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Le Duc et le projecteur, Ma fic pour noël 2008 !

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Dinosaura
view post Posted on 8/1/2012, 14:18




PREAMBULE



Ne vous êtes vous jamais demandé ce qui aurait pu arriver si ce maudit projecteur, source de tant de malheurs (et de controverses) était réellement tombé sur Terry ?

Je me suis amusée à imaginer cette petite fic.

Bonnes fêtes de fin d'année à tout le monde.


CHAPITRE 1




C'était l'effervescence sur le plateau. A l'approche de la première de « Roméo et Juliette », techniciens, costumières et acteurs s’agitaient dans le désordre habituel qui précédait les nouvelles créations de la troupe Hattaway. Chacun redoutait de ne pas être prêt à temps.

Terrence Granchester, le jeune espoir de la troupe observait cet incroyable remue-ménage en essayant de se concentrer sur son personnage. Le rôle de Roméo était son premier grand rôle et il tenait à prouver à tous ses qualités d’acteur. D’abord pour faire taire les mauvaises langues qui insinuaient qu’il n’avait pas obtenu ce rôle pour son talent, mais grâce à sa mère, la célèbre actrice Eléonore Baker dont il était le fils naturel, mais aussi pour Candy.

Sa chère Candy, l’élue de son coeur serait là pour la représentation et il voulait briller pour elle. Il lui avait envoyé une invitation pour assister à la première, ainsi qu’un billet de train pour venir à New York. Un aller simple, parce qu’il voulait qu’elle reste près de lui pour toujours. Elle était infirmière diplômée maintenant, elle pourrait sûrement trouver du travail dans cette ville. Mais s’il voulait la demander en mariage, il fallait être en mesure de subvenir à ses besoins, et pour cela il devait à tout prix asseoir sa carrière.

« Terrence, Susanna, en place tous les deux ! Hurla le metteur en scène.

- J’arrive, M. Hattaway, répondit le jeune homme en entrant en scène.

- Juste un instant, dit la voix de Susanna en provenance des coulisses. Nous avons un petit problème avec mon costume, ce sera réglé dans un instant. »

Susanna ! Elle était sa partenaire dans cette pièce et devait jouer le rôle de Juliette. Terry fronça les sourcils en repensant à la scène pénible qu’il avait eu avec elle quelques jours plus tôt alors qu’ils étaient seuls après les répétitions.

« Je t’aime, Terry ! Avait-elle affirmé. Et je ne te laisserai jamais ni à Candy ni à une autre ! »

Le jeune acteur avait alors compris que les regards énamourés que posait sur lui la jeune première n’étaient pas uniquement dus à son implication dans son personnage. Mais malgré la beauté de Susanna, il ne l’avait jamais regardée autrement que comme une partenaire de scène. Dans la vie, sa Juliette avait des taches de rousseur et un sourire espiègle; loin de l’esprit possessif que manifestait Susanna.

« Très bien, soupira M. Hattaway. Nous allons commencer sans toi, Susanna. Terry mets toi en place et commence ta tirade. Nous en profiterons pour régler les éclairages.

- Oh quelle gracieuse princesse ! Récita Terry. Elle rayonne d’une beauté éblouissante comme un bijou rare... »

L’acteur entendit un grincement en provenance des cintres, mais resta concentré sur sa scène. Du coin de l’oeil il vit sa partenaire sortir enfin des coulisses pour rejoindre sa place.

« Ai-je déjà été amoureux ? Continua-t-il. Non, cette princesse est la première. »

Un nouveau bruit de métal, puis un craquement sinistre retentirent, suivis du cri de la jeune actrice.

« Terry, attention ! »

Instinctivement, le jeune homme recula d’un pas en voyant Susanna se précipiter vers lui. Une ombre sinistre descendit sur lui. Il leva un bras pour se protéger mais trop tard. Un des projecteurs venait de se détacher et tombait inexorablement vers lui. L’image qui s’imposa à lui à cet instant fut celle de la femme qu’il aimait.

« Candy ! » Murmura-t-il avant que l‘objet ne s‘écrase sur lui.

Un silence de mort se mit à régner sur le plateau. Plus personne ne bougea pendant des secondes qui durèrent des heures. Puis ce fut à nouveau l’agitation, les cris, les pleurs, mais Terrence Granchester n’entendit rien de tout cela. Son corps gisait inanimé sous les débris du réflecteur.


-----oooOooo-----




Arrivée à la gare ce New York, Candy scrutait attentivement les visages qui l’entouraient. Elle souhaitait plus que tout retrouver le sourire de Terry. Depuis qu’elle avait reçu son invitation, il avait occupé toutes ses pensées. Même Albert se moquait d’elle tant elle parlait de lui à chaque instant. Pendant tout le voyage, elle n’avait cessé d’imaginer leurs retrouvailles, sans décider de l’attitude à adopter, et avait fini par conclure que mieux valait laisser les choses suivre leur cours. Terry avait promis de venir la chercher à la gare, mais elle n’apercevait sa haute silhouette nulle part et commençait à s’impatienter.

« J’espère qu’il n’a pas décidé de me jouer encore un de ses tours, maugréa-t-elle. Il va m’entendre s’il m’a oubliée ! »

Un instant elle crut le reconnaître dans une silhouette à demi dissimulée par un poteau, mais quand l’homme se retourna, elle découvrit un visage inconnu et fort peu engageant. Elle s’éclipsa avec quelque mot d’excuses et se dirigea vers la sortie. Toujours pas de Terry à l’horizon. Candy patienta de longues minutes sur le trottoir pendant que les autres voyageurs rejoignaient leur famille ou leurs amis, mais elle restait désespérément seule. Au bout d’une demi-heure, elle n’en pouvait plus d‘attendre. Après tout, le jeune homme avait peut-être été retenu au théâtre. La première était pour le lendemain, et ce devait être la panique là-bas. Elle était bien capable de se débrouiller toute seule. Elle connaissait l’adresse du théâtre, inscrite sur son invitation, et celle de Terry puisqu‘ils correspondaient depuis plusieurs mois. Contrariée, mais résolue à ne pas se laisser abattre, elle héla un taxi et lui donna l’adresse du jeune homme.

Elle emplit ses yeux de la vie trépidante de la grande ville, en écoutant d’une oreille distraite les commentaires du chauffeur, habitué à véhiculer des visiteurs venus d’un peu partout. Malgré ses bonnes résolutions, une sourde appréhension serrait le coeur de Candy quand la voiture s’arrêta devant un immeuble d’apparence modeste. Le bâtiment lui rappelait celui où elle vivait avec Albert, et cela la rassura un peu. Une femme balayait le perron et regarda avec curiosité cette jeune fille qui débarquait avec une valise. Elle régla sa course et demanda au taxi de l’attendre quelques minutes avant de s’avancer vers l’entrée.

« Vous cherchez quelque chose, mademoiselle ? Demanda la concierge.

- Oui, répondit Candy. C’est bien ici qu’habite Terrence Granchester ? Est-ce qu’il est là ? »

La femme fronça les sourcils, méfiante. Sans doute s’agissait-il encore d’une des nombreuses admiratrices de l’acteur. Elle en avait vu défiler beaucoup depuis qu’il habitait ici, et elle était devenue une sorte de cerbère qui écartait les importuns pour lui.

« Vous le connaissez ?

- Il m’a invitée à venir le voir. Je m’appelle Candice Neige André et...

- Mademoiselle André s’exclama la concierge, soudain tout sourire. Vous êtes la jeune personne qui lui écrit si souvent. Ne m’en veuillez pas, mais c’est moi qui lui monte son courrier, et j‘ai remarqué votre nom en tant qu‘expéditeur. Il était toujours si content quand il recevait une de vos lettres !

- Etait ? »

La voix de Candy se brisa. Pourquoi la femme parlait-elle de Terry au passé ? La contrariété qui l’animait se mua soudain en angoisse.

« Vous n’êtes pas au courant ? Continua la concierge. Il y a eu un accident au théâtre. Monsieur Terrence a été sérieusement blessé. Il a été transporté à l’hôpital dans un état grave.

- Quel hôpital, s’enquit la jeune fille dont l’esprit travaillait à toute vitesse. Je dois aller le voir !

- Je ne sais pas, avoua la femme. Mais vous devriez vous renseigner au théâtre. Ils le savent certainement. »

Candy la remercia brièvement et sans plus réfléchir, partit en courant rejoindre son taxi. Elle donna l’adresse du théâtre au chauffeur d’une voix blanche.

Pourquoi le sort s’acharnait-il ainsi sur eux ? Ils avaient été séparés au collège, elle l’avait raté à la maison de Pony et ils n’avaient pas pu se parler à Chicago quand il était venu pour la représentation de roi Lear. Et maintenant que tout semblait sur le point de s’arranger... Non, il était impossible qu’ils soient de nouveau séparés ! Tout irait bien, elle en était sûre. Terry était blessé, mais il était vivant. Elle saurait prendre soin de lui et ils seraient heureux. Elle était bien décidée à ne plus baisser les bras devant l’adversité.

En ce milieu d’après-midi, l’entrée principale du théâtre était fermée, mais il en fallait plus pour arrêter Candy. Elle demanda une nouvelle fois au chauffeur de l’attendre, contourna le bâtiment pour trouver l’entrée des artistes et se faufila derrière un technicien qui apportait un élément de décor.

Une intense activité régnait dans les coulisses à l’approche de la première. La jeune fille entendit des exclamations de voix et se dirigea vers l’endroit d’où elles provenaient. Le directeur de la troupe devait être en train de diriger les répétitions et il était le plus à même de la renseigner. Elle devait donc trouver la scène. Une femme sortit en courant et la bouscula.

« Vous ne pouvez pas faire attention ! S’exclama celle-ci. Et qui êtes-vous ? Vous n’avez rien à faire ici ! »

L’agressivité de la jeune actrice surprit Candy. Où étaient le ton posé et les inflexions charmeuses que Susanna avait utilisés autrefois pour la renvoyer de l’hôtel à Chicago ? Aujourd’hui elle ressemblait à une folle furieuse !

« Mademoiselle Marlow ? Je veux savoir dans quel hôpital se trouve Terry. »

Susanna reconnut enfin son interlocutrice. C’était cette fille qu’elle avait éconduite autrefois en la traitant de fan. Cette Candy qui occupait le coeur de son Terry ! Pourquoi était-elle là ? Décidée à se débarrasser de sa rivale, elle fit mine de ne pas la reconnaître.

« Seule la famille proche est autorisée à le voir, répondit-elle méchamment. Lisez les journaux si vous voulez de ses nouvelles ! »

Candy sentit la colère monter en elle. Elle s’apprêtait à répondre vertement quand un homme les rejoignit, visiblement contrarié.

« Susanna ! Cesse tes caprices ou je te remplacerai ! Stephen a besoin de toi pour lui donner la réplique ! »

L’attitude de la jeune actrice se modifia tout à coup. Elle se tourna vers le nouveau venu en affichant une mine contrite.

« Je ne cesse de penser à Terrence, M. Hattaway ! Jouer avec Stephen me fend le coeur ! Terrence et moi nous accordons si bien... ajouta-t-elle avec un regard en coin pour Candy.

- Karen peut te remplacer si tu ne veux pas jouer ! Elle connaît le rôle aussi bien que toi.

- Ne vous inquiétez pas, je vais y arriver affirma Susanna en baissant les yeux, effrayée à l’idée de se voir ôter le premier rôle.

- Alors, retourne immédiatement à la répétition et fais ton travail ! »

La jeune première obéit aussitôt non sans jeter un regard mauvais à Candy avant de s’éclipser.

Le metteur en scène se tourna enfin vers Candy et leva un doigt menaçant :

« Quand à vous jeune fille, je ne sais pas qui vous êtes, mais vous n’avez rien à faire ici.

- Vous êtes M. Hattaway ? Demanda Candy pleine d’espoir. Terry m’a souvent parlé de vous dans ses lettres. Je suis Candice Neige André.

- Ah, la jeune fille pour laquelle il a demandé un billet de faveur ?

- Oui ! C’est moi ! Je vous en prie, je dois absolument le voir !

- Il est à l’hôpital St Jacob, mais je ne crois pas...

- Oh merci ! S’écria la jeune fille. Merci beaucoup ! »

Et elle tourna les talons avant qu’il puisse ajouter quoi que ce soit. Il la regarda s’éloigner en courant et secoua la tête. Il avait de la peine pour elle et pour Terry, mais il avait bien assez de soucis sans se préoccuper des affaires de coeur de ses comédiens.

Fin du chapitre 1

 
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Dinosaura
view post Posted on 8/1/2012, 14:54





CHAPITRE 2




Arrivée à l'hôpital St Jacob, Candy se heurta toujours à la même réponse : Seuls les proches étaient autorisés à voir M. Granchester. Abattue, elle se laissa tomber sur une chaise dans la salle d'attente. Elle ne voulait pas provoquer un esclandre car elle savait que le personnel ne faisait que son travail, elle était bien placée pour le savoir. Mais qui aurait pu être plus proche de Terry qu'elle ? Comment expliquer à ces gens indifférents ce qui les liait tous les deux ? Pourtant en pratique ils avaient raison : Elle n'était pas de la famille. Peut-être même la prenait-on pour une groupie avide d'approcher son idole, comme Susanna. Elle se demanda si la jeune actrice avait le droit de rentrer dans la chambre, elle. Si c'était le cas, elle la suivrait et verrait Terry coûte que coûte.

Elle en était là de ses réflexions quand une voix mélodieuse l'interpella :

« Candy ! C’est bien vous ?

- Madame Baker ! S’exclama Candy en reconnaissant la femme qui se tenait devant elle. »

Tout se bousculait dans sa tête. Eléonore Baker devait être très inquiète pour son fils. Voilà pourquoi elle était là ! Mais personne ne devait être au courant de leur lien de parenté, alors comment... Peu importait. Candy s’accrocha aux mains de la célèbre actrice comme à une bouée de sauvetage et supplia :

« Dites-moi comment il va, je vous en prie ! On m’a dit que je n’avais pas le droit de le voir...

- Calmez-vous mon enfant. Bien sûr que vous pouvez le voir, je vais m’en occuper. Ne restons pas ici, suivez-moi. »

Le coeur battant, Candy suivit Eléonore Baker au fond du couloir et pénétra derrière elle dans une chambre plongée dans la pénombre. Malgré le peu de lumière, elle reconnut immédiatement la personne étendue sur le lit et se précipita vers Terry. Il était pâle et inconscient mais respirait régulièrement. Elle se tourna vers la mère du jeune homme, interrogative.

« Que vous ont dit les médecins ?

- Un projecteur s’est décroché des cintres pendant une répétition et il a percuté Terry. Il a de nombreuses entailles à la jambe, probablement dues aux éclats de verre, un bras cassé et quelques côtes fêlées, mais ses jours ne sont pas en danger. Cela aurait pu être bien plus grave si c’était arrivé à quelqu’un de moins bien bâti ou de plus faible que lui. Mais ce qui inquiète les médecins c’est qu’il ne reprenne pas connaissance. Il est dans le coma depuis l’accident. Cela va faire huit jours ! »

Candy retrouva soudain ses réflexes professionnels. Elle prit le pouls du jeune homme et posa la main sur son front.

« Il n’a pas de température et le pouls est bon. Il va bientôt se réveiller, j’en suis sûre. Il suffit d’être patiente.

- Vous avez l’air de vous y connaître, constata Eléonore intriguée.

- Je suis infirmière. Terry ne vous l’a pas dit ?

- Non, mais nous ne nous sommes pas beaucoup vu depuis son retour. Et puis, il ne tenait pas à afficher notre lien de parenté, alors... Mais quand j’ai appris qu’il était blessé, j’ai tout envoyé promener pour être près de lui, et tant pis si notre secret est dévoilé ! »

Candy sourit. Eléonore aimait tant son fils. Comme elle aurait voulu avoir une mère comme elle !

