant son carnet de notes.

Etrangement cette fois, le jeune comédien ne s'offusqua pas de cette question particulièrement intrusive, affichant tout au contraire un visage radieux et détendu.

- Messieurs, permettez-moi de vous présenter Candice Neige André, ma fiancée...
- Votre fiancée ???? - s'écria le journaliste – Peut-on alors en conclure que vous allez prochainement vous marier ?
- Le plus tôt sera le mieux... - répondit Terry en posant des yeux amoureux sur Candy, rougissante.

A ces mots, les appareils photos se mirent de plus belle en action, dans une confusion assourdissante où se mêlaient les cris des journalistes et le bruit de leurs appareils.

- C'est de la folie !... - se dit Candy, stupéfaite par une telle démonstration d'intérêt – Vivement que nous retrouvions le calme de la Maison Pony. Comme elle avait hâte de les revoir tous !
- Mademoiselle André ! - intervint alors un autre journaliste – Ne seriez-vous pas la fille adoptive de William Albert André, de Chicago ?
- Je le suis, en effet... - répondit Candy, étonnée que l'on connaisse son identité. Ayant la plupart de sa vie vécu à la Maison Pony, elle n'imaginait pas qu'un journaliste de New-York puisse être informé de sa filiation.
- Votre présence ici aurait-elle un lien avec l'hospitalisation de votre père, avant-hier ?
- Une hospitalisation ??? Mais de quelle hospitalisation parlez-vous ??? - s'écria-t-elle, les yeux écarquillés de surprise. Elle échangea un regard médusé avec Terry qui semblait tout aussi ahuri qu'elle.
- Je vous parle du malaise qui a terrassé votre père, avant-hier et qui a nécessité son transport en urgence à l'hôpital – répondit le journaliste, maîtrisant avec peine le frisson de plaisir qui le parcourait devant le scoop qu'il détenait – Vous n'en avez pas été avertie ?
- Non... Je... N... - bredouilla-t-elle, livide. Du coin de l'oeil, elle aperçut Annie et Archibald qui s'approchaient, la mine sombre.
- C'est donc vrai... - se dit-elle, et ses yeux se remplirent immédiatement de larmes. Elle sentit alors le bras protecteur de Terry l'attirer contre lui, tandis qu'il repoussait de l'autre les photographes qui les encerclaient.
- Cette discussion est close à présent, messieurs. Ayez l'obligeance de nous laisser passer ! - ordonna-t-il, tout en forçant sans ménagement le barrage de journalistes.
- Mais... Terrence ! Attendez !... - s'exclamèrent-ils en résistant.

Mû par la colère, il usa cette fois de quelques coups d'épaules virils, ouvrant ainsi une brèche dans laquelle ils se précipitèrent pour échapper à leurs poursuivants. Par chance, Rudolph Valentino venait de faire son apparition sur la passerelle, ce qui détourna définitivement l'attention des journalistes, permettant ainsi à Candy et Terry de rejoindre leurs cousins. Les traits tirés sur leurs visages témoignaient de leur profonde affliction.

- J'aurais tant voulu que tu l'apprennes autrement, Candy... - fit Annie en la serrant tristement dans ses bras.
- C'est horrible, Annie !... - gémit-elle – Je t'en prie ! Explique-moi ! Que s'est-il passé ???
- Il s'est senti mal après le repas du soir et s'est écroulé dans son bureau. Nous n'étions pas présents malheureusement quand cela est arrivé. Nous étions déjà à New-York depuis quelques jours. C'est Georges qui nous a contactés...
- Mais comment cela a-t-il pu arriver ??? Il était en pleine forme quand je suis partie !
- Nous n'en savons pas plus pour le moment...
- A-t-il... A-t-il au moins repris connaissance ? - bredouilla Candy d'une voix tremblante.
- Pas encore, je regrette... - soupira Annie.
- Mais rassure-toi, Georges est auprès de lui et nous tient informés régulièrement - ajouta Archibald – Les meilleurs médecins s'occupent de lui.

Malgré ces paroles qui se voulaient rassurantes, Candy devinait leur inquiétude et une peur atroce la saisit, ravivant des plaies qui ne s'étaient jamais refermées et dont l'atrocité l'horrifiait. Prise de panique, elle plongea la tête dans le creux de ses mains et éclata en sanglots. Immédiatement, Terry la prit dans ses bras, la couvrant de caresses qui se voulaient réconfortantes mais manifestement impuissantes...

- Albert, mon dieu, Albert !!!! Je ne veux pas le perdre !!! - sanglotait-elle contre sa poitrine.
- Cela n'arrivera pas, mon aimée – lui dit-il, la gorge nouée – Albert est encore jeune et athlétique. Je suis sûr que ce n'est pas grand chose, une petite alerte de rien du tout. D'ici que nous soyons arrivés à Chicago, je te parie qu'il se sera réveillé !
- Ne t'inquiète pas, Candy – ajouta Annie, de sa douce voix – Il est entre de très bonnes mains...
- Je veux le voir ! Je veux le voir tout de suite !!! - hurla Candy à la limite de l'hystérie.
- Alors ne perdons pas de temps ! - fit Archibald, en leur faisant signe de le suivre - Notre chauffeur s'est déjà chargé de vos bagages et nous attend pour partir immédiatement.

