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Lettres à Juliette, (sans rapport avec une autre fanfic du nom de "les lettres à Juliette"...)

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Leia
view post Posted on 4/3/2013, 11:14 by: Leia
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Le train arriva en gare de Vérone en milieu de matinée. Toute la troupe de théâtre descendit sur le quai en chahutant. Elle était en grande partie composée de jeunes comédiens, lesquels, par leur impétuosité liée à la fraîcheur de leur âge, s’agitaient très facilement. Cela rendait nerveux leur directeur qui avait la colère rapide mais ils ne s’en formalisaient point, ayant pris l’habitude de ses accès d’humeur, et s’amusaient même parfois à les provoquer, riant sous cape de sa réaction. C’était devenu un jeu auquel il aimait participer lui aussi, sans aucune naïveté. Ils étaient « ses gosses » et il leur était très attaché. Ils avaient été pour la plupart des jeunes désabusés auxquels il avait su démontrer qu’il existait autre vie, exaltante, qui vous grisait l’âme, celle du théâtre. Quand un nouveau membre intégrait la troupe, c’était toujours pour lui une grande émotion de voir s’opérer en lui la transformation : ce passage de la désillusion à l’enchantement, de la lassitude à l’enthousiasme, qui changeait sa triste mine en soleil. C’était sa récompense, une richesse irremplaçable, celle de partager la même passion pour ce qui faisait d’eux des êtres de lumière pendant quelques heures…

Il reconnaissait que Terry était de cette trempe. Il regrettait néanmoins que les années n’aient pu balayer ces ombres qui l’habitaient, celles qu’il avait décelées déjà quand il avait fait sa connaissance à la compagnie Stratford, et qui le poursuivaient encore aujourd’hui. Il s’interrogea sur l’origine de cette souffrance intime qui laissait son ami égaré dans ses pensées, isolé du monde qui l’entourait. Il en soupçonnait la cause pour avoir subi lui-même la violence de cette attaque dévastatrice qui vous plongeait dans une affliction profonde et qui vous rongeait le cœur comme une lèpre intérieure. Cela s’appelait l’amour… Et un profond sentiment d’impuissance l’envahit...

**************



- Alors, mademoiselle O’Brien, comment allez-vous aujourd’hui ?

Patty sourit sans relever immédiatement les yeux, reconnaissant sans peine cette voix qui lui devenait chaque jour un peu plus familière. Elle aimait la manière avec laquelle il prononçait son nom, qui roucoulait dans sa gorge comme une douce mélodie.

- Je vous en prie, docteur, appelez-moi Patricia – s’enhardit-elle, en rosissant.
- Pa-tri-cia… - murmura-t-il en insistant sur chaque syllabe - Dans ces conditions, je serais ravi que vous m’appeliez Alessandro…

Il s’assit sur le bord du lit, la tête légèrement penchée sur le côté. Le regard éloquent qu’il posa sur elle la fit frissonner. Il aimait cette façon qu’elle avait de perdre pied à chaque fois qu’il la regardait, ainsi que cette énergie que par la suite elle déployait pour retrouver une contenance. Il dégageait d’elle une fragilité et une force qui piquaient sa curiosité.

Le feu sous la glace, se dit-il en essayant de capturer le fond de sa pensée. Elle baissa les yeux.

- A… Alessandro…- bredouilla-t-elle, le feu aux joues, tentant vainement de cacher son trouble – Pour répondre à votre précédente question, je peux vous dire que je vais très bien.
- J’en suis bien aise. Mais dîtes-moi, avez-vous bien dormi ?
- Oui, merci.
- Fatiguée ?

Elle secoua négativement la tête.

- Bien ! Je pense que nous pouvons alors essayer de faire quelques pas. Marcher va vous aider à reprendre des forces.

Devant le regard dubitatif qu’elle lui adressa en retour, il poursuivit, d’une voix rassurante.

