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Lettres à Juliette, (sans rapport avec une autre fanfic du nom de "les lettres à Juliette"...)

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view post Posted on 20/9/2013, 19:08
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Chapitre 12



Il avait fallu un long moment à Candy pour retrouver ses esprits. Les premières minutes, elle s'était sentie flotter, les membres engourdis comme si on l'avait enveloppée de coton. Puis peu à peu, l'excitation avait pris le dessus et l'avait emportée vers un état qui rappelait celui de l'ivresse, une euphorie difficilement maîtrisable qui la transportait du rire aux larmes.

Terry… Terry est ici !… Je l'ai retrouvé !!!… - se disait-elle en s'observant dans le miroir. Le visage bouleversé que son reflet lui renvoyait témoignait bien de cette réalité. A travers ses larmes, elle percevait distinctement la joie qui brillait dans ses yeux et rosissait son teint. Elle porta sa main à la bouche et pouffa de rire, gênée par cet excès de bonheur qui la grisait. Elle recula d'un pas, et les yeux fermés, s'adossa contre la commode. Le beau visage de Terry revenait en boucle dans son esprit, sa voix grave et tendre la faisant tressaillir de la pointe des pieds à la racine des cheveux. Elle se remémorait le moment magique de leurs retrouvailles, ce regard aux milles nuances qui avait capturé le sien, et cette sensation divine de délivrance qui l'avait saisie, si violemment qu'elle en avait eu la respiration coupée. Elle croisa ses bras autour d'elle pour retrouver la chaleur du contact de son corps contre le sien quand il l'avait enlacée et murmuré son prénom, à plusieurs reprises, pour s'assurer que c'était bien elle et non pas un songe éveillé. Elle frissonna, son cœur palpitant un peu plus vite. Les éclats de rire de Terry occupaient l'espace, entraînant un sourire complice sur son joli visage. Ces quelques heures en sa compagnie avaient passé si vite !

Elle soupira de ravissement et se mordit les lèvres pour ne pas hurler, submergée par ce flot d'émotions dont la folle intensité aiguisait chaque cellule nerveuse de son corps. Tremblante, elle se déplaça jusqu'au lavabo et se rafraîchit le visage et le cou d'un gant humide. Cela calma quelques secondes la fébrilité qui l'animait, laquelle reprit de plus belle quand la cloche de l'église du quartier fit tinter ses sept coups.

- Sept heures !... Sept heures seulement ?... – gémit-elle, les yeux écarquillés de consternation - Comment vais-je pouvoir attendre jusqu'à demain pour le revoir ? Comment vais-je pouvoir tenir aussi longtemps loin de lui ???

Elle pensa alors à Patty qui devait trépigner d'impatience dans sa chambre et sans perdre une minute, elle quitta la pension et remonta la rue en courant. Il n'était pas très convenable qu'une demoiselle de sa condition se comportât ainsi, mais elle n'en avait que faire. Elle était si heureuse ! Et elle voulait partager sa joie au plus vite avec son amie.

Quand, essoufflée, elle poussa la porte de la chambre de Patty, cette dernière, assise à une table, était en train de terminer son repas. Le séduisant docteur Biazini, assis à côté d'elle, leva les yeux vers Candy, et comprit immédiatement qu'elle venait de vivre un événement extraordinaire.

- Patty… - murmura Candy, la gorge nouée par l'émotion.

La jeune brune posa sa fourchette, pivota sur sa chaise et dirigea avec appréhension son regard vers son amie. Ce qu'elle lut dans ses yeux la rassura immédiatement. Elle poussa un soupir de soulagement et se précipita vers elle, manquant dans son excitation de renverser son plateau, puis prit ses mains dans les siennes, les serrant contre son cœur.

- Alors ?... Tu… Il… - demanda-t-elle, fébrile, les yeux brillants de larmes.

Candy opina frénétiquement de la tête.

- Oui, Patty, oui… - bredouilla-t-elle, la voix étranglée par un sanglot de joie.

Emportées par l'enthousiasme, elles laissèrent échapper en sautillant une rafale de cris hystériques que le médecin, effaré, s'empressa de modérer avec moult gestuelle pour éviter d'alerter tout le personnel de l'hôpital. Il les observait, toute à leur joie commune, et sentit rapidement qu'il était de trop. Il s'éclipsa discrètement, un peu déçu que son départ ne soit pas plus remarqué, et repartit vers son bureau en haussant les épaules, convaincu qu'il était inutile de chercher à sonder ces êtres insaisissables qu'étaient les femmes, d'autant plus si elles venaient d'Amérique…

*********



- NOM D'UNE PIPE !!! TU L'AS EMBRASSE ???

Patty s'était exclamée si fort qu'il y avait peu de doute que l'ensemble de l'hôpital ne l'ait pas entendue…

- Oui ! – pouffa Candy en rougissant.

Allongées en travers du lit, la tête en appui sur leur bras replié, les deux amies étaient occupées à commenter les retrouvailles. Patty, très exigeante, voulait connaître tous les détails, et la révélation de Candy venait de dépasser toutes ses espérances.

- Mazette, Candy, je te savais audacieuse mais je ne t'aurais jamais imaginée aussi entreprenante ! – gloussa-t-elle, l'œil brillant de malice.
- Moi non plus - répondit Candy en rougissant de plus belle - Je ne sais pas ce qui m'est passé par la tête. Il se tenait là devant moi, les mains dans les poches à fixer ses pieds et tout à coup, n'y tenant plus, j'ai voulu le remuer et… Je l'ai embrassé !
- Pour être remué, il a dû bigrement l'être ! – s'esclaffa Patty – Quelle tête a-t-il fait ?
- Ça !!! – fit Candy en imitant l'air ahuri qu'avait affiché son amoureux.

La tête de Patty bascula en arrière dans un grand éclat de rire.

- Comme j'aurais aimé être une petite souris pour assister au délicieux spectacle du grandissime Terrence Grandchester en train de se faire terrasser par la malicieuse ingénue que tu es…
- A vrai dire, la dernière fois qu'il m'avait embrassée, je lui avais donné une gifle mémorable. Je voulais me faire pardonner… - pouffa Candy devenue écarlate.
- Je suis certaine qu'il n'a eu aucune difficulté à le faire…

Candy acquiesça en souriant. Elle avait si souvent regretté sa vive réaction en Ecosse alors qu'il avait baissé la garde et lui avait révélé ses sentiments. Elle avait été si stupide ! Elle avait par la suite payé cher cet excès d'orgueil car il n'avait plus jamais osé renouveler l'expérience, jusqu'à ce qu'elle ose cet après-midi prendre l'initiative. Son cœur se mit à battre plus vite à la pensée qu'il pourrait la prochaine fois chercher à lui montrer qu'il avait retrouvé toute sa hardiesse…

- Mais dis-moi, Candy, comment se fait-il que tu ne sois pas avec lui à l'heure qu'il est ??? – lui demanda Patty, une pointe de reproche dans la voix.
- C'est la première de "Roméo et Juliette" demain soir et je ne voulais pas le déranger dans ses répétitions. Il a déjà assez perdu de temps aujourd'hui.
- Bigre ! Je ne sais pas comment tu vas tenir ! Si j'étais à ta place, je n'en dormirais pas !
- Je crois en effet que la nuit va être longue… - soupira-t-elle.
- Si tu veux, tu peux dormir ici. Je peux demander à ce qu'on installe un lit de camp…
- Merci Patty mais je ne serais pas d'une très bonne compagnie. Je risque d'être tellement agitée que je t'empêcherai de dormir…
- Essaie quand même de te reposer quelques heures car j'aurais besoin de toi dans la matinée…
- Volontiers Patty mais de quoi s'agit-il ?
- Alessandro est venu m'annoncer que je pouvais quitter l'hôpital. J'ai besoin de trouver un endroit où loger. Tu crois qu'il reste des chambres à la pension ?
- Je ne sais pas mais de toute façon même s'il n'y en a plus de libres, nous pourrons partager la mienne. Mon lit est assez grand pour nous deux. Et puis entre temps, nous pourrions chercher un hôtel où tu serais installée plus confortablement.
- Surtout pas ! C'est le seul endroit proche de l'hôpital et je ne veux pas trop m'éloigner d'Alessandro… - chuchota-t-elle avec un petit sourire embarrassé.
- Il t'a vraiment tapé dans l'œil celui-là !
- Oh Candy, je ne n'avais jamais ressenti cela pour quelqu'un depuis, depuis…
- Je vois très bien ce que tu veux dire… - fit-elle en posant affectueusement sa main sur celle de son amie – J'avais bien cru moi aussi que ma vie s'était arrêtée à la mort d'Anthony et je n'aurais jamais cru tomber follement amoureuse de Terry…
- Seulement follement ? – demanda Patty sur un ton taquin.
- Pas seulement… - répondit Candy en éclatant de rire – Mais plutôt éperdument. Oui, Patty, éperdument !

On toqua à ce moment là à la porte et les boucles brunes du docteur Biazini surgirent dans l'entrebâillement.

- Mesdemoiselles… - fit-il avec un sourire entendu en entrant dans la pièce. Patty se redressa immédiatement, corrigeant la posture décontractée dans laquelle elle s'était épanouie durant de longues minutes. Ils échangèrent un regard complice et Patty rougit en baissant les yeux.
- Vous voudrez bien m'excuser mais je me sens un peu lasse et je vais rentrer me coucher – mentit alors Candy en se levant, comprenant sans aucune difficulté qu'elle perturbait par sa présence leur douce intimité – Je passerai te chercher dans la matinée, Patty…

Cette dernière hocha la tête.

- Merci Candy, à demain. Repose-toi bien.

La jeune blonde la gratifia d'un clin d'œil malicieux, salua le médecin et sortit de la chambre. En chemin vers la pension, son estomac la rappela à l'ordre et elle hâta le pas, espérant qu'il resterait à la cuisine un peu de la bonne soupe qu'elle avait sentie précédemment. Madame Roberta était en train de finir de débarrasser la table quand Candy poussa la porte.

- Ah, mademoiselle Candy ! – s'écria-t-elle en l'apercevant – Un coursier est venu livrer quelque chose pour vous pendant votre absence. Je l'ai déposé dans votre chambre si cela ne vous dérange pas.
- Pas le moins du monde ! – répondit Candy tout en se demandant ce que cela pouvait être.
- Vous m'avez l'air affamée ! Prenez donc cinq minutes pour aller voir ce que l'on vous a apporté et redescendez. Je vais vous réchauffer une bonne assiette de soupe pendant ce temps !

Candy la remercia d'un signe de tête et se dépêcha de monter l'escalier qui menait à sa chambre. Intriguée, elle tourna la poignée de la porte et découvrit, posé sur le guéridon devant la fenêtre, un énorme bouquet de roses rouges. D'une main tremblante, elle saisit le carton qui l'accompagnait et reconnut immédiatement l'écriture fine qui courait sur le papier.

