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Lettres à Juliette, (sans rapport avec une autre fanfic du nom de "les lettres à Juliette"...)

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Leia
view post Posted on 17/4/2013, 15:12 by: Leia
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Le taxi s’arrêta devant la Piazza Bra et le cœur de Roberto se mit à battre un peu plus vite. Selon le chauffeur de taxi, il y avait de grandes chances que la troupe se trouve déjà en train de répéter aux Arènes.

- C’est tout au moins le lieu où l’on vous renseignera au mieux, cher monsieur… » - lui avait répliqué le chauffeur alors qu’il se demandait si c’était le meilleur endroit pour commencer ses recherches.

Il passa un bras par dessus la banquette et tendit un billet au chauffeur.

- Attendez-moi ici jusqu’à ce que je revienne !

Le chauffeur acquiesça d’un signe de tête et le majordome sortit du véhicule. Il se sentait étrangement nerveux. Il avait les mains moites et sa respiration s’échappait, frémissante, de sa poitrine, comme un jeune-homme à son premier rendez-vous. Son cœur de midinette se manifestait avec toute sa candeur. Lui qui n’avait jamais eu le temps d’avoir une vie privée, qu’il avait sacrifiée au bien-être de son maître, vivait cet instant comme si c’était le sien. Il avait vécu par procuration l’exaltation, l’impatience du jeune duc, puis sa détresse et sa désillusion. Maintenant qu’il était sur le point de clore cette boucle infernale, il se sentait un peu déprimé. Le retour au quotidien allait assurément être moins palpitant mais il restait confiant. Le comte, passablement ébranlé par cette histoire, voudrait certainement s’éloigner de Venise quelques temps pour se défaire de sa morosité. De coutume, les salles de music-hall parisiennes savaient lui redonner du baume au cœur. « Les petites femmes nues » des Folies Bergères avaient une influence toute particulière sur son humeur, et en conséquence sur la sienne puisqu’il l’accompagnait dans tous ses déplacements.

Ragaillardi par ces délicieuses pensées, il réajusta son costume, mis de l’ordre dans ses cheveux gris clairsemés, et se dirigea vers une des portes entrouvertes de l’amphithéâtre. Dès qu’il pénétra dans l’hémicycle, il sût que sa quête était terminée…

Deux silhouettes se tenaient sur la scène, l’une athlétique à la chevelure blonde et bouclée, l’autre plus élancée, qui se mouvait avec une élégance naturelle qui ne lui était pas inconnue. L’éclat de ses yeux aigue-marine brillait avec insolence derrière les longues mèches brunes qui lui dévoraient le visage. Sa voix grave, aux harmoniques musicales, laissait deviner une sensibilité contenue, émouvante qui lui conférait cette aura si particulière, envoutante, capable de séduire les cœurs et les âmes.

Le majordome, n’osant interrompre les comédiens, alla discrètement s’assoir sur une des marches, à côté des autres membres de la troupe qui observaient attentivement les deux jeunes hommes en train de jouer. Roberto connaissait par cœur cette pièce et ce fut sans grande difficulté qu’il identifia la première scène de l’acte I, dans laquelle Roméo, fils héritier des Montaigu, confie à son cousin Benvolio, la folle passion qui l’anime pour la belle Rosaline qui le rejette...

BENVOLIO. - Bonne matinée, cousin !


ROMÉO. - Le jour est-il si jeune encore ?


BENVOLIO. - Neuf heures viennent de sonner.


ROMÉO. - Oh ! Que les heures tristes semblent longues !

N'est-ce pas mon père qui vient de partir si vite ?


BENVOLIO. - C'est lui-même. Quelle est donc la tristesse qui allonge les heures de Roméo ?


ROMÉO. - La tristesse de ne pas avoir ce qui les abrégerait.


BENVOLIO. - Amoureux ?


ROMÉO. - Éperdu...


BENVOLIO. - D'amour ?


ROMÉO. - Des dédains de celle que j'aime.


BENVOLIO. - Hélas ! Faut-il que l'amour si doux en apparence, soit si tyrannique et si cruel à l'épreuve !


