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Lettres à Juliette, (sans rapport avec une autre fanfic du nom de "les lettres à Juliette"...)

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Leia
view post Posted on 15/2/2013, 18:40 by: Leia
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Assis sur un banc de la gare Santa Lucia, Terry ne pouvait empêcher ses jambes de remuer d’impatience. Il voulait partir au plus vite de cette ville. Le chef de gare lui avait dit que le premier train de la matinée n’allait pas tarder à arriver. Il se moquait de la destination. Il voulait juste partir vers le nord et s’éloigner de Venise au plus vite. Toute la nuit il avait réfléchi et il était finalement parvenu à la conclusion qu’il n’avait plus rien à faire en ces lieux, qu’il aurait été ridicule d’essayer de revoir Candy dans ces conditions. De toute façon, il n’aurait jamais eu le courage de l’affronter. A quelle légitimité aurait-il pu prétendre pour aller l’embarrasser de sa présence ? Elle avait tourné la page et c’était la meilleure décision qu’elle avait prise. Il n’aurait jamais pu la rendre heureuse et elle l’avait compris depuis bien longtemps. Il n’était pas fait pour le bonheur. C’était un état qui l’avait toujours fui, depuis qu’il était tout petit, comme s’il était une menace. Quant aux rares moments de grâce qu’il avait connus, seule Candy leur avait permis d’exister. En retour, il ne lui avait apporté que larmes et regrets. Comment pouvait-il donc avoir cru, espéré pouvoir la reconquérir alors que tout était perdu d’avance ? Comment avait-il pu se flouer lui-même ainsi ? Au fond de lui, il avait toujours su que ce n’était que pure folie, et cette folie lui avait explosé la veille à la figure. Elle avait eu pour effet de détruire toute émotion en lui. Il était comme anesthésié, vidé de tout sentiment. Plus rien n’avait d’importance et il savait que cela serait ce qui dicterait sa vie désormais : ne plus jamais s’attacher pour ne plus jamais avoir à souffrir…

Il repensa au comte Contarini qui avait été si bon avec lui. Quel être étrange, qui maniait habilement le cynisme et la dérision, et qui portait un œil très critique sur la société dont il se tenait volontairement à l’écart ! Mais à côté de cela, il lui avait dévoilé une sensibilité, une générosité d’âme qu’il n’aurait jamais soupçonnées. L’émotion qu’il avait vue dans ses yeux au bord du canal et l’inattendu geste paternel qu’il avait eu à son égard, le remuaient encore intérieurement. C’est pourquoi il était parti ce matin, dès l’aube. Il avait trop honte de ce qu’il avait fait et il ne voulait pas s’en justifier. Où trouver les mots pour décrire ce qui est innommable ? Il s’était donc contenté d’une lettre succincte qu’il avait laissée sur sa table de nuit dans laquelle il remerciait le comte pour tout ce qu’il avait fait pour lui. Il lui expliquait aussi qu’il ne pouvait plus rester à Venise, qu’il ressentait le besoin impérieux de partir pour s’éloigner le plus vite et le plus loin possible de ce qui lui rappelait ce qu’il voulait oublier. Encore une fois, il devait bien l’admettre, il fuyait. Il fuyait tout comme il avait fui Saint-Paul, tout comme il avait fui Candy à New-York. Son existence n’avait été qu’une suite de dérobades. Il se haïssait pour son manque de courage et n’était pas fier de ce qui le résumait : un couard, un lâche, un poltron. Une faiblesse de caractère dont il aurait pu énumérer la liste à l’infini. Comment aurait-il pu se battre pour l’amour de sa vie alors qu’il se détestait tant lui-même ? Il savait qu’il n’y avait pas de solution…