"Chère Candy,

J'ai hâte d'être à demain pour pouvoir t'en offrir des millions d'autres…

Bien tendrement,

Terrence
"

Serrant le billet contre son cœur, elle plongea son visage dans le bouquet, s'enivrant du délicieux parfum de fleurs. Etourdie, elle se laissa choir sur le bord de son lit, sans possibilité aucune du moindre raisonnement. Absorbée dans ses pensées confuses qui se pressaient dans son esprit, elle ne remarqua pas la présence de sa logeuse, qui ayant toqué plusieurs fois à la porte sans obtenir de réponse, avait fini par entrer. Elle avait alors remarqué la jeune femme, pensive, le regard perdu au loin et s'était dit en en soupirant que la petite allait manger de la soupe froide à force de rêvasser. Mais tout en s'approchant d'elle, elle distingua le sourire béat d'émerveillement qui ourlait ses lèvres, et elle opta pour la solution du replis. Elle quitta discrètement la chambre à reculons, et posa une dernière fois, au moment de refermer la porte, un regard bienveillant sur la blonde rêveuse, un soupir nostalgique gonflant sa forte poitrine. Tout cela lui remémorait une jeunesse lointaine qui avait vu naître bien des sourires similaires. Mise en joie par ces tendres souvenirs, elle retourna d'un pas guilleret à sa cuisine, avec l'intime conviction que l'amour qu'elle avait lu dans les yeux de Candy connaîtrait un destin des plus heureux.

Fin de la première partie
Le plus intéressant va bientôt arriver... Merci pour votre patience... :Demon09: :Demon09: :Demon09:



Edited by Leia - 21/9/2013, 16:16
 
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view post Posted on 1/10/2013, 17:19
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Les neuf coups de la cloche de l'église réveillèrent Candy en sursaut. Trop excitée par les évènements de la journée précédente, ce ne fut qu'au petit matin, qu'écrasée de fatigue, qu'elle avait trouvé le sommeil. Néanmoins, ces quelques heures hors du temps ne lui avaient pas permis de se reposer pleinement. Elle sentait le poids de la fatigue sur ses paupières qui lui picotait les yeux. Mais elle oublia tout cela aussitôt quand la pensée de retrouver Terry lui revint à l'esprit. Pendant quelques secondes, elle douta, le cerveau encore troublé de sommeil, mais fut complètement rassurée quand son regard se posa sur le bouquet de roses rouges qui ornait le guéridon. Elle cligna des yeux en soupirant de contentement, s'étira dans son lit en baillant puis bascula sur le côté pour quitter sa couche. N'ayant pas le temps de prendre un bain, elle opta pour une douche, la salle de bains commune se trouvant au bout du couloir. Définitivement réveillée après une toilette qu'elle avait voulue fraiche et revigorante, le corps poudré de talc parfumé à la violette, elle revêtit la jolie robe blanche qu'elle avait achetée en début de séjour laquelle mettait agréablement en valeur la couleur dorée de sa peau. Elle coiffa ses boucles rebelles et se dit qu'elle avait bien fait de les couper quelques années auparavant. Elle réalisa alors que Terry ne lui en avait pas fait la remarque en la voyant.

- Peut-être que cela lui déplait… - se dit-elle en faisant la moue.

Pourtant, elle non plus n'avait fait d'observation à propos de la chevelure de ce dernier qu'il avait raccourcie d'une bonne dizaine de centimètres, allégeant ses épaules pour retomber avec noblesse sur sa nuque. Trop absorbée par leurs retrouvailles, elle n'avait pas songé à lui en parler. Mais elle convenait que ce changement physique lui apportait une maturité qui lui allait à merveille.

Elle quitta sa chambre en sautillant et descendit à la salle à manger. Madame Roberta l'accueillit avec un sourire affecteux et lui fit signe de s'assoir. Un couple, des personnes d'un certain âge, prenaient leur petit déjeuner et Candy les salua en s'asseyant en bout de table. Tandis que la maîtresse de maison remplissait sa tasse de café, Candy lui parla de la situation de Patty. La logeuse grimaça d'embarras et lui expliqua qu'elle n'avait pas de chambre libre pour l'instant. Candy lui proposa alors de partager la sienne, proposition à laquelle il n'y eut aucune objection. Ces petites formalités réglées, Candy dévora prestement son petit déjeuner, prit congé de ses voisins de table, puis partit rejoindre son amie.

Patty l'attendait de pied ferme bien que tourmentée par des sentiments contradictoires. Elle était heureuse de quitter sa chambre d'hôpital mais elle était aussi contrariée de devoir s'éloigner du docteur Biazini. Ce dernier l'avait pourtant rassurée en lui promettant de la rejoindre en fin de journée, cela n'apaisait cependant pas ses craintes.

- J'ai en ma possession deux places pour la première de Roméo et Juliette. M'accompagneriez-vous, Patricia ? – lui avait-il demandé en plongeant un regard éloquent dans les siens.

Elle avait opiné en rougissant, le cœur battant à la perspective de passer la soirée avec lui. Bien qu'elle ne sût pas encore à ce moment là où elle allait loger, ils avaient convenu de se retrouver devant la pension vers vingt heures. Cela lui laissait amplement de temps de se faire belle pour lui…

Mais Candy, en arrivant, vint bouleverser ses petits projets…

- Mauvaise nouvelle, Patty, tu vas être obligée de dormir dans mon lit ! – fit-elle en ricanant – Ma logeuse n'a plus de chambre libre pour le moment.

- Et bien, nous ferons contre mauvaise fortune, bon cœur – répondit Patty en simulant l'embarras – J'espère que tu ne ronfles pas la nuit !

En réaction, les épaules de Candy se secouèrent de rire.

- Je t'avoue que je l'ignore car je n'ai pas dormi avec quelqu'un depuis mes six ans, et c'était avec Annie de surcroit !
- Nous allons supposer qu'à cet âge là tu ne ronflais pas encore… Et que tu es encore trop jeune pour souffrir de ce symptôme…
- Tu ne pourras vérifier cela que ce soir – rétorqua la jeune blonde en lui tirant la langue – Mais en attendant, je t'invite à m'accompagner au club de Juliette.
- C'est que… Crois-tu que nous en aurons pour longtemps ?
- Pourquoi me demandes-tu cela ?

Patty baissa les yeux et dit, gênée, d'une voix à peine audible.

- Alessandro m'a invitée pour la première de Roméo et Juliette, et je voulais avoir le temps de me préparer…
- Mais voyons Patty, il n'est que dix heures du matin ! – fit Candy en éclatant de rire - Tu auras tout le temps de te préparer, crois-moi. Je te promets que nous ne rentrerons pas tard. Tu dois aussi te reposer. Tu es encore convalescente.
- Détrompe-toi, je me sens en pleine forme.
- Dans ce cas, hâtons-nous de prendre un taxi. Je suis impatiente de te présenter aux filles !

********



A travers la vitre du taxi qui les amenait au centre ville, Patty, émerveillée, découvrait avec ses propres yeux les lieux que Candy lui avait décrits. Férue d'histoire et d'antiquité, elle s'enflammait devant chaque monument, chaque édifice que la prestigieuse civilisation romaine avait laissé en héritage. Elle n'imaginait pas que Vérone put être aussi riche culturellement et elle rendit grâce au destin de l'avoir détournée de sa destination d'origine, destin qui lui avait permis de faire la connaissance du séduisant docteur Biazini et de faire la découverte de cette magnifique ville.

- Nous voici arrivées ! – s'écria Candy en désignant de l'index la trattoria Giulietta nichée sous des arcades voutées, au fond de la placette ombragée devant laquelle le taxi s'était arrêté. Les deux jeunes femmes sortirent du véhicule et se dirigèrent vers le restaurant où l'on était déjà en train de préparer les tables pour le repas de midi. Candy salua tout le monde, présenta son amie au personnel, et demanda si les dames du club étaient à l'étage.

- Elles t'attendent avec impatience ! – répondit le tenancier derrière son comptoir, un sourire complice déridant sa mine renfrognée.

Candy émit un petit rire étouffé et s'enfuit en direction de l'escalier, derrière le rideau de perles en bois qui dissimulait l'entrée de la cuisine. Elle monta quatre à quatre les marches, poussa la porte et s'arrêta sur le seuil. Les quatre femmes étaient assises autour de leur table de travail et avaient commencé à décacheter les lettres recueillies la veille. Elles levèrent la tête en apercevant la jeune américaine, écarquillèrent les yeux de surprise, puis, en une fraction de seconde, se retrouvèrent autour d'elle, l'assaillant de questions qui se mélangeaient les unes aux autres dans une cacophonie désopilante.

- Allons mesdames, ne voyez-vous pas que vous êtes en train de l'étouffer ? – intervint la sage Isabella en tentant d'écarter le cercle de curieuses. Mais ce fut l'entrée de Patty dans la pièce qui détourna définitivement leur attention.

- Je vous présente mon amie, Patty, qui a quitté l'hôpital ce matin – dit Candy en s'approchant d'elle.
- Mon dieu ! Elle est toute pâle ! – s'écria Donatella, en courant chercher une chaise – Il ne faut pas qu'elle reste debout. Elle doit se reposer !
- Je vais vous apporter un peu de café et des petits gâteaux – ajouta Maria en descendant à la cuisine.
- Surtout, ne refuse pas !... – chuchota discrètement Candy à Patty tandis qu'on l'asseyait presque de force sur un siège.

Patty obéit sagement, un sourire amusé flottant sur ses lèvres. Candy avait plusieurs fois évoqué l'atmosphère chaleureuse et conviviale qui régnait au sein du club, atmosphère qui pouvait tout aussi bien devenir électrique selon les humeurs de chacune mais qui restait toujours distrayante et pittoresque pour les deux étrangères qu'elles étaient. Tout en grignotant un gâteau, elle se divertissait de l'effervescence qui s'emparait des secrétaires de Juliette.

- Alors, Candy, tu l'as retrouvé ??? – demanda Donatella, les yeux grands ouverts et les sourcils arqués d'impatience.
- Oui, Candy, alors ???? – reprirent en chœur ses camarades.

Un sourire énigmatique se dessina sur le visage de la jeune femme. Elle laissa pendant quelques secondes planer le mystère mais n'eut finalement pas le courage de les faire attendre plus longtemps, et avoua, en hochant la tête.

- Oui, oui, je l'ai retrouvé !!!!
- Où donc ??? – gémit Maria, les larmes aux yeux.
- Devant la fontaine de la Plaza dell' erbe…

Face aux yeux scrutateurs et interrogateurs des quatre italiennes, Candy, sourire en coin, tira une chaise vers elle et s'assit face à elles.

