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Lettres à Juliette, (sans rapport avec une autre fanfic du nom de "les lettres à Juliette"...)

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Leia
view post Posted on 13/9/2017, 17:40 by: Leia
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Chapitre 19



Parvenu au pied de l'escalier, il la chercha du regard et l'aperçut en train de traverser le salon, saluant amicalement le personnel qu'elle croisait sur son chemin. Il ne la voyait que de dos mais n'en était pas moins subjugué par sa beauté et la grâce qui se dégageait d'elle.

Comment son empoté de frère avait-il pu séduire une femme comme elle ?

Il la détaillait avec envie, fasciné par le décolleté plongeant qu'elle arborait dans le dos, dévoilant discrètement la cambrure de ses reins. Son imagination s'échauffa et les pensées les plus folles, à faire rougir le marquis de Sade, le traversèrent. La fixant de ses yeux libidineux, il passa sa langue sur ses lèvres gonflées de gourmandise et hâta le pas dans sa direction, les quelques mètres les séparant lui semblant durer une éternité.

Elle était tout près de lui à présent, et semblait occupée avec une servante. Il soupira d'aise et tendit le bras vers son épaule, laissant ses doigts glisser sur sa peau laiteuse qu'elle avait divinement douce. A leur contact, elle sursauta de surprise et se retourna vivement vers lui, provoquant dans l'action une collision frontale entre sa tête à lui et la masse multicolore qu'elle tenait entre les mains, tandis qu'il se courbait légèrement en signe de révérence.

- Sacrebleu, qu'est-ce donc ? – hurla-t-il en s'agitant, asphyxié, comme un possédé.
- Mais calmez-vous, voyons ! – s'écria Candy – Vous êtes en train de détruire mon bouquet !!!

C'était un magnifique bouquet qu'on venait de lui remettre de la part de Patty et ce malotru était en train de tout abîmer ! Elle recula d'un pas, le libérant de l'emprise de son arme défensive et eut un mal fou à se retenir de rire devant le spectacle drolatique que le jeune homme lui offrait : il avait des pétales de fleurs dans la bouche mais aussi dans les cheveux, lesquels débordaient de ses grandes oreilles. Pour compléter le tableau, du pollen recouvrait son nez empâté et auréolait d'un halo safrané ses yeux qu'il avait rapprochés, ce qui lui donnait des allures d'une chèvre échappée d'un enclos qu'elle aurait dévasté. D'une main vive, il essuya les pétales collés à ses lèvres en marmonnant des jurons, heureusement à peine audibles. Candy en reconnut néanmoins quelques uns et se dit qu'elle avait affaire à un personnage vraiment singulier. Elle le considérait de ses magnifiques yeux verts pailletés d'or avec interrogation et une certaine méfiance. Sa haute et mince silhouette lui rappelait quelqu'un sans qu'elle puisse y mettre un nom, les traits disgracieux de son visage ne facilitant pas la tâche. Déstabilisé, l'inconnu redressa fièrement son menton, feignant d'ignorer le ridicule de son apparence, mais au bout de quelques secondes, son nez se mit à le grattouiller.

- Fichue allergie ! – se dit-il tout en éternuant bruyamment à plusieurs reprises.

Il se redressa en reniflant, les yeux rougis, tout en tirant sur les pans de sa veste, essayant de retrouver un peu de dignité. Voulant la saluer d'un baisemain, il remarqua qu'elle avait les siennes toujours occupées par le bouquet, et dut se contenter d'un signe de tête révérencieux :