Il plongea son beau visage dans le creux de ses mains en soupirant de consternation. Les coudes en appui sur ses genoux, la tête penchée entre ses jambes, ses doigts fins déployés sur ses tempes, il se mit à fixer le sol de ciment moucheté de petits cailloux. Mais aucune réponse ne vint soulager ses interrogations. Il savait qu’il devait renoncer à croire à l’impossible. En cet instant, ce qu’il voulait plus que tout au monde, c’était de rentrer chez lui pour se réfugier dans l’unique chose capable d’adoucir sa peine : le théâtre… Il savait que cela ne pourrait le guérir totalement, mais que cela lui permettrait tout au moins, d’avoir encore la force de se lever chaque matin. Cette possibilité ne faisait pas déborder son cœur d’enthousiasme mais il devait se préparer à cette existence maintenant. Elle ne lui était pas tout à fait étrangère à vrai dire. Il connaissait trop ce sentiment de mélancolie, de détresse morale qui l’avait accompagné durant toutes ces années sans Elle, et qui s’était volatilisé dès qu’Elle était réapparue. Mais à présent que tous ses espoirs n’étaient que ruines, il retrouvait cette douloureuse routine qui vous enlisait dans une profonde tristesse, dans un ralentissement de l’âme et des gestes qui obstruait toutes vos pensées et qui vous guidait comme un automate. Ce fut dans cet état d’esprit qu’il se redressa en entendant les cris stridents du train entrant en gare. Il se leva et avança sur le quai. Les gros nuages de vapeur que crachait la locomotive en freinant enveloppaient les lieux et lui donnaient des allures de bords de Tamise sous le brouillard au petit matin. Il se faufila parmi les passagers qui descendaient du train, monta dans un wagon et alla s’asseoir sur une banquette vers le fond. Les gens continuaient à monter et à s’installer autour de lui. La tête penchée contre la vitre, il regarda à l’extérieur, le cœur gros, guettant le coup de sifflet de départ. Encore quelques secondes, et il serait parti d’ici. Cette simple pensée le rendait fébrile et lui nouait l’estomac. Dès que le train démarrerait, il n’y aurait plus de possibilité de retour. Cela serait terminé…

C’est à ce moment là que des éclats de voix provenant de l’autre bout du wagon raisonnèrent et interpelèrent le comédien. Il leva les yeux et vit un groupe de personnes chargées de bagages, pénétrer dans le wagon et prendre place bruyamment sur les banquettes autour de lui. Puis il aperçut un jeune homme dont une des jambes portait un plâtre, qui avançait péniblement dans l’allée, soutenu d’un côté et de l’autre par deux solides camarades. Il se faisait disputer par un petit bonhomme derrière lui qu’il n’arrivait pas à voir distinctement, mais dont la voix lui semblait familière. Ce dernier, tirant une lourde valise, semblait très irrité.

- Vas-tu donc te presser d’avancer, empoté ???
- Je voudrais vous y voir ! Ce n’est pas vous qui avez la jambe cassée !
- Si tu n’avais pas glissé en courant après cette serveuse de l’hôtel, tu n’en serais pas là ! Et nous ne serions pas maintenant dans la panade !!! Tiens, assieds-toi là avant que je te brise l’autre jambe !

On installa le jeune homme sur une des banquettes encore vacantes le long de laquelle il posa sa jambe blessée. Son interlocuteur s’était assis en face de lui et n’en avait visiblement pas fini avec lui.