Puis prenant la main de Candy entre les siennes, il lui dit, d'une voix calme mais assurée :

- Nous roulerons toute la nuit s'il le faut, mais je te promets que tu seras à son chevet avant le lever du soleil !

Un soupir frémissant s'échappa de la gorge de la jeune femme et elle opina de gratitude. Elle ne pouvait plus parler, bouleversée d'effroi à l'idée de perdre à nouveau un être cher. Son esprit divaguait de pensées multiples, angoissantes et terrifiantes, à lui couper le souffle. Elle avait cru devenir folle à la mort d'Anthony. Cette fois, elle ne pourrait pas supporter de perdre Albert...

Titubante, elle se laissa conduire jusqu'à l'automobile et s'engouffra à l'intérieur, indifférente au brouhaha extérieur provoqué par la présence de Rudolph Valentino sur le quai. Le visage dissimulé sous des lunettes noires et une longue écharpe de soie, il tentait à son tour d'échapper à la meute de journalistes qui l'avait repéré et que repoussait ses gardes du corps postés tout autour de lui. Tout occupé à fuir la foule de curieux, il ne remarqua pas les quatre passagers de la luxueuse voiture qui passa non loin de lui et qui se dirigeait lentement vers la sortie, vers la longue route qui menait à Chicago, longue et interminable, insupportablement interminable....

Fin du chapitre 24

 
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view post Posted on 6/4/2021, 21:31
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Chapitre 25



Ils n'étaient pas plus tôt dans la voiture que Candy réalisa l'état avancé de la grossesse d'Annie. Elle était tellement choquée par ce qu'elle venait d'apprendre sur Albert, qu'elle n'avait même pas remarqué le gros ventre de son amie.

- Tu ne peux pas faire une aussi longue route dans ton état ! Tu dois retourner à l'hôtel et te reposer.

- Je vais très bien, je t'assure, Candy.

- Tu es enceinte, Annie ! Et ce n'est pas bon pour toi de faire un si long trajet ! Je refuse que tu prennes ce risque !

- Mais non, je peux très bien....

- Je t'en supplie, Annie !... - l'interrompit Candy, la mâchoire serrée. Le ton qu'elle avait employé, empreint de colère et de désespoir, ne laissait aucune équivoque. Il valait mieux céder...

- Soit... - fit Annie en soupirant – Nous prendrons le premier train demain... Et avec couchette !... - ajouta-t-elle avec un demi-sourire. A ces mots Candy émit un grand soupir de soulagement et prit la main de son amie qu'elle embrassa avec reconnaissance.

- Merci pour ta compréhension, mon amie. Je n'aurais pas tenu cinq secondes de plus. Ne m'en veux pas. Je suis déjà au bord de la crise de nerfs quand je pense à Albert. Je ne peux pas m'inquiéter pour toi aussi, pas maintenant...

De grosses larmes roulèrent sur ses joues et elle éclata en sanglots. Assis en face d'elle, Terry lui prit les mains et les serra très fort. Il aurait donné n'importe quoi pour faire accélérer le temps et faire qu'ils soient déjà au chevet de leur ami. Un sentiment d'impuissance et d'injustice montait en lui, ne faisant qu'accroitre son désarroi.

Discrètement, Archibald fit un signe de tête au chauffeur qui détourna sa route en direction de leur hôtel. La séparation fut brève, sans grande effusion, avec la promesse de se donner des nouvelles au plus vite.

Comme l'avait promis Archibald, Chicago fut atteint au petit matin en dépit des quelques arrêts nécessaires pour s'approvisionner en carburant mais aussi pour changer de conducteur. Le pauvre chauffeur aussi professionnel qu'il fût, ne pouvait rouler douze heures à la suite sans un peu de repos, c'est pourquoi, pour plus de sécurité, Terry lui avait proposé, puis insisté pour le remplacer. Ils avaient donc alterné régulièrement, s'octroyant quand la route le permettait, quelques pointes de vitesse.

Candy était dans un tel état de nervosité qu'elle avait fini par accepter le calmant qu'Annie avait confié à Terry en prévision, ce qui lui avait permis de dormir quelques heures. Elle avait rouvert les yeux en approche de Chicago.

- Nous voilà enfin arrivés ! - se dit-elle en se redressant. Mais à mesure que son esprit s'éveillait, le sentiment d'angoisse qui l'avait habitée tout le long du trajet reprit en vigueur, oppressant, crispant chacun de ses muscles à l'en faire grimacer de douleur.

- Tu ne te sens pas bien, mon aimée ? - demanda Terry, le front plissé d'inquiétude.