- Veuillez excuser mon outrecuidance, mademoiselle… - parvint-il à dire entre deux éternuements - Je n'avais aucune intention de vous effrayer… Permettez-moi (Atchoum!) de me présenter. Rodolphe Grandchester, pour vous servir. (Atchoum!)
- Vous… Vous êtes le frère de Terry ? – fit Candy en portant une main à sa bouche pour dissimuler le sourire moqueur qui se dessinait sur ses lèvres. Elle retint difficilement un hoquet, signe annonciateur d'un éclat de rire qui menaçait gravement d'exploser.
- En quelque sorte, oui… - répondit-il avec une moue de dédain. Il l'avait faite discrètement mais elle l'avait remarquée et l'agacement s'empara d'elle. Décidément, il n'y en avait pas un pour rattraper l'autre dans cette famille ! Il ne manquait plus qu'elle croise Sybille et sa future belle-mère pour compléter le tableau du trio diabolique !
Ce fut donc avec un plaisir non dissimulé qu'elle lui répondit, de sa voix la plus angélique :
- Je suis ravie de faire votre connaissance Rodolphe, même dans une situation aussi… cocasse (d'un air malicieusement ingénu, elle agita de plus belle le bouquet devant lui ce qui eut pour effet de redoubler ses éternuements).
- (Atchoum!) Le plaisir est pour moi, mademoiselle… Mademoiselle ? – feignit-il d'ignorer.
- Candice… Candice Neige André, la fiancée de Terrence… Du moins, sur le point de l'être…

Ce grand bêta est le frère de Terry ? Mon dieu, il est aussi vilain que sa sœur ! J'espère qu'il n'est pas aussi fourbe qu'elle…

- Enchanté de faire votre connaissance… - fit-il en essayant de lui voler sa main pour y déposer un baiser. Elle tenta de résister mais ne voulant pas paraître impolie, elle se résolut à subir le supplice, esquissant une moue de dégoût au contact de ses lèvres qui frôlaient sa peau. Ceci fait, elle retira prestement sa main avec un sourire crispé qui cachait difficilement son embarras.

Comment allait-elle pouvoir se débarrasser de ce pot de colle ?

Par chance, elle aperçut Cookie qui arrivait sur sa chaise roulante poussée par Lucille, la jolie infirmière. Saisissant l'opportunité, elle bondit sur lui et sans lui laisser le choix, lui présenta, avec l'énergie du désespoir, l'encombrant demi-frère.

- Cookie, je te présente Rodolphe, le frère de Terry ! - s'écria-t-elle avec le théâtral enthousiasme d'un bonimenteur sur un stand de foire.
- Lui, le frère de Terry ? – marmonna-t-il, incrédule, en le détaillant de haut en bas, se demandant s'il n'avait pas plutôt affaire à l'épouvantail qu'il avait aperçu tantôt planté au milieu du jardin potager du château.
- Mon cher Cookie, Rodolphe ne connaît pas encore tes aventures maritimes, et je suis certaine que cela pourrait le passionner. N'est ce pas ? – fit-elle en battant des cils en direction de ce dernier.
- Ma foi… - bredouilla-t-il, déconcerté. S'il y avait bien une chose dont il se fichait, c'étaient bien les exploits de soiffards en pull rayé!
- Magnifique ! Je suis sure que vous allez bien vous entendre ! – fit-elle en adressant un clin d'œil complice à Cookie qui la regardait avec de grands yeux désespérés.

Se dressant alors sur la pointe des pieds, le cou tendu vers le fond de la pièce, elle s'écria :

- Oh ! Je viens de voir passer Mrs Hughes ! Vous me voyez navrée de devoir vous laisser mais je dois régler quelque chose au plus vite avec elle avant que tous les invités ne soient arrivés. Je ne peux rester plus longtemps en votre charmante compagnie, j'en suis désolée…

Elle prit un air faussement contrit tout en tournant les talons, et s'éloigna d'un pas vif, sans se retourner.

- Mais… - gémirent en même temps les deux jeunes hommes, stupéfaits.

Elle avait honte de ce qu'elle venait de faire mais ce Rodolphe la mettait vraiment mal à l'aise. Son instinct lui dictait de rester le plus loin possible de lui, instinct qui lui avait bien souvent sauvé la mise par le passé. C'était donc cela qu'elle était bien décidée à écouter, quitte à vexer le cadet des Grandchester !