- J'imagine que vous ne me laisserez pas quitter la pièce sans vous avoir tout raconté…
- C'est tout à fait ça, Candy. Tu es obligée de tout nous dire – répondit Francesca avec un sourire carnassier.
- Soit… Je n'ai pas d'autre choix… - soupira Candy en feignant la résignation, puis, après que les quatre dames se furent assises à leur tour, elle commença son récit : sa quête dans les rues de Vérone, ses doutes, ses craintes, puis les retrouvailles devant la fontaine, l'incrédulité qui l'avait saisie, puis la joie indescriptible qu'elle avait ressentie en se blottissant contre lui. Leur conversation à la terrasse d'un café, puis leurs adieux sur le perron de la pension qui s'étaient achevés en apothéose par le timide mais bien réel baiser qu'ils avaient échangé.

- Comme c'est romantique ! Comme c'est beau ! – s'écria Maria, troublée, que l'émotion faisait se signer dix fois tout en citant tous les saints du paradis.
- Dio mio ! – ajouta Donatella – J'en étais sûre ! J'en étais sûre de toute façon ! Quand ce petit est arrivé ici, tout contrit de ne pas t'y trouver, j'ai vu dans ses yeux qu'il ferait tout pour te rejoindre et qu'à un moment ou un autre, vos chemins allaient se croiser. Ce n'était plus qu'une question d'heures…
- De minutes, je dirais même ! – renchérit Maria, ce qui fit grimacer Donatella d'agacement.
- Je suis si heureuse pour toi, Candy ! – poursuivit Isabella, essayant de cacher l'émotion qui l'étreignait – J'ai tant prié pour toi, pour lui, pour vous deux !
- Et nous voilà exaucées ! – conclut Francesca, les yeux brillants d'enthousiasme – Cela fait tellement plaisir de voir une si belle histoire d'amour s'achever de cette façon. On n'aurait pas pu te souhaiter mieux.

Un sourire d'émerveillement éclairait le visage de Candy. Elle non plus n'aurait pu souhaiter mieux que ces retrouvailles féériques qu'elle avait vécues, si extraordinaires qu'elle avait encore du mal à les réaliser.

- Où se trouve à présent ce beau Terrence ? – s'enquit Maria, remise de ses émotions.
- C'est vrai qu'il est beau ! – ajouta Donatella avec un soupir évocateur – Il y a de la noblesse dans son regard, dans sa démarche. Mamamiiiiiia !
- Ressaisis-toi, Donatella – rétorqua Maria, piquée par la jalousie – Il pourrait être ton fils !
- Le tien aussi, Maria, puisque je crois savoir que tu es un peu plus âgée que moi !… - répliqua Donatella d'un ton acide. Cette fois, le visage de Maria vira à l'écarlate. Etouffant de colère, lèvres pincées, elle croisa les bras, et tourna la tête dans la direction opposée avec une expression de dédain qui la rendait comique.
- Et sa voix ? Avez-vous remarqué sa voix ??? – ajouta alors Francesca, qui prenait un plaisir fou à exciter les deux meilleures ennemies. Elle se mit à papillonner des yeux, cherchant une feuille de papier pour l'agiter devant elle en guise d'éventail.
- Profonde et envoutante… - murmura Isabella avec un haussement de sourcils très suggestif.
- Oh, DIO MIO !!! – gémirent-elles toutes ensemble, les mains jointes, les yeux levés vers le ciel.

Finalement, Terry les avait toutes faites tomber d'accord !...

Candy jeta un regard perplexe vers Patty qui avait du mal à se retenir de rire. La jeune blonde porta alors son poing à la bouche et toussa légèrement pour attirer leur attention qui s'était perdue dans des pensées vagabondes.

- Permettez-moi donc de répondre à votre question… - fit-elle, un brin moqueuse pour rappeler que la conversation avait passablement dévié – Je pense qu'à l'heure qu'il est, il doit être en train de répéter aux arènes. Je ne vais pas tarder à lui rendre visite d'ailleurs…
- Je me demande ce que tu fais encore là… - ricana Francesca, les yeux brillants de malice.
- C'est ce que je me demande aussi – répondit Candy en pouffant - Puis-je donc vous confier Patty pendant mon absence ?
- Ne te fais aucun souci ! – répondit Maria en adressant un large sourire à son amie – Nous allons la dorloter, la soigner aux petits oignons. A propos, elle aime les pastas, la petite ???
- Oui, oui, j'adore ça ! – répondit tout de go Patty qui avait bien compris qu'il ne valait mieux pas froisser la susceptibilité italienne, surtout s'agissant de cuisine.
- Dans ce cas, je peux m'en aller l'esprit tranquille – ironisa Candy en se levant de sa chaise.
- Tu le peux, mon amie, dépêche-toi d'aller retrouver ton amoureux… - lui dit Isabella en l'entrainant vers la porte. Candy se retourna et s'adressa une dernière fois à Patty.
- A tout à l'heure. Ne t'inquiète pas, je ne rentrerai pas tard. Tu auras le temps de te faire belle.
- Beeeeelle ? – demanda Donatella avec de grands yeux interrogateurs – Voyons… N'y aurait-il pas un homme là-dessous ???

Le nez de Patty avait déjà plongé vers ses souliers qu'elle fixait misérablement, en rougissant. Candy grimaça d'embarras, réalisant sa maladresse, et s'enfuit prestement, abandonnant Patty à la curiosité inquisitrice de Donatella, qui avait déjà rapproché sa chaise de la sienne.

- Alors, bella, comment s'appelle ce jeune homme ?...

Fin de la seconde partie du chapitre 12



Edited by Leia - 2/10/2013, 08:54
 
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view post Posted on 3/10/2013, 16:37
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Le cœur de Candy se mit à battre beaucoup plus vite au moment où elle pénétra sur la place Bra. Au centre, se dressait l'amphithéâtre romain, majestueux, avec ses arches de pierre blanche et rose disposées en cercle, lesquelles à l'origine ceignaient le bâtiment sur plus de cent mètres. Comme dans tous les amphithéâtres, des combats de gladiateurs avaient eu lieu ici, ainsi que des venazione, des chasses d'animaux féroces. Avec le temps, il avait été abandonné, puis au moyen âge, avait été utilisé en grande partie comme source de matériaux de construction pour la création de nouveaux bâtiments dans la ville. Un tremblement de terre au XIIème siècle avait achevé le carnage si bien que l'édifice, tel qu'il était à ce jour, avait beaucoup perdu de son faste d'antan, mais restait malgré tout, un des mieux conservés du pays.

Depuis 1913, en raison de son acoustique exceptionnelle, des spectacles, principalement des opéras, y étaient présentés, et apportaient un nouvel élan culturel à la ville. Pour Candy, la présence en ces lieux de Terry représentait l'hommage ultime à un passé grandiose et mythique. Elle avait tellement foi en lui qu'elle savait intimement qu'il allait s'illustrer ce soir par son talent et par la passion qu'il vouait à son métier. Après cela, on chuchoterait le nom de Terrence Graham dans toute la ville mais aussi dans toutes les capitales de la vieille Europe.

Elle soupira de contentement et se mit à contourner les arènes en quête d'une ouverture. La plupart étaient fermées ou comblées, mais elle aperçut finalement une porte entrouverte et s'y faufila discrètement, tandis que des employés de la ville étaient occupés à installer des barrières destinées à retenir mais aussi guider les futurs spectateurs. Elle ressortit du côté gauche, sur une allée qui bordait sur toute sa circonférence, l'intérieur de l'amphithéâtre. Dissimulée par les gradins au dessus d'elle qui remontaient par dizaine de rangées jusqu'au sommet, elle avança avec précaution pour ne pas être vue. Au pied de la scène, un orchestre, destiné à accompagner en musique la représentation, était en train de se préparer.

Comme les musiciens étaient en nombre, Candy put s'approcher un peu plus sans être remarquée et prit place derrière l'un d'eux, un contrebassiste, dont l'instrument gigantesque la soustrayait sans difficulté aux regards. Soudain, entre deux éléments de décor, elle distingua Terry et son cœur s'emballa comme un cheval au galop. Il était là, d'une beauté à couper le souffle, la mèche rebelle, vêtu d'un pantalon de toile confortable et d'une chemise unie d'un bleu fané. Il semblait tenir un passage de la pièce entre ses mains qu'il agitait en discutant avec plusieurs comédiens. Haletante, les doigts crispés sur l'assise, elle s'appuya contre le dossier de sa chaise, ferma les yeux et essaya de contrôler sa respiration. Mais tout à coup, la voix grave et puissante de Terry résonna dans l'enceinte. La répétition reprenait. Fascinée et tremblante, Candy, bouche entrouverte, se laissa aller à la sensation voluptueuse qui la gagnait.

La scène, la quatrième, décrivait le moment où Roméo revenait de sa visite chez le moine Laurence qu'il avait supplié d'organiser secrètement son union avec Juliette. Il retrouvait ses amis, et bien qu'évasif, ne dissimulait pas la passion qui l'étreignait. Survenait alors la nourrice de la jeune amante, interprétée par une comédienne d'assez forte corpulence…



La Nourrice. – Bien répondu, sur ma parole ! Pour se faire injure à lui-même, a-t-il dit… Messieurs, quelqu'un de vous saurait-il m'indiquer où je puis trouver le jeune Roméo ?

Roméo. – Je puis vous l'indiquer : pourtant le jeune Roméo, quand vous l'aurez trouvé, sera plus vieux qu'au moment où vous vous êtes mise à le chercher Je suis le plus jeune de ce nom là, à défaut d'un pire.

La Nourrice. – Fort bien !

Mercutio. – C'est le pire qu'elle trouve fort bien ! bonne remarque, ma foi, fort sensée, fort sensée.

La Nourrice, à Roméo. – Si vous êtes Roméo, monsieur, je désire vous faire une courte confidence.

Benvolio. – Elle va le convier à quelque souper.

Mercutio. – Une maquerelle ! une maquerelle ! une maquerelle ! Taïaut !

Roméo, à Mercutio. – Quel gibier as-tu donc levé ?

Mercutio. – Ce n'est pas précisément un lièvre, mais une bête à poil, rance comme la venaison moisie d'un pâté de carême.

(Il chante.)

Un vieux lièvre faisandé,
Quoiqu'il ait le poil gris,
Est un fort bon plat de carême.
Mais un vieux lièvre faisandé
A trop longtemps duré,
S'il est moisi avant d'être fini.
Roméo, venez-vous chez votre père ? Nous y allons dîner.

Roméo. – Je vous suis.

Mercutio, saluant la nourrice en chantant. – Adieu, antique dame, adieu, madame, adieu, madame.

(Sortent Mercutio et Benvolio.).

La Nourrice. – Oui, Morbleu, adieu ! Dites-moi donc quel est cet impudent fripier qui a débité tant de vilenies ?

Roméo. – C'est un gentilhomme, nourrice, qui aime à s'entendre parler, et qui en dit plus en une minute qu'il ne pourrait en écouter en un mois.

La Nourrice. – S'il s'avise de rien dire contre moi, je le mettrai à la raison, fût-il vigoureux comme vingt freluquets de son espèce ; et si je ne le puis moi-même, j'en trouverai qui y parviendront. Le polisson ! le malotru ! Je ne suis pas une de ses drôlesses ; je ne suis pas une de ses femelles !