- Je me sentirai bien mieux quand je serai auprès d'Albert... - fit-elle dans un souffle en tournant la tête vers la vitre. Elle ne pouvait croiser le regard de Terry de crainte d'y lire son propre tourment, les mêmes incertitudes. Dans quel état allait-elle le retrouver ? Serait-il à jamais cloué dans ce lit, inerte comme une plante verte ? Dans l'exercice de son métier, elle en avait vu si souvent dans ce cas... Elle savait aussi très bien que bon nombre ne récupéraient jamais et s'éteignaient peu à peu comme une chandelle... Non, non ! Cela n'arriverait jamais à Albert ! Elle se battrait pour lui, s'occuperait de lui jour et nuit, et il redeviendrait le Albert fort et courageux qu'elle avait toujours connu, celui qui l'avait toujours soutenue et protégée, comme un grand frère, comme un père... Non, jamais elle n'accepterait de le perdre !!!

De grosses larmes brûlantes roulèrent sur ses joues et un soupir tremblotant s'échappa de sa bouche. La main de Terry se posa sur la sienne qu'elle accueillit avec un triste sourire.

- Ne perds pas espoir, Candy... - fit-il, de sa voix douce – Il en a vu d'autres, tu le sais. Il s'en remettra...

Candy hocha tristement la tête et se tourna de nouveau vers la vitre, le regard perdu. Les paroles de Terry se voulaient encourageantes mais ne pouvaient l'empêcher d'imaginer le pire. Décidément, dès qu'un peu de bonheur prenait place dans sa vie, un triste évènement venait tout gâcher, comme une piqûre de rappel déterminée à lui signifier que ce que la vie lui offrait pouvait lui être retiré sans autre forme de procès. Cette vie si souvent cruelle et injuste avec elle.... Elle pensait avoir mérité un peu de répit après tout ce qu'elle avait traversé, et voilà que l'épée de Damoclès tremblait une nouvelle fois au-dessus de sa tête...

- Cela prendra-t-il fin un jour ? - se dit-elle, tristement - Quand pourrais-je enfin être heureuse avec ceux que j'aime ?

La main de Terry serra un peu plus fort la sienne. Elle posa sa tête contre son épaule et ferma les yeux, le corps secoué de spasmes nerveux. Enfermés depuis des heures dans cet habitacle, aussi luxueux fut-il, il restait une prison mobile, qui bien que les rapprochant à chaque minute de leur destination, ne dépassait pas aux yeux de Candy, la vitesse de celle d'une tortue.

*********************



Au bout d'une interminable demi-heure, ils arrivèrent devant l'hôpital. Le chauffeur avait à peine posé un pied hors du véhicule que le jeune couple se trouvait déjà à l'extérieur. Sans attendre, ils montèrent quatre à quatre les marches, tirèrent avec autant d'empressement la grande porte et se retrouvèrent dans le hall d'accueil, vierge de monde en cette heure matinale. Un homme assis sur une banquette se leva alors en les apercevant.

- Mademoiselle Candy, monsieur Terrence ! Je vous attendais ! - fit George en se dirigeant vers eux - Monsieur Archibald m'a prévenu de votre arrivée.

- Où est Albert ??? - s'écria Candy, oubliant toute forme de politesse. Elle n'avait vraiment pas de temps à perdre !

Georges ne s'en offusqua point, comprenant tout à fait l'impatience de la protégée de son maître. Néanmoins, il devait l'informer de certains détails dont il ne voulait pas parler devant le malade.

- Il faut que je vous dise, mademoiselle.... L'état de santé de monsieur William est très préoccupant. Les médecins ont prévu de l'opérer ce matin à la vue des dernières radiographies...

Le sol sembla s'échapper sous les pieds de la jeune femme.

- De... De quoi souffre Albert ? - parvint-elle à prononcer - Je vous en prie, ne me cachez rien? Je veux la vérité.

George baissa les yeux et répondit d'une voix étranglée.

- Il a une tumeur au cerveau...

- Une tumeur, mon Dieu !!! - gémit Candy, horrifiée, en portant une main à sa bouche.

- C'est ce qu'ils ont découvert sur les radios... - répondit George en soupirant - Ils vont l'opérer ce matin pour déterminer sa dangerosité et essayer de l'ôter...

- Je ne comprends pas, Georges ! Albert avait l'air en forme quand je suis partie ! Cette tumeur n'est pas apparue comme par magie !

- En effet, mademoiselle... Pour tout vous dire, votre père souffrait depuis quelques mois de très douloureux maux de tête qui l'handicapaient énormément. Mais vous le connaissez, il n'en avait parlé à personne, ni à son médecin, ni à moi, se contentant de prendre quelques pilules qui le soulageaient momentanément. Puis sa main s'est mise à trembler. Il n'a pas pu me le cacher bien longtemps. C'est là que j'ai insisté pour qu'il voie un spécialiste, lequel a remarqué une tache sur la radio de son cerveau mais trop petite pour que l'on risque une intervention. Il fallait donc attendre qu'elle grossisse et malheureusement, c'est ce qui est arrivé. Son état a empiré rapidement : tremblements, raideurs, malaises qui par chance ne se produisaient que lorsque nous étions seuls... Jusqu'à ce qu'il s'effondre avant-hier dans son bureau et qu'il ne reprenne pas connaissance...