- Fais le malin, va !!! Comment va-t-on faire maintenant que tu ne peux plus marcher ??? Qui va te remplacer pour Roméo, dis-moi ? C’est Dougie, peut-être ??? – s’écria-t-il en s’adressant du menton à un gros pépère bien bedonnant occupé à engloutir un énorme panini.
- Bahhhh, pffffff, je sais pas moi !... – fit l’infirme en levant les yeux au ciel, lassé de tous ces reproches.
- Tu sais pas, tu sais pas !!! Je vais te dire « Monsieur je-sais-pas », si tu arrêtais de te laisser guider par ce qui te sert, sous la ceinture , de cerveau, tu nous éviterais bien des problèmes ! Car celui-là est de taille et je ne sais pas comment on va s’en sortir !!! Nous sommes en représentation dans deux jours, et je n’ai plus de Roméo !!! – éructait-il à qui voulait l’entendre en agitant les bras de dépit.
- Vous n’avez qu’à demander à Elliott, il m’avait bien remplacé une fois !...
- Autant demander à ma grand-mère de s’y coller !... C’était catastrophique, tu le sais bien !
- Eh ! Oh ! Je vous en prie, j’ai tout entendu ! – répliqua ledit Elliott, vexé.
- On t’a pas sonné, toi ! Occupe-toi de t’assurer que nous n’avons rien oublié, sinon tu risques de te retrouver dans le même état que ton camarade. Je ne suis pas d’humeur, crois moi !!!
- Je t’ai pourtant connu plus enjoué, Sid !...
- Q… Qui a dit ça ??? – s’exclama le colérique bonhomme en se levant de son siège. Il se tourna vers le fond du wagon et remarqua une silhouette masculine qui s’approchait de lui. Quand elle se tint tout près de lui, il demanda, sans certitude aucune :
- Terrence ??? Terrence Graham ???
- En chair et en os ! – répondit Terry, un sourire espiègle au coin des lèvres – Ah, Sid, j’ai eu un doute au début, mais quand tu t’es emporté, j’étais certain que c’était toi ! Hahaha !

Sacré Sidney Wilde !... Un tempérament de feu qui lui avait valu bien des altercations avec Robert Hathaway, le directeur de la compagnie Stratford, tant et si bien qu’il avait fini par quitter la troupe. Terry ne l’avait plus revu depuis des années. Il savait qu’il était parti vivre en Europe, qu’il y avait fondé sa propre compagnie, mais il n’aurait jamais imaginé le revoir ici, à Venise ! De petite taille, avec un léger embonpoint qui tirait sur les boutons de son gilet, il avait conservé cette allure drolatique qui le caractérisait. Ses cheveux avaient blanchi et s’étaient clairsemés, mais il avait toujours ses grands yeux bleus surmontés de sourcils broussailleux qui dévoraient son visage joufflu. Il dévisageait Terry, la bouche grande ouverte de stupéfaction.

- Ça alors, Terry, quelle surprise !!! – s’écria-t-il en serrant chaleureusement son ami dans ses bras - Tu es bien la dernière personne que je m’attendais à rencontrer ici ! Mais que fais-tu en Italie???
- Je suis, comment dire, en vacances… - répondit ce dernier un peu embarrassé.
- En vacances ? Tu en as de la chance ! – soupira son ancien compagnon de théâtre - Je suis en tournée tout l’été avec ma troupe, et voilà que ce sombre abruti, cet incorrigible coureur de jupons, me fait faux bond car il est IN-CA-PA-BLE de contrôler ses hormones !!!

Le bellâtre blond, destinataire de ces propos virulents, s’enfonça un peu plus dans sa banquette en rougissant d’humiliation.

- Seigneur dieu ! Que vais-je faire ??? – gémit le pauvre homme en se retournant vers Terry – On nous attend pour le festival d’été de Vérone. Nous jouons dans deux jours, et je n’ai personne pour le remplacer ! Je ne vais quand même pas interpréter Roméo à sa place ! Tu m’imagines, à presque cinquante ans, en collants blancs sous le balcon de Juliette ? J’aurais l’air pathétique !...
- Pathétique, je n’irai pas jusqu'à dire cela, mais comique, assurément !

Le brave Sidney haussa les épaules en soupirant de découragement. Il se laissa choir sur la banquette, et s’appuya contre le dossier, l’air pensif. Les membres de la troupe l’observaient en silence, n’osant prononcer le moindre mot de peur de provoquer une nouvelle fois sa colère. Soudain, son regard s’éclaira, et il s’adressa à Terry, avec un drôle de sourire qui révélait deux belles rangées de dents.

- Et si tu jouais Roméo ?

Terry blêmit et se mit à agiter son index avec virulence.