- Ne vous inquiétez pas, Patricia, je serai tout près de vous…

Il retira le drap qui recouvrait ses jambes et elle remercia le ciel d’avoir changé de chemise de nuit après sa toilette du matin. Elle aurait néanmoins préféré porter une jolie robe devant cet homme qui faisait battre si vite son coeur dès qu’il posait ses yeux sur elle. Elle pivota sur le bord du lit et posa un pied sur le sol, puis deux. Il lui tendit la main et elle s’accrocha fermement à elle, pas très rassurée. Elle marchait légèrement courbée du fait de la cicatrice lui tirait un peu. Mais cela restait supportable. De toute façon, dès que le bel italien se trouvait dans la pièce, elle perdait tous ses moyens, oubliant jusqu’à son nom. Ce n’était donc pas quelques points de suture qui allaient la détourner de ses secrètes pensées…

- C’est très bien, Patricia… - dit-il tandis qu’elle avançait à petits pas dans la chambre – Vous vous débrouillez comme un chef !

Patty émit un soupir de soulagement et poursuivit à son rythme avec un peu plus d’assurance. Mais soudain, ses jambes encore faibles chancelèrent et elle bascula dans les bras du médecin qui la retint dans sa chute.

- Vous allez bien, Patricia ? – demanda-t-il, un voile d’inquiétude dans la voix.

Elle opina de la tête, son visage ayant, dans l’élan, heurté le creux de sa poitrine. Elle pouvait entendre les battements réguliers de son cœur, sentir les mouvements de sa respiration sereine contre sa joue. Il sentait bon l’eau de toilette, un parfum irrésistible de musc… My Goodness !

Quand elle recula enfin, écarlate et tremblotante, elle remarqua qu’il l’observait avec un sourire malicieux.

- En êtes-vous si sûre ? – s’enquit-il en lui décochant un regard enjôleur qui l’acheva définitivement. Et comme elle restait paralysée devant lui, bouche entrouverte, il prit sa main entre les siennes, et dit :

- Patricia, que diriez-vous si…

Mais l’irruption soudaine de Candy dans la chambre l’interrompit brutalement.

- Mais que se passe-t-il ici ??? – s’écria-t-elle, épouvantée, en découvrant son amie dans les bras du médecin. Sous l’effet de surprise, elle en avait tombé le paquet de lettres qu’elle lui avait ramené du club pour la distraire.

Sacrebleu ! Nous y sommes !!! Casanova est passé à l'offensive !!!

- Alessandro… Enfin, le docteur Biazini me faisait faire quelques pas… - répondit Patricia en s’écartant de lui, rouge de confusion.
- Et elle se débrouille à merveille ! Elle récupère très vite ! – ajouta-t-il, comme si de rien n’était.

C’est bien ce que je vois…

Il baissa les yeux, cherchant à éviter le regard soupçonneux de Candy qui s’était empressée de raccompagner son amie à son lit. Un silence pesant régnait dans la pièce. De plus en plus mal à l’aise, il finit par s’écrier, faisant claquer avec désinvolture ses bras contre ses cuisses :

– Bien… Je vais devoir vous laisser mes demoiselles. D’autres patients m’attendent…

C’est ça, c’est ça ! Sauve-toi !

- Je repasserai ce soir, mademoiselle O’Brien, comme d’habitude…
- A ce soir, docteur – répondit Patty d’une voix pratiquement inaudible, tout en le regardant partir du coin de l’œil.

Face au comportement équivoque de son amie, Candy roula des yeux en soupirant de consternation.

- Je reviens dans cinq minutes - lui dit-elle en levant son index dans sa direction comme pour lui indiquer qu’elle n’en avait pas terminé avec elle, et elle partit dans le couloir à la recherche du bourreau des cœurs transalpin. Bien entendu, il n’était plus là, et elle mit un certain temps avant de le retrouver, dans la chambre d’un patient, à l’autre bout du couloir. Quand il l’aperçut devant la porte, il feignit la surprise et demanda :
- Mademoiselle André ? Tout va bien avec mademoiselle O’Brien ?
- C’est la question que je voulais vous poser ! fit-elle d’un ton sec – Auriez-vous un moment, je vous prie ?
- Je regrette, mais comme vous le voyez, je visite mes malades. Je n’ai pas le temps…
- Je peux attendre.
- J’en ai pour un moment.