- Mon Dieu, Albert ! - sanglotait Candy, en secouant la tête - Ce n'est pas possible, cela ne peut pas être aussi grave !...

- Il ne faut pas perdre espoir, mademoiselle... - dit Georges en lui prenant les mains et les serrant très fort - Nous en serons un peu plus après l'opération... D'ici là....

- D'ici là, il nous faut attendre... - murmura-t-elle, d'une voix cassée par le chagrin - Attendre...

Intérieurement, un sentiment profond de rage contenue grandissait et menaçait d'exploser. Elle avait envie d'hurler !...

- Menez moi à lui, tout de suite !!!

- Suivez-moi, je vous prie...

Leurs pas rapides résonnaient sur le sol carrelé, croisant en chemin ceux du personnel qui prenait la relève de l'équipe de nuit, et qui regardait passer d'un air interrogatif ce trio bien empressé de si bon matin.

Parvenus devant la chambre d'Albert, Candy eut un instant d'hésitation.

Dans quel état allait-elle le retrouver ? Le supporterait-elle ?

D'une main fébrile, elle poussa la porte qui s'ouvrit sur une chambre de taille moyenne à l'aménagement très sommaire. Albert se trouvait là, allongé sur un lit à côté d'une fenêtre avec vue sur le parc. Un long tuyau partait de son bras jusqu'à une bouteille suspendue au-dessus de lui. Il semblait si fragile...

Candy s'approcha, la vue brouillée de larmes. Il était si pâle... Elle s'agenouilla à côté de lui et lui prit la main.

- Albert... C'est moi, Candy... - fit-elle d'une voix chevrotante - Je suis de retour.... Je ne vais plus te quitter. Quand tu te réveilleras, je serai là, je te le promets...

Mais Albert ne réagit pas, prisonnier du sommeil profond dans lequel il était plongé. Le coeur de Candy se serra de plus belle devant son impuissance à le ranimer. Naïvement, elle avait pensé qu'en sentant sa présence, il se serait immédiatement réveillé ou aurait tout au moins esquissé un geste vers elle. Mais la réalité était tristement tout autre...

Etrangement, quand l'équipe d'infirmiers apparut dans la pièce pour le conduire en chirurgie, elle se sentit soulagée. On allait l'opérer, le soigner, et elle le retrouverait comme avant, comme au moment où elle l'avait quitté avant de partir pour l'Europe...

Si elle n'était pas partie, si elle était restée avec lui, si....

Elle avait dû parler à voix haute car Terry la fit se tourner vers lui et prit son visage entre ses mains.

- Chasse ces pensées de ton esprit, mon aimée ! Je t'en supplie !...

Il avait dit cela sur un ton tellement désespéré qu'elle s'était jetée à son cou en sanglotant.

- Pardonne-moi mon amour, pardon !... Je me sens si perdue !...

- Tu n'es coupable de rien... Je t'en prie, ne te rends pas responsable de son état... Tu n'aurais rien pu faire... Et puis...

Il la serra plus fort contre lui.

- C'est ce qu'il voulait... Que nous nous retrouvions... Ne gâchons pas ce que nous avons si durement acquis...

Elle opina, la tête enfouie dans son épaule tout en pleurant.

- Oui, oui, tu as raison. Pardon, pardon !...

Elle se redressa, le visage baigné de larmes.

- Ne va pas croire que... que je regrette.... Non !... Mais j'ai si peur, Terry ! Oh oui, j'ai si peur ! - fit-elle en redoublant de sanglots contre lui.

Pendant de longues minutes, ce dernier la tint dans ses bras, caressant son dos, ses épaules, murmurant des paroles apaisantes qui peu à peu calmèrent ses pleurs. Lui seul, par sa seule présence, avait ce pouvoir d'adoucir sa peine et d'alléger son coeur. Cet homme, qui dans quelques semaines, deviendrait celui qui prendrait soin d'elle pour le restant de leurs jours, son mari aimant et protecteur, à l'issue d'une union pour laquelle Albert avait tant œuvré... Tout devint alors limpide dans l'esprit de Candy et un cri étouffé s'échappa de sa gorge sous le coup de l'émotion qui la traversait.

Albert savait... Il savait qu'il était malade et voulait mettre de l'ordre dans sa famille avant de... de...

Elle secoua la tête, refusant cette pensée terrible qui s'imposait à elle...

- Je voudrais aller marcher... - fit-elle la gorge nouée. Il fallait qu'elle sorte d'ici avant de devenir folle !...

- Je t'accompagne... - fit Terry tout en jetant un oeil discret vers Georges qui acquiesça.

- Prenez tout votre temps. S'il se passe quelque chose, je vous avertirai...