L’actrice remarqua qu’elle n’avait pas lâché la main de Terry. Elle avait toujours soupçonné qu’il y avait plus que de l’amitié entre ces deux-là, son instinct de mère le lui disait. Avec tact elle décida de s’éclipser.

« Restez un peu avec lui. Je m’apprêtais à chercher un café quand je vous ai trouvée dans la salle d’attente. Je serai plus tranquille en sachant qu’il n’est pas seul. »

Candy lui lança un regard chargé de gratitude et s’installa sur une chaise près du lit, certainement celle qu’utilisait Eléonore. Seule avec Terry, elle redevint une femme amoureuse et porta la main du jeune homme à sa joue en lui parlant doucement. Si seulement il pouvait se réveiller !


-----oooOooo-----




Terry émergea lentement de la torpeur. Il se souvenait d’avoir appelé quelqu’un avant de sombrer dans le néant, et elle était venue. Puisqu’elle était là, il devait lui répondre, mais il n’était pas pressé. Il préférait prendre son temps pour revenir à la normalité. Peu à peu d’autres sons s’imprimèrent dans son esprit, d’autres voix aussi. Il en connaissait une depuis longtemps; depuis son enfance : sa mère ! Il se demanda pourquoi elle était là aussi mais cela lui fit plaisir. Les propos échangés par les deux voix restaient confus dans sa tête; mais leur murmure était apaisant et l’attirait. Puis elles se turent et il n’y eu plus que des bruits étrangers. Des pas, des chuchotements, le choc d’un objet qui tombait. Il régnait un tel calme !

« Ce doit être la nuit, conclut-il; satisfait d’avoir réussi à trouver cette explication. »

Mais il n’avait pas sommeil. Au contraire il voulait se réveiller. Il se concentra ensuite sur les odeurs. Elles étaient nombreuses et désagréables et il comprit : Il était dans un hôpital ! Incapable de comprendre ce qu’il faisait là, il décida d’ouvrir les yeux. Il était dans une chambre entièrement blanche, dans des draps blancs et tout son corps lui faisait mal. Une infirmière s’approcha de lui et lui sourit.

« Vous êtes enfin réveillé ! Je vais demander au médecin de venir vous examiner et prévenir votre famille et votre fiancée. »

Sa fiancée ? Cette idée donna pleine satisfaction à Terry et il subit le défilé de médecins et d’infirmières qui suivit avec un calme olympien. Il attendait. Elle allait venir, il suffisait d’être patient.

Les souvenirs revenaient doucement. Il se souvint de l’accident d’abord, puis des événements qui l’avaient précédés, les bons comme les mauvais.

Bientôt son attention fut attirée par un brouhaha dans le couloir. Les exclamations et les bruits de pas se rapprochaient de sa chambre. Il fit un effort pour tourner la tête vers la porte et afficher un sourire sur ses lèvres. Pourtant son expression aimable se figea quand il reconnut la personne qui entrait, suivie d’une meute de photographes.

« Susanna ?!

- Terry, mon chéri, je suis si contente que tu sois enfin réveillé ! J’étais morte d’inquiétude ! »

Elle s’installa sur le lit et se serra contre lui pendant que les flashes crépitaient. Terry faillit hurler tant ses côtes lui faisaient mal mais réussit à se dominer.

« Qu’est-ce que tu fais là ? Maugréa-t-il entre ses dents serrées par la douleur.

- Je suis venue m’assurer que tu vas bien, voyons !

- Et tu as besoin de te faire escorter par des photographes pour çà ? »

Susanna gloussa et se tourna vers les reporters avec une moue. Ceux-ci étaient aux anges en entendant la réflexion de Terry. Son caractère difficile était connu de tous et il prouvait par ses paroles qu’il avait retrouvé toutes ses facultés.

« Ton accident a beaucoup ému notre public, chéri. Il fallait les rassurer au plus vite, plaida Susanna. »

L’acteur était sur le point d’exploser. Il repoussa sa partenaire qui se collait toujours contre lui. Il s’apprêtait à chasser les importuns de quelques phrases bien senties mais n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche.

Fendant la masse des journalistes avec une autorité qu’il ne lui avait jamais vue, Eléonore Baker fit son entrée suivie de la minuscule silhouette de Candy, impressionnée.

La mère de Terry avait pris la jeune fille sous son aile et lui avait offert l’hospitalité. Elles avaient passé la majorité de la nuit à parler et à se raconter tous les événements qui avaient marqué leurs vies depuis leur dernière rencontre. Elles se sentaient aussi complices que si elles avaient vraiment été mère et fille. Elles prenaient le petit déjeuner quand l’hôpital avait appelé et prévenu que le patient était sorti du coma. Elles ne s’attendaient guère à trouver un tel remue-ménage dans la chambre de Terry.

« Que se passe-t-il ici ? Demanda Eléonore d’une voix puissante. »

Il y eut des murmures et quelques photos quand les journalistes reconnurent la grande actrice, puis les questions fusèrent. Habituée à manier la presse, Mme Baker eut tôt fait de pousser les curieux vers la sortie. Ceux-ci étaient aux anges. Entre la présence de cette vedette et la résurrection de l’espoir de la troupe Hattaway, ils avaient de quoi faire un magnifique papier. Sans parler de la romance avec la jeune première qui jouait Juliette.

Seule Susanna resta dans la pièce. Elle fixait Eléonore d’un air ébahi sans comprendre la raison de sa présence.

« Vous êtes Eléonore Baker ! Balbutia-t-elle. Mais que faites vous ici ?

- Je pourrais vous retourner la question, jeune fille. Est-ce vous qui avez amené ces rapaces ?

- Merci pour ton intervention, Maman, intervint Terry. Mais j’aurais pu me charger de les faire sortit moi-même/

- Maman ! S’exclama Susanne. Alors c’est vrai, vous êtes la mère de Terry. Je croyais que c’était une rumeur ! »

Pendant que les deux actrices se toisaient, Candy en profita pour s’approcher du lit de Terry. Elle prit sa main dans les siennes et lui dédia un sourire si tendre qu’il sentit son coeur fondre.

« Croire ne suffit pas, mademoiselle. Il vaut toujours mieux savoir, répliqua Eléonore. Par exemple je sais que Terry a besoin de repos et que votre irruption intempestive ne l’aide pas à se remettre.

- C’est vous qui avez interdit qu’on lui rende visite ?

- En effet, et je souhaite rester seule avec mon fils. Je vous demande donc de sortir. »

Susanna se mordit la lèvre et jeta un regard mauvais à Candy qui tenait toujours la main de Terry et semblait étrangère à tout ce qui se passait autour d’elle. Eléonore fit mine de ne rien remarquer et lui désigna la porte sans un mot. La jeune actrice n’osa pas insister et sortit en promettant de revenir le lendemain.

Mme Baker put enfin s’approcher de son fils. Elle aurait voulu le serrer sur son coeur, mais craignait de lui faire mal. Elle se contenta de s’asseoir avec précaution sur le bord du lit et saisit la main pâle qui dépassait du plâtre, puisque Candy n’avait toujours pas lâché l’autre, ce qui semblait convenir à son fils.

« Comment te sens-tu mon chéri ?

- Comme si un camion m’était passé sur le corps, sinon je vais bien, je crois. »

Il se tourna vers la jeune fille à ses côtés pour demander :

« C’est toi qui as pris soin de moi, Candy ?

- Je suis arrivée hier seulement, répondit-elle. Tu m’avais invitée, tu t’en souviens ?

- Pour la première de « Roméo et Juliette », oui. Donc je suis resté inconscient plus d’une semaine ! On dirait que je ne suis pas fait pour monter sur les planches. Et je ne pourrai pas non plus te faire visiter New York, Melle André. »

Candy se pencha pour déposer un baiser sur sa joue.

« La seule chose importante, c’est que tu te remettes sur pieds le plus vite possible.

- Elle a raison, intervint Eléonore. Tu auras d’autres rôles. Peut-être même pourrons-nous jouer ensemble. Je suis désolée, mais après la visite de ces journalistes, j’ai bien peur que notre secret ne soit éventé. Ils auront vite découvert ce que je faisais là en interrogeant le personnel de l’hôpital.

- C’est peut-être mieux ainsi, marmonna Terry, les yeux perdus dans le vide. »

Les deux femmes se regardèrent, interloquées. Le jeune homme leur semblait étrange tout à coup.

Un médecin fit irruption dans la pièce, contrarié.

« Mesdames, mon patient a eu assez d’agitation pour aujourd’hui. Je préférerais que vous le laissiez se reposer.

- Mais nous venons juste d’arriver, protesta Candy déçue.

- Il faut nous conformer aux instructions de la faculté, mon enfant, dit Eléonore en se levant. Puisque Terry est immobilisé, c’est moi qui vous ferai les honneurs de la ville. Vous êtes mon invitée.

- Ta mère m’a offert l’hospitalité, précisa Candy au jeune acteur. Ne t’inquiète surtout pas pour moi et guéris vite.

- C’est bien, constata Terry l’air absent. »

Elle déposa un nouveau baiser sur sa joue et suivit l’actrice qui s’en allait.

Fin du chapitre 2



 
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Dinosaura
view post Posted on 8/1/2012, 15:30





CHAPITRE 3




La première chose que fit Terry le lendemain fut de réclamer les journaux. Sa mère ne s'était pas trompée. Des photos de lui s'étalaient dans les rubriques du spectacle. Susanna apparaissait sur chacune d'elle. Les journalistes spéculaient sur la date de son retour à la scène, qui concorderait certainement selon eux avec celle de son mariage avec la ravissante Susanna Marlow, auréolée de son nouveau succès dans « Roméo et Juliette » dont la première avait eu lieu la veille.

Comme le soupçonnait Eléonore Baker, le fait qu’elle soit sa mère avait été découvert et ajoutait du piment à l’article. Le jeune homme sourit en imaginant la réaction de son père, le Duc de Granchester, si un tel article lui tombait entre les mains. Il s’était donné tant de mal pour cacher la vérité sur la naissance de son fils !

Mais aucun journal ne faisait la moindre allusion à Candy qu’on distinguait pourtant sur plusieurs photos, en retrait et comme effacée. Un peu comme si elle n’avait plus sa place dans sa nouvelle vie d’acteur.

Terry n’en pouvait plus de rester couché sans rien faire. Saisi d’un irrésistible besoin de bouger, il décida de se lever. Il réussit à sortir du lit au prix d’un immense effort et se mit debout. Sa jambe droite le faisait souffrir et il ne pouvait s’appuyer dessus. Il cherchait des yeux une canne ou une béquille pour s’aider quand la porte de sa chambre s’ouvrit à la volée sur une nouvelle visiteuse suivie d’une infirmière à la mine renfrognée.

« Je vous ai dit que M. Granchester ne voulait pas recevoir de visites, expliquait-elle.

- Et je vous ai dit que j’étais une de ses meilleures amies ! N’est-ce pas, Terry ? »

Stupéfait, le jeune homme regardait sa visiteuse. Elle était la dernière personne qu’il souhaitait voir aujourd’hui, ou n’importe quel autre jour.

« Elisa ! Tu es à New York ?

- J’étais venue assister à ta première. Je ne savais pas que tu avais été blessé, mais je suis contente de voir que tu vas mieux. »

Elle jeta un regard triomphant à l’infirmière qui s’avançait vers Terry pour le recoucher. Il la congédia d’un geste de la main. Devant son regard furibond, la jeune femme préféra ne pas insister et sortit pour prévenir le médecin.

Satisfaite, Elisa s’installa sur une chaise et arrangea les plis de sa jupe. Elle détailla la haute silhouette de Terry vêtu uniquement d’un pantalon de pyjama fourni par l’hôpital, et s’arrêta sur le bandage autour de sa tête.

« Tu te souviens de moi, Terry ? Demanda-t-elle soudain. »

Elle parlait fort et articulait soigneusement. Croyait-elle qu’il était devenu sourd ou débile ?

« Comment pourrais-je t’oublier, Elisa ! Je me rappelle très bien également que nous ne nous sommes pas quittés en très bons termes. Je suis d’autant plus surpris de ta sollicitude. »

Elisa fronça les sourcils. Elle détestait les hôpitaux et n’aurait pas fait le déplacement si elle n’avait pas lu les journaux du matin. En reconnaissant sur les photos sa rivale de toujours, elle avait piqué une de ses célèbres colères. Candy était à New York, près de Terry ! Elle ne savait pas exactement ce qui s’était passé entre eux, mais la voir ainsi reléguée au second plan lui avait mis du baume au coeur. Espérant en savoir plus, elle s’était précipitée ici pour recueillir des informations à la source et juger elle-même de l’état de Terry. Il semblait en pleine possession de ses moyens et toujours aussi séduisant. Finalement, elle aurait préféré le voir diminué ou défiguré. Son esprit machiavélique travaillait déjà à un nouveau plan pour se venger de lui et de Candy, et Susanna Marlow était un bon point de départ.

« Tu as fait une nouvelle conquête, d’après les journaux. Elle est mignonne. C’est de ton père que tu tiens ce goût pour les actrices ?

- L’aristocratie britannique sait jusqu’où aller trop loin, Elisa, répondit-il. Ce n’est pas ton cas. Évite de parler de ce que tu ne connais pas. Je mène ma vie comme je l’entend et avec qui je veux. Tu restes longtemps à New York ?

- Sans doute jusqu’à Noël, pourquoi ?

- Ma foi, comme tu sembles vouloir te mettre sur les rangs pour faire partie de mes nombreuses conquêtes, je préfère savoir.

- Goujat ! S’exclama Elisa. Pour qui me prends-tu ? Je ne suis ni une bonniche, ni une Marie-couche-toi-là ! J’appartiens à une famille riche et respectée.

- Moi aussi. Nous avons donc des points communs finalement. Je te ferai signe si je désire approfondir la question. Cela pourrait devenir intéressant. »

Vexée, Elisa se leva et sortit la tête haute. Une nouvelle fois elle avait été remise à sa place sans ménagement.

Resté seul, Terry essayait à nouveau de faire quelques pas quand le médecin entra. Agacé par ces constantes interruptions, il dédia au praticien un regard d’une froideur de glace.

« Que faites-vous debout, M. Granchester. Vous êtes loin d’être en état de vous lever. Vous avez encore besoin de repos.

- Comment voulez-vous que je me repose dans cet hôpital où on entre comme dans un moulin ! Je refuse de poursuivre ma convalescence dans ces conditions. J’exige de rentrer chez moi !

- C’est absolument hors de question. Je refuse de prendre cette responsabilité !

- Dans ce cas je vous signerai une décharge ! Je ne passerai pas une journée de plus dans cet hôpital.

- Je ne peux vous en empêcher, dans ce cas, mais vous prenez un gros risque. Votre état nécessite encore des soins et...

- Assez docteur ! Ma décision est prise. Qu’on m’apporte les documents à signer et laissez-moi partir. »

Une telle autorité émanait du jeune homme que le médecin en fut impressionné malgré son habitude des patients difficiles. Moins d’une heure plus tard il regardait s’éloigner l’ambulance qui emmenait un Terrence Granchester plus résolu que jamais.


Quand Eléonore Baker apprit la nouvelle en arrivant pour rendre visite à son fils, elle prouva qu’elle aussi savait faire preuve d’autorité. La merveilleuse actrice admirée de tous se transforma en un dragon crachant le feu.

« Comment avez-vous pu le laisser sortir dans son état ! S’exclama-t-elle en frappant sur le bureau du médecin-chef.

- Il a signé une décharge, Mme Baker et nous a bien fait comprendre qu’il ne souhaitait plus rester parmi nous.