(À Pierre.) Et toi aussi, il faut que tu restes coi, et que tu permettes au premier croquant venu d'user de moi à sa guise !

Pierre. – Je n'ai vu personne user de vous à sa guise ; si je l'avais vu, ma lame aurait bien vite été dehors, je vous le garantis. Je suis aussi prompt qu'un autre à dégainer quand je vois occasion pour une bonne querelle, et que la loi est de mon côté.

La Nourrice. – Vive Dieu ! Je suis si vexée que j'en tremble de tous mes membres !… Le polisson ! le malotru !… De grâce, monsieur un mot ! Comme je vous l'ai dit, ma jeune maîtresse m'a chargée d'aller à votre recherche… Ce qu'elle m'a chargée de vous dire, je le garde pour moi… Mais d'abord laissez-moi vous déclarer que, si vous aviez l'intention, comme on dit, de la mener au paradis des fous, ce serait une façon d'agir très grossière, comme on dit : car la demoiselle est si jeune ! Si donc il vous arrivait de jouer double jeu avec elle, ce serait un vilain trait à faire à une demoiselle, et un procédé très mesquin.

Roméo. – Nourrice, recommande-moi à ta dame et maîtresse. Je te jure…

La Nourrice. – L'excellent coeur ! Oui, ma foi, je le lui dirai. Seigneur ! Seigneur ! Elle va être bien joyeuse.

Roméo. – Que lui diras-tu, nourrice ? Tu ne m'écoutes pas. La Nourrice. – Je lui dirai, monsieur, que vous jurez, ce qui, à mon avis, est une action toute gentilhommière.

Roméo. – Dis-lui de trouver quelque moyen d'aller à confesse cette après-midi ; c'est dans la cellule de frère Laurence qu'elle sera confessée et mariée. Voici pour ta peine. (Il lui offre sa bourse.)

La Nourrice. – Non vraiment, monsieur, pas un denier !

Roméo. – Allons ! il le faut, te dis-je.

La Nourrice, prenant la bourse. – Cette après-midi, monsieur ? Bon, elle sera là.

Roméo. – Et toi, bonne nourrice, tu attendras derrière le mur de l'abbaye. Avant une heure, mon valet ira te rejoindre et t'apportera une échelle de corde : ce sont les haubans par lesquels je dois, dans le mystère de la nuit, monter au hunier de mon bonheur
Adieu !… Recommande-moi à ta maîtresse.

La Nourrice. – Sur ce, que le Dieu du ciel te bénisse ! Écoutez, monsieur.

Roméo. – Qu'as-tu à me dire, ma chère nourrice ?

La Nourrice. – Votre valet est-il discret ? Vous connaissez sans doute le proverbe : Deux personnes, hormis une, peuvent garder un secret.

Roméo. – Rassure-toi : mon valet est éprouvé comme l'acier.

La Nourrice. – Bien, monsieur : ma maîtresse est bien la plus charmante dame… Seigneur ! Seigneur !… Quand elle n'était encore qu'un petit être babillard !… Oh ! il y a en ville un grand seigneur, un certain Pâris, qui voudrait bien tâter du morceau ; mais elle, la bonne âme, elle aimerait autant voir un crapaud, un vrai crapaud, que de le voir, lui. Je la fâche quelquefois quand je lui dis que Pâris est l'homme qui lui convient le mieux : ah ! je vous le garantis, quand je dis ça, elle devient aussi pâle que n'importe quel linge au monde… Romarin et Roméo commencent tous deux par la même lettre, n'est-ce pas ?

Roméo. – Oui, nourrice. L'un et l'autre commencent par un R. Après ?

La Nourrice. – Ah ! Vous dites ça d'un air moqueur. Un R, c'est bon pour le nom d'un chien, puisque c'est un grognement de chien… Je suis bien sûre que Roméo commence par une autre lettre… Allez, elle dit de si jolies sentences sur vous et sur le romarin,
que cela vous ferait du bien de les entendre.

Roméo. – Recommande-moi à ta maîtresse. (Il sort.)

La Nourrice. – Oui, mille fois !… Pierre !

Pierre. – Voilà !

La Nourrice. – En avant, et lestement. (Ils sortent.)



- C'est parfait !!! – s'écria Sidney Wilde en applaudissant, la pièce roulée en un tube coincée sous son bras – Bien! Comme nous avons commencé de bonne heure et qu'il me semble, presque, entendre vos ventres crier famine, je vous octroie une heure et demi de pause. Rendez-vous tout à l'heure et merci de ne pas être en retard…

Aussitôt dit, l'ensemble des comédiens s'ébroua et se dispersa rapidement, peut-être par crainte que le metteur en scène ne changeât d'avis. Troublée, Candy balaya le théâtre du regard à la recherche de Terry mais ne le trouva point. Elle avait encore du mal à se remettre de sa prestation. L'écouter se pâmer avec autant de réalisme et d'ardeur à propos d'une autre, fut-elle de fiction, lui fendait le cœur. La gorge serrée, elle se leva et s'apprêtait à se diriger vers les coulisses lorsqu'une main ferme se posa sur son épaule et la fit sursauter.

- Terry ??? – fit-elle, surprise, en tournant la tête vers le jeune homme – Je ne t'ai pas vu arriver !
- Moi, oui ! – répondit-il en la caressant de son sourire félin – Dès que tu as posé un pied dans l'enceinte, même sans te voir, je sentais ta présence. Puis je t'ai devinée derrière ce contrebassiste, et mon cœur a bondi de joie…
- Je ne voulais pas me faire remarquer. Je ne voulais pas te déranger pendant que tu jouais… - fit-elle, penaude.
- Oh, Candy, tu ne me dérangeras jamais, bien au contraire ! Ta présence ici m'encourage à jouer encore mieux que de coutume. Je veux tellement que tu sois fière de moi.
- Oh, Terry, dieu du ciel ! Je le suis, et je le serai toujours. Tu m'as éblouie, encore une fois, et je peux même t'avouer que… que j'en viens à détester cette Juliette que tu évoques avec tant d'enthousiasme…
- Ma parole, Candy, serais-tu jalouse ??? – fit-il en éclatant de rire.

Elle secoua la tête comme une enfant. De l'index, il l'obligea à relever le menton pour le regarder, puis posa tendrement sa main contre sa joue. D'une voix sourde, il balbutia :

- Voyons, Candy, n'as-tu toujours pas compris que Juliette, c'est toi ? Et que si je mets autant de cœur à l'ouvrage, si j'ai autant d'aisance et de facilité à prononcer ces vers d'amour, c'est qu'ils ne s'adressent qu'à toi, uniquement qu'à toi, et ce, depuis toujours…
- Terry… - murmura-t-elle, les yeux humides, en penchant un peu plus la tête contre la paume de sa main.

Mais ils n'eurent pas le temps de profiter de ce moment d'affection sereine, que l'intervention indiscrète d'un technicien interrompit. Ce dernier, occupé à tirer des câbles pour l'éclairage, ne semblait pas disposé à contourner le couple d'amoureux.

- Pardon… - fit-il agacé en les bousculant.

Terry se retourna vivement. Candy retint son souffle. Dans d'autres circonstances, il y eut fort à parier que l'insolent se serait pris un bon coup de savate, mais miraculeusement, Terry ne réagit pas, le bonheur lui ayant ôté tout esprit querelleur. Magnanime, il se contenta de hausser les épaules.

- Viens, allons nous chercher un endroit plus tranquille ! –dit-il en lui prenant la main. Ils quittèrent l'amphithéâtre, traversèrent la piazza bra, remontèrent la rue Giuseppe Mazzini pour aboutir sur la piazza delle erbe. Candy reconnut tout de suite la fontaine et leva des yeux interrogatifs vers Terry.

- J'avais envie de revenir ici… - confessa-t-il avec une moue espiègle. Elle hocha la tête. Il la prit par le bras et pivota vers le prolongement de la place en ajoutant – Tu sais, c'est si merveilleux pour moi d'être avec toi que…. que nos retrouvailles auraient pu tout aussi bien avoir eu lieu dans un terrain vague que je n'en aurais pas trouvé l'endroit moins magnifique…
- Par chance, le destin a préféré joindre l'utile à l'agréable… - pouffa Candy en se blottissant contre lui. Elle sentit qu'il riait lui aussi et elle sourit. La tête contre son épaule, elle posa à son tour un regard admiratif sur ce qui l'entourait. La veille, elle avait bien remarqué les fresques médiévales sur les murs des maisons et la beauté architecturale de certains bâtiments, mais avec Terry à ses côtés, tout brillait d'un nouvel éclat, comme si une lumière divine avait recouvert les lieux.

Ce n'était pas jour de marché, mais il n'y avait pas moins de touristes, qui, tout en flânant, cherchaient eux aussi à se sustenter. Le choix du jeune couple se porta sur un petit restaurant, sans grand apparat, mais dont une odeur appétissante en provenance de la cuisine embaumait toute la terrasse.

- Tu sais que je n'ai pas encore eu l'occasion de manger une pizza depuis mon arrivée ici ? – fit Candy alors que le serveur lui apportait une splendide "Margherita". Devant la taille du morceau, elle se dit qu'elle aurait dû commander celle qu'on proposait aux enfants qui avait déjà l'air imposante. Depuis qu'elle avait retrouvé Terry, elle n'avait plus vraiment d'appétit. D'habitude, c'était la tristesse qui faisait qu'on le perdait, mais concernant Candy, c'était bien l'amour qui le lui avait ôté. Elle n'avait faim que de Terry. Sa seule présence suffisait à la rassasier.
- J'avoue que tu m'étonnes, Candy. Ce n'est pas ton genre de passer à côté des bonnes choses… - fit-il sur un ton taquin en portant à sa bouche un morceau de "Regina".
- Détrompe-toi, j'ai découvert de nombreuses petites merveilles culinaires mais elles sont si nombreuses que je n'ai pas encore eu le temps de faire connaissance avec toutes. Je dois aussi te dire que… (Elle baissa les yeux en rougissant) …je n'ai pas très faim en ce moment…

Le regard de Terry se troubla. Il posa sa fourchette et lui prit la main.

- Moi non plus… - murmura-t-il – Moi non plus et je suis très heureux d'éprouver cela…

Elle opina en rougissant de plus belle et accueillit avec un sourire de soulagement le serveur qui venait remplir leurs verres d'eau gazeuse. Cette petite diversion lui permit de retrouver sa contenance et elle demanda, feignant la contrariété :

- Tu ne m'as toujours rien dit ?...
- A propos de quoi ?
- Tu sais bien…

Terry fronça les sourcils d'incompréhension.

- Non, je ne vois pas. – répondit-il, dubitatif. En retour, elle posa ses coudes sur la table, et la tête en appui sur l'une de ses mains, enroula de l'autre une mèche de cheveux.
- Tu ne vois toujours pas ?

Terry recula contre sa chaise en gloussant. Il reposa sa serviette à côté de lui et dit, les yeux mi-clos de malice.