Devant l’obstination qu’il mettait à ne pas accéder à sa requête, elle lui rétorqua, fulminante :

- Cela ne me dérange pas d’évoquer ce cas ici, si vous préférez. Nous gagnerions tous deux du temps !...

Pour toute réponse, il fit deux pas chassés dans sa direction et grommela à son oreille, excédé.

- D’accord, d’accord !!! Laissez-moi terminer avec ce patient, et je vous rejoins dans mon bureau.
- Ne me faites pas trop attendre, docteur Biazini. Sinon, je saurai vous retrouver…

Le médecin tourna les talons en faisant mine de ne pas entendre et rejoignit son malade. Candy, comme convenu, partit s’assoir dans le bureau de ce dernier et attendit. Cinq minutes s’écoulèrent, puis dix… Aucun docteur Biazini à l’horizon !... Ce ne fut qu’au bout d’un quart d’heure qu’il apparut, le pas déterminé et la mine résolue de ne pas s’en laisser compter. Candy s’était levée pour l’affronter.

- Me voilà, mademoiselle André ! – fit-il en prenant soin de fermer la porte derrière lui - Qu’y a-t-il donc de si important pour que vous veniez me déranger en plein travail ?
- Vous le savez très bien, docteur – répondit Candy avec fermeté – C’est à propos de mon amie, mademoiselle O’Brien…

Il esquissa une moue ironique qui irrita de plus belle la jeune américaine.

- Ne faites pas l’innocent ! Vous essayez de séduire mon amie et vous devriez avoir honte de votre comportement !
- Honte ???
- Oui, honte !!! Je ne sais pas comment cela se passe dans votre pays, mais dans le mien, cela est formellement interdit ! Elle est votre patiente, vous êtes son médecin. Vous abusez de sa faiblesse !
- De sa faiblesse, tiens donc !
- Exactement ! Mademoiselle O’Brien sort d’une expérience très douloureuse. Elle est encore très fragile et je ne veux pas que…
- Que quoi ?
- Que vous lui brisiez le cœur, voilà tout !!!
- C’est donc l’opinion que vous avez de moi, mademoiselle André. Celle d’un séducteur sans scrupule !...
- En effet, Docteur ! – répondit-elle en insistant bien sur son titre, pour lui rappeler la situation délicate dans laquelle il se trouvait.
- Pouvez-vous me donner les raisons d’un jugement aussi sévère ?
- Des raisons ? Vous voulez des raisons ??? Vous, son médecin, lui offrez des fleurs, lui jetez des regards langoureux, lui rendez visite plus souvent que de coutume, et je la retrouve aujourd’hui dans vos bras ! N’est-ce pas suffisant pour me faire douter de la sincérité de vos intentions ?

Il la considéra un instant, comme s’il réfléchissait, puis lui répondit avec une certaine arrogance.

- En somme, si je n’étais pas son médecin, vous n’y verriez aucun inconvénient…
- Ce… Ce n’est pas si simple – bredouilla Candy, décontenancée - Vous vous connaissez depuis trois jours à peine. Je trouve que vous allez bien vite en besogne…
- Je ne pense pas que lui offrir des fleurs ait porté atteinte à sa vertu…
- Peut-être pas, mais vous jouez avec ses sentiments !
- A vous écouter, on dirait qu’elle ne mérite pas que je puisse en avoir pour elle…
- Je n’ai pas voulu dire cela ! Je…
- Au contraire, et cette fois, c’est vous, mademoiselle André, qui devriez avoir honte de penser cela de votre amie : « votre bonne copine célibataire toujours disponible ». C’est rassurant, non ?
- Je ne vous permets pas, c’est insultant !
- Insultant pour qui ? Pour elle ou pour vous ? Je vois bien ce qui vous agace. Vous avez peur de la perdre, de la perdre pour un inconnu, un médecin pas trop mal de sa personne qui aurait l’audace de s’intéresser à elle. Vous avez peur de vous retrouver toute seule et d’être pointée du doigt comme étant celle à qui on n’a pas encore passé la bague au doigt. Expliquez-moi d’ailleurs ce mystère. Comme se fait-il qu’une aussi jolie jeune fille ne soit pas encore mariée ?...