Le jeune couple sortit de la chambre et se dirigea vers le parc qui entourait le bâtiment. Quelques patients avaient déjà pris place sur des bancs, le visage tourné vers la lumière du matin qui scintillait à travers le feuillage des arbres centenaires. Il faisait bon, on entendait le concert joyeux des oiseaux qui s'éveillaient, le frétillement des grosses carpes du bassin central, la douce mélodie de l'eau qui s'écoulait dans la fontaine toute proche... Tout était si calme et apaisant, et pourtant rien n'aurait pu calmer le bouleversement intérieur qui agitait Candy.

- Comment vais-je pouvoir attendre ainsi sans pouvoir rien faire ??? - se disait-elle. Perdue dans ses pensées, elle se laissait guider par le bras de Terry, indifférente à tout ce qui se passait autour d'elle. Elle n'était plus capable de penser sereinement, son esprit tournant en boucle tandis que l'angoisse la taraudait. Terry devinait sans peine son inquiétude et tentait de faire diversion, essayant de capter son intérêt sur le paysage environnant. Mais il savait qu'il ne la retrouverait dans un état normal que lorsqu'Albert reviendrait de son opération, et surtout quand ils auraient le retour du chirurgien...

Cette attente dura de longues heures, et ce ne fut qu'en début d'après-midi qu'une infirmière vint leur apporter les premières nouvelles.

- L'opération s'est bien passée. Monsieur André est pour l'instant en salle de réveil et devrait être reconduit dans sa chambre dans peu de temps. Le docteur Walker ne va pas tarder à venir vous voir...

- Je vous en prie ! - fit Candy, tremblant d'impatience - Dites-lui de faire au plus vite ! Nous n'en pouvons plus d'attendre !

- Ne vous inquiétez pas, il ne va pas tarder.

L'infirmière quitta la pièce puis contre toute attente, réapparut quelques minutes plus tard, la mine soucieuse.

- Mademoiselle André, le docteur Walker souhaiterait s'entretenir avec vous dans son bureau. Veuillez me suivre s'il vous plaît...

Les sourcils froncés d'interrogation, Candy se leva. Elle posa un regard inquiet sur Georges et Terry qui ne semblaient pas plus rassurés qu'elle. Elle se raidit. Il effleura sa main tandis qu'elle passait devant lui, puis la regarda s'éloigner, la gorge sèche et le coeur empli d'angoisse...

*************************



Le docteur Walker était en train de rédiger son compte-rendu quand l'infirmière fit entrer Candy dans son bureau. C'était un homme d'une cinquantaine d'années, de taille moyenne et aux larges épaules. Une petite moustache aux coins recourbés lui donnait des airs étranges d'écrivain mondain croisé avec un joueur de rugby. Mais les nombreux diplomes qui tapissaient les murs, témoignaient de l'excellence de sa qualification. Il leva les yeux vers Candy, et le regard direct et déterminé qu'il lui adressa la rassura. Avec lui, elle allait savoir ce qu'il en était vraiment de l'état d'Albert...

- Asseyez-vous mademoiselle, je vous en prie... - fit-il en lui indiquant un fauteuil devant lui. Elle prit place docilement, le coeur battant à tout rompre. L'inquiétude et le manque de sommeil avaient figé ses jolis traits, et ses lèvres, tremblotantes, menaçaient à tout moment de rompre sous le poids des sanglots qu'elles retenaient.

Malgré l'expérience des années, Theodore Walker ne s'était jamais habitué aux visages dévastés des familles qu'il rencontraient. Le temps l'avait endurci mais il n'en restait pas moins désarmé, chaque cas bien que souvent similaire par sa nature, se distinguant des autres par le pronostic qu'il lui portait.... Une tâche presque ordinaire mais toujours terriblement ardue... Manipulant nerveusement son stylo à réservoir, il cherchait ses mots, ceux qui seraient les plus appropriés pour décrire la situation.

- Je vous ai fait venir dans mon bureau, mademoiselle André, car je préférais m'entretenir avec vous seul à seul. J'aurais pu le faire avec monsieur Georges, l'assistant de votre père, mais vous êtes sa fille, et c'est à vous qu'il revient d'être informée en priorité...

Il avait délaissé son stylo. Une tension extrême s'était abattue dans la pièce. Il posa ses avant-bras sur le bureau, joignit ses mains, et lâcha enfin, sur un ton sec et maladroit malgré toute la bienveillance qu'il éprouvait envers la jeune femme aux yeux larmoyants assise en face de lui.

- Je ne vais pas vous mentir, mademoiselle André... Nous avons pu ôter la plus grosse partie de la tumeur qui compressait le cerveau de votre père mais...

- Mais ?... - fit Candy, retenant son souffle.

- Mais ce n'est qu'un répit...

- Que... Que voulez-vous dire ?...

- Je veux dire qu'il est impossible d'ôter la tumeur dans sa totalité... Elle va malheureusement se développer de nouveau...