Elle se dirigea vers les cuisines qui se trouvaient au sous-sol, non pas pour s'y terrer en attendant la cérémonie mais en quête d'un vase pour le bouquet de Patty. Cette dernière y avait ajouté un petit mot qu'elle avait eu juste le temps de lire avant d'être interrompue par l'hideux "petit frère", dans lequel elle lui souhaitait une merveilleuse journée de fiançailles avec l'espoir de prochaines retrouvailles en Amérique. Cela signifiait-il que Patty avait décidé de repartir là-bas ? Qu'allait-il advenir d'Alessandro ? Elle avait hâte d'en savoir plus et se promit de prendre de ses nouvelles dès le lendemain. Ces deux dernières semaines étaient passées si vite !

Toute à ses pensées, elle tomba nez à nez avec Mrs Hughes, la gouvernante, qui sortait de son bureau. A l'étrange tête que faisait Candy, elle comprit aussitôt et lui dit :

- Vous venez de faire la connaissance de monsieur Rodolphe, n'est ce pas, mademoiselle ?

Candy opina frénétiquement de la tête, serrant son bouquet contre elle en guise de consolation. Un sourire complice se dessina sur les lèvres de la vieille femme.

- Venez – fit-elle en passant un bras compatissant autour de ses épaules tout en l’entraînant à l'intérieur de son office – Je crois qu'un petit verre de Porto ne vous fera pas de mal pour passer cette épreuve. J'ai pour ma part tendance à en user plus que de coutume quand les enfants Grandchester sont là…

Un long soupir accompagnait ces paroles dans lesquelles pointaient le sarcasme et la résignation. Le cœur de Candy se serra, réalisant que la vie ne devait pas être facile tous les jours avec de tels maîtres, et se promit d'en souffler un mot à Terry, à tête reposée. Mais pour l'instant, une longue journée l'attendait. Un peu d'encouragement ne lui ferait pas de mal et c'est avec gratitude qu'elle accueillit le verre à liqueur que la gouvernante lui tendait…

******************

C'était la fin de l'après-midi et la fête battait son plein dans le jardin du château. Le personnel restait néanmoins sur le qui-vive, surveillant le ciel régulièrement après avoir remarqué de lourds nuages noirs qui s'accumulaient au loin. Avec un peu de chance, ils se dissiperaient grâce au vent léger qui venait de se lever, mais la vigilance était de mise car on n'était jamais à l'abri d'un orage soudain. Bien que tout ait été prévu dans cette éventualité, mot d'ordre avait été donné pour éviter que les invités soient surpris par la pluie. Mais pour l'instant, les grandes tentes qu'on avait installées dans cette hypothèse se contentaient d'accueillir les convives en quête d'ombre ou de repos après avoir effectué quelques danses sur la piste. Le repas, succulent, et surtout son vin, avaient quelque peu brisé les dernières résistances des invités, encore stupéfaits par ces fiançailles entre le fils du Duc de Grandchester et cette jeune américaine dépourvue de sang noble. Les a priori étaient encore tenaces dans la haute aristocratie et difficiles à combattre, même pour un couple aussi moderne que celui de Candy et Terry. Pourtant, au moment où cette dernière avait fait son apparition dans le grand salon, des murmures s'étaient élevés dans l'assistance dans un brouhaha de ravissement et d'admiration. Surpris par sa beauté et sa grâce alors qu'elle avançait vers Terry, ils n'avaient pu que reconnaître la qualité de sa personne. Les hommes, subjugués, l'avaient suivie du regard non sans envier intérieurement le jeune fiancé qui se tenait fièrement à côté de son père, un sourire de satisfaction sur les lèvres. Ils ne s'étaient pas croisés de la matinée, et comme la majorité des invités, il l'avait découverte, sublime, dans cette robe qui suivait divinement ses courbes et dont l'ourlet frôlait le sol dans un léger bruissement. Le jaune lui allait à ravir, exaltant la couleur de sa peau qui s'était colorée avec les beaux jours, et rehaussant le vert de ses yeux qu'elle avait maintenus tout le long sur lui pour ne pas être troublée par ces regards étrangers qui la dévisageaient. Il lui avait pris la main et lui avait souri tendrement, devinant son angoisse.

