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Lettres à Juliette, (sans rapport avec une autre fanfic du nom de "les lettres à Juliette"...)

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Leia
view post Posted on 22/3/2013, 17:54 by: Leia
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Assis sur une des marches qui surplombaient l’amphithéâtre, Terry, une cigarette à la main, regardait d’un air pensif les lumières du couchant dessiner de grandes ombres autour de lui. Il gonfla ses poumons d’une nouvelle bouffée puis recracha la fumée qui s’éleva en volutes lustrées de lueurs violettes pour aller mourir dans le ciel pourpre. Son regard cérulescent se posa sur la scène on l’on était en train de fixer les derniers décors avant la représentation du surlendemain, et il soupira tristement. Il n’était pas très fier de ce qu’il avait effectué lors de la répétition. Il avait l’esprit ailleurs, troublé de sentiments contradictoires qui s’étaient emparés de lui dans l’après-midi, dès qu’il était entré, dans la cour de la maison de Juliette. Ils ne l’avaient plus quitté depuis.

En ce lieu, malgré la foule qui l’entourait, il avait eu l’impression d’être seul au monde et que seule Juliette, cette amie de toujours, pouvait lire et comprendre sa détresse. Ils se connaissaient si bien, s’étaient côtoyés durant tant d’années qu’elle ne pouvait ignorer ses blessures secrètes. Adossé sous le balcon de la belle, les bras croisés, un pied contre le mur, il avait longuement observé les allées et venues des touristes. Certains étaient en couple, d’autres seuls, et dans les yeux ceux-là, il avait reconnu, en frissonnant, une détresse commune à ses propres douleurs. Sans pouvoir se l’expliquer, il avait lui aussi ressenti le besoin de les partager avec elle, avec cette confidente imaginaire qui le laisserait se dévoiler sans le juger. Alors, accroupi dans un coin de la cour, à l’abri des regards, il avait rédigé une lettre dans laquelle il lui confiait tout son désespoir et toute son amertume, comme pour étancher cette soif de disparaître qui ne l’abandonnait jamais. Il avait cru que cela apaiserait son âme, mais il était reparti bien désappointé avec la désagréable impression que d’avoir mis des mots sur ses souffrances les avait ravivées au lieu de les estomper. Ce fut dans un état d’esprit confus qu’il était reparti vers l’hôtel où on lui indiqua en arrivant que la troupe était déjà en train de répéter aux arènes, un amphithéâtre datant de l’époque romaine, où l’on célébrait chaque année depuis 1913, un festival lyrique renommé. La troupe de Sidney avait été recrutée par le directeur du festival pour occuper les soirées entre deux opéras et rendre hommage par la même occasion à Shakespeare et ses héros mythiques, ceux qui avaient fait la réputation de Vérone, Roméo et Juliette. Malheureusement, l’interprétation de Terry s’était avérée plus que décevante. Pourtant, il connaissait son texte, les comédiens qui partageaient la scène avec lui avaient du talent, mais il n’avait pas le cœur à l’ouvrage et cela se ressentait, sans équivoque. Il s’en voulait de n’avoir pu être à la hauteur, d’avoir déçu ses camarades qui avaient mis tant d’espoir en lui. Il avait deviné l’inquiétude et le désarroi sur le visage de Sidney qui devait se demander si dans ces conditions, ils pourraient jouer la pièce dans deux jours. Il voulait se ressaisir, il en avait le désir profond, mais c’était comme si cette petite flamme qui avait toujours brûlé en lui s’était éteinte et que rien ne pouvait la ranimer. Et cela le désola.

- Tu ne viens pas manger avec nous, Terry ?

Il tourna la tête. La silhouette de Sidney Wilde se découpait devant lui en ombre chinoise. Et comme il gardait le silence, ce dernier vint s’asseoir à côté de lui. Penché en avant, coudes en appui sur les genoux, mains croisées, le regard fixe droit devant lui, il finit par dire, une pointe de lassitude dans la voix.