- Pardon docteur, mais.... - l'interrompit Candy, fébrile - Même si elle devait regrossir, vous pouvez toujours la réduire et permettre qu'elle se maintienne ainsi...

- Malgré mes efforts, et même si j'en enlève une partie à chaque fois, elle va s'étendre peu à peu et...

- Mais... - gémit la jeune femme, dont la voix s'envolait dans les aigus - Il existe un traitement à cela, n'est-ce pas ?

- La tumeur est en analyse au labo, mais vu son aspect, je peux déjà en déduire que nous avons affaire à une tumeur maligne qui, je le regrette, est... incurable...

- Vous voulez dire que.... que mon père est... PERDU ?!!!!

Elle s'entendit prononcer ces paroles comme si c'était une autre personne qui les disait, comme si elle était spectatrice de cette scène cauchemardesque. Tout était bloqué dans sa tête. Ses oreilles sifflaient d'hyperventilation. Elle voyait le médecin lui parler mais sa voix lui revenait déformée, comme si on lui avait plongé la tête sous l'eau. Ce n'était pas possible, elle allait se réveiller !!!

- Je suis vraiment désolé... - fit le docteur en baissant les yeux d'embarras - S'il y avait une chance, même infime, de le sauver, je vous le dirais... Malheureusement, la maladie de votre père est déjà trop avancée...

- Je ne comprends pas... Je ne comprends pas... - répétait Candy en secouant la tête - Il y a quelques semaines encore il paraissait en pleine santé !

- Sur les populations jeunes comme votre père, ce cancer se développe très vite... Et quand on le détecte, il est déjà trop tard...

Comme sous l'effet d'un coup de poignard, Candy poussa un cri de douleur, pliée en deux sur le fauteuil. C'était comme si des dizaines de lames la traversaient tant son corps n'était plus que douleurs et larmes. Elle voulait hurler mais sa gorge restait nouée, la laissant à bout de souffle. Au fond d'elle, elle savait qu'il n'y avait plus d'espoir, une certitude intime qui l'avait hantée depuis leur départ de New-York, comme si le malheur qui s'abattait sur elle ne lui laissait aucune possibilité de douter, si coutumier du fait qu'il était avec elle, la sidérant par sa soudaine cruauté et l'abandonnant à l'immensité de son chagrin.

A une vitesse fulgurante, un flot d'images et de souvenirs défilaient dans son esprit, pour s'évanouir aussi vite qu'ils étaient venus : sa première rencontre avec Albert sur la colline de Pony... Les traits juvénile du beau jeune homme qu'il était en devenir, vêtu du costume traditionnel écossais, avait charmé la petite fille qu'elle était et influencé par la suite son choix de partir vivre chez les Legrand, ce qui lui avait permis de faire la connaissance d'Anthony, son premier grand amour... Puis monsieur Albert le vagabond, celui qu'on chassait sans ménagements des terres de Lakewood, l'amoureux de la nature et des animaux, celui qui l'avait sauvée des eaux déchaînées de la rivière, puis plus tard des griffes de Daniel qui avait jeté son dévolu sur elle. Cet Albert dont elle avait pris soin à Chicago, cet ami si proche au point de l'aimer comme un frère, cet homme si secret qui avait pourtant toujours fait partie de sa vie, ce grand oncle William qui l'avait prise sous sa protection jusqu'à lui donner son nom. Cet homme qu'elle aimait comme un père, cet homme, dont la présence et le soutien si précieux la maintenaient en équilibre, son Albert, allait disparaître, et ne laisser à la place que le vide de l'absence, cette absence qu'elle connaissait si bien et dont la seule évocation la faisait trembler d'horreur...

- Il n'a que 38 ans... - se dit-elle - 38 ans !!!!! Il a encore toute la vie devant lui, tant de choses à faire et voilà que... que.... C'est tellement injuste ! Oh mon Dieu, Albert, comme je suis malheureuse pour toi !...

Le visage de gisant qu'elle avait découvert dans la chambre contrastait tant avec celui de l'Albert qu'elle avait laissé avant de partir pour l'Europe. Elle se remémorait son sourire bienveillant, ses yeux si clairs brillants de malice tandis qu'il l'accompagnait à la gare. Ses paroles encourageantes et rassurantes alors qu'elle rechignait encore sur le quai à laisser le docteur et ses mères se débrouiller sans elle. Car il savait tout déjà de son destin et du bonheur des retrouvailles qui l'attendait. Il avait tout prévu, n'ignorant peut-être pas que son temps était compté et qu'il fallait faire vite...

- Combien... Combien de temps lui reste-t-il ? - parvint-elle enfin à prononcer.

- Six mois, un an dans le meilleur des cas... - répondit le chirurgien en soupirant tristement.

- Six mois... - murmura Candy d'une voix morte, les yeux baissés sur ses mains qui tremblaient sur ses genoux. Sa vue recommença à se troubler de larmes, et un sanglot libérateur s'échappa de sa poitrine.