- Un tel comportement est inadmissible ! Je vous préviens que s’il lui arrive quoi que ce soit, je vous en tiendrai personnellement responsable ! Terrence a encore besoin de soins ! »

Candy intervint pour essayer de calmer l’actrice. Jamais elle n’aurait soupçonné une telle fureur dans une personne aussi douce et sensible. Elle avait toujours cru que le caractère emporté de Terry lui venait de son père, mais commençait à en douter.

« Ne vous inquiétez pas, Eléonore. Je connais Terry. Je suis sûre qu’il est chez lui et regrette déjà sa décision prise sur un coup de tête. Mais il est trop fier pour reconnaître qu’il s’est trompé. Nous n’aurons aucun mal à le convaincre de revenir se faire soigner correctement. »

Mme Baker regarda la jeune fille si calme et se reprit. Candy lui apparaissait comme la solution évidente à son problème. Elle respira profondément et se tourna vers le médecin.

« Cette jeune personne est infirmière diplômée, annonça-t-elle en désignant Candy. Elle va veiller sur mon fils pendant sa convalescence. Je vous demande de lui indiquer très précisément les soins à lui prodiguer pour un prompt rétablissement. Pensez également à nous fournir les médecines nécessaires. Je règlerai la facture en sortant.

- Si M. Granchester peut bénéficier de soins à domicile, il n’y aura pas de complications. Mais il faudra revenir pour un contrôle régulièrement. Venez Mademoiselle, dit le docteur en se levant, je vous vous fournir toutes les indications indispensables. »

Avant que Candy ait pu protester, elle se trouva entraînée vers la pharmacie de l’hôpital sous le regard satisfait d’Eléonore.


Une fois dans la voiture, son paquet de médicaments sur les genoux, la jeune fille essaya une nouvelle fois de s’exprimer.

« Je ne peux pas m’occuper de Terry, Mme Baker. Je n’ai que cinq jours de vacances. Je dois retourner à Chicago. Mon ami Albert a besoin de moi.

- Je sais, mon enfant, vous m’avez expliqué qu’il avait perdu la mémoire. Mais son état de santé est satisfaisant, tandis que Terry n’est pas remis de ses blessures. Qui mieux que vous saurait prendre soin de lui ? De plus, je dois reconnaître qu’il n’a pas un caractère facile. Avec vous il n’osera pas refuser de se soigner. Il suffit de prévenir votre ami Albert, il comprendra. Je me charge d’arranger les choses avec l’hôpital où vous travaillez et je vous engage officiellement comme infirmière à domicile. »

Candy réfléchissait à toute vitesse. Passer plusieurs semaines auprès de Terry ! Elle en rêvait depuis longtemps. Pouvait-elle laisser échapper une occasion pareille de vivre près de celui qu’elle aimait ? Albert savait combien elle tenait à Terry, il pourrait certainement se débrouiller seul. Elle croisa le regard suppliant d’Eléonore et sourit : C’était le même que celui de Terry quand il voulait se faire pardonner. Décidément, ces deux-là se ressemblaient plus qu’ils ne voulaient l’admettre.

« Vous avez gagné, Eléonore. Je reste.

- Vous êtes un ange, répondit l’actrice en la serrant dans ses bras, la perle rare qu’il faut à mon fils ! »

Gênée par le compliment, Candy détourna la tête et fit mine de s’intéresser aux rues animées qu’ils parcouraient. Bien qu’elle soit à New York pour la première fois, elle voyait bien que les quartiers qu’ils traversaient ne ressemblaient pas à celui où vivait Terry.

« Où allons-nous, demanda-t-elle.

- A Granchester House. D’après le planton de l’hôpital, c’est là qu’est allé Terry.

- Qu’est-ce que c’est ?

- C’est la demeure que possède la famille Granchester à New York. Une bâtisse immense qui doit avoir plus de deux siècles, et sinistre comme une prison ! C’est là que vivait Richard quand nous nous sommes rencontrés. »

Candy aurait aimé en savoir plus, mais l’évocation du père de Terry avait plongé sa compagne dans ses souvenirs et elle ne semblait pas vouloir s’étendre sur le sujet. La jeune fille garda donc le silence jusqu’à leur arrivée.

La maison se situait dans un des quartiers les plus cossus de la ville et était impressionnante. Elle lui rappelait un peu la demeure des André à Chicago, mais en plus sombre et plus inquiétant. Les volets ouverts et un filet de fumée s’échappant de la cheminée prouvaient que la maison était bien habitée. Les deux femmes descendirent de voiture et Eléonore actionna sans hésitation le lourd marteau d’argent qui ornait la porte d’entrée. Elles attendirent un bon moment dans le froid avant qu’un majordome entre deux âges ne vienne leur ouvrir. Il les regarda avec surprise et un profond dédain se peignit sur son visage quand il reconnut l’actrice.

« Mme Baker ! C’est une surprise de vous revoir.

- Pour moi aussi, Caleb. Je viens voir mon fils.

- Nous avons été heureux de l’arrivée de M. Terrence, mais il ne nous a pas prévenus de votre visite. »

L’homme leur barrait le passage avec autant de courtoisie que possible. Décidée à ne pas se laisser faire, Eléonore le repoussa gentiment de bout de sa main gantée et pénétra dans le vestibule suivie de Candy qui serrait toujours son sac de médicaments.

« Monsieur est dans le grand salon, précisa le majordome, mais je ne sais pas si...

- Moi je sais, Caleb. Alors quittez cet air pincé que vous aviez déjà il y a vingt ans et allez nous préparer quelque chose de chaud. »

Le majordome pinça le nez comme s’il venait de découvrir une mouche dans son assiette et se retira vers l’office pendant qu’Eléonore faisait signe à Candy de la suivre.

« Caleb était déjà au service de Richard quand je l’ai connu, expliqua-t-elle. Il ne m’a jamais beaucoup aimée, et je le lui rends bien. Venez, Candy. Allons tirer les oreilles de mon fils. »

Fin du chapitre 3




 
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Dinosaura
view post Posted on 8/1/2012, 16:00






CHAPITRE 4




Les calmants reçus à l'hôpital avaient cessé leur effet et Terry ne se sentait vraiment pas bien tant ses blessures le faisaient souffrir. La position allongée était celle dans laquelle il se sentait le moins mal, mais son orgueil lui interdisait de paraître faible à l'arrivée de ses visiteuses. C'est donc debout qu'il les attendait, lourdement appuyé sur une vielle canne trouvée dans la maison.

Le vieux Caleb et son épouse Sarah avaient ouvert de grands yeux en le voyant débarquer à l'improviste. Ils étaient employés à demeure par la famille Granchester depuis des années et veillaient à entretenir la maison afin qu'elle soit toujours prête à accueillir son propriétaire si celui-ci désirait y séjourner. Terrence le savait, lui qui l'avait occupée quelques jours, l'année où il était venu voir sa mère avant de repartir en Angleterre sur le Mauritania. C'était l'hiver où il avait rencontré Candy, un moment déterminant dans sa vie. Et voilà que les deux femmes liées à ce souvenir doux-amer se trouvaient là alors qu'il venait de prendre une décision qui allait une nouvelle fois orienter le cours de sa vie.

Eléonore s'avança vers lui, mais Candy resta une fois encore en retrait, impressionnée par le luxe vieillot de la pièce. Sa chevelure lumineuse tranchait avec les boiseries foncées et les lourds brocards qui donnaient au salon une atmosphère pesante.

« Terry ! Peux-tu me dire ce qui t’a pris de quitter l’hôpital. »

L’actrice voulut s’approcher de son fils mais il l’arrêta d’un geste de la main.

« Cet établissement ne me convenait pas, Mère. De plus, j’avais besoin de calme pour réfléchir.

- Que tu ne souhaites plus rester à l’hôpital, soit. Mais tu serais bien mieux chez moi où nous prendrons soin de toi. Pourquoi venir ici ?

- Parce que c’est ma place, Mère, même si vous refusez de l’admettre. »

Le ton froid autant que le vouvoiement surprirent Eléonore qui se figea sur place. Elle fixait son fils comme si elle découvrait une autre personne. Elle croyait pourtant que l’époque où il la battait froid était loin derrière eux. Elle s’apprêtait à répliquer lorsqu’une main apaisante se posa sur son bras.

Pendant ce dialogue acerbe, Candy avait reporté son attention sur Terry. Son visage pâle était marbré de rouge et la sueur perlait à son front. Elle reconnut immédiatement les signes de la souffrance et de la fièvre et intervint aussitôt.

« Nous parlerons plus tard, si vous voulez bien. Il vaut mieux nous occuper de Terry pour le moment. Je vais lui donner ses médicaments. »

Eléonore s’en voulut d’avoir négligé la raison de leur visite. Il est vrai que son fils semblait mal en point. Il s’appuyait lourdement sur sa canne d’une main qui tremblait. Candy se précipita pour le soutenir avant qu’il ne s’effondre. Terry accueillit avec soulagement l’épaule qu’elle lui offrait.

« Où est ta chambre, demanda-t-elle ?

- Au premier, répondit-il en serrant les dents pour ne pas hurler. »

Candy se souvint du monumental escalier qu’elle avait vu en entrant et craignit de ne pas réussir à emmener le jeune homme jusqu’à se chambre. Elle interrogea Eléonore du regard et celle-ci réagit aussitôt.

« Essayez de l’emmener là-haut. Je vais chercher Caleb dit-elle en se précipitant vers l’office. »

Terry n’avait même plus la force de plaisanter tandis que la jeune fille l’entraînait vers sa chambre. Ils gravirent péniblement les marches jusqu’au premier étage et pénétrèrent dans la pièce qu’il lui désigna où il se laissa tomber lourdement sur le lit.

« Je te reconnais bien là, le gronda-t-elle. Quel besoin avais-tu de faire ton malin. Tu es bien avancé maintenant. »

Elle continua à lui faire des reproches en l’aidant à s’installer du mieux possible. Elle commençait à lui enlever ses chaussures lorsque Caleb entra suivi d’Eléonore. Il embrassa la scène du regard, scandalisé.

« Il vaut mieux que je m’occupe de Sa Grâce, Mademoiselle, proposa-t-il rapidement. Ce n’est pas votre place !

- D’accord répondit Candy. Je vais chercher ses médicaments et je reviens. »

Terry eut un faible sourire devant la mine de son majordome et expliqua :

« Mademoiselle André est infirmière, Caleb. Je suis entre de bonnes mains avec elle.

- Plus que tu ne le crois, intervint sa mère. Je viens de l’engager pour veiller sur toi jusqu’à ce que tu ailles mieux. Et puisque les événements en ont décidé ainsi, nous allons toutes les deux nous installer ici pour te soigner. »

Elle darda un regard autoritaire sur le pauvre Caleb dont le monde était en train de s’écrouler à l’idée de voir cette actrice habiter dans la maison du Duc de Granchester. Même à l’époque de sa folle jeunesse, jamais Monsieur le Duc n’avait installé sa maîtresse dans la demeure familiale ! Puisque Monsieur Terrence était mal en point, l’infirmière pouvait s’installer dans une des chambres de bonne, mais la présence de l’autre serait une insulte à tous les Granchester dont les portraits étaient accrochés dans le vestibule ! Il chercha du secours auprès de son jeune maître mais celui-ci lui donna le coup de grâce en capitulant.

« Préparez deux chambres d’amis, Caleb. Nous allons avoir des invitées. »

Vaincu le majordome se retira pour avertir sa femme de ce nouveau coup du sort pendant que les deux invitées prenaient leurs quartiers auprès de Terry pour veiller sur sa convalescence.


Les premiers jours furent tendus, mais Terry reprenait rapidement des forces. Candy veillait à ce qu’il prenne les médecines qu’elle lui apportait avec un professionnalisme digne d’éloges. Pourtant les rapports entre les deux jeunes gens étaient tendus. L’acteur était distant et si Candy avait mis son mutisme sur le compte de son état de santé, il était évident qu’elle s’était trompée. Il était tellement froid avec elle, qu’elle avait l’impression de le déranger. Ce matin-là, elle frappa timidement à la porte de sa chambre avant d’entrer pour lui changer le bandage bien serré qui maintenait ses côtes fêlées. Elle le trouva debout près de la fenêtre à observer le jardin couvert de neige. Noël approchait à grands pas.

« Bonjour Terry, dit-elle gentiment. Pourquoi es-tu levé ?

- Je ne suis pas impotent, Candy. De plus j’attends quelqu’un. »

Candy fut surprise mais ne répondit pas. Elle s’approcha de lui pour lui prodiguer ses soins. Obéissant, il leva les bras comme elle le lui demandait pendant qu’elle détachait son ancien bandage. Puis elle examina précautionneusement les hématomes qui marquaient son torse. Ses doigts légers tâtaient les ecchymoses encore visibles en s’efforçant de ne pas lui faire mal. Le souffle de Terry s’accéléra et la jeune fille cessa aussitôt son examen.

« Tu as mal, demanda-t-elle inquiète ?

- Un peu, mentit-il. »

Il ne voulait pas lui avouer que la caresse de ses doigts sur sa peau provoquait en lui bien autre chose que de la douleur. Au contraire, rien n’était plus agréable que la douce chaleur qui se répandait en lui au moindre contact. Mais il ne devait rien laisser paraître de ses sensations. Il devait s’en tenir à ce qu’il avait décidé et ne pas céder à l’inclination qui le poussait à la serrer contre lui.

Quand elle commença à remplacer le bandage, le calvaire de Terry fut encore plus pénible. Elle passait les bras autour de sa taille pour serrer la bande, et à chaque fois, ses cheveux venaient lui caresser la poitrine, le mettant hors de lui. Il avait de plus en plus de mal à garder les bras écartés alors qu’il aurait voulu les refermer sur elle et la serrer sur son coeur. Heureusement, Candy ne soupçonnait rien de tout cela et mettait son souffle court sur le compte de la douleur. Elle termina rapidement son travail et lui tendit un calmant.

« Prends cela, dit-elle. Tu te sentiras mieux après. »

Il avala la mixture sans la quitter des yeux mais elle était trop concentrée sur sa tâche pour prêter attention aux signaux que lui envoyait le regard du jeune homme. Elle allait quitter la pièce quand il la retint :

« Je m’en veux de t’obliger à jouer les gardes-malades, Candy. Tu étais sensée être en vacances...

- Ne t’inquiète pas pour cela. Je prendrai soin de toi tant que tu en auras besoin. Tout est arrangé avec Chicago.

- Et Albert ? N’aurais-tu pas souhaité passer Noël avec lui et tes amis ? »

Candy baissa les yeux sans répondre. En venant à New York elle ne pensait qu’à une chose : Retrouver Terry. Elle avait longuement réfléchi à la raison pour laquelle il lui avait envoyé un aller simple. Elle espérait secrètement qu’il lui demande de rester avec lui, et n’avait pas formé de projets pour les fêtes. Mais les circonstances en avaient décidé autrement. Il y avait eu cet accident, et maintenant Terry semblait si lointain...

« Noël est une fête de famille, répondit-elle tristement. Pour les orphelines comme moi, cela ne veut pas dire grand-chose. »

Et elle sortit avant que Terry puisse ajouter quoi que ce soit.

La jeune fille rejoignit Eléonore Baker pour le petit déjeuner qu’elles avaient l’habitude de prendre ensemble. A la vitesse où Terry se remettait, il ne tarderait pas à ce joindre à elles, du moins c’est ce qu’elles espéraient. Elles discutaient tranquillement de leur programme de la journée quand du bruit se fit entendre dans le vestibule. Elles s’enquirent de l’identité du visiteur auprès de Caleb lorsque celui-ci vint peu de temps après s’assurer qu’elles ne manquaient de rien.

« Il ne s’agissait pas d’un visiteur, Madame Baker. C’était le tailleur de M. Terrence. »

Candy et Eléonore se regardèrent avec surprise. Un tailleur ! Sans se concerter, elles se levèrent en même temps et se précipitèrent vers le vestibule. Tout ce qu’elles purent voir, furent deux commis qui gravissaient les escaliers chargés de paquets.

