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Lettres à Juliette, (sans rapport avec une autre fanfic du nom de "les lettres à Juliette"...)

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Leia
view post Posted on 23/11/2013, 16:10 by: Leia
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Chapitre 13




Ce fut tout d'abord un chahut de tous les diables que Candy entendit en approchant de la loge des artistes. Elle tressaillit. Un essaim de jeunes filles hystériques bloquait l'entrée, scandant en rythme le prénom de Terry. L'employé du théâtre qui l'avait guidée jusqu'ici ne se laissa pas intimider, et bombant le torse, s'engagea vers l'attroupement, forçant le passage de son imposante stature.

- Pardon mesdemoiselles, excusez-nous. Pardon…

Candy se tenait derrière lui, la tête baissée pour éviter le regard haineux des groupies qui soupçonnaient en elle une rivale de taille. L'homme toqua plusieurs fois à la porte, laquelle finit par s'entrouvrir sur Sidney Wilde, qui, apercevant Candy, l'invita à entrer d'un geste vif. Elle s'engouffra dans l'ouverture sous les cris indignés de la meute d'admiratrices et sentit la porte claquer dans son dos.

- Mes hommages, mademoiselle André ! – s'écria le metteur en scène en serrant vigoureusement les mains de la jeune femme, l'euphorie qui l'habitait lui faisant oublier le baisemain de rigueur – Je vous confie Terrence pendant que je tente de calmer cette bande d'excitées.

Il riait, les yeux plissés de satisfaction.

- Je crois qu'elles vont me donner du fil à retordre mais je ne vais pas m'en plaindre. Je n'avais pas connu cela depuis bien des années, et si ce doit être la rançon du succès, je suis tout disposé à m'y soumettre. Le corps à corps dans ce genre de contexte ne m'a jamais effrayé…. – ajouta-t-il avec un mouvement suggestif des sourcils.

Il mit de l'ordre dans ses cheveux puis, faisant mine de prendre une forte inspiration, il ouvrit la porte. Des cris perçants fouettèrent son visage dès qu'il apparut sur le seuil, suivis rapidement par des grommellements de déception qui firent sourire Candy. Un peu à l'écart, à l'abri des curieuses, elle l'observait, s'évertuant à repousser les opiniâtres intruses.

- Voyons mesdemoiselles, du calme ! Monsieur Graham viendra signer quelques autographes dans un petit moment. Soyez un peu patientes, je vous en prie !…

La porte en se refermant, étouffa ses dernières paroles. On distinguait encore quelques murmures en provenance de l'extérieur mais rien de comparable à la surexcitation à laquelle elle venait d'assister. Sidney Wilde semblait avoir repris le contrôle, mais pour combien de temps ?...

Serrant un peu plus fort la pochette qu'elle tenait d'une main fébrile, elle balaya du regard la pièce qui s'étendait en longueur sur une bonne vingtaine de mètres. Toute la troupe était là, occupée à se déshabiller et à se démaquiller, riant et chantonnant, tandis qu'un assistant, muni d'un chariot, se faufilait péniblement parmi eux pour récupérer les costumes éparpillés par terre et les mener ensuite au nettoyage. Une atmosphère de fête régnait dans la loge. Les tensions avaient laissé place au relâchement, encouragé par le champagne et les petits fours que le directeur des arènes leur avait offerts pour célébrer le succès de la soirée. En équilibre sur la pointe des pieds, cou tendu, Candy se mit à scruter chaque recoin de la pièce à la recherche de Terry, laquelle semblait étrangement vide de sa présence. Déconcertée, elle se demanda si elle avait bien compris ce que lui avait dit le metteur en scène.

- Terry ? – fit-elle d'une voix inquiète, en avançant de quelques pas.
- Je suis là, Candy – lui répondit une voix masculine dissimulée par le paravent qui jouxtait la cloison derrière elle – Je finis de me changer…
- C'est bien dommage… - se dit-elle en faisant la moue – Je t'aimais bien dans ton costume de Roméo…

Le jeune homme surgit de derrière le panneau, vêtu de ses vêtements de ville : pull torsadé bleu clair en coton léger, pantalon en flanelle blanc et une paire de richelieu bicolore aux pieds. Une tenue chic mais qui restait confortable. Candy appréciait particulièrement cette couleur bleu pâle qui mettait en valeur son teint et l'éclat de ses yeux que des résidus de khol soulignaient. Il était vraiment d'une beauté bouleversante et elle frissonna d'émotion.