- Je me souviens d’un temps qui n’est pas si lointain finalement… Un temps où un jeune homme fraîchement débarqué d’Angleterre avait poussé la porte de la compagnie Stratford. Je me rappelle très bien de ce jour là car je me trouvais dans le bureau de Robert Hathaway quand il était entré, timide, balbutiant, mais avec dans le regard une détermination, une conviction absolue si rare chez quelqu’un de son âge que nous en avions été troublés. Nous avions tout de suite reconnu en lui cette voracité, cette fièvre qui anime ceux de cette race, celle des meilleurs, celle des plus grands qui d’un seul geste, d’une seule parole, pouvaient donner de l’ampleur et de la noblesse au plus médiocre des textes. Ce jeune homme, c’était toi, Terry… Tu nous as éblouis tant de fois par ton talent ! Dès que tu entrais sur scène, nous devenions nous aussi ton public, admiratif devant tes prouesses. Tu créais une émulation qui se propageait dans toute la troupe, qui révélait des richesses inconnues chez chacun d’entre nous. On voulait se mesurer à toi, être à ta hauteur. Tu nous rendais meilleurs !...

Il poursuivit, observant du coin de l’œil Terry qu’il sentit frémir.

- Quand il y a eu cet accident, quelque chose est mort en toi. Je t’ai regardé, impuissant, sombrer peu à peu dans l’alcool et le désespoir, et puis tu as disparu… Et quand tu es revenu, bien plus tard, j’ai avec soulagement retrouvé le Terry d’autrefois, qui ne cachait rien de ses fêlures mais qui faisait front avec courage, qui avait retrouvé toute son inspiration et sa créativité. Je voudrais alors que tu me dises, Terry, ce qui t’a ramené à la vie, ce qui t’a redonné cette force de te battre, car le Terry que j’ai à côté de moi n’est plus que l’ombre de lui-même, et je n’ai pas l’intention de le regarder se détruire ainsi une nouvelle fois. Dis moi ce que c’est, je t’en prie !

Le jeune homme secoua la tête et laissa échapper un soupir douloureux.

- Tu ne peux pas m’aider, Sidney… Il n’y a plus rien à faire à présent…
- Comment peux-tu dire cela, Terry ? Rien n’est jamais perdu dans la vie !...
- Au contraire, tout est perdu quand on n’a plus de raison de vivre, ni d’espérer… Et la seule personne qui était parvenue à me soutirer de ce néant qu’était mon existence avant de la rencontrer, m’a été…

La gorge gonflée de sanglots, sa voix s’étrangla et il leva la tête vers le ciel pour cacher les larmes perfides qui emplissaient ses yeux.

- On m’a menti, Sidney, on m’a floué, on m’a fait croire que je pouvais enfin connaître cette joie d’être avec elle, pour finalement apprendre qu’on m’avait caché qu’elle s’était mariée… Comment veux-tu te relever de cela ?...
- Mon pauvre ami ! C’est vraiment un sale coup qu’on t’a fait là !... Je ne trouve pas les mots, excuse-moi…
- Je ne les trouve pas non plus, crois moi… J’essaie depuis deux jours de trouver un sens à tout cela et je n’ai pas plus de réponse que toi… Tu sais, hier soir… J’ai voulu, j’ai failli… !!!

Tête baissée, il tira ses cheveux en arrière. Il tremblait et sa respiration se faisait haletante. La main réconfortante de Sidney sur son épaule le fit sursauter et le regard ému que celui-ci posait sur lui acheva de l’ébranler.

- Oh, Sid !... – gémit-il – J’ai tellement mal dans ma chair ! C’est si douloureux que j’en suis à regretter que ce brave type qui m’a retenu au dernier moment ne m’ait pas laissé plonger dans ces eaux noires et laissé disparaître dans les courants !...

A ces mots, Sidney Wilde s’écarta, visiblement contrarié par ce qu’il venait d’entendre.

- Terry… Je peux comprendre ta colère. Tu en veux au monde entier mais cela ne te donne pas le droit de parler comme cela.
- La malédiction qui me poursuit depuis ma naissance m’en a donné la légitimité, Sid…
- Tu ne te rends pas compte de ce que tu dis. Tais toi !…

Il serrait les dents et sentait la colère monter en lui.

- Personne ne peut me comprendre de toute façon.
- Oh merde à la fin, Terry, ferme-la !!! Je ne peux pas te laisser dire n’importe quoi !!!