- Avec beaucoup de soin et de repos, il pourra peut-être vivre quelques mois de plus... - fit le médecin, cherchant à provoquer l'espoir dans ce jeune coeur en souffrance qui gémissait devant lui. Mais il devait manquer de conviction car elle leva les yeux sur lui, et lui demanda d'une voix étonnamment affirmée :

- Comment cela va-t-il évoluer ? Va-t-il souffrir ?

- Nous ferons de notre mieux pour qu'il souffre le moins possible...

- Docteur Walker, j'insiste ! Comment la maladie de mon père va évoluer ???

Devant le regard déterminé de son interlocutrice, le chirurgien obtempéra et se lança à contre-coeur dans le récit des différentes étapes qui jalonneraient les derniers mois d'existence d'Albert : tout d'abord la perte de motricité, puis celle de la parole, les douleurs, terribles, les pertes de conscience qui lui seraient vers la fin fatales... Il lui sembla qu'elle était en train de mourir elle aussi tant ce qu'elle entendait lui était insupportable.

- Albert, Albert va mourir !.... - se disait-elle, chaque mot se répercutant en écho dans sa tête.

Elle regarda autour d'elle. Tout avait perdu de sa forme, de sa lumière, recouvert d'un voile sombre que seul un miracle pouvait déchirer, ce miracle qu'elle avait si souvent sollicité en prières mais qui lui avait été à chaque fois refusé. Elle savait que pour Albert, on ne lui consentirait aucune exception, même si elle proposait sa vie en sacrifice, et son coeur, à bout de force, se brisa...

**************************



Terry ne savait plus depuis combien de temps il attendait dans ce couloir le retour de Candy. Les yeux rivés sur la porte du bureau du docteur Walker, il faisait les cent pas, son coeur sursautant au moindre bruit ou mouvement qu'il décelait derrière la cloison. Soudain, la porte s'ouvrit alors qu'il se trouvait à quelques mètres en recul. Elle apparut dans l'encadrement. Elle avança, chancelante et tourna un visage perdu dans sa direction. Un frisson glacé parcourut tout son être. Il avait compris...

Candy... - murmura-t-il, la gorge nouée.

Elle ne répondit pas, le fixant de son regard vide, muette, ses lèvres entrouvertes ne laissant s'échapper aucun son... Elle fit un geste vers lui et dans un sursaut d'énergie esquissa un pas pour le rejoindre. Puis sa tête bascula en arrière et elle s'effondra dans ses bras qu'il avait tendus en se précipitant vers elle...

Fin du chapitre 25

 
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view post Posted on 11/4/2021, 12:24
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Chapitre 26





- Candy, Candy, mon amour, réveille-toi, je t’en supplie !

C’était la voix de Terry, proche et lointaine à la fois, qui bourdonnait à ses oreilles. Sa tête était lourde et elle avait du mal à reprendre ses esprits.

Candy, Candy !... - insistait-il en la secouant doucement.

Elle battit lentement des paupières, enveloppée dans un brouillard cotonneux qui se dissipait peu à peu, libérant ses pensées en sommeil. Elle réalisa qu’elle était dans un lit, dans une pièce médicalisée qui n’avait plus rien à voir avec le bureau du docteur Walker. Que faisait-elle là ?...

Terry était assis sur le bord du lit à côté d’elle.

Haaaaa ! - s’écria-t-il avec un soupir de soulagement - Tu te réveilles enfin, mon aimée ! Je me suis tellement inquiété pour toi !
Terry…. - murmura-t-elle en tendant faiblement le bras vers lui .
Tout va bien, ma chérie… - fit-il en portant sa main à sa bouche et en l'embrassant tendrement - Tu étais en train de faire un cauchemar. C’est fini à présent…
Un cauchemar ? - fit Candy, en fronçant les sourcils d’incompréhension.
Oui ma chérie, tu criais et pleurais tant que j’ai dû te réveiller…

Il l’aida à se redresser et tapota avec attention l’oreiller derrière elle.

Qu’est ce que je fais ici ? Où est Albert ??? - demanda-t-elle en tournant la tête de tous les côtés. Elle repoussa la couverture qu’on avait posée sur elle, essaya de se lever mais dut se rasseoir, prise de vertiges.
Tssss, tssssss !... répondit Terry en la retenant par les épaules - Il faut te ménager…

Mais devant son regard insistant, il ajouta :

- Rassure-toi, Albert va bien. On l’a ramené dans sa chambre…

A ces mots, elle se revit dans le bureau du docteur Walker. L’annonce qu’il lui avait faite, cruelle, lui revint alors en mémoire et elle éclata en sanglots.

Albert, mon Dieu, mon pauvre Albert !... - gémissait-elle, le visage enfoui dans le creux de ses mains.

Terry fronça les sourcils d’étonnement et se rassit à côté d’elle.

Pourquoi te mets-tu dans cet état, mon amour ? - fit-il en la prenant dans ses bras - Albert va très bien !