- Dieu que oui, je l'avais remarqué !... Je l'avais déjà remarqué à New-York, sur le bateau et j'avais trouvé… que cela t'allait divinement bien !...

C'est la première chose que j'ai vue, Candy… Tu étais sublime, avec ces mèches courtes qui flottaient autour de ton doux visage. J'avais toujours eu de la tendresse pour les rubans qui nouaient tes cheveux, mais cette fois, je te retrouvais femme, terriblement belle et séduisante, et j'ai pensé que… que l'adolescente que j'avais quittée dix ans auparavant n'existait peut-être plus, mais que la femme si désirable que j'avais sous les yeux, venait de me faire oublier toutes ces longues années perdues sans elle…

Puis, cette horrible pensée m'a traversée. Celle qui t'avait certainement poussée à agir de la sorte. Cette tristesse infinie qui devient insupportable à vivre et contre laquelle on doit lutter si l'on ne veut pas mourir. On tire un trait sur son passé, on tourne une nouvelle page, qui, bien souvent, s'accompagne d'un changement physique radical pour éviter que le miroir nous renvoie vers quelque chose auquel il est trop douloureux de penser. As-tu renoncé à moi, Candy, comme j'ai renoncé à toi ? Le jour où j'ai décidé de revenir dans le monde des vivants, le jour où j'ai accepté que je ne pourrais jamais vivre sans toi, j'ai coupé cette chevelure qui me rappelait trop Terrence Grandchester, ce fils d'aristo qui n'avait même pas eu le courage de te retenir. A mesure que le barbier coupait mes longues mèches, ne me laissant, à ma demande, que quelques centimètres sur le crâne, je découvrais une nouvelle personne qui me dévisageait avec une certaine curiosité mais sans aucune indulgence. Je n'aimais pas ce que je voyais, mais cela me laissait toute liberté pour devenir Terrence Graham, le comédien sans attache ni famille, et j'ai vécu avec celui-ci depuis… Avec le temps, mes cheveux ont repoussé mais j'ai toujours pris garde qu'ils ne soient pas trop longs… par protection.


Candy l'observait, silencieux, pensif, fixant la nappe, un voile de tristesse couvrant ses traits figés. Elle n'avait pas besoin de mots pour comprendre le bouleversement intérieur qui l'habitait. Elle devinait sans peine cette sensation de semi-délivrance qu'elle avait éprouvée quand elle aussi, elle avait fait le choix de couper ses cheveux, quelques temps après avoir appris qu'il était reparti vivre auprès de Suzanne. Malgré cela, les années passant, la mélancolie était peu à peu revenue, cette sensation de lourdeur dans tout son être avec laquelle elle avait appris à vivre, tout au moins à survivre… La gorge serrée, elle posa une main réconfortante sur la sienne. Il leva les yeux vers elle dans lesquels elle lut une profonde tristesse, qu'elle reconnaissait, pour l'avoir bien souvent côtoyée elle aussi.

- Cela te va très bien à toi aussi… - dit-elle péniblement, la voix étranglée par l'émotion.

En réponse, il lui serra très fort la main et lui adressa un sourire empreint de gratitude. Ils se regardèrent ainsi longuement, sans échanger un mot. Ils n'en avaient pas besoin. Ils se connaissaient trop bien, avaient traversé les mêmes épreuves. Il était décidément très douloureux d'être heureux…

Ce fut lui qui finalement mit un terme à cet éprouvant intermède en évoquant le sujet brûlant de Patty et plus précisément, de cet homme en blouse blanche qui semblait plus particulièrement attiré par les battements de son cœur que par sa courbe de température. Candy se mit à rire et lui expliqua la situation, non sans omettre son inquiétude vis-à-vis de la rapidité avec laquelle cette relation s'était nouée…

- Laisse-la donc vivre sa vie ! – fit-il quand elle eut achevé son récit – C'est une grande fille, elle n'a pas besoin d'un chaperon.
- C'est bien ce que je me force à penser mais je ne peux m'empêcher de trouver qu'ils vont vite en besogne. Ils ne se connaissent que depuis une semaine.
- Candy… Je suis tombé fou amoureux de toi dès notre première rencontre, sur ce bateau qui nous menait à Southampton. Si j'avais été plus âgé, je t'aurais enlevée sur place pour t'épouser dès que nous aurions eu atteint la terre ferme…
- Cela s'appelle "être irresponsable", mon jeune ami – ironisa-t-elle pour cacher son trouble.
- Non, cela s'appelle "être le plus chanceux des hommes"… - répondit-il en lui adressant un regard débordant de tendresse. Candy baissa les yeux en rougissant, son cœur battant à tout rompre. Ce fut le coup de cloche salvateur de la Torre dei Lamberti, de l'autre côté de la place, qui l'aida à se ressaisir.
- C'est une sacrée tour, dis-moi ! – fit Terry en se retournant pour mieux la regarder.
- En effet, elle est très haute ! Dans le livre sur Vérone que j'ai offert à Patty, il est indiqué qu'elle mesure plus de quatre-vingt mètres !
- Fichtre ! Au moins de là haut, on doit avoir une vue imprenable sur la ville !
- Cela doit être assurément magnifique !...

Le jeune homme se servit un dernier verre de San Pellegrino, puis sortit quelques billets de sa poche qu'il posa sur le coin de la table.

- Je crois qu'il est malheureusement temps pour moi de retourner aux arènes – fit-il sur un ton de dépit. Candy acquiesça en soupirant et tous deux quittèrent le restaurant en direction de l'amphithéâtre. Alors qu'ils approchaient de l'entrée principale, il réalisa qu'ils allaient devoir de nouveau se séparer pour quelques heures, et il sentit son estomac se tordre de contrariété.

- J'ai hâte que la représentation soit terminée !... – gémit-il alors qu'ils se trouvaient devant la porte.
- Et moi j'ai hâte de te voir sur scène ! – répondit-elle, les yeux brillant d'admiration.

Il porta une nouvelle fois la main à sa joue pour la caresser. Il ne se lassait pas du doux contact de sa peau contre la sienne.

- Ne te fais pas de souci pour les entrées. Je vais informer le directeur de votre présence et je demanderai à ce qu'on vous réserve les meilleures places.
- Ce n'est pas nécessaire, Terry. J'ai déjà des billets.
- Tssss, tsssss ! Ne te préoccupe pas de tout cela – murmura-t-il en posant un baiser furtif sur sa joue. Il aurait voulu la serrer contre lui mais il apercevait déjà des membres de la troupe venir dans sa direction et il n'avait pas envie de devenir leur nouveau sujet de conversation. Remarquant leur présence, Candy recula de quelques pas, et salua Terry d'un timide geste de la main.

- A ce soir, Terry ! Tu vas tous les éblouir, je le sais.

Un discret sourire se dessina sur le visage du jeune homme tandis qu'il opinait de la tête.

- A ce soir, Candy…

Puis il disparut, emporté par les autres membres de la troupe qui l'entrainèrent à l'intérieur. Ce n'était pas le moment de distraire leur meilleur élément !

Le cœur gros, Candy reprit le chemin du retour vers le club. Elle allait retrouver Patty, puis elles rentreraient à la pension et elles s'occuperaient à trouver la tenue adéquate pour la soirée. Malgré tout ce qu'elles avaient emporté avec elles, Candy se surprit pour la première fois de sa vie, à ressentir cette angoisse commune à la plupart des femmes, celle qui risquait de la faire douter jusqu'au dernier moment :

Mais qu'allait-elle donc pouvoir mettre ????

Fin de la troisième partie du chapitre 12



Edited by Leia - 4/10/2013, 15:53
 
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Cela faisait plus d'une demi-heure qu'Alessandro Biazini faisait le pied de grue devant la pension Roberta. Les mains dans les poches de son élégant smoking, il n'avait de cesse d'aller et venir devant la maison en marmonnant dans sa barbe, pestant contre l'idée saugrenue qu'il avait eue de venir ici un peu en avance alors qu'à l'évidence, les femmes ne portaient aucun intérêt aux horaires, et prenaient manifestement un malin plaisir à être en retard ! Et en retard, ils allaient finir par l'être si elles n'accéléraient pas la cadence !

- Bon ! – maugréa-t-il en jetant un énième regard à sa montre – Si dans cinq minutes elles ne sont pas là, je klaxonne !

Il se regarda dans la vitre de sa voiture et réajusta son nœud papillon. Il trouvait qu'il avait l'allure d'un pingouin vêtu ainsi. Mais il fallait en passer par là pour assister à un spectacle aux arènes. Il était hautement recommandé d'être bien habillé si on ne voulait pas se faire désagréablement remarquer et rappeler à l'ordre à l'entrée. Tout à coup, il aperçut derrière son reflet, la porte de la pension s'ouvrir enfin. Il se retourna et dut s'adosser contre l'automobile pour ne pas perdre l'équilibre devant la vision éblouissante qui s'offrait à ses yeux émerveillés. Dans sa vie, il avait eu l'occasion de croiser de jolis brins de filles, mais les deux nymphes qui se tenaient debout devant lui l'amenaient à remettre en cause tout ce qu'il croyait connaître de la beauté féminine.

Ce fut Patty qui avança en premier vers lui, un sourire timide sur les lèvres. Il n'était manifestement pas insensible à sa nouvelle coiffure, une coupe à la garçonne, pour laquelle elle avait opté sur les conseils du coiffeur que lui avaient indiqué les filles du club. Cette coiffure dégageait parfaitement son visage et mettait en valeur ses grands yeux noisette. Comme il lui était impossible de se passer de lunettes sans lesquelles elle ne pouvait rien distinguer, elle avait chaussé une de ses plus jolies paires, en écaille teintée aux reflets de bois de rose, assortie à la couleur de sa robe. De la dentelle ciselée à la main habillait les montures, fines et légères comme une plume. Elle avait lu dans un magazine de mode qu'il fallait insister sur le maquillage des yeux quand on portait des lunettes pour qu'ils contrastent avec l'épaisseur des verres, et elle avait été agréablement étonnée par le résultat. Elle portait une ravissante robe tube en soie qui descendait jusqu'au dessus des chevilles. Des motifs japonisants, brodés à la main, se dispersaient sur le tissu chatoyant, dont la couleur rose se fondait en un subtil dégradé qui remontait vers les épaules pour s'achever en un blanc ivoire, qui rehaussait le teint laiteux de ses bras nus. De jolies boucles d'oreilles en nacre ainsi qu'un sautoir en perles noires de Polynésie complétaient la tenue et lui conféraient une élégance rare. Toutes ces heures passées à se faire belle pour lui n'avaient visiblement pas été inutiles…

- Patricia, vous… Vous êtes délicieuse… - bredouilla-t-il en prenant la main qu'elle lui tendait. Puis son regard se déplaça vers la jeune femme derrière elle, et il dut faire appel à tout son sang-froid de médecin militaire pour ne pas laisser transparaître le violent émoi que cette dernière, par sa seule présence, venait de provoquer en lui.