Un sourire amusé se dessina sur son visage à lui.

- Quoi ? – demanda-t-il en gloussant.
- Quoi donc ? – répondit-elle sans comprendre.
- Eh bien, je ne sais pas. Je trouve que tu me regardes d'une drôle de façon…

Démasquée, Candy se paralysa et bredouilla en rougissant.

- Je… Je me disais que… que tu m'avais vraiment impressionnée par ta prestation !
- Merci ! – fit-il, son sourire s'élargissant de malice – Mais certainement pas autant que la tienne quand tu es apparue dans l'enceinte…
- Tu… Tu m'as vue ?
- Aaaah Candy ! – ricana-t-il, en secouant négativement la tête – Il ne fallait pas revêtir cette robe si tu voulais passer inaperçue !

Le visage de Candy s'empourpra de plus belle.

J'étais caché derrière le rideau, occupé à observer l'assistance quand je t'ai vue telle une rose dans un champ de fleurs, majestueuse, prenant place dans ce carré où chaque homme te dévorait des yeux. J'aurais voulu me précipiter vers toi et tancer chacun d'eux pour t'avoir injuriée de leur convoitise, mais je devais me résoudre à rester à ma place et me contenter de te contempler de loin. Je distinguais ton visage crispé d'appréhension, d'inquiétude, semblable à celle que je ressentais. J'avais joué des centaines de fois Roméo et Juliette, et pourtant, à ce moment là, j'éprouvais l'angoisse des débutants, car j'allais me présenter à toi, et il n'y avait pas plus déterminant jugement que le tien. Plus tard, emporté dans la tempête, je me réconfortais de ta présence, si aisément identifiable au pourpre flamboyant que tu arborais, dont je bénis le choix, à présent que tu te tiens devant moi, si belle que je ne trouve plus les mots pour décrire l'émoi que tu fais grandir en moi.

- Tu es sublime, Candy. Cette robe te va merveilleusement bien – finit-il par dire sur un ton admiratif qui dissimulait péniblement son émotion – mais…

Le sang de Candy se figea.

- Mais ??? – demanda-t-elle, déglutissant avec peine.
- Mais il est regrettable que tu aies à l'enlever, car là où je t'emmène, elle ne pourrait que te gêner…

Disant ces mots, il sortit de derrière le paravent un costume de page et des bottines qu'il lui tendit fièrement.

- Je n'ai trouvé que cela qui soit à ta taille et qui soit suffisamment confortable pour ce que nous allons faire…

Mais devant le regard étonné mêlé d'incompréhension qu'elle lui adressait, il renchérit, un sourire mystérieux sur les lèvres :

- Fais-moi confiance…

A ce moment là, surgit Sidney Wilde, lequel, repoussant avec effort la porte, s'écria :

- Terry, je t'en supplie ! Viens signer ces autographes, qu'on en finisse !!!!
- J'arrive ! – soupira le jeune homme en levant les yeux au ciel. Puis, se penchant vers Candy, il lui chuchota à l'oreille :
- Change-toi pendant ce temps. Je reviens au plus vite !

Il déposa un tendre baiser sur son front et se pressa de rejoindre le directeur de la troupe. Les cris hystériques qu'elle entendit en retour la firent sursauter et elle courut se réfugier derrière le paravent. Elle posa les yeux d'un air perplexe sur le costume et se demanda ce que Terry avait dans la tête. Le "fais-moi confiance" qu'il avait prononcé plus tôt ne la mettait pas vraiment à l'aise… Tout ceci semait le désordre dans son esprit et la laissait dubitative. Mais la curiosité l'emporta finalement sur ses doutes et elle s'exécuta.