Les yeux de Candy s’agrandirent de stupeur. Elle baissa la tête pour éviter le regard scrutateur de son interlocuteur et marmonna :

- Cela ne vous regarde pas !
- Avez-vous au moins été amoureuse ?

Oh mon dieu, oui ! Et j’en ai chaque fois payé le prix fort !...

- A votre silence, je devine que c’est un sujet très douloureux à évoquer pour vous. Peut-être que vous aimez un homme qui ne vous aime pas, ou peut-être qu’il est déjà marié…

Pour toute réponse, elle secoua la tête négativement.

- Bien, votre situation m’a l’air assez complexe, et je vous en laisse seule juge. Mais pour ma part, en ce qui concerne mademoiselle O’Brien, laissez-moi vous dire que je ne laisserai personne dicter ma conduite car elle est celle d’un honnête homme, même si vous en doutez.

Candy croisa les bras avec une moue ironique. Il poursuivit, fronçant les sourcils d’irritation :

- Etes-vous allée sur le front, mademoiselle André ? Il n’est rien de pire que la guerre pour vous faire comprendre ce qui est important dans la vie. Après toutes ces horreurs vécues, on ne se perd plus dans des réflexions inutiles, on ne cherche pas à savoir si les convenances derrière lesquelles vous vous cachez, « mademoiselle », exigent d’attendre une heure, trois jours ou un mois avant de ne serait-ce que poser les yeux sur la personne qui vous intéresse ! On ne se dérobe pas car on sait que tout peut s’arrêter dans la seconde qui suit. Croyez-moi, j’ai fermé les yeux à des centaines de jeunes gens qui auraient souhaité mettre en pratique mon point de vue !...
- Votre argumentation est convaincante mais ne justifie pas mon consentement.
- Ce n’est pas ce que je vous demande ! Je souhaiterais juste que vous mettiez de côté vos idées préconçues et que vous me laissiez vous prouver la profondeur des sentiments que j’éprouve pour mademoiselle O’Brien. Ils n’obéissent peut-être pas à vos usages mais ils sont sincères, et ce, depuis le premier moment où son regard noisette a rencontré le mien…

Cette fois, Candy décroisa ses bras, coite. Les propos du médecin s’embrouillaient dans sa tête et la laissaient confuse. Au fond d’elle-même, elle appréciait la façon qu’il avait de lui tenir tête en défendant son honneur qu’elle avait peut-être mis injustement à l’épreuve. Il se pouvait aussi qu’elle ait été trop protectrice envers Patty. Il fallait qu’elle prenne du recul sur tout cela…

- Alors ? – s’écria-t-il, ravi de la faire sursauter alors qu’elle était plongée dans ses pensées.
- Je vous demande pardon ?...
- Alors, mademoiselle André, m’autorisez-vous à faire la cour à mademoiselle O’Brien ?...

************



- Et bien, je crois que tout est en règle ! – s’écria Giuseppe Russo, le directeur de la Banque Populaire de Vérone, tandis que Terry finissait de signer quelques formalités. Ce dernier était soulagé. Il pensait que cela aurait été plus compliqué d’obtenir une avance dans une banque étrangère, mais il était évident que le nom et le titre qu’il portait avaient facilité la transaction.
- Quand pensez-vous que le transfert d’argent de mon compte en Angleterre vers celui-ci sera effectif ?
- D’ici quelques jours, monsieur Grandchester. Mais ne vous faites aucun souci. Nous pouvons bien vous rendre service en attendant.

Le banquier lui remit une liasse de billets ainsi qu’un papier avec son identité bancaire.

- Voici votre numéro de compte chez nous. Vous pourrez venir retirer d’autres sommes quand vous le souhaiterez.
- Je vous en remercie. C’est très aimable à vous d’avoir accédé à ma requête.