- Quoi ??? Non, non, non !!!
- Si, Si ! - opina vigoureusement son interlocuteur - Tu es en vacances, non ? Tu peux donc remplacer l’autre abruti (qu’il pointa de la main avec dédain) et m’ôter cette épine du pied !
- C’est que… Je suis sur le chemin du retour. Et puis, cela fait très longtemps que je ne n'ai pas interprété ce rôle…

Il lui fallait trouver une meilleure excuse au plus vite !!!

Mais le quinqua ne l’écoutait point, obsédé par l’idée de génie qui venait de lui traverser l’esprit. Il se tenait cette fois tout près lui, pointant un nez déterminé vers le jeune homme qui reculait tout doucement vers le fond du wagon.

- Tu ne peux pas te débiner, Terry ! Il n’y a que toi pour me sortir de ce mauvais pas ! Tu connais ce rôle à la perfection, je t’ai vu l’interpréter des centaines de fois admirablement ! Je t’en supplie, ne nous laisse pas tomber !
- C’est impossible… - répondit-il en secouant la tête. Son cœur battait à tout rompre. Il se sentait pris au piège et il ne pouvait même pas sauter par la fenêtre pour s’enfuir.

Fuir, encore une fois…

Les mains jointes, Sidney l’implorait de son regard de chien battu, digne des Corgis de la reine d’Angleterre.

- Pitié ! – couina-t-il entre ses dents, sentant que Terry lui échappait.
- C’est d’accord !... - murmura-t-il finalement, vaincu.

Le brave homme sursauta, n’en croyant pas ses oreilles, et recula d’un pas.

- D’accord ? Tu as bien dit d’accord ???
- Oui… - dit-il en soupirant d’exaspération – Mais à une seule condition !
- Tout ce que tu veux !
- Je veux qu’on me laisse tranquille ! Je veux pouvoir manger, dormir, répéter où et quand je veux. En un mot, je veux être SEUL !
- Pas de problème ! Du moment où tu es présent chaque soir de représentation, je n’y vois aucun inconvénient ! Tu es toujours aussi farouche à ce que je vois.
- Je ne me suis pas amélioré avec les années…
- Soit ! – gloussa son vieux camarade en lui tendant une main complice – Bienvenue à la troupe Sidney Wilde, mon ami ! Et surtout, merci !

Il se tourna, radieux et soulagé, vers ses comédiens, qui se levèrent immédiatement et applaudirent, scandant le nom de Terry, sifflant, certains faisant tournoyer des poings triomphaux au dessus de leur tête. Sidney l’applaudissait aussi et le regard embué de larmes qu’il lui adressait témoignait de toute la gratitude qu’il lui vouait. Les doutes de Terry s’envolèrent sur le champ et il sentit son cœur se réchauffer. Pour une fois, il ne fuyait pas. Durant un instant, il avait cessé de s’apitoyer sur son sort et avait accepté d’aider un ami, même si cela lui en coutait. Etrangement, le poids qui l’oppressait s’était évanoui, et il se mit à sourire lui aussi. Le retour s’annonçait plus long que prévu mais cela n’avait plus d’importance du moment où il s’éloignait de Venise et de ses désillusions. Comme pour saluer son geste, le train émit plusieurs coups de sifflets qui se perdirent dans les champs de vignes qu’il traversait. Lustrées de la rosée du matin, les feuilles des ceps brillaient de milles diamants sous les rayons du soleil du matin. Venise était déjà bien loin… Le poids sur le cœur se fit de nouveau ressentir, mais cette fois, plus doucement. La respiration de Terry se fit moins mécanique et plus sereine, et il en apprécia l’instant. Il savait que cela ne durerait pas éternellement mais il était reconnaissant du répit qui lui était offert. Il s’assit et ferma les yeux, un sourire mélancolique se dessinant sur ses lèvres. Balancé par le rythme régulier du train, il s’abandonna sans lutter à un sommeil sans rêve, épuisé de trop fatigue, ignorant que l’éloignement le rapprochait de son destin…

Fin du chapitre 8



Edited by Leia - 16/2/2013, 12:58
 
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