De son côté, étrangement, il s'était senti très à son aise. Pour lui, ces fiançailles n'avaient valeur que de répétition. La grande première n'aurait lieu que dans quelques semaines, à laquelle assisteraient et participeraient des gens qu'il respectait et qu'il aimait, contrairement à ceux qui se trouvaient là présentement et pour lesquels il n'éprouvait que du mépris ou de l'indifférence. Lui, que l'on avait toujours regardé avec condescendance pour la nature de ses origines se délectait de leurs mines déconfites devant le bonheur insolent qu'il leur affichait. Tous ces mariages arrangés pour préserver leurs rangs et leurs richesses faisaient pâle figure devant l'amour véritable et inconditionnel qui l'unissait à Candy. Leurs visages crispés de jalousie et de frustration retenue lui étaient apparus comme la meilleure des revanches, et c'était avec les yeux brillants de fierté qu'il avait écouté son Duc de père, présenter de manière élogieuse sa future épouse devant tout le gotha aristocratique. Elle les avais salués d'un air timide tout en évitant le regard insistant sur elle de son beau-frère qu'elle avait aperçu du coin de l'oeil, à côté de ses illustres sœur et mère. Dieu que cet homme la mettait mal à l'aise ! Heureusement, un peu à l'écart, elle avait remarqué la présence de John et de son compagnon qui lui souriaient avec bienveillance, et elle s'était sentie aussitôt rassurée. D'une oreille distraite, elle avait écouté le Duc célébrer sa présence, faire l'éloge de sa famille et de son père adoptif, William André. La veille, Richard Grandchester lui avait fait part de son souhait d'évoquer son adoption afin de tuer dans l'oeuf les mauvaises langues. Elle n'y avait vu aucun inconvénient, n'ayant pour sa part jamais cherché à cacher cette filiation. Mais être acceptée par cet homme de grande noblesse devant la haute aristocratie britannique l'avait rendue d'autant plus fière d'Albert et de son choix en faisant d'elle sa fille...

Les présentations faites, ils s'étaient tous rendus à la chapelle familiale toute proche où les attendait le prêtre, venu directement d'Edimbourg pour célébrer la messe traditionnelle puis, à la fin de celle-ci, le jeune couple et leurs plus proches parents avaient été réunis à l'écart pour la bénédiction des fiançailles. John, seul membre proche de Candy avait lu un texte biblique, puis plusieurs prières avaient été récitées. Le prêtre avait prononcé les paroles de conclusion et on avait terminé par un chant à la gloire de Marie. Contre toute attente, Terry en était sorti bouleversé car, au moment de passer la bague de fiançailles au doigt de Candy, il avait réalisé que ce qu'il avait ardemment souhaité n'était plus un rêve impossible. Peu importait que la cérémonie se déroula devant son idiot de frère et sa stupide sœur, ou sous le regard sournois de sa belle-mère, le regard ému de Candy posé sur lui avait tout balayé. Elle était officiellement sa future épouse et il avait beaucoup de mal à en maîtriser la joie.

Le repas de fiançailles déroula autour d'un somptueux buffet permettant ainsi aux jeunes fiancés de saluer les invités, de discuter plus aisément avec eux, mais aussi de fuir les plus ennuyeux. Il y avait tellement de monde qu'il était facile de passer de l'un à l'autre avec un petit mot d'excuse pour qu'ils ne se sentent pas délaissés. Néanmoins, toute cette attention laissait peu de temps aux amoureux de trouver un moment pour eux. Souvent séparés, ils se jetaient discrètement des oeillades complices en soupirant. Candy se trouvait particulièrement au cœur des attentions, régulièrement sollicitée par ces messieurs pour une danse ou une conversation innocente. Rodolphe, plus entreprenant que jamais, venait régulièrement réclamer une danse, danse qu'elle ne pouvaitu malheureusement lui refuser au risque de paraître très mal élevée. A chaque fois, profitant de l'aubaine, il la serrait fort contre lui, sa main plaquée contre ses reins lui empêchant tout mouvement d'esquive. Son haleine chaque fois plus alcoolisée venait brûler ses joues rougissantes du calvaire qu'il lui faisait subir et elle détournait la tête, saisie de dégoût. Par chance, il y avait toujours un prétendant suffisamment insistant pour qu'il lâchât prise, le savoir-vivre britannique s'imposant face à ses pulsions primaires, et il la libérait à contre-coeur, avec le détestable sentiment qu'on la lui volait.