« Qu’est ce que c’est que cette histoire, s’exclama Eléonore. Il faut que j’y aille !

- Laissez-le faire, dit Candy. Finissons plutôt notre petit-déjeuner. Terry nous dira tout bientôt. »

L’actrice se laissa entraîner vers la salle à manger, mais ne semblait pas convaincue. Au bout d’une demi-heure, elle ne tenait plus en place.

« C’en est trop, il faut que je sache ! »

Elle se rendit jusqu’à la chambre de son fils mais se heurta à Caleb qui en sortait.

« Vous ne pouvez pas entrer, Mme Baker. Monsieur Terrence prend son bain. »

Eléonore ouvrit la bouche pour remettre le majordome à sa place, mais se souvint que la dernière fois qu’elle avait vu Terry dans son bain, il ne devait pas avoir plus de deux ans. Les circonstances étaient bien différentes aujourd’hui.

Elle se tourna vers Candy avec un regard implorant mais celle-ci secoua vivement la tête en signe de dénégation. Les mains devant elle comme pour repousser Eléonore elle s’écria :

« N’y pensez même pas !

- Mais vous êtes son infirmière...

- C’est hors de question, je n’irai pas ! »

L’actrice comprit qu’elle devrait prendre son mal en patience et attendre le bon vouloir de Terry pour avoir des explications.


Fin du chapitre 4




 
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Dinosaura
view post Posted on 8/1/2012, 20:35





CHAPITRE 5




Devant l'impossibilité pour Terry de s'occuper de son invitée, Eléonore avait pris la jeune fille sous son aile et l'emmena faire les boutiques en prévision des fêtes qui approchaient à grands pas. Elles coururent les magasins pour trouver des cadeaux de Noël mais l'actrice avait un rendez-vous pour déjeuner qu'elle ne pouvait reporter. Elles se rendirent donc au Country Club pour rencontrer un dénommé Steve Newton.

Newton travaillait dans une industrie en plein essor, le cinématographe. Cette nouvelle forme de divertissement attirait de plus en plus de spectateurs et les producteurs étaient toujours à la recherche d'acteurs confirmés pour participer à leurs créations. Leurs regards se tournaient naturellement vers le théâtre, vivier de comédiens talentueux. La lumineuse beauté d'Eléonore Baker ajoutée à ses dons d'actrice faisait d'elle une recrue de choix pour le cinéma.

Candy s'intéressa un moment à leur conversation, mais perdit bientôt le fil quand elle comprit que la proposition ne tentait pas vraiment sa compagne. Elle reporta son attention sur ce qui l'entourait. Le restaurant n'était pas complet, loin de là. Peu de femmes étaient présentes et les messieurs jetaient de fréquents coups d'oeil vers leur table, ce qui la mettait mal à l’aise. Elle essayait de se convaincre que c’était parce qu’ils avaient reconnu la célèbre actrice, mais ne se sentait pas plus à l’aise pour autant. Elle avait toujours détesté ce genre d’endroit où tout respirait le luxe et la richesse. Comme le lui avait précisé Eléonore en arrivant, le seul critère retenu par le Country Club pour la sélection de ses membres était le volume de leur compte en banque. Cela transparaissait autant dans la décoration que dans l’apparence des convives, habillés de manière aussi élégante que s’ils s’étaient rendus à une soirée. De plus, la salle était beaucoup trop chauffée et au lieu de cette atmosphère étouffante, Candy aurait préféré respirer l’air glacé du parc couvert de neige qu’elle distinguait par la fenêtre, et se promener dans les allées bien dégagées par le personnel de l’établissement. A la maison de Pony, elle adorait courir dans la neige et confectionner de magnifiques bonhommes de neige avec les autres enfants.

Le son d’une voix familière la ramena à la réalité. Incapable de prononcer un mot tant elle était surprise, elle serra la main d’Eléonore pour attirer son attention. Toutes deux observèrent le directeur du Country Club qui s’inclinait servilement devant un Terrence Granchester vêtu avec une élégance recherchée et qui acceptait d’un air hautain les marques de respect que lui prodiguait le responsable.

« Ce sera un honneur de vous compter parmi nos membres, M. Granchester, disait-il suffisamment fort pour être entendu de toute la salle. Je vais faire le nécessaire dès aujourd’hui. »

Terry se contenta d’un léger signe de tête en guise de réponse et traversa la salle sous les regards curieux de tous les convives.

Il traînait la jambe mais maniait sa canne avec une classe folle qui alluma une lueur intéressée dans les yeux des dames présentes. Il passa près de la table où se trouvaient sa mère et Candy sans les saluer et en leur accordant à peine un regard, même si un léger sourire étira ses lèvres devant leurs mines stupéfaites.

Elle le virent prendre place au volant d’une voiture de sport dernier cri et démarrer dans un crissement de pneus.

Le réalisateur qui se sentait totalement ignoré, tenta de regagner l’attention de son interlocutrice en demandant :

« N’était-ce pas le jeune Terrence Granchester ? On le dit de grand talent. J’ai même entendu dire qu’il était votre fils ? »

L’intérêt professionnel de Steve Newton était éveillé. Il imaginait déjà les nombreux scénarii qui pourraient mettre en vedette la mère et le fils dans ses futures productions. Il sentait la grande actrice réticente à l’idée de quitter le théâtre, mais si son fils était intéressé, celai l’aiderait peut-être à emporter sa décision.

Mais Eléonore Baker était déjà loin des propositions de son interlocuteur. Après la stupéfaction, l’attitude de Terry avait provoqué en elle une violente colère et elle fit appel à tout son professionnalisme pour dissimuler ses sentiments en public. Seule Candy qui commençait à la connaître soupçonna son état d’esprit en voyant danser une flamme dangereuse dans les yeux bleus de la vedette.

L’actrice mit rapidement fin à l’entretien en promettant de réfléchir à la proposition de Newton, sur un ton qui indiquait qu’elle n’en ferait rien.


Elle fulminait dans la voiture qui les ramenait à la résidence.

« Non mais pour qui se prend-il, ce petit insolent ! »

Candy aurait voulu trouver les mots pour la calmer, mais elle aussi était interloquée par l’attitude de Terry et le regard glacial qu’il leur avait lancé. De plus, elle redoutait que son état de santé ne lui permette pas de sortir seul et craignait de le trouver en piteux état à leur retour. Elle laissa donc sa compagne épancher sa colère en se disant que c’était le meilleur moyen de l’apaiser.

Dès leur arrivée, elles se précipitèrent dans le bureau du Duc où elles trouvèrent le jeune homme en train d’écrire. Il leva les yeux à leur entrée et prit le temps de mettre sa lettre sous enveloppe. Il inscrivit l’adresse du destinataire puis posa son stylo pour les observer calmement. Il ne leur proposa même pas de s’asseoir.

Le sang d’Eléonore ne fit qu’un tour.

« Puis-je savoir ce que cela signifie ? Attaqua-t-elle. Comment as-tu osé nous ignorer de la sorte ! »

Terry s’installa confortablement dans son fauteuil avant de répondre.

« Il est en effet temps de mettre certaines choses au point. Nous aurions dû avoir cette conversation bien avant. Je suis désolé, Mère, mais même si les circonstances ont voulu que notre lien de parenté soit découvert, cela ne change rien à nos relations. Elles ont toujours été distantes et j’entends qu’elles le restent.

- Que veux-tu dire par là, Terry ? Demanda Eléonore abasourdie. J’ai l’impression d’être revenue plusieurs années en arrière, à l’époque où tu me détestais. C’est ton père qui nous a séparés, je croyais que tu l’avais compris.

- Mon père a fait ce qu’il estimait le mieux pour moi. M’emmener en Angleterre était la seule solution raisonnable, voilà ce que j’ai enfin compris. »

La comédienne sentait ses jambes se dérober sous elle. La main secourable de Candy la soutint et la guida jusqu’à un siège sous le regard indifférent de son fils. Puis la jeune fille se tourna vers lui, la mine réprobatrice, mais le visage de Terry était impénétrable.

« Terry, est-ce que tu vas bien ? Je ne te reconnais plus ! Peut-être que ton accident...

- Je vais physiquement aussi bien que possible, Candice. Mais j’ai ouvert les yeux. Avoir frôlé la mort de si près m’a fait réaliser à quel point j’avais été idiot. Mon père a fait de moi son héritier. Il m’a donné la meilleure éducation possible pour que je sois en mesure de tenir mon rang. Je me suis comporté comme un enfant indiscipliné et égoïste. Quelle folie m’a pris de vouloir renier mon nom et mes responsabilités pour jouer les histrions ! Ma place n’est pas dans ce monde d’artifice et de simulacres. J’ai compris où était mon devoir et je viens d’écrire à mon père pour lui faire part de ma décision. J’ai résolu de me comporter désormais en digne fils du duc de Granchester et héritier du titre. »

Candy fixait le jeune homme sans comprendre. Comment pouvait-il parler ainsi, surtout en face de sa mère ! Il était tellement suffisant ! Elle se tourna vers Eléonore qui était blanche comme un linge.

« C’est ton nouveau statut qui t’empêche de saluer ta propre mère ? Ton père, lui, n’était jamais aussi fier que quand il sortait à mon bras !

- S’afficher avec une maîtresse aussi belle que vous comblerait de fierté n’importe quel gentilhomme. Mais ma naissance illégitime reste une tache sur le blason des Granchester. Pour tenir mon rang, il vaut mieux que cette erreur soit très vite oubliée.

- Petit insolent ! S’exclama Eléonore. Tes veines ne charrient pas que du sang bleu, mais également une bonne dose du mien ! Je suis toujours ta mère !

- C’est la raison pour laquelle je vous ai offert l’hospitalité. Mais vous n’êtes qu’une invitée, pas la maîtresse de maison.

- Une invitée que tu méprises et que tu délaisses. Comme cette pauvre Candy que tu as fait venir jusqu’ici et que tu ignores. Crois-tu qu'il soit correct de la traiter ainsi ?

- Candy reste pour moi une amie très chère, dit Terry en regardant la jeune fille sans sourire. Je suis heureux de bénéficier de sa présence et de son professionnalisme. Elle sera toujours la bienvenue sous mon toit. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, des affaires m’appellent à l’extérieur et je dois faire parvenir ce courrier à mon père... »

Terry se leva souplement et quitta la pièce en laissant les deux femmes abasourdies.


Candy avait l’impression de vivre un cauchemar éveillé. L’homme qui venait de sortir ne pouvait pas être celui dont elle était amoureuse. Même à l’époque où elle l’avait rencontré au collège, il n’avait jamais été aussi arrogant et prétentieux. Bien sûr, elle savait que ces traits de caractère étaient présents chez lui, mais qu’il les affiche à ce point... Où était le Terry tendre et affectueux qui l’avait séduite ? Il était si froid et si distant... A part le premier jour où elle était entrée dans sa chambre à l’hôpital, il ne lui avait pas adressé un sourire. Bien qu’elle s’occupe de lui tous les jours, il n’avait pas eu le moindre mot affectueux, aucun geste tendre... Elle rougit en songeant qu’elle avait imaginé son séjour à New York bien autrement.

« Candy, que se passe-t-il avec lui ? Demanda Eléonore, la tirant de ses réflexions. Il n’est pas dans son état normal.

- Je ne comprends pas non plus, avoua Candy.

- Mais vous êtes infirmière ! Avez-vous déjà vu ou entendu parler d’un cas semblable ?

- Non jamais. Je sais bien qu’un choc à la tête peut provoquer l’amnésie parfois, mais un tel changement de personnalité....

- Un choc à la tête ! Peut-être que ce projecteur est la cause de tout. J’ai passé ma vie sous les projecteurs, je les considérais presque comme des amis. Jamais je n’aurais cru qu’un objet aussi anodin puisse engendrer de tels bouleversements dans la vie des gens. Nous devons parler à son médecin, Candy, et veiller sur Terry. »

La jeune fille secoua la tête, abattue.

« Je ne sais pas, Eléonore. Il n’est pas heureux de nous voir. Nous devrions peut-être partir d’ici.

- Il n’en est pas question, s’exclama l’actrice. Ce petit prétentieux ne le sait pas, mais j’ai informé son père après l’accident. Richard m’a répondu qu’il ne pouvait quitter l’Angleterre en ces temps de guerre, mais il m’a donné toute latitude pour prendre soin de Terry. Nous sommes donc tout à fait à notre place ici, n’en déplaise à monsieur mon fils. Nous resterons tant qu’il ne sera pas parfaitement rétabli. »

Candy ne répondit pas mais elle ne se considérait pas à sa place dans la grande maison austère et elle se sentait mal à l’aise en présence de ce nouveau Terry qui semblait avoir oublié leurs tendres promesses. Avec un soupir, elle suivit une Eléonore Baker qui avait retrouvé toute sa combativité et elles se rendirent à l’hôpital.


Fin du chapitre 5



 
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Dinosaura
view post Posted on 8/1/2012, 21:07





CHAPITRE 6




Le médecin qui avait soigné Terry ne put malheureusement rien leur apprendre. Pour lui, l'état physique de son patient était satisfaisant, quand à son état psychologique, il ne pouvait se prononcer. Il évoqua lui aussi les possibilités d'amnésie après un choc violent à la tête, mais les changements de personnalité lui étaient étrangers. Il orienta ses interlocutrices vers un de ses confrères plus spécialisé que lui dans l'étude de la psychologie, mais sans leur donner beaucoup d'espoir. A ses yeux, il était possible que le jeune homme ai dit la stricte vérité : Son accident lui avait fait envisager la vie sous un nouveau jour, et il souhaitait désormais lui donner une autre direction. Dans ce cas, toute forme de médecine lui était inutile.

Une telle réponse ne pouvait satisfaire les deux femmes. Elles refusaient d'admettre que le Terry qu'elles connaissaient ait changé à ce point. Elles en discutèrent longuement, et conclurent que même si le médecin avait raison, l'attitude de Terry était le contrecoup du choc dû à son accident. Cela n'était que passager, et il retrouverait sous peu sa vraie personnalité.

Pourtant rien dans les jours qui suivirent ne laissa présager une quelconque amélioration dans l'état de Terry. Eléonore et Candy ne le voyaient pratiquement plus. Les invitations commencèrent à arriver dès le lendemain de la rencontre au Country Club et le jeune homme sortait pratiquement tous les soirs. Il se levait tard, alors qu'elles avaient fini de déjeuner depuis longtemps. Il consacrait ses après-midi à faire des visites dont elles ignoraient tout. Ce n'était qu'au déjeuner qu'elles avaient parfois l'occasion de le voir, et son air contrarié quand il prenait place exprimait le désagrément qu'il éprouvait à les trouver encore chez lui. C'est du moins ainsi qu'elles le ressentaient.

Pourtant les choses changèrent le jour où Robert Hattaway se présenta en personne à la résidence et demanda à voir Terry. En attendant d'être introduit, il discuta un moment avec Eléonore pour laquelle il avait beaucoup d'admiration, et avec Candy qu'il avait pris en affection.

« C’est une joie de vous rencontrer ici, Eléonore. J’espère cependant que cela ne signifie pas que l’état de Terrence est plus grave que ce que l’on m’a dit.

- Ne vous inquiétez pas Robert, répondit l’actrice avec un sourire. Son état de santé s’améliore de jour en jour.

- Sans doute la présence de cette jeune personne n’y est-elle pas étrangère, suggéra le metteur en scène en se tournant vers Candy qui rougit. Mais ce qui m’amène est moins agréable. Il commence à circuler de curieuses rumeurs dans le milieu du spectacle, Eléonore. On dit que Terrence voudrait abandonner la scène. Qu’y a-t-il de vrai là-dedans ? »

Le regard qu’échangèrent les deux femmes n’échappa pas à Robert Hattaway. Elles semblaient mal à l’aise, surtout la jeune fille qui se tordait les mains.