Le banquier balaya d’une main faussement modeste la remarque de Terry.

- Tsss ! Tsss ! Monsieur Grandchester. Ce n’est pas tous les jours que nous avons parmi nos clients une vedette américaine, de surcroît appartenant à une des plus grandes familles d’Angleterre !

Le jeune homme opina silencieusement, embarrassé. Ce genre de comportement obséquieux où l’on se courbait devant son arbre généalogique l’avait toujours mis mal à l’aise. Mais il devait bien convenir que d’en faire état aujourd’hui lui avait été très utile pour mettre en confiance le banquier et obtenir du liquide. Ayant dépensé tout ce qui lui restait dans le billet de train, il en avait besoin pour s’acquitter des premières nécessités : se loger, s’habiller et peut-être se nourrir si l’appétit lui revenait…

- Puis-je vous être utile en quoi que ce soit d’autre, monsieur Grandchester ?

Le jeune comédien réfléchit un instant puis répondit.

- En effet, peut-être que vous pourriez m’aider.

Les coudes en appui derrière son bureau, mains jointes en éventail, yeux mi-clos de satisfaction, le directeur adopta une posture d’écoute.

- Voilà. Comme vous le savez, je viens d’arriver en ville et je cherche à me loger. Je ne veux pas d’hôtel. Je voudrais trouver un meublé qui ne soit pas trop éloigné du centre ville, dans un quartier tranquille, un endroit calme où je pourrais me reposer. Pourriez-vous m’indiquer une adresse où je pourrais me renseigner ?
- Ce ne sera pas nécessaire, monsieur Grandchester, car j’ai ce qu’il vous faut.

Devant le regard interrogateur de son client, le banquier poursuivit, un sourire triomphant sur les lèvres.

- Il est hors de question que vous logiez n’importe où ! Il se trouve que je dispose d’une petite maison au bord du fleuve. Pour être plus précis, c’est la maison de ma mère, mais elle est partie en cure à la montagne car elle ne supporte plus la chaleur ici en été. Je serais vraiment très honoré si vous consentiez à y habiter… Le temps qu’il faudra…
- C’est que… Je n’ose accepter…
- C’est une maison très confortable avec une très jolie vue sur l’Adige. Le cadre idéal pour vous relaxer entre deux représentations.
- Ecoutez… Je… Permettez, au moins, que je participe aux frais !
- Considérez-vous comme mon invité, monsieur Grandchester ! Ma mère m’écorcherait de toute façon si elle apprenait que j’ai laissé « à la rue » un grand amateur de Shakespeare. C’est son auteur préféré !
- Vraiment ?
- Vraiment !... Elle a enseigné la littérature anglaise pendant quarante ans. Je sais de quoi je parle !

Il avait levé les yeux au ciel en ricanant. Terry trouva cela amusant. Il n’était pas sûr que son interlocuteur partageât cette passion maternelle qui avait dû lui être imposée quotidiennement durant sa jeunesse. Mais on sentait au son de sa voix qu’il repensait à cela avec une certaine tendresse. Ce dernier se pencha sur le côté pour fouiller dans un tiroir. Il en tira un trousseau de clés qu’il tendit à Terry.

- Tenez, voici les clés de la maison. Ce n’est pas très loin d’ici, de l’autre côté du pont neuf, à deux pas de l’amphithéâtre. La maison porte le nom de « maison des écureuils », en référence à mon frère et moi-même qui passions notre temps dans les arbres quand nous étions enfants.
- Je… Je suis confus… Je ne sais comment vous remercier – bredouilla Terry en prenant les clés.
- Vous n’aurez qu’à m’envoyer des invitations pour la pièce !
- Les meilleures places ! – s’écria Terry avec un franc sourire.
- Bien entendu ! Hahaha ! – répondit le banquier en lui tendant une main complice que Terry serra chaleureusement. Ce dernier le salua une dernière fois et se dirigea vers la porte. Mais alors qu’il allait quitter la pièce, le directeur revint vers lui.