A présent, il était plus contrarié que de coutume, car il savait qu'il ne pourrait lui demander une autre danse, ayant dépassé outre mesure son quota, tout futur beau-frère qu'il était. Il se mit à alors errer parmi les invités, son verre de whisky à la main, ayant délaissé depuis un moment déjà le champagne, trop léger à son goût. Il remarqua Cookie en grande discussion avec John et son compagnon, un très séduisant homme d'âge mûr, dont les belles dents blanches brillaient à travers sa barbe blonde. Il leur adressa un regard désapprobateur en passant devant eux, la bouche pincée d'indignation.

Comment ces deux là peuvent-ils s'afficher ainsi devant tout le monde ? Comme si on ignorait ce qu'ils sont l'un pour l'autre ? Je me demande comment mon frère a pu oser inviter ces... ces deux folles ??? Il est décidément plus dérangé que je ne le pensais ! Comment donc la belle Candice peut-elle avoir des sentiments pour ce un tel dégénéré ???

Ses yeux se posèrent alors sur Terry, son bâtard de frère, et la jalousie s'empara de lui, rendant l'air irrespirable. Tandis qu'il l'observait en train de discuter, il surprit sa main, frôlant discrètement celle de Candy au moment où elle passait à côté de lui. Il perçut le regard éloquent qu'elle lui adressait en retour, le conviant à sa conquête : ce fugace échange qui ne laissait plus aucun doute sur l'immoralité de leur relation...

Tremblant de rage, il sentit le démon de la concupiscence pénétrer tout son être, et il lui fallut un long moment pour retrouver ses esprits, notamment grâce à un nouveau verre de whisky qu'il avait intercepté au passage d'un serviteur. Il entendit rire et tourna la tête dans la direction dudit bruit. C'était Candy, visiblement amusée par ce que venait de lui chuchoter à l'oreille son amoureux. Il serra le poing, livide, le regard fixé sur elle qui riait aux éclats. Comme elle était belle, et comme il la désirait !...

Quelqu'un s'approcha de lui, si près qu'il pouvait sentir son haleine contre son oreille. Il connaissait bien cette voix, si familière qu'elle pouvait deviner ce qui le tourmentait, et il fronça les sourcils d'agacement.

Tu devrais cesser de la dévorer ainsi des yeux, frérot, sinon tu risques de t'attirer des ennuis... - fit Sybille sur un ton moqueur.
Laisse-moi tranquille, veux-tu ? Je n'ai que faire de tes sarcasmes ! C'est un homme désespéré que tu as devant toi !

La jeune femme ricana en haussant les épaules, son visage ingrat dissimulé sous un éventail qu'elle tenait devant sa bouche dont les piques mordantes traversaient le papier avec la vigueur d'une flêche empoisonnée.

Comment peux-tu t'être amouraché de cette paysanne ? Elle n'a ni grâce ni élégance ! Tout juste bonne à faire passer le plateau de petits fours !
Ta mauvaise foi t'aveugle, soeurette ! Elle est juste sublime, une vraie déesse ! Et t'écouter la critiquer ainsi m'incite à penser que tu es juste jalouse d'elle !
Moi, jalouse ??? - s'écria la jeune aristocrate dans un grognement porcin.
Oui, jalouse comme toutes les femmes qui sont ici. Regarde un peu comme elles l'observent du coin de l'oeil en parlant à voix basse, usant de leurs petits commentaires acerbes sur son incomparable beauté. Elles la détaillent, l'examinent, cherchant un défaut qui n'existe pas... Elle est merveilleuse...
Si tu le dis... - soupira-t-elle - mais tout aussi « merveilleuse » qu'elle soit, tu devrais chercher une autre proie, car celle-ci, malgré toutes tes tentatives, n'a d'yeux que pour Terrence !