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Debout sur la première marche du perron, un peu à l'écart derrière Patty, elle explosait de beauté, irréelle, telle une apparition. Vêtue d'une robe longue à bretelles en soie rouge (le Rouge Patou en référence au nom de son créateur, Jean Patou) une robe dont la coupe près du corps, qu'elle avait fin et musclé, soulignait ses formes exquises, elle le regardait avec insouciance, sans réaliser le trouble qu'elle lui procurait. D'une main, elle réajusta le gilet de soie en forme de liseuse qui recouvrait ses épaules nues, et qui retombait sur les côtés de son décolleté en V, laissant subtilement deviner les rondeurs de sa poitrine. Candy ignorait que le couturier avait créé cette robe expressément pour elle, suite à la requête qu'Annie lui avait faite par courrier. Dans sa lettre, elle lui avait raconté une belle histoire d'amour, celle de Candy, et avait aussi évoqué ses très probables retrouvailles avec l'homme qu'elle aimait. Elle lui avait donc demandé d'imaginer une robe qui révèlerait la féminité et la beauté de son amie mais qui symboliserait aussi cet amour triomphant. Elle y avait inclus les mensurations de Candy, et avait précisé que quelqu'un passerait chercher la robe à son atelier au début du mois de juillet. Très touché par cette histoire, le couturier avait accepté la requête d'Annie et s'était attelé à la tâche afin que la robe soit prête quand la jeune américaine, pour laquelle elle était destinée, arriverait en France. Ainsi, ce fut Patty, qui, lors de leur court séjour à Paris, avait discrètement sollicité l'aide du concierge de l'hôtel où elles résidaient pour qu'il lui fasse parvenir ladite robe, qu'elle avait ensuite cachée dans ses bagages. Comme elle était enfermée dans une boite et enveloppée dans du papier de soie, Patty ne l'avait découverte qu'en même temps que Candy, alors qu'elle écartait avec fébrilité chaque feuille de papier. Et quand elle était apparue à leurs yeux éblouis, tel un rubis au creux de son écrin, la jeune brune s'était dit en souriant que le couturier avait, sans pourtant la connaître, parfaitement cerné la personnalité de Candy en lui offrant une robe flamboyante - qui rappelait son caractère passionné - et voluptueusement sensuelle, destinée à foudroyer l'être aimé.

- Tu ne trouves pas que c'est un peu… rouge ? – avait demandé Candy en s'observant dans le miroir. Patty s'était approchée d'elle et la tête par dessus son épaule, admirative devant le reflet de son amie, lui avait répondu :
- Non… Absolument pas… Elle te va merveilleusement bien…

Mais devant la moue dubitative de Candy, elle avait ajouté, tout en la coiffant d'un ravissant serre-tête en satin sur lequel était fixée une fleur noire en tissu et incrustée de pierreries :

- Tsssss, tsssss, tsssss ! Ce soir, Candy, c'est ton soir et c'est aussi celui de Terry. Dieu t'a donné la beauté de l'âme mais aussi la beauté du corps, ce qui, contrairement à ce que tu persistes à croire, est honnête et respectable , et je voudrais enfin, qu'une fois dans ta vie, tu veuilles bien honorer ce cadeau, ce privilège dont la nature t'a octroyé.
- C'est que… Je me sens mal à l'aise… Je ne me reconnais pas… Je ne reconnais pas cette personne en face de moi qui est si… si…
- Si jolie ?

Candy avait opiné en baissant les yeux. Le petit rire affectueux de Patty lui avait fait relever la tête.

- Ah Candy ! – s'était-elle écriée en la faisant pivoter vers elle – Vas-tu un jour accepter le fait que tu sois belle ? Oui, tu es belle !!! Et ce soir, tu vas faire vaciller bien des têtes sur ton passage - Tu portes assurément la robe appropriée pour cela – Il n'y a aucune honte à être comme tu es, d'autant plus quand tu destines cette perfection à celui que tu aimes ! Et je sais déjà la pensée qui va le traverser en te voyant : qu'il est le plus fortuné des hommes d'être aimé de toi, belle et généreuse, toute en harmonie du corps et du cœur. Allez, pour une fois, Candy, cesse de chercher à te justifier pour ce que tu es! Sois un peu frivole, légère ! Goûte, savoure pleinement les plaisirs que t'offre la vie. N'as-tu pas mérité cela après tout ce que tu as enduré ? Crois-moi, quand tu seras vieille et ridée comme une pomme, il sera un peu tard pour regretter tes jolis traits !

- Eh bien ! – avait répondu Candy en ricanant nerveusement, déconcertée par l'éloge dithyrambique de son amie – Tu sais trouver les mots pour convaincre même si je te trouve excessivement indulgente à mon égard…
- J'ai surtout un excellent sens de l'observation !
- N'oublie pas alors de me faire penser à te conduire chez l'ophtalmologiste quand nous serons de retour en Amérique – avait ironisé la jolie blonde en lui jetant un clin d'œil plein de malice.
- Si tu veux ! – avait renchéri la jeune O'Brien en lui tirant la langue – Mais avant cela, concentrons-nous plutôt sur cette soirée, qui, je te le rappelle, est très importante pour moi aussi !
- Dans ce cas, ma chère Patty, cessons nos bavardages et hâtons-nous ! L'heure tourne !

Patty avait acquiescé d'un vif mouvement de tête et s'en était retournée vers la pile de vêtements amoncelés sur leur lit, pour, après moult essayages, faire le choix de la splendide robe qui venait de faire chavirer son soupirant transalpin. A présent qu'elle se tenait devant lui, angoissée à l'idée de le décevoir, le regard admiratif qu'il lui renvoyait la tranquillisa. Bien qu'il ne soit pas indifférent à la beauté éclatante de Candy, il laissait le soin à d'autres de se consumer à sa lumière, comme cet anglais qu'il avait aperçu la veille, et qui semblait tout disposé à être réduit en cendres par un seul geste ou regard d'elle. Lui, le séducteur impénitent, avait vite compris que chercher à la conquérir revenait à relever un défi impossible pour lequel il n'avait ni l'inconscience, ni l'envergure. C'était comme vouloir s'aventurer sur un territoire habité des dieux, que sa qualité de simple mortel rendait infranchissable. Il préférait sans hésitation aucune, le calme et la douceur de la jolie brune qui le regardait en rougissant, aux flammes de la passion enragée que sa blonde amie aurait pu provoquer en lui.

Reprenant possession de ses moyens, il s'empressa d'ouvrir la portière de sa voiture et, d'un geste de la main, invita les deux demoiselles à s'asseoir sur la banquette arrière.

- Vous êtes si belles et si élégantes, mesdames, que je fais pâle figure à vos côtés. Je passerais presque pour votre chauffeur… - ironisa-t-il en s'installant dans le fauteuil conducteur.
- Un chauffeur en smoking, ce n'est pas commun je dois dire… - répondit Candy avec malice tandis que Patty gloussait, à demi-cachée derrière son éventail – Mais vous feriez presque illusion, il est vrai…

Le médecin poussa un grand soupir de désappointement et se retourna vers les deux passagères, avec un air faussement contrit.

- Puis-je malgré tout espérer votre indulgence à mon égard ?
- Rassurez-vous, Alessandro ! – intervint Patty qui ne savait plus trop s'il était sérieux ou s'il les taquinait – Nous vous acceptons volontiers comme chaperon ! Et permettez-moi aussi d'ajouter que… que le smoking vous va très bien !

Elle se réfugia de nouveau derrière son éventail, les joues s'empourprant de sa hardiesse qui confessait à demi-mot l'émoi qu'elle avait ressenti en le voyant. Le médecin en blouse blanche l'avait immédiatement séduite, mais le bel homme brun en costume sombre qui l'avait accueillie, l'avait définitivement conquise.

- Dans ce cas… - fit le chauffeur Biazini, avec un sourire ravi. Il adorait quand Patty se montrait audacieuse… – Je suis votre humble serviteur ! J'espère que vous ne m'en voudrez pas de vous transporter dans ce modeste carrosse. Ma Rolls est en réparation…
- Si cela peut vous mettre à l'aise, cher Alessandro – pouffa Candy en découvrant avec amusement un nouvel aspect de Casanova. "Un charmeur qui avait de l'humour ; Patty était définitivement fichue !" - J'ai circulé dans bien pire que cela…

Il ne savait pas qu'elle faisait référence aux carrioles sur lesquelles elle avait voyagé durant son retour en Amérique, après son départ de Saint-Paul. Ce périple mouvementé qu'elle avait courageusement entrepris pour retrouver Terry. Terry… Dans quelques minutes, elle serait auprès de lui ! Dans quelques minutes, le cœur gonflé de fierté et d'orgueil, elle le verrait sur scène, et elle comptait bien en apprécier chaque instant. Bouleversée par l'émotion qui la saisissait, elle tourna son joli visage vers la fenêtre et se mit à fixer d'un air distrait le paysage qui défilait sous ses yeux.

Quelques minutes plus tard, la Fiat 502 du médecin s'arrêta derrière une longue file d'automobiles qui attendaient leur tour devant l'esplanade des arènes. Pendant leur lente progression, on pouvait tout en patientant se divertir du ballet incessant des voituriers auxquels chacun confiait son véhicule pour le récupérer en fin de soirée, après le spectacle. L'un d'eux vint enfin se présenter à leur hauteur pour ouvrir la portière aux deux demoiselles.

- Mesdames, bienvenue au théâtre des arènes. Nous vous souhaitons une excellente soirée – fit-il en les saluant cérémonieusement, tout en évaluant du coin de l'œil leur grâce qu'il trouvait exquise. Avec un peu de chance, elles s'adresseraient à lui à leur retour, et il aurait une nouvelle opportunité de contempler leurs traits délicats, notamment ceux de cette magnifique blonde dont les yeux d'un vert magnétique ainsi que la bouche écarlate et sensuelle invitaient à l'imprudence.

Sans rien laisser paraître de son trouble, il remit un ticket en guise de reçu au conducteur. Ce dernier rangea dans la poche de sa veste de smoking, puis, brandissant ses billets de théâtre, il se tourna vers Patty et, muni de son plus charmant sourire, lui offrit son bras, qu'elle accepta d'un timide signe de tête, qui ne dissimulait en rien sa nervosité. Elle jeta discrètement un regard à son amie qui opina avec un sourire entendu, et se laissa guider sur le tapis rouge qui menait à l'entrée de l'amphithéâtre. Candy, deux pas derrière le couple, suivait la marche tout en posant des yeux émerveillés sur l'antique édifice éclairé par des lanternes qu'on avait suspendues sur chaque pilier des arcades. On avait drapé la grande porte de tentures de couleur pourpre qui retombaient pesamment sur le sol. Retenues de part et d'autre par une corde, elles laissaient entrevoir le couloir que la jeune femme avait emprunté dans la matinée. Fébrile, elle s'engagea dans le passage. Des employés du théâtre, en costume sombre et chemise blanche, les mains derrière le dos, attendaient les spectateurs de l'autre côté et les accueillaient d'un sourire aimable. Candy remarqua l'un d'eux écarquiller les yeux en l'apercevant et donner un discret coup de coude à son collègue, lequel ouvrit la bouche comme s'il allait gober une mouche. Embarrassée, elle baissa la tête et pressa le pas, serrant un peu plus fort la pochette de velours qu'elle tenait à la main. Dans sa hâte, elle ne remarqua pas le contrôleur et buta contre lui sans qu'il puisse l'éviter. Confuse, elle bredouilla de plates excuses et pour toute diversion, lui tendit son invitation, celle qu'on lui avait donnée au club de Juliette et sur laquelle elle s'était contentée d'ajouter son nom. L'homme, d'une cinquantaine d'années et au visage austère, examina le billet d'un air soupçonneux, puis soudain se redressa, ne pouvant réprimer un sursaut.