« Pour l’amour du ciel, dites moi ce qu’il en est ! Cette pièce menace de tourner au fiasco ! Je misais beaucoup sur Terrence. Stephen le remplace, certes, mais il n’a pas sa présence en scène. Je comptais bien que mon acteur principal reprenne son rôle dès qu’il serait remis. Si j’ajoute à cela les caprices de la vedette féminine qui devient chaque jour plus caractérielle, je vais droit dans le mur !

- Je ne sais que vous répondre, avoua l’actrice. Terry n’est pas encore tout à fait remis, c’est tout ce dont je suis sûre. Pour le reste, il vaudrait mieux que vous en discutiez avec lui. »

Le metteur en scène allait tenter d’en savoir plus quand le majordome impassible qui lui avait ouvert la porte se présenta et annonça que M. Terrence allait le recevoir. Tant de formalisme étonna Hattaway, mais il ne fit aucune remarque et salua les dames avant de suivre le domestique.

« Susanna Marlow est plus que caractérielle, soupira Eléonore après son départ. Elle est tout simplement folle à lier. Il est temps qu’il s’en rende compte !

- Je crois qu’elle est amoureuse de Terry, souligna Candy d’une voix éteinte.

- Mais mon fils ne la regarde pas autrement que comme une partenaire de scène, s’exclama Mme Baker en prenant les mains de la jeune fille dans les siennes. Il ne faut pas vous inquiéter. Celle qui fait battre son coeur, c’est vous !

- Je ne suis plus sûre de rien, Eléonore, soupira Candy. Il est devenu tellement... indifférent. J’ai l’impression que je n’existe plus pour lui. »

La comédienne aurait voulu trouver les mots justes pour la rassurer, mais elle se sentait aussi dépassée qu’elle. Elle se contenta de la serrer dans ses bras sans rien dire.


L’entretien entre les deux hommes dura un bon moment. Candy et Eléonore entendirent le visiteur quitter la demeure. Elles étaient dévorées de curiosité mais n’osaient aller demander à Terry la teneur de leur discussion. Elles furent d’autant plus surprises en voyant le jeune homme entrer dans le salon. Il les regarda un instant avant de s’installer près de Candy sur le sofa. La jeune fille fit aussitôt mine de se plonger dans sa lecture mais l’actrice abandonna tout subterfuge et le fixa d’un air interrogateur.

« Que voulait Robert ? Demanda-t-elle sans ambages.

- Toujours droit au but, n’est-ce pas Mère, répondit Terry en souriant. Vous ne changerez jamais. »

Il fixait Candy assise près de lui avec attention. Elle avait le visage fatigué et les yeux cernés, et il savait pourquoi. Il se sentait un peu coupable de lui imposer pareille situation, mais il n’y en avait plus pour très longtemps. En prenant quelques jours de vacances pour venir à New York, elle n’avait sans doute pas imaginé que les choses tourneraient de cette façon. Plus il y réfléchissait, plus Terry aurait payé cher pour connaître l’état d’esprit de la jeune fille quand elle avait accepté son invitation.

« Ma décision a eu des conséquences sur lesquelles M. Hattaway a attiré mon attention, reprit-il. En choisissant d’abandonner le théâtre, je ne voulais en aucun cas les mettre lui et sa troupe dans l’embarras. Il semblerait pourtant que cela ait fait naître des rumeurs sur la qualité de son travail. Il a suggéré que pour fait taire ces insinuations, il serait bon que j’assiste à une de leur représentation et que j’apporte mon soutien à celui qui m’a remplacé. Comme j’éprouve beaucoup de respect pour lui et pour son art, je ne vois pas pourquoi je lui refuserais cette faveur. »

Candy qui sentait peser sur elle le regard de Terry se décida enfin à abandonner le livre qu’elle faisait semblant de lire pour lever les yeux vers lui. Il avait au coin des lèvres ce sourire qu’il lui dédiait autrefois et elle fut happée par les souvenirs qui lui revinrent en mémoire.

« Que dirais-tu de m’accompagner, Candy ? Annonça le jeune homme de but en blanc. Après tout, c’est pour voir cette pièce que tu es venue à New York, et tu n’en as pas encore eu l’occasion. »

Le coeur de la jeune fille fit un bond dans sa poitrine. C’est lui qu’elle aurait voulu voir dans le rôle de Roméo, mais passer une soirée avec Terry, sortir avec lui ! Elle en rêvait depuis des mois. Un grand sourire illumina son visage mais elle se tourna quand même vers Eléonore pour obtenir son approbation.

« C’est une excellente idée, approuva celle-ci. Vous avez bien besoin de vous distraire, mon enfant.

- Alors s’est entendu, conclut Terry en se levant. Nous irons ce soir. Sois prête à huit heures.

- Elle sera prête, fais moi confiance, renchérit l’actrice tandis qu’il quittait la pièce. »


-----oooOooo-----




Robert Hattaway leur avait réservé une loge et le couple qu’ils formaient était l’objet de tous les regards.

Candy avait enfin pu mettre la robe de soirée qu’elle avait emportée pour l’occasion. Eléonore l’avait aidée à se coiffer et lui avait prêté une magnifique cape de fourrure pour aller avec sa tenue. Bien qu’elle se sente très en beauté, elle avait frémi en descendant l’escalier pour rejoindre Terry dans le hall. Il était tellement élégant que sa robe lui semblait soudain terne. Il était en train de parler avec sa mère et lui avait à peine accordé un sourire.

Il ne ressemblait plus à l’adolescent espiègle dont elle se souvenait avec tendresse. Elle avait face à elle un homme d’une courtoisie irréprochable mais artificielle qui observait le monde autour de lui avec un profond dédain, comme détaché de tout.

Pendant la représentation, Candy fut plus sensible à la présence de Terry à ses côtés qu‘à la pièce elle-même. Nonchalamment installé les jambes croisées, il ne manifesta aucune émotion en regardant un autre interpréter le rôle qui aurait dû lui revenir. Tout au plus fronça-t-il de temps en temps les sourcils à certaines répliques.

La jeune fille connaissait déjà « Roméo et Juliette » depuis le merveilleux été qu’ils avaient passé en Écosse au cours duquel Terry lui en avait lu de nombreux passages. Elle comprit qu’il exprimait ainsi son désaccord sur l’interprétation de son confrère, mais ne fit aucune réflexion.

Plus la fin de la représentation approchait, et plus Candy se sentait mal à l’aise. Toute à la joie de passer une soirée avec Terry, elle avait occulté de son esprit l’inévitable présence de Susanna.

Celle-ci n’avait cessé de fixer le jeune acteur dans sa loge, lui adressant toutes ses répliques et ignorant totalement son malheureux partenaire de scène. Il était convenu que Terry aille féliciter dans sa loge après le baisser de rideau, celui qui l’avait remplacé au pied levé. Mais aller dans les coulisses signifiait également rencontrer Susanna Marlow. Or le regard incendiaire qu’elle avait jeté à Candy n’augurait rien de bon pour celle-ci.

Quand le rideau tomba, Candy se leva et applaudit à tout rompre, mais elle fut la seule. Parmi le public, les bravos furent polis, mais sans plus. Amusé par l’attitude de sa compagne, Terry se leva à son tour pour se joindre à ses applaudissements. Puis il lui prit le bras et l’entraîna vers les coulisses sous les regards intéressés de spectateurs qu’ils croisaient.

Lorsqu’ils arrivèrent devant les loges des artistes, Candy remarqua que plusieurs jeunes gens attendaient devant la porte de Susanna, des bouquets dans les mains, que la jeune femme se soit changée et accepte de les recevoir. La contrariété se peignit sur leur visage en découvrant la présence de Terry. Après tout, n’était-il pas le fiancé de la jeune actrice ? Et dans ce cas, qui était la jeune beauté pendue à son bras ? Mais Terry ne leur accorda pas un regard et se dirigea vers la loge voisine.

Stephen Polson s’y trouvait seul et ne décolérait pas. L’attitude irresponsable de Susanna avait fait de sa prestation une pantalonnade ! Il se sentait ridiculisé, à juste raison. Il savait par Hattaway que Terry passerait le voir, mais il ne s’attendait pas à le voir entouré de tant de monde. Poussés par la curiosité, des spectateurs avaient suivi le jeune acteur, désireux de savoir ce que les deux interprètes de Roméo allaient se dire. Stephen fit aussitôt bonne figure et accueillit Terry à bras ouverts, comme s’ils étaient les meilleurs amis du monde.

« Terrence ! S’exclama-t-il. Je suis heureux de voir que tu vas mieux.

- Mercie Stephen. Je tenais à te féliciter. Reprendre ce rôle en si peu de temps n’a pas dû être facile. »

Polson écoutait son ami, un sourire aux lèvres, mais ses yeux restaient fixés sur la jeune femme qui l’accompagnait. Ce pourrait-il qu’elle soit la cause de l’humeur exécrable de Susanna ?

« Laisse-moi te présenter Mademoiselle Candice Neige André. Elle est de passage à New York et mon invitée.

- Les André de Chicago ? C’est un plaisir de vous rencontrer mademoiselle ! »

Quelques murmures se firent entendre derrière eux tandis que le jeune acteur s’inclinait pour baiser la main de Candy qu’il garda dans la sienne un peu plus longtemps que nécessaire. La jeune fille s’apprêtait à le féliciter à son tour quand elle fut bousculée sans ménagement. Elle perdit l’équilibre et serait tombée si les deux hommes ne lui avaient pas tendu en même temps un bras secourable pour la soutenir. Stephen croisa le regard noir de Terry et s’empressa de lâcher la jeune fille. Confuse, Candy sentit que Terry l’attirait plus près de lui et elle leva les yeux pour se trouver face à une Susanna au sourire narquois.

L’actrice ne souhaitait pas faire une scène en présence de ses admirateurs et opta pour une autre tactique.

« Je me demandais quand tu viendrais, Terry, dit-elle de sa voix la plus sensuelle. Tu m’as manqué ! »

Le jeune aristocrate s’inclina galamment et porta la main qu’elle lui tendait à ses lèvres en souriant.

« Allons, Susanna ! Je suis certain que n’importe lequel de ces messieurs ici présents se ferait un plaisir de combler le vide causé par mon absence. »

En disant cela, il parcourut avec dédain l’assemblée des jeunes dandies venus présenter leurs hommages à l’actrice.

« Ne me dis pas que tu es jaloux ! Minauda Susanna.

- Je n’ai aucune raison de l’être. Nous savons tous les deux pourquoi, n’est-ce pas ? »

Les admirateurs de Susanna faisaient grise mine en écoutant ce dialogue lourd de sous entendus. Celui qu’ils avaient pris pour un simple acteur les écrasait de sa prestance. Les plus objectifs devaient bien reconnaître que sa distinction et son élégance n’avaient rien à leur envier, eux qui se considéraient comme la fine fleur de la bonne société New Yorkaise.

L’actrice se tourna vers eux et leur dédia son plus charmant sourire avant de reprendre.

« Le public est tellement gentil avec moi, tandis que tu semblais m’ignorer.

- J’avais des affaires à régler, cela ne signifie pas que je ne suis pas intéressé. De plus, un peu de compétition n’est peut-être pas pour me déplaire. »

Il ne quittait pas son ancienne partenaire des yeux. Toujours serrée contre lui, Candy commençait à s’agacer de ce jeu de cache-cache auquel elle ne comprenait rien. Se pouvait-il que Terry et Susanna soient plus que des partenaires ? Leurs insinuations le laissaient à penser. D’ailleurs Susanna paraissait plus sereine tout à coup.

« Je ne crois pas avoir eu l’occasion de te présenter officiellement Mademoiselle Candice André, reprit Terry en la poussant en avant. »

Le sang de Candy ne fit qu’un tour. A quoi jouait-il ? C’était donc cela qu’il entendait en parlant de compétition ! Il voulait les mettre en concurrence, Susanna et elle ! S’il s’imaginait les voir se crêper le chignon pour obtenir son attention, il allait en être pour ses frais ! Elle allait lui dire sa façon de penser, et peu importe qu’ils aient des spectateurs, mais Susanna fut plus rapide.

« Enchantée de vous connaître, Mademoiselle André. J’ai eu peur un instant que Terry ne sorte avec les domestiques.

- Je ne suis pas sa domestique, se récria Candy, vexée par le mépris avec lequel Susanna avait prononcé sa phrase. Je suis... »

Elle se tut brusquement, accablée. Que pouvait-elle dire ? Après tout, qu’était-elle pour Terry ? Elle avait été son amie, c’était certain, et dans son coeur elle aurait voulu être beaucoup plus. Mais aujourd’hui ? Ils n’avaient échangé aucune promesse, aucun serment. Tout entre eux était toujours chargé de sous-entendus et de non-dits. A voir Terry aujourd’hui, elle se demandait si elle n’avait pas mal interprété ses propos. Peut-être avait-elle pris ses désirs pour des réalités ? Dans les faits, Susanna n’avait pas tord : Elle avait été engagée par Eléonore Baker pour veiller sur la santé de son fils. Elle était donc bien à son service.

« Je suis son infirmière, conclut-elle dans un souffle. »

Susanna afficha un sourire triomphant tandis que la poigne de Terry se resserrait sur le bras de Candy à lui faire mal. Elle se tourna vers lui pour protester et croisa son regard dur. Il était visiblement en colère. Il s’adressa à nouveau à Susanna d’une voix qu’il essayait de faire paraître posée.

« Nous devons rentrer Susanna. Nous nous reverrons bientôt.

- Bien sûr Terry. Tu vas déjà beaucoup mieux ; tu n’auras plus besoin d’une infirmière très longtemps. »

La jeune actrice les regarda s’éloigner avec satisfaction. Elle avait été bien bête de s’inquiéter au sujet de cette Candy. Cette fille était vraiment sans intérêt, et Terry commençait à s’en rendre compte. Il reviendrait bientôt vers elle et vers la scène. Contente de sa prestation, elle s’intéressa enfin à ses admirateurs pendant que Terry entraînait rapidement sa compagne vers la sortie.


Fin du chapitre 6




 
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Dinosaura
view post Posted on 8/1/2012, 21:39





CHAPITRE 7




Terry n'avait pas desserré les dents pendant le retour, et Candy qui s'apprêtait à lui dire ce qu'elle pensait de son attitude ravala ses reproches devant sa mine renfrognée. Mais à peine furent-ils à la résidence qu'elle laissa éclater sa rancoeur.

« Je peux savoir ce qui t’a pris ? S’exclama-t-elle. Quelle bonne soirée, merci ! Tu m’as promenée comme un petit chien devant tes collègues et ta nouvelle petite amie !

- Et quel besoin avais-tu de te présenter comme mon infirmière ! Répliqua-t-il.

- Oh, sans doute cela ne convient-il pas à Monsieur le futur Duc ! Sortir avec l’héritière des André de Chicago correspondait plus à ton nouveau statut ! Désolée, Terry, mais je n’ai aucune envie de changer pour satisfaire ton ego. J’ai choisi un métier que j’aime et j’en suis fière.

- Mais dans un certain milieu, une femme qui exerce ce genre de profession ne sera jamais considérée comme autre chose qu’une domestique.

- J’ai déjà été domestique, au cas où tu ne le saurais pas. Je peux te dire que beaucoup d’entre eux valent cent fois mieux que ta prétentieuse de Susanna !

- Ne l’appelle pas « ma » Susanna, soupira Terry, ni ma nouvelle petite amie. Ou alors... explique-moi aussi qui selon toi était mon ancienne petite amie... »

Il couvrit Candy d’un regard où brillait une étrange lueur et elle se sentit perdre pied. Comme autrefois quand il se moquait d’elle, elle était partagée entre la colère et le bonheur d’avoir son attention. Mais comme alors, elle refusa de s’attendrir et laissa son caractère emporté prendre le dessus.