Elle leva la tête, et lui lança sur un ton de reproche :

Bien ??? Comment peux-tu dire cela alors qu… alors qu’il est perdu ?!!!
Perdu ???? Mais qui a bien pu te mettre cette idée folle dans la tête ?
Le docteur Walker, voyons !!! - s’écria-t-elle, exaspérée - Le chirurgien qui l’a opéré et qui m’a reçue dans son bureau tout à l’heure !!!
Mais voyons, Candy, ce n’est pas possible ! Tu n’as pas pu rencontrer le docteur Walker…
Et pourquoi donc ???
Parce que tu dors depuis ce matin dans cette chambre !...

Candy resta interdite pendant quelques secondes, décontenancée par la réplique de Terry.

Rappelle-toi… Nous sommes allés nous promener ce matin dans le parc. Puis au bout d’un moment, tu t’es sentie mal et tu t’es évanouie dans mes bras…

Devant l’air déconcerté qu’elle lui renvoyait, il poursuivit :

On t’a transportée dans cette chambre puis on t’a couchée dans ce lit. Peu après, un docteur, dénommé Walker, mais qui n’est en rien chirurgien, est venu t’examiner. Il t’a diagnostiqué un épuisement nerveux sévère et a conseillé beaucoup de repos…
Je dors donc depuis ce matin ? - demanda-t-elle, incrédule, tandis que des images diffuses du récit de Terry commençaient à se concrétiser dans son esprit.
Oui, mon aimée… Georges et moi ne t’avons pas quittée des yeux depuis…
Je n’ai… Je n’ai donc pas rencontré le chirurgien qui a opéré Albert ?
Non, ma douce... Tu dormais si bien que je n’ai pas voulu te réveiller. Nous t’avons juste abandonnée quelques minutes pour discuter dans le couloir avec le docteur Bloom, le chirurgien qui a opéré Albert. Il nous a fait part de sa grande satisfaction. L’opération s’est très bien déroulée. Il a pu enlever l’excroissance qui faisait pression sur le cerveau. Il pense que c’est une lésion qui remonte à l’accident qu’Albert avait eu en Italie. Ce traumatisme qu’il avait subi à la tête avait été traité avec les moyens du moment et n’avait pas pu être soigné complètement. C’est manifestement ce qui a provoqué quelques années plus tard cette complication.

Candy se rappelait très bien ce triste épisode où, jeune élève-infirmière, elle avait recueilli un Albert blessé et inconscient. Ce patient 0 dont personne ne voulait s’occuper et dont elle avait pris soin, oeuvrant durant de longues semaines à son bon rétablissement. Il lui avait fallu du temps pour retrouver la mémoire, mais par la suite, il n’avait jamais semblé souffrir de séquelles…

Tu es sûr d’avoir bien compris ce que t’a dit le docteur ? - fit-elle, sceptique - Al… Albert n’a pas de cancer ?
Non… - répondit Terry en posant une main affectueuse sur sa joue - Tu as juste fait un très mauvais rêve, mon aimée… Albert va s’en sortir… Le docteur Bloom est très optimiste !

Candy sentit le poids énorme qui l’étouffait sortir violemment de ses entrailles et poussa un énorme soupir de soulagement.
Oh, Terry ! - s’écria-t-elle en se jetant dans ses bras - Si tu savais, c’était horrible !!! Cela semblait si réel ! J’ai vraiment cru que j’allais mourir de chagrin !!!

Il la pressa fort contre lui, caressant tendrement ses cheveux. Elle sanglotait, de joie cette fois.

Tout va bien, mon amour… Calme-toi… Tu étais si inquiète que ton esprit t’a joué un bien mauvais tour… Rassure-toi… Tout va bien se passer à présent. Nous allons tous être très heureux d’autant plus que...

Il s’écarta d’elle. L’émotion se lisait sur son visage. Elle fronça les sourcils, ne comprenant pas ce trouble indéfinissable qui s’emparait soudain de lui et qui brouillait son beau regard de larmes.

Terry… - fit-elle, inquiète. Elle ne l’avait jamais vu aussi bouleversé... Mais quand il posa sa main sur son ventre, le recouvrant de toute sa chaleur, un sentiment de plénitude l’envahit… Et elle comprit…

Elle écarquilla les yeux, et le fixa, incrédule. En réponse, il hocha la tête et lui sourit, de ce sourire ému qu’elle lui découvrait, le sourire d’un homme qui va devenir père… Il essaya de se ressaisir, ne pouvant réprimer un soupir frémissant mû par le sentiment de fierté qui l’envahissait, tel un point final au destin misérable contre lequel ils avaient tant lutté… Le bonheur était là, devant lui. Il s’appelait Candy Neige André, protectrice du plus précieux des trésors, le leur… Un frisson de victoire le parcourut, ravivant les larmes qui jouaient devant ses yeux. Elle esquissa un geste vers lui, qu’il accueillit d’une main fébrile, et, l’attirant vivement à lui, il lui plaqua un baiser furieux sur les lèvres…

Fin du chapitre 26

 
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59 replies since 22/11/2011, 18:57   34628 views
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