Quand Terry revint, Candy s'était changée. Debout devant la table de maquillage, elle lui tournait le dos, occupée à manipuler des flacons, fards et autres onguents avec lesquels il s'était grimé pour le spectacle. Le nez plongé dans une boite de poudre, elle leva la tête en éternuant, un nuage de poudre se répandant tout autour d'elle. Devant la cocasserie de la scène, il laissa échapper un petit rire. Candy n'imaginait pas combien ses maladresses la rendaient irrésistible ! Il l'adorait quand elle était comme cela : naturelle, spontanée. C'étaient ces "imperfections", que certains bien-pensants lui avaient autrefois reprochées, qui faisaient tout son charme et il ne souhaitait pas que cela change. Oh, dieu qu'il l'aimait !...

Candy ?... - fit-il d'une voix émue.

Elle se retourna et il resta quelques secondes interdit. Le souvenir d'un moment inoubliable de sa jeunesse venait de renaître en lui, celui du festival de mai à Saint-Paul. Souvenir, qui, par éclats, lui renvoyait les images de ce jeune garçon déguisé en Roméo, qui s'était introduit dans la fête et dont le regard espiègle sous son masque de velours avait attiré son attention. A son allure féline, sa souplesse dans les gestes et ses yeux insolents qui le dévisageaient, il l'avait finalement reconnue et en avait conclu que l'on ne pouvait que tomber éperdument amoureux d'une fille comme elle qui osait tout et qui se délectait de ses imprudences. Cette fille se tenait à présent devant lui, dans un costume similaire, mais le regard insolent de ses souvenirs avait revêtu des allures de reproches qui le déconcertèrent.

- On dirait que tu reviens d'un champ de bataille !... – marmonna-t-elle les bras croisés, en pointant du menton les cheveux ébouriffés du jeune homme et son pull tiraillé.
- Ma foi… - gloussa-t-il en se frottant la nuque d'embarras – Tu n'as pas tort. Les Véronaises ont une façon particulière de manifester leur contentement…
- Apparemment, elles ont aussi le contact facile… - grommela-t-elle en essuyant avec son pouce les traces suspectes de rouge à lèvres sur sa joue.

Il se débattit, l'œil narquois.

- Ce n'est pas ma faute, madame la juge, j'ai été attaqué par surprise !...

Mais devant son air sévère qui persistait, il s'empara de sa main et la porta à ses lèvres.

- Cela ne te va pas du tout d'être jalouse… - murmura-t-il en déposant un langoureux baiser sur la pulpe de ses doigts.

Elle voulut lutter en retirant sa main mais ne put empêcher une grimace attendrie s'esquisser sur son joli visage.

- Je ne suis pas jalouse, voyons ! – fit-elle en haussant les épaules.
- Dommage… - répondit-il d'un air faussement déçu.

Désarmée, Candy laissa échapper un petit rire et lui renvoya un regard plein d'adoration.

- Je suis vaincue… - admit-elle, en battant des cils.
- Tu auras ta revanche !... – dit-il en lui embrassant une nouvelle fois la main.
- Dès que possible, j'espère !... – répondit-elle avec un sourire carnassier.
- Inutile de fanfaronner. Tu sais que je suis une proie facile quand il s'agit de toi…
- Cela reste à prouver !... – s'enhardit-elle en rougissant alors qu'il n'avait toujours pas descellé ses lèvres de ses doigts.
- Dans ce cas, suis-moi ! – s'écria-t-il en l'entraînant vers l'autre bout de la pièce, tout en faisant mine, sourire entendu aux lèvres et yeux mi-clos, de ne pas remarquer les sifflements et autres commentaires railleurs de ses camarades sur leur passage. Il écarta un panneau de décor et poussa une porte qui donnait sur un escalier particulièrement sombre – Cela conduit sous les Arènes et permet de sortir discrètement par une rue adjacente. Cela ne te fait pas peur au moins ?

Un sourire de défi se creusa sur les lèvres de Candy, laquelle, en réponse à ladite provocation, s'empara d'une torche électrique qui était accrochée au mur et appuya sur l'interrupteur. La lumière jaune éclairait faiblement les premières marches pour s'évanouir profondément dans les ténèbres. La jeune américaine frissonna mais désireuse de ne rien laisser paraître, s'enfonça dignement dans l'obscurité sous le regard admiratif de Terry.