Sur ce, elle tourna les talons, abandonnant son frère à ses irréalistes pensées, lequel regarda s'éloigner son imposant postérieur en grommelant.

C'est ce que nous verrons, soeurette ! C'est bien ce que nous verrons...

****************



Le moment tant redouté finit par arriver... L'orage qui s’amoncelait au loin, comme attiré par les bruits de la fête, se manifesta d'abord par un grondement sourd et rauque. Puis, poussé par le vent, sa progression s'accéléra, obscurcissant le ciel et repoussant le soleil derrière d'épais nuages qui s'accumulèrent au dessus du château, menaçant d'éclater à tout moment. Aux premières gouttes, on invita tout le monde à rentrer à l'intérieur, les domestiques se précipitant avec des parapluies pour les protéger. En un rien de temps, une averse torrentielle s’abattit sur le jardin qui surprit deux retardataires, lesquels se réfugièrent précipitamment sous les tentes en attendant qu'on vienne les chercher. Le vent soufflait si fort que les tentes menaçaient de s'envoler, renversant les verres sur les tables et faisant voler les serviettes. Cookie, ledit retardataire, coincé sur place avec Lucille, devenait de plus en plus inquiet. Dans leur hâte pour rentrer, son fauteuil roulant s'était coincé, et ils avaient préféré retourner à leur abri plutôt que d'être trempés comme une soupe. Leur situation devenant de plus en plus incertaine, la jeune infirmière prit alors la décision de braver la pluie pour chercher main-forte.

- Je reviens au plus vite, monsieur Dicks ! Ne vous inquiétez pas ! - fit-elle en s'éloignant, maintenant d'une main ferme sa coiffe dont les longs pans fouettait son visage et entravait sa vue. Pénétrant toute dégoulinante dans le château, elle fut surprise par la sérénité des lieux. L'orchestre, réuni dans le grand salon, s'était remit à jouer et les invités avaient repris leurs conversations que l'orage avait interrompues pendant un instant. Déambulant comme une âme en peine, elle finit par croiser Candy, occupée à éviter son indésirable beau-frère qui la harcelait de ses regards pervers.

Mon dieu, Lucille ! Vous êtes trempée !!! - s'écria-t-elle, horrifiée – Mais où est monsieur Dicks ???
Il est resté sous la tente, madame. Son fauteuil est coincé. J'ai couru jusqu'ici pour chercher de l'aide. Cela secoue fort dehors !

La description de la jeune infirmière était loin d'être exagérée. Les gens s'étaient d’ailleurs éloignés des fenêtres, la pluie cinglant avec une telle violence les vitres qu'on craignait qu'elles se brisent.

Candy jeta un regard circulaire autour d'elle à la recherche de Carson ou d'un autre domestique. Mais l'ensemble du personnel était occupé à rapporter de quoi sécher les invités trempés. Il n'y avait plus alors de temps à perdre ! Elle aperçut Terry qui discutait avec un homme de petite taille, aux cheveux blancs et aux lunettes rondes. Tous deux semblaient bien se connaître car le jeune homme semblait très à l'aise avec lui.

- Excusez-moi de vous interrompre... - fit-elle en le prenant par le bras.
- Oh Candy ! Permets-moi de te présenter monsieur Davies, qui fut mon professeur de piano...
- Enchantée, monsieur... - répondit-elle tout en l'entraînant à l'écart, sans se préoccuper de l'impolitesse de son geste. Il y avait plus urgent pour le moment !
- Mais que se passe-t-il ? - s'écria Terry, surpris par son étrange attitude.
- Cookie est à l'extérieur ! Son fauteuil est bloqué et il ne peut pas rentrer !
- A l'extérieur ? Sous cette pluie battante ??? Pauvre diable !!! Dépêchons-nous !

Sans plus attendre, ils se précipitèrent dehors et poussèrent un cri d'effroi. Le vent avait déchiré le toit de la tente et laissait passer l'eau qui se déversait à seaux sur le pauvre Cookie, étendu sur le sol, son fauteuil renversé à côté de lui.