- Mademoiselle André, c'est un honneur de vous accueillir en ces lieux – fit-il en s'inclinant, d'une voix mielleuse – Monsieur Graham m'a informé de votre présence. Permettez-moi donc de vous conduire à votre place…
- C'est que… - répondit Candy en se retournant vers Patty et son compagnon.
- Bien entendu, vos amis sont priés de se joindre à vous… - ajouta-t-il en les invitant d'un geste de la main à le suivre.

Candy soupira de soulagement et emboita son pas sur celui de l'inconnu qui semblait pourtant bien informé à son égard. Il y avait déjà foule dans l'amphithéâtre capable d'accueillir plus vingt mille personnes. La jeune femme frémit à cette pensée et se demanda si Terry ne serait pas trop impressionné par tous ces gens venus pour le voir. Intimidée, elle traversa, sans un regard autour d'elle, le vaste parterre qui fourmillait de monde, prenant soin de relever un pan de sa longue robe pour ne pas trébucher. Le contrôleur les amena jusqu'au carré d'or qui était un emplacement privilégié situé au plus près de la scène et qui offrait la meilleure visibilité. Terry ne s'était pas moqué d'elle ! Elle remonta deux rangées de sièges puis s'engagea dans la troisième et prit place dans un fauteuil, à côté d'un homme très élégant aux tempes grisonnantes, qui était occupé à lire le programme. Bien plus tard, elle apprendrait qu'il était le sympathique banquier qui hébergeait gracieusement Terry, et que ce dernier avait invité pour le remercier. Comme le voulait la coutume, chaque spectateur avait allumé une bougie ce qui donnait l'impression étrange que des milliers d'astres lumineux étaient venus se poser au pied des gradins de marbre rose. Les éclats de voix mêlés aux murmures résonnaient dans l'enceinte en un écho qui vibrait dans l'air, une cacophonie tumultueuse et ardente d'où exhalait un climat de ferveur solennelle. Elle leva la tête et aperçut les étoiles qui apparaissaient peu à peu dans le ciel rougeoyant dénué de nuages de cette paisible soirée d'été, et soupira d'aise.

Normalement, elle aurait dû être assise sur les gradins qui gravitaient par centaines tout autour. D'un prix plus accessible car plus éloignées de la scène, ces zones n'en conservaient pas moins une acoustique extraordinaire. Les personnes qui étaient assises là, apportaient ou louaient un petit coussin, objet indispensable pour soulager leur postérieur de la dureté de la pierre. Candy savait que ses copines du club se trouvaient dans l'assistance, mais il y avait tellement de monde, que malgré tous ses efforts, elle n'était pas parvenue à les apercevoir.

En contre-bas, dans la fosse, les musiciens de l'orchestre étaient déjà installés et attendaient l'arrivée de leur maître. Soudain, le chef d'orchestre apparut devant son pupitre, salua le public et ses musiciens, et, d'un geste magistral, leva sa baguette. Frissonnante, Candy adressa un regard ému à Patty assise à côté d'elle, laquelle lui prit la main en souriant avec bienveillance. Le silence s'installa rapidement et les premières notes de la musique d'Hector Berlioz retentirent. Rien n'avait encore bougé sur la scène, puis tout à coup, le rideau se leva sur un décor moyenâgeux, représentant une place publique. Le cœur de Candy bondit dans sa poitrine. Deux jeunes hommes de la maison des Capulet se tenaient sur la scène, rejoints quelques minutes plus tard par un duo de la maison Montaigu. La respiration de la jeune femme s'accéléra. Elle connaissait la pièce par cœur. Elle savait que Roméo allait, dans quelques secondes, faire son apparition. Enfin ! Il fut là, dans toute sa prestance, irrésistible dans son pourpoint bleu marine à col haut bordé d'un liseré plus clair, et percé de deux manches bouffantes d'un bleu grisé, resserrées au coude. Une ceinture de cuir lui serrait la taille et des collants de couleur identique à celle du pourpoint, recouvraient ses jambes, chaussées de souliers à bout large en cuir noir. Il portait une toque de couleur sombre sur la tête qui lui donnait des allures de page, mais dès qu'il ouvrit la bouche et que sa voix résonna dans l'enceinte, toute la noblesse de ses origines frappa l'assistance, et des murmures d'admiration coururent dans l'auditoire. Il n'était qu'à quelques mètres d'elle, une vingtaine tout au plus, et elle pouvait sans aucune difficulté distinguer les traits réguliers de son magnifique visage qu'elle contemplait amoureusement. Elle regarda un peu autour d'elle et remarqua qu'elle n'était pas la seule à lui vouer une telle adoration. Des cous de jeunes femmes s'étiraient dans sa direction, des yeux s'écarquillaient suivis d'échanges de points de vue explicites. Une pointe de jalousie mêlée d'orgueil s'empara d'elle. D'un côté, elle se réjouissait du succès de Terry mais de l'autre, elle ne supportait pas l'attirance qu'il exerçait sur les femmes, de tout âge d'ailleurs, et qui le dévoraient des yeux sans aucune retenue.

Ce fut alors, tandis qu'il récitait son texte, qu'elle le surprit à jeter un coup d'œil furtif vers le carré d'or. Son cœur s'emballa puis s'arrêta tout net, coupé dans son élan par ses yeux clairs, pénétrants, qui venaient de trouver les siens. Elle perçut l'ombre furtive d'un sourire se dessiner sur ses lèvres et elle hoqueta, terrassée par l'émotion. Quand elle rouvrit les yeux, il ne la regardait plus. Il était redevenu Roméo, ce cœur d'artichaut follement épris d'une certaine Rosaline qu'il allait remplacer sans autre forme de procès, quelques scènes plus tard, par une autre, prénommée Juliette. Déconcertée, elle se pinça la cuisse pour vérifier qu'elle n'avait pas rêvé, puis, rassurée, reprit le cours de la pièce, les yeux fixés sur Terry, qui évoluait sur la scène avec une aisance et une grâce envoutante.

Arriva le moment tant attendu du bal où Roméo rencontrait Juliette. Une grimace de contrariété se dessina sur le visage de la jeune américaine quand elle le vit prendre l'héroïne dans ses bras et déposer un baiser sur ses lèvres. C'était certes un baiser de théâtre entre deux comédiens, un baiser chaste, mais cela restait néanmoins un baiser ! Les lèvres de Terry étaient allées à la rencontre des lèvres d'une autre femme et cette évocation suffisait à la déstabiliser. Combien de femmes avait-il donc embrassé dans sa carrière, et… Combien d'autres en dehors ??? Il fallait vraiment qu'elle se ressaisisse ! Il ne faisait que son travail après tout… Mais quand vint le moment du mariage du jeune couple et celui de leur nuit de noces, elle dut bien se rendre à l'évidence qu'assister à la représentation de Roméo et Juliette n'était peut-être pas ce qu'il y avait de plus approprié pour son cœur encore fragilisé… Il était vrai que leurs toutes fraîches retrouvailles ne leur avaient pas permis d'instaurer une relation sereine, laquelle, bien que tendre et complice, souffrait d'une certaine réserve, d'une pudeur qu'ils devraient apprivoiser. Tout cela se traduisait chez elle par le doute et l'angoisse de le perdre. Et cette Juliette, bien trop jolie pour être honnête, ne faisait rien pour la rassurer !

Elle essaya de se calmer et se mit à respirer plus lentement. La nuit était tombée, l'air s'était rafraîchi. Tout là haut, le ciel obscur constellé d'étoiles rivalisait avec le spectacle féérique des illuminations des arènes. Toute à sa contemplation, les vieux souvenirs longtemps enfouis refirent peu à peu surface dans son esprit : sa rencontre avec le bel mais arrogant aristocrate sur le bateau qui la conduisait en Angleterre, puis leurs chassés-croisés à Saint-Paul, le festival de Mai, les vacances en Ecosse, leur premier baiser… Puis le piège d'Elisa qui les avait séparés, son départ pour l'Amérique, leurs retrouvailles à New-York et leur funeste conclusion qui avait résulté sur une existence uniforme et monotone, une existence qui avait perdu tout goût et toute envie sans lui… La gorge serrée, elle rouvrit les yeux. Roméo se trouvait à présent dans le caveau des Capulet, tenant dans ses bras Juliette inanimée. Combien de temps s'était-il écoulé ??? Perdue dans ses pensées, elle n'avait pas vu le temps passer. Elle se sentit aussitôt envahie d'un sentiment de culpabilité qu'elle chassa immédiatement, trop absorbée qu'elle était par la scène mythique qui se déroulait devant elle et qu'elle redoutait.

Roméo : Ah ! Chère Juliette, pourquoi es-tu si belle encore ? Dois-je croire que le spectre de la Mort est amoureux et que l'affreux monstre décharné te garde ici dans les ténèbres pour te posséder ?… Horreur ! Je veux rester près de toi, et ne plus sortir de ce sinistre palais de la nuit ; ici, ici, je veux rester avec ta chambrière, la vermine ! Oh ! C'est ici que je veux fixer mon éternelle demeure et soustraire au joug des étoiles ennemies cette chair lasse du monde…
(Tenant le corps embrassé.) Un dernier regard, mes yeux ! Bras, une dernière étreinte ! Et vous, lèvres, vous, portes de l'haleine, scellez par un baiser légitime un pacte indéfini avec le sépulcre accapareur !
(Saisissant la fiole.) Viens, amer conducteur, viens, âcre guide. Pilote désespéré, vite ! Lance sur les brisants ma barque épuisée par la tourmente ! À ma bien-aimée ! (Il boit le poison.) Oh ! L'apothicaire ne m'a pas trompé : ses drogues sont actives… Je meurs ainsi… sur un baiser ! (Il expire en embrassant Juliette.)