- J’allais oublier, monsieur Grandchester. Vous aurez comme voisins des gens charmants, les Cavaletto. Ils aident ma mère pour l’entretien de la maison. Rosa, la femme, préparera votre chambre avant votre arrivée. Elle s’occupera aussi du ménage et de vos repas pendant votre séjour. C’est une excellente cuisinière !
- J’ai hâte de faire sa connaissance ! – mentit Terry qui ne pouvait rien avaler.
- Avez-vous d’autres choses à faire avant de vous y rendre ?
- Oui, je souhaiterais acheter quelques vêtements.
- Dans ce cas, allez de ma part chez Vincenzo. Il vous traitera comme un prince !

Il écrivit l’adresse sur un bout de papier.

- C’est à deux rues d’ici.
- Décidément ! Je vais finir par croire que vous êtes mon ange gardien ! – fit Terry en riant tout en prenant le papier.
- Ma foi, sait-on jamais ! Dans un pays aussi croyant que l’Italie, ce ne serait pas surprenant !

Terry éclata de rire et le remercia une dernière fois. Les deux hommes se séparèrent sur le seuil de la banque, puis le jeune homme se rendit à la boutique Vincenzo. Guiseppe Russo ne lui avait pas menti. Un prince n’aurait pas été mieux servi ! Il aimait bien cette mode italienne qu’il trouvait plus créative que celle des élégants dandys britanniques. Ainsi vêtu, il s’observait dans le miroir qui lui renvoyait l’image d’un jeune homme, certes très beau, mais dont les traits tirés, la barbe naissante, et la pâleur du teint accentuaient l’éclat enfiévré de ses yeux. Il secoua la tête pour chasser cette image qui lui rappelait toute la misère de son existence, et retourna dans la cabine d’essayage. Son choix s’arrêta sur un nouveau costume, deux tenues plus décontractées, et du linge de corps. Il avait hâte de se changer !!! Le commerçant connaissait bien la maison de Madame Russo, laquelle venait parfois à la boutique acheter une nouvelle cravate pour l’anniversaire de son fils adoré, et il lui proposa de lui faire livrer ses achats. Terry accepta. Il n’avait aucune idée de la distance à parcourir jusqu’à la « maison aux écureuils » et ne voulait pas se charger inutilement.

Il arriva tout compte fait à destination moins d’une demi-heure plus tard. La traversée de la vieille ville lui avait même parue agréable malgré la chaleur de ce début d’après-midi. En chemin, alors qu’il longeait la rive gauche du fleuve, il avait croisés des hommes en bras de chemise et pantalon de toile brute, assis à l’ombre d’un arbre, en train de manger leur casse-croute. Leur lourd cheval de trait broutait à côté d’eux paisiblement, avant de reprendre son labeur et de recommencer à tirer sur la péniche chargée de troncs qui était amarrée devant eux, au bord de l’eau. Terry les avait salués d’un discret signe de la main et avait poursuivi sa route. Des chaloupes qui transportaient des marchandises remontaient elles aussi la rivière et rappelaient au visiteur qu’il était, que Vérone n’était pas qu’une ville touristique mais une cité commerçante, et ce, depuis l’antiquité. Dans ce nouvel environnement, il se sentait quelque peu désorienté. Quelques heures plus tôt, il était dans un train pour rentrer chez lui, et voilà qu’à présent il était sur le point de reprendre le rôle qui avait transformé sa vie.

Au bout du chemin, on devinait à peine le toit de la maison Russo à demi dissimulée par un mur de clôture d’environ deux mètres de hauteur qu’il dut contourner pour accéder à un vieux portail en fer forgé. Il était entrouvert. Terry poussa la grille qui s’écarta plus largement en grinçant sur ses gonds. Devant lui, une allée de gravier traversait un jardin gazonné orné d’arbres centenaires, d’arbustes et de massifs fleuris.

- Pas mal comme « petite » maison !... – se dit Terry en avançant dans l’allée.

La bâtisse, de style XIXème, l’attendait au fond du jardin sous la tutelle d’un magnifique tilleul. Il lui sembla qu’elle penchait sa façade de pierres tachetée de soleil pour l’accueillir et qu’elle l’observait à travers les persiennes avec complaisance. Il tourna la poignée de la porte. Celle-ci n’était pas fermée à clé. Rosa devait être dans les parages, occupée à préparer sa venue.