« Ne détourne pas la conversation, dit-elle en reculant de quelques pas. Je ne sais pas à quoi tu joues, mais ne compte pas sur moi. Archie te traitait d’aristocrate arrogant, et c’est exactement ce à quoi tu ressembles. Pourquoi veux-tu nous mettre en compétition, elle et moi ? Si c’est toi le prix à remporter, dis-toi que je ne suis plus intéressée ! »

Le jeune homme la fixait, imperturbable. Rien de ce qu’il pensait ne transparaissait sur son visage. Au bout d’un moment de silence qui parut interminable, Candy se détourna pour regagner sa chambre.

Terry la rattrapa avant qu'elle n'atteigne les premières marches et lui prit le bras pour l’obliger à le regarder.

« Ainsi tu étais intéressée, jeune fille ? Je suis flatté ! »

Il était dangereusement proche d’elle et Candy sentit son coeur s’accélérer comme il s’inclinait vers elle avec un sourire en coin. Elle avait tant rêvé de le retrouver et de revivre avec lui les moments si forts qu’ils avaient connus en Écosse pendant leurs vacances d’été. Le baiser qu’il lui avait volé alors lui revint en mémoire et elle se demanda s’il allait l’embrasser encore. Quand elle croisa son regard de braise, elle comprit qu’elle ne s’était pas trompée.

Les lèvres de Terry se posèrent sur les siennes et les effleurèrent lentement, comme hésitantes. Se souvenait-il de la gifle qu’elle lui avait donnée la première fois ? Mais aujourd’hui elle aspirait de tout son être à retrouver cette intimité. Sa bouche répondit à la pression du jeune homme. Encouragé, il se fit plus hardi et explora de la langue les douceurs qu’elle lui offrait. Avec un soupir, Candy céda à ses avances et le laissa prendre pleinement possession de sa bouche. Une délicieuse sensation de bien-être se répandit en elle. Plus il gagnait en audace et plus elle se sentait fondre sous le baiser de plus en plus ardent. Elle glissa la main dans son cou pour le garder près d’elle, mais le sentit trembler sous la caresse. Il se détacha d’elle pour murmurer à son oreille :

« Tu n’imagines pas comme la décision que j’ai prise a été difficile, avoua-t-il. Avoir frôlé la mort d’aussi près m’a fait comprendre ce qui était réellement important pour moi. Je sais ce que je veux et je ferai tout pour l’obtenir, mais mon intention n’a jamais été de te blesser. Tu as mal interprété mes paroles : C’est Susanna qui voulait me mettre en compétition avec ses admirateurs.

- Alors tu as sorti la carte que tu avais dans ta manche : la petite Candy, juste histoire de lui rendre la pareille ! »

Elle le repoussa vivement et lui jeta un regard chargé de reproches. Quelle folle elle avait été de se laisser aller ainsi ! Elle avait oublié que le Terry qu’elle avait en face d’elle n’était plus celui dont elle était tombée amoureuse. Pourtant elle se sentait toujours autant attirée par lui. Rouge comme un coquelicot à l’idée de ce qu’elle aurait pu faire, elle s’enfuit vers sa chambre et ferma la porte à clef.

Bouleversée, elle n’entendit pas une porte s’ouvrir et la voix d’Eléonore qui interpellait son fils :

« Terry, que se passe-t-il ? Vous allez réveiller toute la maisonnée !

- C’est entre Candy et moi, mère. Ne vous en mêlez pas !

- Si tu veux faire de la peine à cette petite comme ton père m’en a fait, je m’y opposerais, tu peux compter sur moi ! Ne te rends-tu pas compte que tu es en train de la perdre ? »

Le jeune homme fixa sa mère sans répondre, les yeux brillants, comme s’il soupesait toutes les implications de ce qu’elle venait de dire. Finalement il sembla prendre une décision. D’un geste de la tête, il lui désigna la porte de la bibliothèque et chuchota d’une voix sourde :

« Je sais qu’il est tard, mais nous avons à parler. »

Le silence retomba sur la maison dès qu’ils eurent refermé la porte.


Candy eut du mal à trouver le sommeil cette nuit-là, et c’est les yeux cernés qu’elle descendit le lendemain pour le petit déjeuner.

La table était dressée et les plats préparés, mais la pièce était vide. Eléonore Baker était pourtant matinale et les deux femmes avaient pris l’habitude de se retrouver au petit déjeuner. Aujourd’hui tout particulièrement, Candy avait grand besoin de parler à l’actrice. Elle se servit une tasse de thé en attendant son arrivée, mais le temps passait et personne ne donnait signe de vie.

Enfin elle entendit des voix dans le vestibule et reconnut celle de Terry. Quelques secondes plus tard, le jeune homme faisait irruption dans la pièce, la mine soucieuse.

« Ah Candy tu es là ! S’exclama-t-il soulagé. »

La jeune femme fut aussitôt en alerte. Elle s’était armée pour résister à l’attirance qu’il exerçait sur elle, mais il semblait bien loin de l’homme qui l’avait embrassée la veille. Bien qu’il la couvrit d’un regard insistant, il semblait plus préoccupé que d’humeur au badinage.

« Que ce passe-t-il, demanda-t-elle ? Cela a un rapport avec l’homme qui vient de sortir ?

- C’était un médecin, expliqua Terry. Ma mère a eu un malaise. Pourrais-tu...

- J’y vais ! »

Avant qu’il puisse ajouter quoi que ce soir, Candy s’était précipitée vers l’escalier et courrait vers la chambre d’Eléonore. Elle le frôla en passant la porte et l’aurait renversé s’il ne s’était rapidement écarté.

« Elle est toujours aussi impulsive ! » Songea-t-il en soupirant.


Alors que la chambre de Candy était située juste à côté de celle de Terry, celle d’Eléonore se trouvait au bout du couloir. Allongée dans son lit et le teint plus pâle qu’à l’ordinaire, elle sourit en voyant entrer la jeune fille et lui tendit une main languide.

« Je suis désolée, Candy. Je ne sais pas ce qui m’est arrivé. Le docteur a parlé de surmenage.

- Dans ce cas vous devez l’écouter et vous reposer, conclut Candy. Je vais veiller sur vous. »

L’actrice fronça les sourcils comme son fils pénétrait dans la chambre. Elle lui jeta un regard chargé d’animosité avant de reporter son attention sur la jeune fille et de continuer :

« Je n’ai pas eu le temps de vous le dire, mais j’avais décidé de rentrer chez moi.

- Quoi que vous puissiez penser, mère, intervint Terry, il est hors de question de vous chasser de cette maison. Il serait préjudiciable pour votre santé de quitter la chambre. Vous resterez mon invitée aussi longtemps que nécessaire pour vous rétablir.

- A défaut des liens du sang, tu respectes au moins les lois de l’hospitalité, décréta Eléonore d’un ton acerbe.

- Il est inutile de revenir sur le sujet soupira Terry. Je ne suis pas responsable de l’état actuel de nos relations. Mon père et vous avez pris une décision dans laquelle je n’avais pas mon mot à dire. Il m’a fallu longtemps pour l’admettre, mais vous avez eu raison. Aujourd’hui il est important que l’on oublie le plus rapidement possible que la mère n’était pas l’épouse du duc de Granchester. Personne ne sait que vous vous trouvez ici. Vous ne serez pas importunée par les journalistes ou les admirateurs et pourrez vous remettre rapidement.

- Plus vite j’irai mieux, et plus vite je quitterai les lieux, c’est cela ?

- C’est vous qui l’avez dit, mère, pas moi. »

Candy observait le jeune homme, incrédule. Il était habillé pour sortir et enfilait méthodiquement ses gants sans même lever les yeux vers la femme adossée à ses oreillers. Elle se planta devant lui pour l’obliger à la regarder, folle de colère.

« Terry, cela suffit ! Tu es ici dans la chambre d’une malade. Je ne serais pas étonnée que ton attitude inqualifiable soit pour quelque chose dans son malaise. Ta grandeur va donc me fait le plaisir de sortir en vitesse avant que je ne décroche ce sourire narquois de tes lèvres avec une gifle bien sentie ! »

Offusqué et dubitatif, Terry resta stupéfait devant cette invective. Comment l’avait-elle appelé ? « Ta grandeur » ? Où était-elle allée chercher un surnom aussi ridicule ! Indigné, il répliqua :

« Tu es en effet très forte pour les gifles. Dois-je te rappeler ce qui a suivi la dernière que tu m’as donnée ?

- Mais le gentleman que tu es devenu n’oserait pas lever la main sur une femme, non ? Voilà qui ferait tache sur le joli blason des Granchester que tu tiens tant à redorer ! Maintenant ouste ! Sors d’ici ! »

Les lèvres pincées, le bel aristocrate observa la jeune furie qui lui faisait face les yeux étincelants. Il retrouvait la fille pleine de vie qui l’avait séduit avec sa langue bien pendue et son caractère bien trempé. Elle avait raison : lui-même n’avait jamais compris comment il avait osé lui rendre sa gifle et il s’en voulait encore. Mais il connaissait bien d’autres façons plus agréables de lui faire payer son insolence. N’en avait-elle pas eu un avant-goût la nuit dernière ? Il tourna les talons sans répliquer pour dissimuler le sourire satisfait qui lui montait aux lèvres.


« Ma chérie, je vous adore ! S’exclama Eléonore dès qu’il fut sorti. Vous n’avez pas votre pareille pour rabattre le caquet de mon garnement de fils ! »

Le coeur battant, Candy sentait ses jours s’empourprer. Il y avait longtemps qu’elle ne s’était pas laissée ainsi aller à la colère. Pourquoi fallait-il toujours que Terry ait cet effet là sur elle ? Elle s’approcha du lit de la malade dont le visage avait repris des couleurs. Ses yeux pétillaient de malice.

« Et si vous me racontiez cette histoire de gifle ? Reprit l’actrice en tapotant le bord de son lit pour signifier à la jeune fille de s’y asseoir. »


Fin du chapitre 7




 
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Dinosaura
view post Posted on 8/1/2012, 22:13





CHAPITRE 8




Eléonore se révéla une malade très difficile. Femme active, elle ne supportait pas d'être obligée de garder la chambre. Candy avait beau l'exhorter au calme, rien n'y fit. Dès le lendemain matin, elle exigeait de descendre à la salle à manger pour le petit déjeuner. A bout d'arguments, son infirmière accepta à condition qu'elle promette de revenir s'allonger aussitôt après. L'actrice accepta avec un signe négligent de la main qui pouvait signifier tout et n'importe quoi.

Candy fut surprise de trouver Terry déjà attablé quand elles entrèrent. Se lever d'aussi bonne heure n'était pas dans ses habitudes ces derniers temps. Il se leva galamment à leur arrivée et posa le journal qu'il était en train de lire. Il avança une chaise à sa mère, puis à Candy qui se demandait ce que ces manières irréprochables pouvaient bien cacher.

Puis, comme si de rien n'était, il reprit sa place et commença à éplucher le courrier du jour posé sur un petit plateau d'argent à côté de son assiette. La jeune fille remarqua que chaque convive en avait un à côté de son couvert. Sur le sien ne se trouvait que le journal du jour, mais celui d'Eléonore débordait de lettres diverses.

Le regard inquisiteur de Terry se posa sur la masse de courrier. L'actrice s'en aperçut et expliqua :

« Ne crains rien, Terry. Je n’ai pas indiqué ton adresse comme mon nouveau domicile. J’ai simplement demandé à ma gouvernante de me transmettre mon courrier ici. Nellie est une personne de toute confiance.

- Je me souviens de Nellie, répondit Terry attendri. Ainsi elle est toujours à votre service...

- Elle n’est plus très jeune et souffre du coeur, mais oui. Je me demande ce que je ferais sans elle. »

Une lourde enveloppe d’un vélin de prix, agrémentée d’un liseré argenté attira son attention. Eléonore l’ouvrit d’un geste précis et en sortit ce que Candy devina être un carton d’invitation.

« Tiens, on dirait que Gilson remet çà cette année !

- On dirait bien, oui, renchérit Terry avec un sourire. Il a raison de ne pas se décourager, il finira bien par caser l’une ou l’autre ! »

La mère et le fils échangèrent un regard complice et éclatèrent de rire.

Candy les regardait sans comprendre. Toute animosité semblait avoir disparu entre eux. Elle ne pouvait que s’en réjouir. Peut-être Terry était-il en train de revenir à de meilleurs sentiments envers sa mère ?

Eléonore se méprit sur l'expression de Candy et s'excusa de l'avoir laissée en dehors de la conversation.

« Ne nous en veuillez pas chère enfant, mais le tout New York compte bon nombre de figures pittoresques, et Gilson en fait partie. Il est tellement imbu de lui-même, qu’il est impossible de ne pas en rire. »

La jeune femme savait depuis longtemps à quel point Terry aimait épingler les petits travers des personnes qu’il rencontrait. Au moins ce trait de caractère n’avait-il pas changé chez lui.

Encouragée par son sourire, Eléonore poursuivit :

« Gilson est riche à un point que cela en devient indécent ! Et il consacre l’essentiel de sa fortune à satisfaire ses deux passions : les chevaux et les femmes.

- Il a la main plus heureuse avec les premier qu’avec les secondes, intervint Terry, pince-sans-rire.

- Toujours est-il que Gilson organise chaque année une gigantesque réception où il convie le tout New York : Les plus riches représentants de la bonne société comme le monde du spectacle. Officiellement, c’est pour présenter les nouveaux chevaux qu’il a acquis durant l’année.

- Et officieusement pour se débarrasser de deux pouliches encombrantes ! Conclut Terry.

- Enfin, Terry ! En voilà une façon de parler des femmes ! Répondit l’actrice, faussement indignée. Le bonhomme a une fille qu’il aimerait bien marier à un riche parti. Mais depuis trois ans, et malgré ses millions, la pauvre n’a toujours pas trouvé chaussure à son pied. Il est vrai qu’on la dit particulièrement sotte. De l’autre côté, il a pour maîtresse une actrice de second ordre au talent très médiocre. Il est prêt à jouer les mécènes pour n’importe quelle production de Broadway, pourvu qu’on donne un rôle à sa protégée. Pour faire d’une pierre deux coups, il ratisse large en lançant ses invitations. On dit que la couleur de celles-ci varie selon l’invité et que le destinataire sait ainsi s’il a été invité pour son argent ou pour son art.

- C’est la vérité, confirma son fils en sortant un bristol de sa poche. La mienne était bordée d’or. »

Très content de son petit effet, le jeune homme faisait tourner le carton d’invitation entre ses doigts en souriant.

Eléonore le regarda avec de grands yeux. Terry avait réussi sa reconversion ! Sa nouvelle attitude et ses apparitions calculées dans certains cercles avaient porté leurs fruits. Ce bristol au liseré d’or prouvait sans conteste qu’il était désormais admis dans le cercle de la bonne société. C’était le fils du Duc de Granchester qu’on invitait désormais, et plus le jeune acteur au talent prometteur. Pour Eléonore, c’était comme si son fils avait définitivement coupé les ponts avec elle.

« Tu comptes y aller ? Demanda-t-elle.

- C’est la réception la plus importante de l’année, répondit Terry. Et j’ai moi aussi une passion pour les chevaux. Peut-être vais-je me trouver d’autres points communs avec ce M. Gilson ? »

Sur ces mots, il se leva et sortit en riant sous le regard éberlué de Candy. Elle se tourna vers l’actrice pour la découvrir le visage entre les mains et les épaules secouées de curieux tremblements comme si elle sanglotait. Ce n’est qu’en s’approchant qu’elle constata qu’Eléonore riait en murmurant d’une voix hachée :

« Mon Dieu ! On dirait tout à fait son père ! »


-----oooOooo-----




A quelques jours de Noël, l’agitation était à son comble dans la vieille demeure des Granchester qui n’avait pas connu autant d’animation depuis bien longtemps.