- Fichtre, quel cran ! Elle m'a bien eu ! – se dit-il tout en se hâtant de la suivre pour ne pas la perdre de vue.

L'escalier s'arrêtait sur un long couloir étroit et humide que la lumière de la lampe pénétrait avec toujours autant de difficulté. Tenant fermement la main de Terry, Candy avança, sursautant à plusieurs reprises au passage de rongeurs que les effets d'ombres et de lumières sur les parois rendaient monstrueux, et dut se mordre la lèvre pour ne pas hurler. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine et ce fut avec un grand soupir de soulagement qu'elle aperçut un nouvel escalier qui menait à la sortie. Au fur et à mesure de leur progression, les bruits de la rue se firent de plus en plus audibles et lorsqu'elle tira d'une main nerveuse sur le loquet de la porte, l'air extérieur qui s'engouffra par l'ouverture fut accueilli comme une délivrance. Candy sortit, tremblante, dans la rue. Ce petit intermède de terreur l'avait passablement secouée. Elle détestait ce genre d'endroits sinistres surtout depuis l'épisode traumatisant du bal des André à Lakewood, au cours duquel Elisa et Daniel l'avaient enfermée au grenier. Elle se rappelait sans aucune difficulté la peur effroyable qu'elle avait éprouvée et avait toujours évité depuis ce soir là de se retrouver dans ce type de situation. Elle se tourna vers Terry, dont le visage blême reprenait peu à peu des couleurs et elle sourit de satisfaction.

Elle n'était pas la seule à avoir eu la frousse…

Piqué au vif par son air goguenard, il plissa les yeux avec un petit rire sarcastique, se saisit de sa main et l'entraina sans autre explication à sa suite. Le souterrain qu'ils avaient emprunté débouchait sur la rue Fratini, juste à côté de l'église San Nicolo, dont les cloches sonnèrent au même moment, les douze coups de minuit. Malgré l'heure tardive, il y avait encore beaucoup de monde dans la ville. Les terrasses de restaurants et de cafés étaient bondées, certainement de spectateurs des arènes affamés.

A l'ombre des murs, les deux amoureux remontèrent discrètement quelques pâtés de maisons pour aboutir sur la piazza Erbe, et plus précisément devant la tour médiévale Lamberti. Ils la contournèrent pour se poster devant une porte ouvragée qui semblait tout aussi ancienne que l'édifice. Terry fouilla dans la poche de son pantalon et en retira une clé longue et rouillée qu'il inséra dans la serrure.

- Cette tour m'intriguait depuis tout à l'heure… - expliqua-t-il en remarquant la mine interrogative de Candy – J'ai eu l'occasion d'évoquer le sujet au directeur des arènes cet après-midi. Il s'avère qu'il est un ami du responsable des bâtiments historiques…

Candy opina du chef, ses yeux se promenant avec curiosité sur les vieilles pierres. La porte grinça en s'ouvrant et les deux jeunes gens se faufilèrent à l'intérieur. Terry ralluma la lampe torche et la pointa vers les hauteurs. La jeune blonde leva la tête et découvrit au-dessus d'elle, les reliefs fantomatiques d'un escalier qui montait en spirale sur des dizaines de mètres jusqu'à se perdre dans la nuit.

- Quatre-vingt quatre mètres… - gémit-elle en se remémorant le contenu du livre sur Vérone qu'elle avait offert à Patty - Tu… Tu veux que nous montions tout là-haut ???
- Il paraît que la vue est splendide ! – répondit Terry en hochant joyeusement la tête.
- Plus de trois cent soixante marches… - poursuivit-elle, consternée.
- Tu comprends maintenant pourquoi tu ne pouvais pas garder ta jolie robe ?

Elle émit un couinement qui se voulait affirmatif et soupira de résignation.