Il fit un pas à l’intérieur et appela pour signaler sa présence. Personne ne lui répondit. Alors il se promena dans la maison, traversa une cuisine, une salle à manger pour déboucher sur un salon qui s’ouvrait sur un jardin descendant jusqu’au bord du fleuve. A l’ombre d’une glycine enlacée sur une tonnelle, la terrasse s’étendait sur toute la largeur de la demeure. Un coin bien agréable pour prendre son petit déjeuner… et aussi pour se reposer, se dit-il en remarquant une chaise longue sur le côté.

Il retourna dans le salon et s’attarda sur des photos qui se trouvaient sur le piano, tout près de la porte-fenêtre : des clichés fanés d’une jeunesse révolue qui laissait deviner la beauté passée de la maîtresse des lieux. Il y avait aussi une photo de son mariage, et d’autres de ses fils en culottes courtes, les fameux petits écureuils. C’était un attendrissant portrait de famille qui résumait toute une vie bien remplie. Le genre de vie qu’il ne connaîtrait jamais…

Il quitta le salon et se dirigea vers un escalier en bois au bout du couloir. Au premier étage se trouvaient les chambres et il hésita un instant. Il avait l’impression de percer les secrets de l’intimité de son hôte et cela le mettait mal à l’aise. Le parquet se mit à craquer sous ses pieds. Il passa devant une porte entrouverte. Depuis qu’il était arrivé, on aurait dit qu’on lui avait tracé le chemin. Les fenêtres de cette chambre donnaient sur le jardin et il remarqua que les vêtements qu’il avait achetés étaient déjà là, délicatement posés sur le lit. Face à celui-ci, à côté d’une armoire, s’ouvrait une autre porte sur une salle d’eau. Il rêvait depuis le matin d’une bonne douche et se dévêtit sans attendre, laissant ses habits éparpillés sur le sol carrelé. Il n’y avait visiblement pas d’eau chaude, et il poussa un cri sous l’effet de l’eau glacée sur sa peau. Mais il s’y habitua rapidement, revigoré par cette fraîcheur soudaine qui lui nettoyait le corps et l’esprit. Il s’amusait avec la pomme de douche, avalant et recrachant l’eau avec des glouglous de satisfaction.

Ce fut un autre bruit, un hurlement strident à vous en arracher les oreilles, qui le fit sursauter alors qu’il se savonnait la tête. Les yeux pleins de mousse, il chercha à tâtons une serviette pour s’essuyer le visage et il entendit un bruit sourd, comme celui de quelqu’un qui recule et bute sur quelque chose. Il n’était pas seul dans la pièce ! Flûte ! Il réalisa alors qu’il était nu comme un ver et cela le paralysa. Mains posées maladroitement sur ses attributs, jambes fléchies, il ouvrit aussitôt les yeux et croisa le regard effaré d’une autre personne. C’était une femme de petite taille, brune, d’une cinquantaine d’années, avec à ses pieds, un paquet de serviettes qu’elle venait, sous le coup de l’émotion, de laisser tomber.

- Bonjour… - dit-il timidement, avec un sourire gêné.
- Sainte vierge !!! – s’écria-t-elle en tournant vivement la tête dans la direction opposée. Cou tendu à l’extrême, elle serrait fortement les paupières, agitait les bras dans tous les sens devant elle, marmonnant des paroles d’excuse qui s’étranglaient dans sa gorge. Puis elle s’enfuit en courant avec des petits cris effrayés qui se fondirent à ses pas précipités sur le palier.

Terry resta un moment interdit. Reprenant ses esprits, il ramassa une des serviettes et commença à se sécher. Il aperçut son visage ruisselant dans le miroir et haussa les épaules en ricanant.

- Bon !... Je crois que les présentations sont faîtes !

Fin de la deuxième partie du chapitre 9



Edited by Leia - 1/4/2016, 10:30
 
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