- J'ai voulu essayer de me lever... - gémit-il alors que Terry, parvenu auprès de lui, le soulevait en ahanant. Carson, alerté à son tour par Lucille les avait rejoints, et de ses deux bras vigoureux, aida son maître à installer le jeune infirme dans son fauteuil, lequel ne put retenir un cri de douleur.
- Tu as dû aggraver tes blessures en tombant mon pauvre Cookie... - lui dit Candy en passant une main affectueuse sur son front - Tiens bon, nous serons à l'abri dans quelques secondes.

Réunissant toutes leurs forces, ils entreprirent le déplacement de leur bringuebalant chargement vers château, non sans essuyer une nouvelle rafale de pluie qui manqua de les déséquilibrer. Enfin, après moult efforts, ils parvinrent à destination, épuisés et trempés jusqu'aux os. Leur irruption dans le grand salon, maculés de boue, ne passa pas inaperçue...

- Dieu du ciel, mais que vous est-il arrivé ???

C'était Béatrix Grandchester, trainant à sa suite sa fouine de fille, qui les interpellait. L'ensemble des invités était dirigé vers eux, un air interrogatif mêlé d'incompréhension sur leur visage. Terry baissa les yeux sur lui et réalisa l'apparence misérable qu'il offrait à la vue de tous. Ses habits tout ruisselant trempaient le tapis, créant une auréole autour de ses pieds. Candy de son côté n'était pas en reste. Elle était toute décoiffée et sa jolie robe maculée de terre. On aurait dit qu'ils s'étaient tous deux trainés dans la boue.

- Monsieur Dicks était bloqué dehors sous la pluie... - soupira Terry, avec agacement – Comme les domestiques étaient occupés avec les invités, nous avons, Candy et moi, préféré agir sans attendre !
- Pffff ! Le résultat est à la hauteur de vos prétentions ! Vous êtes-vous regardés ? Vous n'êtes pas beaux à voir ainsi crottés, croyez-moi ! - fit remarquer Sybille, de sa voix sifflante.
- Il est vrai qu'à l'abri entre ces murs, vous ne preniez aucun risque ma chère sœur, à moins que le toit ne s'effondre sur vous et soulage mes pauvres oreilles en fermant pour un moment votre clapet, ce qui ne restera qu'un rêve et un vœu inexaucé pour moi !...

Sybille pinça ses lèvres de rage ce qui eut pour effet de gonfler ses joues rougeâtres et enfoncer un peu plus ses yeux sournois. Elle se tourna vers sa mère, qui, pour éviter le scandale, lui fit signe d'un discret geste de la main, de se calmer.

- Bien!... Il vous faudra revoir l'organisation de votre équipe, Carson ! - s'écria cette dernière en jetant un regard oblique à son maître d'hôtel, lequel bredouilla des mots d'excuse en baissant les yeux – Il est anormal que ce soit le fils du Duc qui soit obligé de faire votre travail !!! Allons, allons, activez-vous bon sang ! Ramenez tout ça à sa chambre (elle avait montré Cookie d'une main dédaigneuse en disant cela). Il nous a causé assez de problèmes comme cela ! … Quant à vous deux, Terrence et Candice, je vous serais très obligée de bien vouloir changer de tenue et de rejoindre vos invités au plus vite. Cette plaisanterie n'a que trop duré !

Puis elle tourna les talon, la moue méprisante, tout en intimant d'un signe de la tête à sa fille de la suivre, laquelle s'exécuta non sans lancer un large sourire moqueur à son frère qui venait de se faire réprimander comme un mal propre devant tout le monde ! Dieu qu'il détestait cette famille !!!

- Si tu le souhaites – fit-il, sur le ton du désespoir, en prenant la main glacée de Candy – nous quittons cette maison dans la seconde ! Je ferai ce que tu veux !
- Nous ne pouvons pas faire cet subir affront à ton père après tous les efforts qu'il a déployés pour organiser nos fiançailles. Nous lui devons bien cela… - répondit-elle d'une voix douce – Oublie Béatrix et oublie ta sœur. Elles ne seront bientôt plus que de lointains souvenirs…
- Tout paraît si simple quand on t'écoute. Mais j'aimerais tant pouvoir leur rendre la monnaie de leur pièce !