- Allez, montons ! – lui dit-il en lui tendant la main – Je suis sûr que tu me remercieras quand nous serons en haut !…

Candy eut en retour une moue dubitative, mais vaincue par la sincérité de son enthousiasme, elle acquiesça et se laissa guider dans leur ascension. Durant la montée, sans pause aucune, ils passèrent devant une grande horloge qui datait du 18ème siècle, puis trois cloches qui servaient à sonner les heures et à alerter la population en cas d'incendie. Tout en haut, dans son abri de forme octogonale, logeait la plus grosse, du nom de Rengo, qui était autrefois utilisée pour convoquer les réunions du conseil municipal ou pour faire appel aux citoyens pour défendre la cité. Essoufflée par la montée, Candy desserra les premiers liens de son corsage pour dégager sa gorge et s'approcha du garde-corps. Percé de huit ouvertures, le beffroi offrait une vue panoramique sur la ville. De ce poste d'observation, le plus haut de la ville, on pouvait laisser errer son regard sur le damier de toits et de terrasses duquel émergeait par endroits un clocher d'église, sa flèche s'élançant fièrement dans la nuit claire et transparente inondée de la clarté de la lune. Par delà ces murs de briques, on apercevait les eaux ondoyantes du fleuve Adige, qui, en un ruban chatoyant, serpentait entre les ponts de pierre. Terry ne lui avait pas menti. C'était féérique !

Adossée de profil à un des piliers, Candy ferma les yeux. Le bruissement de voix et de musiques provenant de la piazza Erbe laissait deviner une effervescence nocturne qui contrastait avec le silence profond qui régnait dans la tour. Elle devinait Terry, tout proche, qui l'observait. Le cœur au galop, son sang se mit à bourdonner à ses oreilles. Ils étaient seuls, sans personne autour d'eux. Enfin !… C'était un moment qu'elle avait bien souvent espéré vivre, dont elle avait fait l'expérience parfois en rêve, mais qui à présent, alors qu'il devenait réalité, faisait naître en elle un étrange sentiment de confusion qui lui faisait perdre toute assurance. Elle se sentait si gauche et avait si peur de briser le charme en se tournant vers lui qu'elle préféra fixer bêtement l'horizon tandis qu'il s'approchait d'elle et venait s'appuyer contre le pilier qui lui faisait face.

Elle était si belle !

Sa peau d'albâtre brillait d'un éclat irisé sous la lumière blanche de la lune. On aurait dit qu'on avait brodé des fils d’argent d'argent dans ses cheveux. L'étroitesse de son costume soulignait les formes graciles de son joli corps et plus particulièrement ses jambes qu'un collant de couleur sombre révélait fines et galbées. La ravissante adolescente de Saint-Paul s'était muée en une femme au charme irrésistible qui le bouleversait, le pénétrant d'un attendrissement délicieux. Elle tourna enfin la tête vers lui et lui sourit, timidement, ne soupçonnant point la sensualité troublante qui émanait d’elle. Devant cette savoureuse vision, un flot de pensées inavouables l’égara un instant et il tressaillit devant la fertilité de son imagination. Il dévia son regard vers le ciel étoilé pour cacher son embarras, et de ses lèvres frémissantes, s’échappa sa voix tendre et profonde :

Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse;
Ainsi qu'une beauté, sur de nombreux coussins,
Qui d'une main distraite et légère caresse
Avant de s'endormir le contour de ses seins,

Sur le dos satiné des molles avalanches,
Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,
Et promène ses yeux sur les visions blanches
Qui montent dans l'azur comme des floraisons.

Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,
Elle laisse filer une larme furtive,
Un poète pieux, ennemi du sommeil,

Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés comme un fragment d'opale,
Et la met dans son cœur loin des yeux du soleil.



- C'est magnifique, Terry ! – bredouilla Candy d'une voix émue - De qui est-ce ?
- C’est un poète français du nom de Baudelaire. Il a baptisé ce poème « Tristesses de la lune ».
- Tristesse ? Je ne vois pas de tristesse dans cela mais seulement de la beauté ! Ce poème est merveilleux, Terry, mais déclamé par toi, il se transforme en une ensorcelante mélodie. Je voudrais savoir comment… comment te vient cette aisance ? Cela a toujours été un mystère pour moi qui suis incapable de prononcer une ligne sans avoir l’air empotée et ridicule. Je t’en prie ! Quel est ton secret ?