ROMÉO. - Hélas ! Faut-il que l'amour malgré le bandeau qui l'aveugle, trouve toujours, sans y voir, un chemin vers son but !... Où dînerons-nous ?... ô mon Dieu !... Quel était ce tapage ?... Mais non, ne me le dis pas, car je sais tout ! Ici on a beaucoup à faire avec la haine, mais plus encore avec l'amour... Amour ! ô tumultueux amour ! ô amoureuse haine ! ô tout, créé de rien ! ô lourde légèreté ! Vanité sérieuse ! Informe chaos de ravissantes visions ! Plume de plomb, lumineuse fumée, feu glacé, santé maladive ! Sommeil toujours éveillé qui n'est pas ce qu'il est ! Voilà l'amour que je sens et je n'y sens pas d'amour... Tu ris, n'est-ce pas ?


BENVOLIO. - Non, cousin : je pleurerais plutôt.


ROMÉO. - Bonne âme !... et de quoi ?


BENVOLIO. - De voir ta bonne âme si accablée.


ROMÉO. - Oui, tel est l'effet de la sympathie. La douleur ne pesait qu'à mon coeur, et tu veux l'étendre sous la pression de la tienne : cette affection que tu me montres ajoute une peine de plus à l'excès de mes peines. L'amour est une fumée de soupirs ; dégagé, c'est une flamme qui étincelle aux yeux des amants ; comprimé, c'est une mer qu'alimentent leurs larmes. Qu'est-ce encore ? La folle la plus raisonnable, une suffocante amertume, une vivifiante douceur !... Au revoir, mon cousin. (Il va pour sortir)
BENVOLIO. - Doucement, je vais vous accompagner : vous me faites injure en me quittant ainsi.


ROMÉO. - Bah ! Je me suis perdu moi-même ; je ne suis plus ici ; ce n'est pas Roméo que tu vois, il est ailleurs.


BENVOLIO. - Dites-moi sérieusement qui vous aimez.


ROMÉO. - Sérieusement ? Roméo ne peut le dire qu'avec des sanglots.


BENVOLIO. - Avec des sanglots ? Non ! Dites-le-moi sérieusement.


ROMÉO. - Dis donc à un malade de faire sérieusement son testament ! Ah ! Ta demande s'adresse mal à qui est si mal !

Sérieusement, cousin, j'aime une femme.


BENVOLIO. - En le devinant, j'avais touché juste.


ROMÉO. - Excellent tireur !... j'ajoute qu'elle est d'une éclatante beauté.


BENVOLIO. - Plus le but est éclatant, beau cousin, plus il est facile à atteindre.


ROMÉO. - Ce trait-là frappe à côté ; car elle est hors d'atteinte des flèches de Cupidon : elle a le caractère de Diane ; armée d'une chasteté à toute épreuve, elle vit à l'abri de l'arc enfantin de l'Amour ; elle ne se laisse pas assiéger en termes amoureux, elle se dérobe au choc des regards provocants et ferme son giron à l'or qui séduirait une sainte. Oh ! Elle est riche en beauté, misérable seulement en ce que ses beaux trésors doivent mourir avec elle !




Au pied de la scène, un petit bonhomme tressautait à chaque réplique et battait la mesure de ses bras, les yeux rivés sur les deux comédiens, grimaçant parfois, souriant souvent. Il semblait satisfait de ce qu’il voyait tout comme l’était Roberto, qui, fasciné, savourait la modernité du jeu de Terry. La justesse de son interprétation sublimait la richesse du texte, le dépoussiérait de trois siècles de tradition classique et apportait du relief au caractère contemporain des propos évoqués.

Terry avait dû croiser dans une autre vie le chemin de Shakespeare – se dit le majordome, tant il était convaincu qu’il n’avait jamais vu pareil Roméo de toute son existence. La scène se poursuivait, et le jeune héros continuait à s’épancher sur son triste sort, tout aussi misérable qu’un certain jeune homme désespéré qui, deux jours plus tôt, errait dans les rues de Venise…

BENVOLIO. - Elle a donc juré de vivre toujours chaste ?


ROMÉO. - Elle l'a juré, et cette réserve produit une perte immense. En affamant une telle beauté par ses rigueurs, elle en déshérite toute la postérité. Elle est trop belle, trop sage, trop sagement belle, car elle mérite le ciel en faisant mon désespoir. Elle a juré de n'aimer jamais, et ce serment me tue en me laissant vivre, puisque c'est un vivant qui te parle.


BENVOLIO. - Suis mon conseil : cesse de penser à elle.


ROMÉO. - Oh ! Apprends-moi comment je puis cesser de penser.