Sidney Wilde s’était relevé d’un bond et le toisait d’un regard chargé de reproches. Le ton de sa voix avait radicalement changé.

- Combien de temps vas-tu continuer à lamenter ainsi sur ton sort ???? Tu dis que tu es maudit, mais mon pauvre ami, ce sont plutôt les fées qui se sont penchées sur ton berceau, oui !!! Tu es jeune, beau, riche, talentueux !!! Il y en a qui tueraient père et mère pour obtenir ne serait-ce qu’un soupçon de ce que la vie t’a donné. Et tu veux en finir avec elle ??? Et bien, qu’attends-tu pour aller te jeter dans l’Adige ??? Cela ne manque pas de ponts ici !!!!
- Sidney, je… - bredouilla Terry, les yeux écarquillés, surpris par la réaction inattendue et violente de son ami.
- Tu as peut-être le cœur brisé, mais tu n’es pas le premier et certainement pas le dernier ! Tu peux encore te relever et te créer une nouvelle vie, sans elle s’il le faut, mais une vie qui vaudra pourtant la peine d’être vécue, car avec un peu de courage, et je sais que tu en as, tu sauras lui donner un nouveau souffle. Je regrette, mais pleurer sur ce que tu as perdu ne t’apportera rien. Tu veux passer le restant de tes jours ainsi, à regretter quelque chose que tu ne pouvais pas atteindre ? C’est ça la vie que tu veux avoir ???
- Bien sûr que non…
- Je sais que pour l’instant ton chagrin t’aveugle et que tu ne vois pas la lumière qui brille au bout du chemin. Mais crois-moi, elle est là, éclatante, prête à réchauffer ton cœur. Il suffit seulement que tu veuilles bien regarder…

Dos courbé, Terry hocha la tête en silence.

- Je te dis tout cela, Terry, parce-que je ne veux pas te voir gâcher toutes les belles années qui s’offrent encore à toi. Elles ne te feront peut-être pas de cadeaux mais elles te construiront, feront de toi ce que tu vaux la peine d’être, un mec bien qui a tant de choses à donner. C’est ce que j’aurais dit à mon fils s’il était encore là…
- Ton fils ?

Sidney opina en se laissant choir sur le gradin de pierre.

- Tim… Timothy… Il est mort quand il avait quinze ans d’une leucémie, peu de temps après que j’aie quitté la troupe Stratford pour prendre soin de lui…
- Je… Je suis désolé, Sid. Je l’ignorais…
- Tu ne pouvais pas savoir… J’avais demandé à Robert de garder tout cela secret. A contre cœur, il avait accepté de faire croire que j’étais parti parce-que je ne m’entendais plus avec lui. Je ne voulais pas de la pitié des gens. C’était si douloureux pour moi que je ne pouvais souffrir tous ces regards de compassion à mon égard… Quand… Quand Tim est… mort…

Sa voix se brisa…

- Quand Tim est mort, j’ai cru que j’allais devenir fou. Il me manquait tellement !!! J’ai quitté ma femme et je suis parti. Nous n’arrivions plus à communiquer. Nous étions trop emprisonnés dans notre propre chagrin… Je ne sais pas pour quelle raison je suis allé en Angleterre. Je crois que je souhaitais simplement m’éloigner le plus loin possible de tout ce qui pouvait me rappeler mon fils… Oh, Terry, il n’y a pas pire douleur que de perdre un enfant ! Ce n’est pas dans la logique des choses ! Comment se remettre debout après cela ? J’étais devenu un mort-vivant !...

Terry l’écoutait sans rien dire, la gorge nouée. Il se sentait si ridicule.

- Un jour, au hasard d’une rue, j’ai croisé ce gamin dont le regard me paralysa. C’était celui de Tim !… C’était un gamin qui vivait à l’orphelinat. Je l’ai pris sous mon aile et je lui ai appris la seule chose que je savais faire : le théâtre. Oh Terry, il m’a sauvé la vie ce gosse !!! Il était tellement réceptif à tout ce que je lui apprenais, tellement avide de savoir, tellement doué aussi, qu’il m’a redonné le goût de vivre pour lui, et puis pour tous les autres qui nous ont rejoints par la suite. J’ai tellement eu de chance dans mon malheur !