Le jeune homme appuya sa tête en arrière contre le pilier de la vieille tour et promena son regard dans le ciel nocturne en soupirant.

- Je ne sais pas d’où me vient cette facilité à jouer, mais je rends grâce à Dieu chaque jour de m’avoir donné cette disposition. C’est quelque chose que je ne peux expliquer, qui fait partie de moi. Quand je lis un texte, les sons qui en émanent s’emparent de moi et une force irrésistible me saisit. C’est comme si la scène se déroulait sous mes yeux et que je me changeais en cette personne. Ces mots deviennent les miens sans que je m’en rende compte. Cela pourrait paraître prétentieux à certains alors que je n’ai pas vraiment suivi de cours de théâtre, mais je ne suis jamais autant meilleur que lorsque je ne réfléchis pas à mon jeu. Je me laisse simplement aller, emporter par la richesse du texte. C’est comme une libération. Oui… Je ressens un vrai sentiment de liberté !

Candy, la tête légèrement inclinée sur le côté, l’écoutait en silence, à la fois attentive et interrogative. Il baissa des yeux pénétrants vers elle et elle frissonna d’émotion. Elle se demanda si elle pourrait un jour s’habituer à ne plus être autant bouleversée à chaque fois qu’il la regardait. Son cœur se mit à battre plus vite tandis que tous ses membres s’engourdissaient, si bien qu’un simple souffle de vent aurait pu la faire basculer. Mais le voile obscur qu’elle vit soudain ternir l’éclat de ses iris aigue-marine la soutira immédiatement de ses rêveries.

- Tu sais, chaque soir, j’attendais avec impatience d’être sur scène… - reprit-il. (Il secoua la tête et sa voix se fit chancelante.) - … J’étais impatient car c’était la seule chose qui me donnait encore l’impression d’exister. Pendant quelques heures, j’oubliais, j’oubliais que tu n’étais plus là et que je t’avais perdue à jamais. Mais dès que les lumières s’éteignaient, je replongeais dans ce néant qui résumait ma vie…

Les yeux de Candy commencèrent à se troubler de larmes et cela n’échappa pas à Terry qui s'avança vers elle et posa une main affectueuse sur sa joue. Elle perçut un frémissement de sa pomme d’Adam qui témoignait de l’émotion qui le saisissait à son tour. Mais c’est un regard serein qu’il lui adressa cette fois.

- Le théâtre m’a sauvé la vie mais toi, Candy, tu as sauvé mon âme ! J’errais sans but, ouvrant avec indifférence mes yeux chaque jour et les refermant sans plus d’enthousiasme chaque soir. Je n’ai aucun souvenir de cette période si ce n’est une sensation de vide absolu que rien ne pouvait combler. Et puis, tu m’es réapparue, Candy, et tout m’a semblé si simple alors ! Tout ce qui m’entourait retrouvait du sens, des couleurs, des odeurs ! J’avais l’impression de me réveiller d’un long sommeil, et j’ai su que… que je ne pourrais plus jamais supporter de vivre sans toi… Oh Candy, si je devais te perdre une nouvelle fois, je ne sais pas si je pourrais surv…. Je…. Si je te perdais, je…
- Cela ne se produira pas !… - l’interrompit-elle en posant son index sur les lèvres tremblotantes du jeune homme – Jamais !!!

Elle esquissa un sourire qui se voulait réconfortant et rassurant en le fixant de son regard émeraude. Il opina légèrement des paupières. Il lui semblait qu’il pouvait lire dans ses pensées, qu’il devinait tout ce qu’elle voulait lui dire.