Terry était passé à l’hôpital où les médecins satisfaits de l’état de son bras lui avaient enlevé son plâtre. Il célébrait sa liberté de mouvement retrouvée ne passant toutes ses journées à l’extérieur et ne faisant que de rares apparitions chez lui.

Malgré les recommandations de Candy, Eléonore elle aussi était très occupée et passait de nombreux coups de téléphone. Elle profita même de l’absence de son fils pour recevoir plusieurs producteurs, ainsi que ce Newton qu’elles avaient rencontré au Country Club.

Dépassée par toute cette effervescence, la jeune fille s’ennuyait et regrettait de plus en plus d’avoir quitté Chicago. Elle se sentait inutile et songeait à rentrer chez elle pour passer les fêtes avec Albert. Celui-ci lui manquait et elle se faisait du souci à son sujet. Pourtant quelque chose la retenait encore. Au fond de son coeur, elle espérait toujours voir Terry lui accorder un peu d’attention. Mais pour l’instant ses espoirs étaient vains.

La soirée de Gilson était prévue pour le 22 décembre et Candy redoutait autant qu’elle espérait que le jeune homme lui propose de l’accompagner. Elle ne se souvenait que trop bien de ce qui s’était passé au théâtre et appréhendait de se trouver une nouvelle fois en présence de Susanna. Elle s’était longuement demandé ce qu’elle répondrait à Terry s’il l’invitait, mais n’avait pas eu à prendre de décision puisqu’il avait bien l’intention de se rendre seul à la réception.

Eléonore ayant poliment décliné l’invitation en invoquant des ennuis de santé, elles décidèrent de passer une soirée paisible toutes les deux. C’est du moins ce qu’elles prétendirent, car elles avaient dans l’idée de préparer une soirée de Noël spéciale pour Terry.

Ce fut pourtant avec un pincement au coeur que Candy regarda celui qu’elle aimait s’en aller. Le nouveau costume qu’il étrennait pour l’occasion le rendait encore plus séduisant et elle poussa un profond soupir en laissant retomber le rideau. Sa tristesse n’échappa pas à Eléonore qui se mordait les lèvres comme si elle voulait dire quelque chose, mais se retint au dernier moment.


Terry aussi serrait les lèvres, l’air résolu. Il avait entraperçu le visage de Candy à la fenêtre mais ne pouvait dévier de la voie qu’il s’était tracé. Il accrocha un sourire de commande sur son visage et déploya tout son talent pour séduire son hôte.

Il fut évident dès son arrivée que Gilson l’attendait avec impatience. Ravi d’accueillir un représentant de la prestigieuse noblesse anglaise, il l’entraîna partout avec lui, toujours flanqué de sa progéniture. Les flatteuses réflexions de Terry quand il lui présenta ses chevaux le comblèrent d’aise au point qu’il n’hésita pas à lui confier sa fille pendant qu’il s’occupait d’autres invités en compagnie de sa maîtresse.

En effet, tous les représentants du monde du spectacle avaient été conviés deux heures après les autres invités et les deux mondes maintenant rassemblés évitaient de se mélanger plus que nécessaire.

Libérée de la présence paternelle, la jeune fille se révéla plus timide que sotte, bien qu’elle ne répondît que par monosyllabes aux efforts de Terry pour entretenir une conversation inexistante.

Il reconnut Robert Hattaway et quelques uns de ses comédiens vedettes parmi les invités.

Étincelante dans une robe à la dernière mode, Susanna brillait parmi eux comme un diamant et jetait de fréquents regards dans sa direction. La malheureuse demoiselle Gilson ne tarda pas à être mal à l’aise devant l’insistance de cette actrice à la dévisager et elle s’éclipsa pour rejoindre son père.

Enfin seul, Terry se dirigea vers le buffet. Ainsi qu'il s’y attendait, la comédienne l’y rejoignit comme par hasard.

« Terrence ! S’exclama-t-elle l’air faussement étonné. Je suis tellement heureuse de te trouver ici ! Tu me manques terriblement, tu sais ? M’inviteras-tu à danser ? »

Le jeune homme lui désigna l’élégante canne dont il se séparait plus.

« Ce genre d’exercice m’est encore interdit pour l’instant. Il faudra te contenter de ma conversation.

- Comme la fille Gilson ? Que faisais-tu avec elle ?

- Son père a tenu à m’accueillir dans les règles. Sans doute a-t-il été impressionné par le sang bleu qui coule dans mes veines.

- Ainsi tu fais vraiment partie de la noblesse ! Pourquoi ne me l’as-tu jamais dit ?

- Peut-être pour éviter les réactions du genre de celle de Gilson.

- Le vieux cherche à caser sa fille, oui ! Dis-lui que tu n’es pas intéressé.

- Pourquoi ? Gilson est riche à millions et elle est son unique héritière. »

L’air parfaitement dégagé, Terry fit signe à un serveur qui passait à proximité avec un plateau chargé de coupes de champagne. Il en offrit une à son interlocutrice, éberluée par ce qu’elle venait d’entendre. Les mains tremblantes, Susanna avait l’impression de vivre un cauchemar.

« Mais enfin, Terry... Toi et moi... Tu sais que je t’aime et je suis certaine que tu éprouves quelque chose pour moi ! Nous formons un si beau couple !

- N’importe quel homme serait heureux de s’afficher à ton bras, Susanna. Tu es très belle, et tu le sais. Mais le mariage dans mon milieu, doit être considéré comme une alliance profitable aux deux parties. Dans cette optique, les affaires de Gilson représenteraient un apport intéressant à la fortune de ma famille, et lui serait trop heureux de voir ses petits-enfants porter un titre... »

Comment pouvait-il parler avec autant de désinvolture de faire des enfants à une autre femme ? La jeune actrice n’imaginait même pas que Terry puisse ainsi se désintéresser d’elle pour une question d’argent.

« Et ton amie de Chicago ? J’ai entendu dire que son père aussi était très riche. C’est pour cela que tu t’intéresses à elle ?

- Tu peux l’appeler par son nom, cela ne t’écorchera pas la bouche. La famille de Candy est fortunée, c’est vrai, mais elle a été adoptée. Jamais mon père n’accepterait de voir entrer dans la maison Granchester une femme dont les origines sont inconnues, aussi riche soit-elle. »

Le regard dur de Terry se posa sur son ancienne partenaire et elle comprit qu’une actrice de Broadway ne trouverait pas plus grâce aux yeux du Duc qu’une orpheline, lui qui avait renoncé à la grande Eléonore Baker pour ne pas déshonorer son illustre nom. Malgré la réalité qui s’imposait peu à peu à elle, Susanna voulait encore s’accrocher à son rêve. Dans une dernière tentative, elle joua sa dernière carte.

« Mais, et le théâtre ? Tu es un merveilleux comédien et tu adores ce métier. Tu ne peux pas tout laisser tomber ainsi !

- C’était une fantaisie de jeunesse, Susanna. Il est temps pour moi de me tourner vers les véritables priorités de la vie. Jouer la comédie n’est pas une activité très sérieuse pour un Granchester ! »

Susanna n’arrivait pas à croire ce qu’elle entendait. Dire qu’elle avait détesté Candy pendant des mois parce qu’elle la prenait pour sa rivale dans le coeur de Terry, et voilà qu’elle se trouvait mise dans le même sac que cette fille ! Toutes les deux écartées de la vie de Terry comme on chasse un insecte gênant.

« Tu es odieux ! S’exclama-t-elle. Comment peux-tu être aussi méprisant ! Tu oublies un peu vite que ta mère est actrice, elle aussi.

- Et la meilleure qui soit. De plus, Eléonore est une femme qui possède beaucoup de classe. Elle savait à quoi s’en tenir dès le début de sa relation avec mon père, et n’a pas tenté de s’accrocher quand il a décidé de mettre fin à leur liaison. »

Les yeux brillants, Terry s’inclina vers la jeune femme pour murmurer à son oreille sans être entendu des autres invités.

« Et toi, Susanna ? Si j’étais sûr que tu es capable d’autant de retenue, je serais heureux de quitter cette réception avec toi tout de suite. Nous pourrions aller dans un endroit plus tranquille... »

Ce fut le coup de grâce pour Susanna. Le jeune acteur talentueux dont elle était tombée amoureuse avait disparu. A un moment donné, quelque part, il lui avait échappé, sans qu’elle sache comment. L’homme prétentieux qui se tenait devant elle et la regardait de haut ne se contentait pas de heurter sa fierté d’américaine. Voilà qu’en plus il lui proposait de devenir sa maîtresse, comme une fille de rien. La jeune femme rassembla toute la dignité dont elle était capable. Sans réfléchir, elle carra les épaules et envoya au visage de Terry le contenu de sa coupe.

Sans se soucier des murmures qui naissaient sur son passage, elle le laissa en train de s’essuyer le visage et rejoignit le groupe de comédien qu’elle venait de quitter. Un homme lui tendit la main et elle remercia le ciel de ce soutient inattendu tant elle se sentait sur le point de s’effondrer. Elle le remercia d’un pauvre sourire et la poigne de l’homme se raffermit. Il l’entraîna vers l’autre côté de la salle sans qu’elle résiste.

Derrière eux, Terry très digne était déjà sorti du grand salon sous les chuchotements et les rires étouffés.


Fin du chapitre 8




 
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Dinosaura
view post Posted on 8/1/2012, 22:45





CHAPITRE 9




Candy s’était réveillée plus tard que d’habitude ce matin là, après une nuit agitée peuplée de rêves étranges où Terry tenait le premier rôle. Elle se hâtait vers la salle à manger pour rejoindre Eléonore. Terry serait-il présent ce matin ? Après l’avoir attendu jusque très tard dans la nuit, elle avait fini par s’endormir sans l’entendre rentrer.

En passant devant son bureau, elle remarqua que la porte était entrouverte. Des bruits de voix attirèrent son attention : il semblait bien que la mère et le fils aient une nouvelle explication orageuse. Tout en se maudissant pour son indiscrétion, Candy s’approcha pour écouter.

« Comment as-tu pu faire une chose pareille ? Disait Mme Baker. Susanna Marlow ! Ta maîtresse !

- J’ai pensé à vous et à mon père, répondait Terry. Qu'y a-t-il de plus valorisant pour un homme dans ma position que d’afficher sa liaison avec une actrice en vue, belle et talentueuse ?

- Je suis confondue par un tel cynisme !... »

Effarée, Candy s’éloigna rapidement pour ne plus entendre ce qui se disait. Un poids énorme lui oppressait la poitrine et le sang battait à ses tempes. Comment avait-elle pu être aussi stupide ! Ainsi c’était vrai, il y avait quelque chose entre Terry et sa partenaire !

Quand Elisa lui en avait parlé la première fois, elle avait refusé d’y prêter attention, justement parce qu’il s’agissait d’Elisa. Persuadée que sa vieille ennemie ne voulait que lui faire du mal, elle avait négligé ses propos.

Et puis il y avait eu cette représentation du « Roi Lear » à Chicago. Elle les avait vu ensemble et n’avait pas compris ! Pourtant elle avait appelé Terry de toutes ses forces ce soir-là, et il n’avait même pas réagi au son de sa voix, trop occupé à prendre soin de Susanna !

Elle n’était qu’une idiote ! Naïvement elle avait cru tout ce qu’il lui avait écrit. Les mots tendres, les douces promesses, tout n’était que du vent. Pendant qu’elle se berçait d’illusions à Chicago, Terry se payait du bon temps à New York.

Dire qu’elle avait accepté de rester ici, de s’occuper de lui, persuadée qu’il avait besoin d’elle et de ses soins, alors que pendant tout ce temps, il n’avait fait que se servir d’elle pour attiser la jalousie de sa partenaire et obtenir ce qu’il voulait ! L’animosité de Susanna à son égard se comprenait maintenant. Mais tout cela était terminé. La leçon avait été dure, mais Candy ne se laisserait plus manipuler.

Elle remonta dans sa chambre pour prendre son manteau et sortit en courant sans même avaler une tasse de café. Elle devait voir Susanna immédiatement.

Candy ne connaissait pas l’adresse de la jeune actrice aussi décida-t-elle de se rendre au théâtre malgré l’heure matinale. On l’informa que Robert Hattaway était déjà dans son bureau mais elle répugnait à mêler le célèbre metteur en scène à ses problèmes de coeur. Elle était encore dans le couloir, hésitant à frapper à la porte quand celle-ci s’ouvrit brusquement.

La femme qui sortit était si élégante que Candy se sentit ridicule dans son manteau rouge avec ses moufles et son bonnet assortis.

« Tient, dit l’autre méchamment, vous êtes déguisée en lutin du Père Noël ?

- Mademoiselle Marlow... Susanna... Je voulais vous parler.

- Nous n’avons rien à nous dire, mademoiselle André. »

La belle actrice se dirigea vers l’escalier d’un pas décidé sans accorder un regard à Candy qui dût courir derrière elle pour la rattraper.

« Je sais que vous ne m’aimez pas, insista Candy, mais je voulais vous dire que Terry et vous...

- Je ne veux plus jamais entendre parler de ce goujat ! S’emporta Susanna en se retournant. J’ai fait la plus grande erreur de ma vie et je n’ai qu’à m’en mordre les doigts ! Je l’ai bien cherché après tout. Il m’a traitée comme une moins de rien ! »

Abasourdie, Candy fixait la jeune femme en colère sans comprendre. Elle s’attendait à trouver Susanna heureuse, mais elle la découvrait aigrie et vindicative. N’avait-elle pas obtenu ce qu’elle voulait en séduisant Terry ?

La comédienne se calma soudain et observa Candy avec une mine compatissante.

« Terrence est une ordure, Candy. Croyez-moi, il ne faut pas lui faire confiance. Savez-vous ce qu’il m’a dit hier soir ? Que vous n’étiez pas digne de sa famille parce que vous aviez été adoptée et qu’on ne connaissait pas vos origines ! Voilà ce que nous sommes pour lui : des traînées juste bonnes à culbuter pour son amusement. Qu’il épouse donc les millions de la fille Gilson comme il en a l’intention. J’espère qu’elle lui donnera de nombreux enfants aussi débiles qu’elle !

- Terry va se marier ? Demanda Candy d’une voix tremblante.

- C’est dans ses projets immédiats, oui. Les miens sont beaucoup plus réjouissants : on m’a proposé un excellent contrat pour faire du cinéma. J’ai décidé de tourner la page, et vous devriez en faire autant. Cet imbécile présomptueux d’est pas digne de notre affection. Rentrez chez vous et oubliez-le, c’est tout ce qu’il mérite. »

Sur ses mots, Susanna tourna les talons et rejoignit la voiture qui l’attendait dans la rue. Un homme dans lequel Candy reconnut Steve Newton, descendit et lui tint la portière, mais elle était trop bouleversée pour s’y intéresser maintenant.

Les paroles de Susanna résonnaient encore dans sa tête. Terry allait se marier avec une fille stupide simplement parce qu’elle était riche ! Avait-il déjà semblable projet en tête quand il était si tendre avec elle ? La famille André était une des plus riches d’Amérique. Mais voilà, Candy était orpheline. Elle avait certes été adoptée, mais personne ne connaissait ses vrais parents. Cela expliquait pourquoi Terry était si distant avec elle. Il voulait l’écarter de sa vie sans pour autant lui en avouer les véritables raisons.

C’est à lui qu’elle en voulait. Lui qui avait séduit Susanna pour la laisser tomber ensuite. Sans doute l’avait-il embrassée elle aussi, comme il avait embrassé Candy. Embrassée, caressée et bien plus encore... La jeune actrice l’avait reconnu implicitement : n’avait-elle pas avoué avoir commis une terrible erreur ? Elle avait succombé au charme ravageur de Terry et Candy avait été bien près de faire de même.