Terry avait de la peine à déglutir. Il avait tellement honte de lui, d’être là à se plaindre sans réagir, à cent lieues de se douter de ce que le petit bonhomme énergique qui se tenait à côté de lui avait traversé. Quel égoïste il avait été !!! L’indécence de son comportement le révulsait. Il entrouvrit la bouche, cherchant les mots qui pourraient excuser son attitude pathétique mais Sidney le retint dans son élan.

- A un moment ou un autre, Terry, il faut se relever. La vie nous cabosse mais si on n’avance pas, on ne mérite pas ceux qui nous ont aimés. Il faut leur faire honneur en faisant de notre existence celle qu’ils auraient souhaitée qu’on ait. Je pense que Tim est fier de la mienne à présent. La douleur de son absence reste toujours la même, elle me terrasse chaque matin, mais je tiens debout en pensant à ce qu’il me dira le jour où l’on se retrouvera : « C’est bien, Papa… ».

Bouleversé, Terry secoua la tête, incapable de retenir ses larmes.

- Je suis qu’un abruti, Sid. Pardonne-moi…
- Tu as toute la vie devant toi, Terry. Ne renonce pas ! Gosh ! Si j’avais ton âge, je serais déjà allé arracher la fille que j’aime aux bras du crétin qui se prend pour son mari !!! Au lieu de… Au lieu de penser à faire un plongeon dans la canal de Venise !!! Sombre idiot !!!

Il avait dit cela avec une certaine ironie et Terry soupira de soulagement. Se faire sermonner ainsi justement l’avait profondément remué mais étrangement, il se sentait bien mieux après cela.

- Tim aurait presque ton âge, Terry… Et quand je te regarde, j’imagine ce qu’il aurait pu lui aussi devenir… Je ne peux malheureusement pas parler au présent, alors je t’en prie, profite de la chance qui s’offre à toi et vis ! VIS !!!!

Terry se leva en hochant la tête et lui tendit la main.

- Je… Je te le promets, Sid. Je ne me laisserai plus aller de cette façon… Je ne te décevrai plus.

Il affrontait le regard du chef de troupe avec détermination. Une lueur nouvelle brillait dans ses yeux rougis et Sidney comprit qu’il était sincère. Il accepta sa main, qu'il serra en recouvrant son avant-bras avec celle qu’il avait de libre d'une tape franche et affectueuse.

- Je suis heureux d’entendre cela ! Ecoute… Assez de larmes pour ce soir ! Rejoignons les autres au restaurant. On m’a parlé d’un vin pétillant, le Lambrusco. Je crois que ça nous fera du bien d’en descendre quelques bouteilles !...
- Quelques bouteilles ??? Je ne sais pas si c’est très raisonnable mais je n’ai pas d’objection à découvrir ce curieux vin dont tu me parles. Il faut tuer le mal par le mal !... - gloussa Terry.
- C’est un précepte qui me convient, mon ami. Allons, dépêchons-nous. Ils sont tellement affamés qu’ils vont nous écharper !

Terry acquiesça avec un rire contenu et le suivit, les mains dans les poches. En chemin, les paroles de Sidney lui revinrent en mémoire et il frissonna à la pensée que cela éveillait en lui.

Si j’avais ton âge, je serais déjà allé arracher la fille que j’aime aux bras du crétin qui se prend pour son mari !!!

Il avait raison… Pour une raison inexpliquée, Candy l’intimidait tant qu’elle lui ôtait toute audace. Etait-ce cette gifle qu’elle lui avait donnée un jour qui lui avait fait perdre toute confiance en lui, mais aussi en elle ? Il n’était plus ce jeunot de seize ans à présent, il était libre de ses mouvements, il n’avait plus rien à perdre ! Oui, dès la fin des représentations, il partirait de nouveau à sa recherche, et quand il la retrouverait, il la reconquerrait ! Foi de Grandchester, elle serait un jour à lui ! Qu’importe les complots et les coups bas, ils seront réunis et il ne la laissera plus jamais s’éloigner de lui. Dût-il tout sacrifier pour y parvenir…

Fin du chapitre 9

 
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