« Cela ne se produira pas car rien ne pourra plus jamais me séparer de toi. Plus rien ne peut nous atteindre désormais ! J’en fais le serment sur ce que j’ai de plus cher en ce monde. Non, crois-moi, Terry, je me défendrai farouchement pour que plus rien ne m’éloigne de toi ! »

Bouleversée par la vague d’amour qui la submergeait, elle ne put retenir une larme qui vint rouler sur sa joue puis sur la main de Terry qui la caressait. Sa main à elle rejoignit la sienne et elle la pressa contre son visage pour mieux sentir le doux contact de sa paume contre sa joue. Ils restèrent ainsi un moment, yeux plongés l’un dans l’autre, sans rien dire, avec pour tout écho le rythme paisible de leur respiration. Mais peu à peu, le regard de Terry se mit à briller d'une lueur qui la troubla en retour. La main qu'il avait posée sur sa joue s’écarta et descendit effleurer le creux de sa gorge. Son cœur se mit à battre plus vite tandis qu’elle sentait ses longs doigts poursuivre leur chemin vers la naissance de sa poitrine que son pourpoint dénoué recouvrait. De sa main, elle guida timidement son poignet à lui, ses pommettes rosissant de sa propre audace, et ferma les yeux. Elle sentit comme un vol de papillons tourbillonner dans son ventre avec vigueur et elle eut un hoquet de stupéfaction. Terry se tenait à présent tout contre elle et elle pouvait sentir son souffle caresser ses cheveux et venir effleurer son visage. Ses mains à lui se retirèrent pour venir se poser autour de sa taille. Il l'enlaça puissamment. Sa tête à elle partit en arrière et son regard croisa les lèvres entrouvertes du jeune homme qui se rapprochaient tout doucement. Dans un sursaut ultime, elle s'enhardit et partit à leur rencontre, se scellant aux siennes par fines touches au début, puis avec impatience. Soudain, il recula. La couleur de ses yeux avait changé et elle se réjouit de la tempête qui s'y déchaînait. L'air dans la tour crépitait d'électricité, tel un orage prêt à éclater...

D'un mouvement vif, il la plaqua au pilier contre lequel elle se tenait, s'empara de ses mains et les releva au-dessus de sa tête. Sa jambe vint se placer entre les siennes, lui empêchant tout mouvement. Les yeux écarquillés, elle chercha à reprendre sa respiration. Son cœur battait si fort !!!

- Tu as ta revanche... - l'entendit-elle chuchoter à son oreille et elle frissonna d'émerveillement.

Les lèvres belles et pleines de Terry retrouvèrent alors leur chemin vers les siennes, mais cette fois avides et mordantes, joueuses et conquérantes. Elle sentit sa langue fraîche venir à la rencontre de la sienne, exploratrice, se nouant à la sienne puis se dénouant, et elle étouffa un gémissement. C’était pour elle encore une impression étrange, déconcertante, qui éveillait néanmoins en elle des sensations inconnues, qu’elle devinait délicieusement indécentes et qui l’étourdissaient.

- Il m'embrasse ! Terry m'embrasse ! – se dit-elle en s'arquant de plus belle pour mieux accueillir ses baisers.

Elle éprouvait un plaisir intense à goûter à une part plus intime de lui. Elle aimait la saveur de ses lèvres humides et tièdes qui palpitaient sur les siennes, le contact rêche de sa mâchoire contre sa peau qui laissait deviner une barbe naissante, excitant avec d'autant plus de vivacité la faim qu'elle avait de lui. Avec une délicieuse et excitante impudeur, elle se gorgeait de la sensuelle mélodie de leurs plaintes étouffées, de leur voix devenues sourdes prononçant des paroles qui se perdaient sous la frénésie de leur respiration.

Ce fut à ce moment là que la perfide cloche de la tour vint les soutirer une fraction de seconde à leur fougueuse occupation en sonnant la demie de minuit.

Terry s'écarta légèrement de Candy pour mieux la contempler et découvrit avec jouissance ses yeux brillants de fièvre.

"Je t'en prie, ne t'arrête pas !" – semblait-elle réclamer.