BENVOLIO. - En rendant la liberté à tes yeux : examine d'autres beautés.


ROMÉO. - Ce serait le moyen de rehausser encore ses grâces exquises. Les bienheureux masques qui baisent le front des belles ne servent, par leur noirceur, qu'à nous rappeler la blancheur qu'ils cachent. L'homme frappé de cécité ne saurait oublier le précieux trésor qu'il a perdu avec la vue.

Montre-moi la plus charmante maîtresse : que sera pour moi sa beauté, sinon une page où je pourrai lire le nom d'une beauté plus charmante encore ? Adieu : tu ne saurais m'apprendre à oublier


BENVOLIO. - J'achèterai ce secret-là, dussé-je mourir insolvable ! (Ils sortent.)


- Bravo ! Parfait ! – s’écria Sidney Wilde en applaudissant – Continuez ainsi les garçons et nous ferons un malheur demain soir !

Mais l’expression de contentement de son visage céda rapidement la place à de l’agacement quand il s’adressa à sa troupe, derrière lui.

- Capulet, Pâris, vous comptez prendre racine ? Vous croyez que la scène 2 va se jouer toute seule ? Allez, allez ! Bougez-vous un peu !!!

Les deux comédiens se levèrent en traînant des pieds. Mais alors que l’un des deux laissait échapper un bâillement qu’il dissimulait à peine, le metteur en scène explosa.

- Je vous avertis tous autant que vous êtes !!! Fini de traîner dans les gargotes jusqu’à pas d’heure !!! Le premier que je trouve ce soir dans un bar repartira à l’hôtel avec l’empreinte indélébile de ma chaussure sur son postérieur !!! Je vous veux en forme demain soir !!! C’est compris Christian, ou faut-il que je t’en fasse la démonstration dès à présent ???

Le jeune comédien qui incarnait Pâris opina frénétiquement du chef et se précipita sur la scène. En cette veille de représentation, Sidney n’était pas à prendre avec des pincettes. Il avait déjà failli renoncer, la mort dans l’âme, le jour où Simon, le coureur de jupons et accessoirement Roméo, s’était cassé la jambe. Ce n’était donc pas le moment de faire tout échouer si près du but. Jouer à Vérone signifiait beaucoup pour lui. Cela symbolisait sa réussite après toutes les années de vaches maigres qu’il avait dû traverser, et il n’allait laisser personne lui gâcher ce grand moment. Mais l’intervention intempestive d’un inconnu remit en doute toutes ses certitudes…

- Veuillez excuser cette intrusion, messieurs-dames, mais… - l’interrompit le majordome, en levant un index embarrassé.
- Qu’est-ce que c’est ?… - grogna entre ses dents, le metteur en scène.
- Roberto ??? – s’écria Terry, incrédule, en l’apercevant – Mais que faites-vous ici ???

Le jeune homme sauta de l’estrade et marcha droit vers le majordome, main tendue.

- Comment m’avez-vous retrouvé ? – demanda-t-il plus discrètement en lui serrant chaleureusement la main.
- C’est une sacrée histoire, monsieur… - répondit le majordome en roulant des yeux – Vous n’imaginez pas combien je suis soulagé de vous avoir devant moi !!!
- Voyons, mon ami, il ne fallait pas vous inquiéter ! Je suis un grand garçon, et comme vous pouvez le constater, je vais bien…
- Détrompez-vous, monsieur, là n’est pas la raison de ma venue ici…
- Quelle est-elle alors ?

Le majordome l’attira un peu plus à l’écart, et lui dit d’une voix presque inaudible.

- Je pense que vous devriez vous asseoir, monsieur, car ce que j’ai à vous dire risque de vous ébranler fortement…
- Vous m’inquiétez, Roberto !
- Permettez-moi d’insister, monsieur… S’il vous plait, asseyez-vous…

Terry esquissa une moue de contrariété et s’exécuta. Il prit place sur un des gradins de pierres, le bras posé nonchalamment sur sa jambe qu’il avait repliée sur le côté, et leva des yeux perplexes vers le domestique.

- Rassurez-moi, cela ne concerne pas le comte Contarini. Il va bien ???
- Le mieux du monde, monsieur ! En fait, je tenais à vous faire part d’une information de la plus haute importance qui est en rapport avec cette « demoiselle »…

Le jeune homme écarquilla les yeux et sentit son corps s’enfoncer dans le marbre.