Il avait dit cela en dressant son poing qu'elle retint instinctivement en se pressant contre lui.

- Tsssss ! Tsssss! Calme-toi, on nous regarde. Ce n'est pas le moment de faire un scandale ! Cela se retournerait contre toi. Allons nous changer et retrouvons-nous ici dans quelques minutes.
- Tu as raison… - fit-il d'une voix lasse – Tu as toujours raison…

Sur ce, ils se dirigèrent vers l'étage. En chemin, il s'arrêta devant Mrs Hughes et il demanda d'appeler leur docteur de famille pour qu'il se rende au chevet de Cookie.

- Je voudrais m'assurer que mon ami va bien.
- Ne vous en faîtes pas My Lord, nous allons bien nous occuper de lui. Voulez-vous que je vous envoie un domestique pour vous aider à vous changer ?
- Cela ne sera pas utile, Mrs Hughes. C'est une habitude que j'ai perdue depuis longtemps et qui ne me manque point, je dois bien vous l'avouer.

Mrs Hughes esquissa un sourire complice puis prit la direction de son bureau tandis que Terry reprenait le chemin de sa chambre. Il poussa la porte et s'assit sur le rebord du lit pour un moment de répit. Puis après quelques longs soupirs de résignation, il alla dans la salle de bain. Il se regarda dans le miroir et constatant le désastre prit la décision de se doucher. L'eau chaude ruisselait sur ses muscles transis de froid et réchauffait peu à peu son corps. Il aurait aimé rester plus longtemps sous le jet mais il devait se hâter, ses hôtes l'attendant assurément avec impatience. Il se sécha brièvement, puis ouvrit son armoire où un costume plus traditionnel l'attendait.

- Qu'est ce que je fais ici ? – se demandait-il en achevant de nouer son nœud de cravate – Que ne donnerais-je pas pour être à New-York loin de tous ces abrutis ???

Il commençait à avoir de plus en plus le mal du pays, et sa belle-famille, à vrai dire, ne l'aidait pas à se sentir mieux. Comme il était impatient de repartir d'ici !!! Candy et lui avaient prévu de s'en aller dans trois jours, mais le comportement de sa belle-mère, les remarques désobligeantes de sa sœur, et les regards lubriques de son frère sur sa fiancée, l'avaient convaincu qu'ils devaient partir, sinon fuir au plus tôt ces lieux devenus insupportables pour lui. Il avait bien entendu remarqué le comportement suspect de Rodolphe envers Candy. Maintes fois il avait voulu lui faire comprendre, à sa manière, qu'il devait cesser toute approche, mais à chaque fois Candy lui avait intimé de se tenir à l'écart, devinant la tournure que les évènements prendraient à la moindre provocation de son crétin de frère. Encore une fois, elle le protégeait de ses réactions qui pouvaient devenir terribles si la colère s'emparait de lui. Et quand il s'agissait de son frère, la moutarde lui montait rapidement au nez tant il le haïssait.

C'était décidé ! Ils n'attendraient pas trois jours pour partir. Ils partiraient le lendemain… pour ne plus jamais revenir…

Il réajusta une dernière fois son nœud de cravate puis ouvrit la porte. Il pouvait entendre la douce musique de l'orchestre en provenance du grand salon. Une valse… Il avait hâte d'en danser une avec Candy qui devait l'attendre patiemment en bas…

Il s'approcha de l'escalier et s'apprêtait à descendre les marches quand un cri perçant, gorgé de terreur résonna dans le tout château. Un cri si fort et si épouvantable qu'on l'entendit jusque dans la salle de bal, faisant s'interrompre l'orchestre dans son élan. Le cœur de Terry bondit dans sa poitrine, si violemment qu'il en eut le souffle coupé. Il n'avait jamais entendu un tel hurlement, si horrible, si effroyable qu'il vous glaçait le sang, mais il savait, au plus profond de lui même, de qu'elle gorge il avait été poussé, et il courut, fou d'angoisse, en direction de la chambre de Candy…

Fin du chapitre 19

 
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