Elle eut un mouvement vers lui, et soupira de soulagement quand elle vit son visage se pencher de nouveau vers le sien pour l'embrasser. Il s'empara goulument de ses lèvres, les léchant et les mordillant, jusqu'à percevoir, avec un sourire triomphant, le son enchanteur de ses gémissements qui s'échappaient de sa gorge. Au frottement lascif de leurs vêtements l'un contre l'autre, il ne pouvait plus dissimuler la passion qui le possédait. Troublée, elle sentit alors monter en elle une chaleur intense, violemment délicieuse, grisante qui se répandait dans son corps et voulut l'attirer ardemment contre elle, mais ne put que constater son impuissance. Prisonnière de ses caresses qui glissaient impétueusement le long de son cou, de son dos, de ses hanches, elle se mit à se débattre, à gesticuler furieusement, renouvelant avec une rage grandissante ses tentatives pour libérer ses mains de son emprise et pouvoir le toucher à son tour, enrouler ses bras autour de sa nuque, emmêler ses doigts dans ses cheveux, sentir frémir sa peau qu'elle devinait douce, si douce !... Parvenant enfin à se libérer, elle saisit son visage à deux mains et se colla à lui dans un baiser fougueux, plaintif, sa langue en quête d'un nouvel échange, d'un affrontement qu'elle voulait intense, déterminée à rendre chaque coup. Les yeux mi-clos, un sourire imperceptible sur les lèvres, à la manière d'un matou hésitant sur le sort de sa proie, il l'enlaça en gémissant, répondant à ses baisers avec la même exigence. Livrée sans réserve à ses assauts, elle sentit ses muscles se crisper dans une exquise douleur qui prenait possession de tout son être, envahissant chaque terminaison nerveuse de son corps, jusqu'à ce qu'elle laissât échapper un cri qu'il bâillonna de ses lèvres, la laissant soupirante dans sa bouche...

C'est alors qu'il s’interrompit. La respiration affolée, elle leva des yeux interrogatifs vers lui. Il se dégagea d’elle et posa ses bras crispés en arc-de-cercle au-dessus d’elle. Le souffle court, il appuya son front contre le sien, cherchant à reprendre le contrôle sur lui-même.

- Je crois qu’il serait préférable de te raccompagner à la pension – murmura-t-il d’une voix rauque - Je m’en voudrais trop que mon manque de retenue porte atteinte à ta respectabilité. Candy, tu fais naître en moi des sentiments que je n’aurais jamais cru être capable de ressentir, et j’ai bien peur de perdre toute maîtrise si nous poursuivons ce que nous étions en train de faire…

Les joues en feu, la jeune femme acquiesça à regret.

- Si cela peut te rassurer, Terry – murmura-t-elle, écarlate – J'en avais envie autant que toi…

Il se redressa et un sourire complice éclaira son visage. Stupéfaite par l'audace de ses propres paroles, elle courut se cacher au creux de ses bras. Lovée contre lui, son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine et manqua d'exploser quand il referma son étreinte sur elle.

- Rien ne nous interdit de rester ainsi, n’est-ce pas ? – demanda-t-elle, en enfouissant de plus belle sa tête dans sa poitrine.

Terry opina du chef, ravi de cette initiative.

- Alors, laisse-moi te serrer contre moi ! – fit-elle en l’enlaçant plus fort contre elle – Laisse-moi me remplir de la chaleur de ton corps, des battements de ton cœur ! J’ai tant rêvé de ce moment là, Terry, que je voudrais qu’il dure le plus longtemps possible ! J’ai trop peur de me réveiller et de…

De l’index, il releva son menton et l’obligea à le regarder. Eblouie par les traits séraphiques de son magnifique visage qui frémissaient d’émoi sous la lumière bleutée du clair de lune, elle crut, un instant, qu’elle allait de nouveau sombrer devant tant de perfection.

- Peu importe, ma douce, du moment où nous faisons le même rêve… - répondit-il d’une voix caressante et rassurante - Peu importe puisque nous ne nous quitterons plus…

Tressaillant de contentement, elle sentit qu’il l'attirait à lui, sa main plongeant dans ses boucles dorées. Elle ferma les yeux au doux contact de sa paume contre sa nuque et s’emplit les narines de l’odeur de sa peau. Leurs corps blottis l’un contre l’autre, ils restèrent longtemps ainsi sans bouger, écoutant leur respiration reprendre un rythme régulier jusqu'à ce que la grosse horloge tintât la première heure du jour, témoin ému de leur amour.

Fin de la première partie du chapitre 13



Edited by Leia - 29/11/2013, 11:41
 
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