Le rouge au front elle s’engouffra dans son taxi en n’ayant plus qu’une hâte : rentrer chez elle et retrouver la protection et la gentillesse d’Albert.


A peine avait-elle disparu au coin de la rue, que la puissante voiture de sport de Terry s’arrêtait devant le théâtre. La disparition de la jeune fille avait été découverte et il cherchait à la retrouver avant que les choses ne s’enveniment encore plus. Il avait toujours su que le jeu qu’il jouait était risqué et craignait maintenant d’avoir à en payer le prix.

Robert Hattaway ne put rien lui apprendre au sujet de Candy mais il lui annonça la démission de Susanna et son intention de quitter la ville au plus tôt, ce qui mit du baume au coeur de Terry. Mais quand le concierge lui expliqua avoir vu la jeune actrice discuter avec une femme blonde en manteau rouge avant de s’en aller, son humeur s’assombrit à nouveau. Les choses ne se passaient pas tout à fait comme il l’avait imaginé.


-----oooOooo-----




De retour à la maison Granchester, Candy traversa le vestibule en courant. Elle eut un pincement de coeur en voyant le gigantesque sapin qui avait été dressé dans le hall et attendait que des mains joyeuses le garnissent de boules et de guirlandes. Elle était loin d’avoir l’esprit à cela pour le moment. Noël dans cette maison devait être aussi sinistre que l’atmosphère qui y régnait.

C’était Eléonore qui avait eu l’idée de commander ce sapin et les décorations traditionnelles à y accrocher afin de faire une surprise à son fils. Elles avaient eu l’intention de le décorer dans l’après-midi mais ces projets semblaient bien loin à Candy.

Elle se souvenait avec émotion des noëls à la maison de Pony. Entourés de l’amour prodigué par Melle Pony et Soeur Maria, les petits orphelins chantaient et décoraient le sapin en se chamaillant. Les yeux brillants, ils mettaient leurs petits souliers devant la cheminée pour y découvrir au matin les modestes cadeaux que les deux femmes avaient réussi à réunir. Malgré la pénurie chronique d’argent, tout le monde était heureux.

Mais ici l’esprit de Noël était absent. On ne trouvait dans cette maison qu’un jeune noble arrogant et cynique, une mère délaissée qui cherchait à reconquérir l’amour de son fils et une jeune fille au coeur brisé par un amour déçu. Mieux valait qu’elle rentre chez elle.

Arrivée dans sa chambre, elle commença à entasser en toute hâte ses affaires dans sa valise, pressée de quitter New York le plus rapidement possible.


C’est là que Terry la trouva à son retour soulagé d’être arrivé à temps.

« Que fais-tu ? Demanda-t-il bien inutilement.

- Cela ne se voit pas ? Répondit-elle, agacée par la valise qu’elle n’arrivait pas à fermer. Je rentre chez moi par le premier train.

- Tu ne peux pas faire çà.

- Détrompe-toi ! Un taxi vient me chercher et je ne veux pas le faire attendre, alors laisse-moi terminer mes bagages.

- Je viens de le renvoyer, dit simplement Terry en s’adossant à la porte. »

Avec toutes les emplettes que Candy avait faites en compagnie d’Eléonore, la valise avec laquelle elle était arrivée était devenue trop petite pour tout contenir, et le jeune homme s’amusait à la regarder se battre avec le couvercle qui refusait de fermer. Elle cessa son combat inutile pour se tourner vers lui, le visage fermé.

« Pourquoi as-tu fait cela ?

- Parce que je voudrais que tu restes.

- Je n’ai plus rien à faire ici Terry, répondit la jeune fille désabusée. Tu n’as plus besoin de mes soins et ta mère et parfaitement remise de son malaise.

- Ce n’est pas à l’infirmière que je parle mais à toi, Candy. J’ai toujours besoin de toi. »

Gênée par le ton vibrant qu’il avait employé, elle préféra ne plus le regarder et recommença à s’escrimer sur sa valise, sans plus de succès.

« Tu n’y arriveras pas comme çà, murmura une voix à son oreille. »

Candy se retourna avec un sursaut. Aussitôt deux grandes mains se posèrent sur sa taille et la soulevèrent sans effort pour l’asseoir sur le couvercle récalcitrant. Sourire aux lèvres, Terry enclencha les fermetures de la valise.

Il était trop près d’elle pour que Candy puisse esquisser le moindre mouvement. Si elle essayait de quitter son siège improvisé, elle se retrouverait dans ses bras. Il était dangereusement proche et elle sentait ses pensées s’embrouiller dans sa tête. Elle leva les mains pour le repousser comme il s’inclinait vers elle.

« Ne te moque pas de moi, Terry, balbutia-t-elle. Je n’en ai vraiment plus envie. Il vaut mieux que je parte. Trop de choses ont changé entre nous.

- Et si tout redevenait comme avant, Taches-de-son ? »

Surprise par l’utilisation de ce surnom qu’il n’avait plus employé depuis longtemps, Candy leva les yeux et son coeur bondit dans sa poitrine. Le regard posé sur elle était si tendre qu’elle s’y noya sans pouvoir résister tandis que Terry jouait avec une des boucles blondes qui s’enroulait autour de son doigt.

« Je suis désolé d’avoir été obligé de jouer cette comédie, Candy. Laisse-moi t’expliquer et je ferai tout pour que tu me pardonnes. »

Il souleva son menton du bout des doigts et se pencha vers elle. Son pouce effleura le contour de sa bouche tremblante et le coeur de la jeune femme s’affola dans sa poitrine.

Elle savait qu’elle ne pourrait pas résister longtemps à son charme, aussi serra-t-elle les lèvres pour échapper à la caresse avant de détourner la tête.

« Tu appelles cela une comédie ? S’exclama-t-elle. C’est une farce grotesque, oui ! Tu t’es moqué de moi dans tes lettres pendant des mois en me laissant croire que... Alors que tu avais une aventure avec Susanna Marlow ! Maintenant tu l’as laissée tomber et tu envisages de te marier avec une fille que tu ne connaissais pas il y a deux jours ! Que veux-tu te faire pardonner dans tout cela, à part le fait de m’avoir prise pour une idiote ? Et encore, je ne peux pas t’en vouloir pour çà parce que c’est bien ce que je suis pour n’avoir pas vu qui tu étais vraiment ! »

Sur le point d’éclater en sanglots, Candy tenta de se lever pour échapper à la proximité envoûtante de Terry mais il la prit par les épaules pour l’obliger à rester assise. La déception qu’elle éprouvait se transforma peu à peu en colère quand elle vit qu’il souriait toujours.

« Il semblerait que tu ais rencontré Susanna ce matin, dit-il. Ce sont ses mots que j’entends dans ta bouche. Ce que je voudrais savoir, c’est ce que tu penses au fond de toi. Que te disait ton coeur quand tu lisais mes lettres, Candy ? »

Soudain beaucoup moins sûr de lui, le jeune homme la fixait, une prière au fond des yeux. Et s’il s’était trompé ? Son souffle s’accéléra tandis qu’il attendait une réponse qui tardait à venir. Inconsciemment ses mains se crispèrent sur les épaules de Candy qui sortit enfin de sa torpeur.

« Je croyais que tu m’aimais, Terry. Tu avais dit... »

Avec un soupir de soulagement, Terry l’attira contre lui et couvrit son visage de baisers fiévreux.

« Bien sûr que je t’aime, Miss Taches-de-son ! Ne me fais plus jamais des peurs pareilles ! »

Incapable du moindre mouvement, Candy restait les bras ballants tandis qu’il la serrait à l’étouffer. Les mots qu’il avait prononcés s’imprimaient en lettre de feu dans son esprit bouleversé sans qu’elle arrive à y croire. Avait-il vraiment dit « Je t’aime » ? Pas de sous-entendu, pas d’insinuation à double sens, pas de « J’ai des sentiments pour toi » ! Juste trois mots magiques qu’elle désespérait d’entendre.

Étonné par son manque de réaction, Terry prit son visage entre ses mains et plongea son regard dans celui de la jeune femme. A la surface des deux lacs verts qui le fixaient, il discerna le doute et quelque chose qui ressemblait à de l’espoir, du moins l’espérait-il.

« Viens avec moi, décréta-t-il en lui prenant la main. »

Il l’entraîna au rez-de-chaussée, jusqu’au bureau de son père. Il sortit d’un tiroir les coupures de presses parues dans les journaux après son réveil à l’hôpital et les lui tendit.

Le visage souriant de Susanna sauta aux yeux de Candy dont les lèvres se crispèrent.

« Pourquoi me montres-tu cela ? Demanda-t-elle gênée.

- Parce que ces photos sont un mensonge. J’ai eu un choc quand je les ai vues le matin après mon réveil. C’est toi qui devrais être à la place de Susanna, alors que tu es tout au fond de la pièce, comme effacée. Tu devrais être au premier plan, Candy, c’est là que je te vois au fond de mon coeur. Mon métier d’acteur, la célébrité, tout cela n’a aucun intérêt si je ne peux pas le partager avec toi. Je n’avais pas compris avant à quel point Susanna était obsédée par moi, mais elle vivait dans un rêve, Candy. Je n’ai jamais partagé son obsession et je n’ai jamais rien fait pour l’encourager. Tu étais la seule à occuper mes pensées. Je ne savais pas comment me débarrasser d’elle pour que nous puissions être ensemble. Et puis Elisa Legrand est venue à l’hôpital.

- Elisa ? »

C’était un nouveau coup pour Candy qui se décomposa un peu plus.

« Oui, mais pour une fois tu peux lui dire merci. Elle s’est mise à me parler comme à un arriéré mental et j’ai compris qu’elle pensait que le coup que j’avais pris sur la tête avait amoindri mes facultés. C’est alors que l’idée a germé dans mon esprit. J’ai conçu ce personnage du futur duc de Granchester pour pouvoir manipuler Susanna et l’amener à me détester. Voilà pourquoi j’étais odieux. Et cela a marché ! Elle est complètement dégoûtée de moi et va quitter la ville.

- Tu m’as menti ! Constata Candy sur un ton de reproche. »

Pourtant au fond de sa poitrine son coeur chantait. Terry tenait à elle ! Il avait monté cette comédie pour éloigner sa partenaire envahissante. Elle reconnaissait bien là le goût du jeune homme pour le théâtre. Cette mise en scène lui ressemblait bien.

« Je ne pouvais pas te mettre dans la confidence, Candy. Tu es tellement honnête et sincère, que tu n’aurais pas pu jouer ton rôle. Tu aurais été capable de plaindre Susanna et de la mettre au courant du subterfuge, ce qui aurait tout flanqué par terre ! Crois-moi, elle était prête à tout pour t’écarter. Dieu seul sait ce dont elle aurait été capable pour me mettre le grappin dessus !

- Et tu as préféré monter ton petit stratagème tout seul en me laissant me morfondre dans mon coin !

- Pas tout à fait seul, reconnut Terry. Ma mère était dans la confidence depuis la soirée au théâtre...

- Quoi ! Mais son malaise...

- Elle n’a jamais été malade, Candy. Tu vois à quel point elle est bonne comédienne ! C’était une ruse pour te retenir à New York.

- Vous vous êtes moqués de moi tous les deux ! C’est cruel de votre part ! Sais-tu seulement à quel point j’ai été malheureuse quand tu me battais froid ? »

Terry s’approcha d’elle avec l’air contrit d’un petit enfant qui vient de faire une bêtise.

« C’était dur pour moi aussi, ma chérie. Mais je t’évitais parce que quand je suis près de toi, j’ai trop envie de te serrer dans mes bras, de t’embrasser... »

Joignant le geste à la parole, il noua les bras autour de sa taille et l’attira contre lui malgré sa résistance. Très lentement, il se pencha vers elle pour l’embrasser. Ses mouvements étaient si lents, que la jeune femme aurait eu tout le temps de lui échapper, mais sa réticence n’était que symbolique. Serrée contre le corps de Terry, la chaleur qui s’insinuait en elle avait déjà fait fondre ses derniers reproches et ses derniers doutes. Quand les lèvres fermes se posèrent sur les siennes, elle répondit aussitôt à leur pression et s’abandonna au baiser passionné qui suivit.

« Je m’en veux de t’avoir causé de la peine, murmura Terry le souffle court quand il se détacha de sa bouche. Mais je saurai me faire pardonner, je te le promets.

- Tu n’es pas au bout de tes peines; répondit la jeune femme, taquine. Cela risque de te prendre très longtemps...

- Toute la vie si tu veux ! »

Avec un sourire, Terry sortit de sa poche une boîte en velours qu’il ouvrit pour lui montrer la bague ornée d’un diamant qu’elle contenait.

« Je voulais te la donner pour Noël, mais je ne peux plus attendre, affirma-t-il. Candice Neige André, veux-tu m’épouser ? »

Incrédule, Candy regardait la pierre étincelante sans pouvoir prononcer un mot. Elle leva les yeux vers le visage souriant qui la dominait et glissa une mèche rebelle derrière l’oreille du jeune homme qui la serra plus fort.

« Tout ce que tu as deviné dans mes lettres était vrai Candy. Pourquoi crois-tu que je ne t’ai envoyé qu’un aller simple ? Je t’aime et je veux te garder près de moi. Si ce que j’ai lu entre les lignes quand tu répondais à mon courrier est la vérité, je suis sûr que tu diras oui ! S’il te plait mon amour... »

La jeune femme posa un doigt sur ses lèvres pour le faire taire et lui sourit avec tendresse. Elle se dressa sur la pointe des pieds pour atteindre son oreille où elle chuchota ce simple mot :

« Oui ! »

Terry la souleva par la taille pour la faire tournoyer en riant. Les dernières secondes qu’il venait de vivre avaient été les plus longues de sa vie !

Quand il la reposa au sol, elle noua les bras autour de son cou, un peu essoufflée.

« Tu es complètement fou, murmura-t-elle en se serrant contre lui, mais je te préfère comme cela.

- Tu es sûre ? Parce que je vais reprendre le théâtre. M. Hattaway est d’accord pour me rendre mon rôle de Roméo dès la reprise de janvier. Tu seras la femme d’un acteur en devenir, Candy. Je ne serai sans doute jamais duc de Granchester, mais je suis persuadé que tu ferais la plus jolie duchesse qu’on ait vue depuis longtemps.

- Je n’ai aucune envie d’être duchesse, je veux juste être avec toi. Et puis... »

Candy baissa les yeux et avoua un peu embarrassée :

« Je n’aime pas beaucoup cette maison, Terry.

- Moi non plus, reconnut-il en caressant sa joue. Puisque ta valise est bouclée, que dirais-tu de venir t’installer dans mon appartement ? Mais je te préviens, il est tout petit. Il n’y a qu’une chambre... »

La jeune fille rougit mais une lueur espiègle brillait au fond de ses yeux quand elle répondit :

« Dans ce cas... Ce n’est peut-être pas prudent vu ton état de santé...

- Je prends le risque, affirma-t-il en s’emparant de ses lèvres. »


Perdus dans leur étreinte, aucun d’eux n’entendit la porte du bureau s’ouvrir puis se refermer discrètement. Un sourire ravi sur le visage, Eléonore Baker se tourna vers le majordome qui observait l’immense sapin l’air dubitatif. Elle avait envie d’être aimable avec la terre entière, aujourd’hui.

« Cela va être un merveilleux Noël, Caleb. Le plus beau que j’ai connu depuis bien longtemps. »


FIN

Dinosaura, 30 novembre 2008




 
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line2311
view post Posted on 17/2/2012, 00:40




j'ai déjà lu plusieurs de tes fanfics et comme les autres, celle-ci est super bien écrite! je l'ai lue d'une traite, j'avais trop envie de connaître la fin. Tu as vraiment beaucoup de talent! J'attends tes nouvelles peuvres avec impatience ...
 
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9 replies since 8/1/2012, 14:18   1554 views
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