- Pardon ??? – fit-il en déglutissant avec peine.
- Oui, cette demoiselle, celle…

Terry balaya le propos d’un geste vif.

- Je vois très bien de qui vous parlez, Roberto ! Il lui est arrivé malheur ???
- Que nenni, monsieur, tranquillisez-vous ! – répliqua le majordome en faisant de grands signes de la main – Elle reste néanmoins la raison pour laquelle je suis ici !
- Je ne comprends pas, je ne comprends rien à ce que vous dîtes !...
- Monsieur… Cette demoiselle…
- Et bien ???
- Elle n’est pas mariée, elle ne l’a jamais été ! C’était un coup monté !!!

Terry comprenait à présent pourquoi le majordome avait tant insisté pour qu’il s’assoie. Livide, il bredouilla :

- Un coup monté ???

Le domestique acquiesça. Il s’assit à côté de Terry qui restait muet, paralysé par ce qu’il venait d’apprendre, et se lança dans un long monologue explicatif. Il lui relata la farouche volonté du comte Contarini à lui venir en aide, jusqu’à solliciter l’armée pour entrer plus rapidement en contact avec la famille André. Les communications téléphoniques transatlantiques n’étaient que balbutiantes à cette époque, et le télégraphe restait encore le moyen le plus sûr et le plus rapide. C’est ainsi qu’après plusieurs échanges de télégrammes, ils avaient appris que mademoiselle Candice Neige André n’était point mariée, qu’elle voyageait avec une amie, Patricia O’Brien, et que la personne à l’origine de ces rumeurs infondées, secondée par une crapule de journaliste, avait pour identité une certaine Elisa Legrand-Withmore…

- Elisa… - murmura Terry, le poing serré et tremblant de rage – Encore elle !!! Comment ai-je pu être aussi stupide et tomber aussi facilement dans son piège ?
- Il semblerait qu’elle connaisse très bien vos faiblesses, monsieur. Mais elle a aussi joué de beaucoup de chance…
- Ce dont j’ai toujours manqué… - rétorqua-t-il avec amertume. Puis se ressaisissant, il demanda – Où est-elle à présent ??? Où est Candy ???
- Je l’ignore encore, monsieur…

Terry se leva d’un bond.

- Plait-il ???
- Mais nous le saurons très vite – s’empressa d’ajouter le majordome – Il suffit de rendre visite à mademoiselle O’Brien, ici, à l’hôpital…
- A l’hôpital ???
- En effet monsieur… Elles étaient en route pour Venise quand mademoiselle O’Brien a eu une crise d’appendicite. Comme Vérone était la ville la plus proche, elle a été opérée ici.
- Elles sont ici ! Candy est ici !!! – ne cessait de répéter Terry en se passant la main dans les cheveux.
- Je puis même ajouter qu’elle est là depuis quelques jours déjà et qu’elle n’a jamais mis les pieds à Venise…
- Cet hôpital, vous savez où il se trouve ???
- Non, mais le taxi qui m’attend dehors saura nous y conduire…
- Alors ne perdons pas de temps !!! fit-il en se tournant vers Sidney pour s’assurer de son approbation. Ce dernier le regardait, immobile et bouché bée. Il avait tout entendu et il savait très bien que Terry se passerait de son autorisation de toute façon. Il laissa tomber ses bras en signe de résignation tandis que le jeune anglais lui promettait en s’éloignant de revenir au plus vite.
- Ne crains rien, Sid, je serai là pour la première, je te le promets !!!

Le metteur en scène soupira de dépit. Il n’avait pas plus tôt trouvé un nouveau Roméo que celui-ci disparaissait dans la nature ! Il ne pouvait malheureusement pas le lui reprocher, lui qui lui avait ordonné la veille de se reprendre et d’agir pour reconquérir sa bien-aimée. Il avait manifestement écouté ses conseils…

Bien décidé à ne pas se laisser abattre, il se tourna vers la troupe et hurla :

- Qu’on m’amène Simon !!! Sur un brancard, sur une chaise roulante peu importe, mais je le veux sur scène dans dix minutes !!! Et s’il rechigne, prévenez-le qu’il rentrera en Angleterre, non pas avec une jambe cassée, mais plâtré comme une momie !!! Et que ça saute !

Fin de la quatrième partie du chapitre 10



Edited by Leia - 19/5/2013, 07:17
 
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