Les yeux remplis de larmes, Candy observait Terry, gisant sur le corps de Juliette. Cette dernière se réveillait, puis découvrant l'horreur, se saisissait d'un poignard pour s'en transpercer le cœur et rejoindre dans la mort son Roméo. Roméo… Terry… Un sentiment profond de tristesse et de colère la submergea. Le personnage de fiction se mêlait trop aisément à la réalité, à leur réalité... Elle secoua la tête, impatiente de se débarrasser de cette impression de malaise qui l'habitait et qui disparaitrait dès que le rideau tomberait. Enfin, arriva le dénouement. Le Prince Escalus quitta la scène, emmenant avec lui les représentants Capulet et Montaigu. Les lumières s'éteignirent et ledit rideau se referma sur le théâtre. Aussitôt, dans un élan commun, les spectateurs se mirent debout et des applaudissements frénétiques accompagnés de sifflets admiratifs explosèrent de toutes parts. Un grondement assourdissant d'acclamations remonta des gradins et se déploya par vagues dans tout l'hémicycle. Emportés par l'euphorie, les gens tapaient des pieds à en faire trembler le sol pour réclamer le retour des comédiens. Enfin, les lumières se rallumèrent, le rideau se rouvrit et l'ensemble de la troupe apparut sur la scène, main dans la main. Terry se tenait au milieu du groupe en compagnie de la jeune et jolie actrice qui interprétait Juliette, saluant l'assistance et répondant à ses hourras par des gestes amicaux. Des larmes de joie et de fierté coulaient à grands flots sur les joues de Candy. Emportée par son enthousiasme, elle se laissa aller à placer deux doigts dans sa bouche pour accompagner les sifflets d'admiration qui fusaient autour d'elle. Hilare, la tête de Terry bascula en arrière. Comme il l'aimait quand elle retrouvait ses mauvaises manières !

Les bouquets de fleurs s'amoncelaient par dizaines à leurs pieds. Terry se pencha pour en ramasser un, puis, au moment de se relever, dirigea son regard vers Candy, et le frémissement qu'elle lut sur son visage l'apaisa définitivement. Il n'y avait plus de doute. Il l'aimait, d'un amour pur et sans équivoque. Toute cela c'était pour elle, uniquement pour elle. C'était cela qu'il avait toujours souhaité partager avec elle. Et à présent que c'était possible, il se sentait le plus comblé des hommes.

"T'en offrir des millions d'autres…" – résonnait l'écho de cette phrase qu'elle avait lue la veille. Discrètement, elle embrassa sa main et souffla un baiser dans sa direction. Il ferma les yeux et les rouvrit à demi comme s'il venait d'être touché par une flamme céleste venue réchauffer son âme.

C'est à ce moment là que Sidney Wilde intervint sur scène pour présenter ses comédiens. Désireux de faire durer l'allégresse ambiante, il débuta par le rôle le moins important pour finir par le rôle principal, celui de Roméo. Au moment de prononcer le nom de Terry, il prit une pause de quelques secondes, sourire en coin, puis bombant le torse, il s'écria fièrement :

- Et dans le rôle de Roméo, Terrence Graham de Broadway !!!

Les applaudissements redoublèrent d'intensité sous le regard émerveillé du talentueux comédien. Il était habitué au succès aux Etats-Unis, mais découvrir qu'il pouvait impressionner un auditoire étranger, dans un lieu aussi empreint d'histoire que les Arènes de Vérone, le laissait pantois, sans réaction. Abasourdi par l'accueil triomphal qu'on lui réservait, il ferma les yeux à l'écoute des clameurs et des cris qui lui emplissaient le cœur et l'âme. Au troisième rappel, malgré les hurlements d'ovation qui n'avaient toujours point perdu en force ni en enthousiasme, le rideau se referma définitivement. Les acclamations cédèrent le pas aux murmures, et l'enceinte commença à se vider. Candy, frissonnante, émergeant du climat de transe général qui s'était emparé de l'assistance, se tourna, hésitante, vers Patty qui, remarquant sa confusion, lui demanda :

- Ça va ?
- Je crois… – répondit-elle en déglutissant avec peine. Un sourire moqueur s'esquissa sur le visage de la jeune brune.
- Il va falloir t'y faire, ma pauvre Candy ! Tel est le sort réservé aux compagnes de célébrités !
- Je ne sais pas si je pourrai tenir le coup. C'est si fort, si intense, si…
- Dans ce cas, tu aurais dû t'amouracher d'un prof de latin-grec ou de mon voisin, le collectionneur de timbres. Cela aurait été plus rassurant mais certainement bien moins palpitant !
- Ne te moque pas de moi…
- Je ne me le permettrais jamais ! – fit-elle en redoublant d'ironie – Mais… Honnêtement... N'es-tu pas transportée de joie d'un tel engouement populaire ? Ne méritait-il pas cela pour le plaisir qu'il nous a tous procuré pendant deux heures ?
- Bien entendu !!! Seulement… (Elle prit un air contrit de petite fille) Je me rends compte qu'il n'est plus vraiment à moi dans ces moments là…
- Et il ne le sera jamais ! C'est un artiste ! Mais n'oublie pas que celui qui a capturé ton cœur n'est pas ce Terrence Graham qui a fait s'évanouir la majeure partie des spectatrices ce soir, c'est cet insupportable et arrogant aristocrate anglais de Saint-Paul, c'est Terrence Grandchester, Terry, et celui-là, crois-moi, il est bien à toi !
- Tu ne l'aimes pas trop on dirait… - fit Candy d'un ton soupçonneux, le regard de biais.
- Détrompe-toi, j'ai beaucoup d'affection pour lui. Mais la prochaine fois qu'il m'appelle "têtard-à-lunettes", je lui brise les doigts !!!

Candy sursauta sur son fauteuil.

- Comment ??? Il te surnomme encore comme cela ???
- Oui… - répondit Patty avec un air pincé.
- Crois-moi, il n'est pas prêt de recommencer ! Tu vas voir ! Rooooooh! Ce qu'il peut être énervant parfois !!!

Patty leva les yeux au ciel en signe d'approbation et Candy étouffa un rire.

Le carré d'or était à présent presque vide. Les trois jeunes gens décidèrent de quitter à leur tour l'amphithéâtre. Candy voulait néanmoins essayer de revoir Terry et se demandait comment elle allait pouvoir procéder. Peut-être que le contrôleur allait pouvoir l'aider. C'est à ce moment là qu'une personne du théâtre se dirigea vers elle.

- Mademoiselle André, monsieur Graham souhaiterait que vous le rejoigniez dans sa loge. Voulez-vous bien me suivre ?

Candy acquiesça en rougissant tout en adressant un regard interrogateur à Patty.

- Ne te fais pas de souci pour moi. Alessandro me ramènera.

Le jeune chirugien, qui se tenait derrière elle, opina frénétiquement de la tête.

- Bonne soirée Candy ! – ajouta-t-elle avec un clin d'œil complice.

La jeune blonde ébaucha un sourire crispé en réponse aux propos allusifs de son amie, puis tourna les talons, et guidée par l'employé du théâtre, s'engagea dans une allée qui disparaissait derrière la scène. A quelques mètres de là, assis sur une des dernières places encore occupées du carré d'or, un vieil homme aux cheveux blancs, les mains appuyées sur sa cane ouvragée d'aristocrate vénitien, la regardait, pensif, s'éloigner. Les yeux mi-clos, un petit rire de contentement secoua son vieux corps rabougri, et il tourna la tête vers un homme un peu plus jeune à côté de lui, dont la complicité avec lui ne faisait aucun doute.

- Je crois, Roberto, que notre tâche est bel et bien terminée...
- Je le crois en effet, monsieur…
- Il ne nous reste plus qu'à laisser s'envoler ces deux oisillons...
- Cela me semble être un envol prometteur, monsieur...

Le comte Contarini étouffa un rire devant la remarque suggestive de son domestique.

- Prometteur est bien le mot qui convient, mon ami. Il serait d'ailleurs judicieux que nous nous rendions chez le tailleur pour un nouveau costume. Il est fort à parier que nos soyons très prochainement invités à des noces….


Fin du chapitre 12



Edited by Leia - 24/10/2013, 22:20
 
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view post Posted on 23/11/2013, 16:10
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Chapitre 13




Ce fut tout d'abord un chahut de tous les diables que Candy entendit en approchant de la loge des artistes. Elle tressaillit. Un essaim de jeunes filles hystériques bloquait l'entrée, scandant en rythme le prénom de Terry. L'employé du théâtre qui l'avait guidée jusqu'ici ne se laissa pas intimider, et bombant le torse, s'engagea vers l'attroupement, forçant le passage de son imposante stature.

- Pardon mesdemoiselles, excusez-nous. Pardon…

Candy se tenait derrière lui, la tête baissée pour éviter le regard haineux des groupies qui soupçonnaient en elle une rivale de taille. L'homme toqua plusieurs fois à la porte, laquelle finit par s'entrouvrir sur Sidney Wilde, qui, apercevant Candy, l'invita à entrer d'un geste vif. Elle s'engouffra dans l'ouverture sous les cris indignés de la meute d'admiratrices et sentit la porte claquer dans son dos.

- Mes hommages, mademoiselle André ! – s'écria le metteur en scène en serrant vigoureusement les mains de la jeune femme, l'euphorie qui l'habitait lui faisant oublier le baisemain de rigueur – Je vous confie Terrence pendant que je tente de calmer cette bande d'excitées.

Il riait, les yeux plissés de satisfaction.

- Je crois qu'elles vont me donner du fil à retordre mais je ne vais pas m'en plaindre. Je n'avais pas connu cela depuis bien des années, et si ce doit être la rançon du succès, je suis tout disposé à m'y soumettre. Le corps à corps dans ce genre de contexte ne m'a jamais effrayé…. – ajouta-t-il avec un mouvement suggestif des sourcils.

Il mit de l'ordre dans ses cheveux puis, faisant mine de prendre une forte inspiration, il ouvrit la porte. Des cris perçants fouettèrent son visage dès qu'il apparut sur le seuil, suivis rapidement par des grommellements de déception qui firent sourire Candy. Un peu à l'écart, à l'abri des curieuses, elle l'observait, s'évertuant à repousser les opiniâtres intruses.

- Voyons mesdemoiselles, du calme ! Monsieur Graham viendra signer quelques autographes dans un petit moment. Soyez un peu patientes, je vous en prie !…

La porte en se refermant, étouffa ses dernières paroles. On distinguait encore quelques murmures en provenance de l'extérieur mais rien de comparable à la surexcitation à laquelle elle venait d'assister. Sidney Wilde semblait avoir repris le contrôle, mais pour combien de temps ?...

Serrant un peu plus fort la pochette qu'elle tenait d'une main fébrile, elle balaya du regard la pièce qui s'étendait en longueur sur une bonne vingtaine de mètres. Toute la troupe était là, occupée à se déshabiller et à se démaquiller, riant et chantonnant, tandis qu'un assistant, muni d'un chariot, se faufilait péniblement parmi eux pour récupérer les costumes éparpillés par terre et les mener ensuite au nettoyage. Une atmosphère de fête régnait dans la loge. Les tensions avaient laissé place au relâchement, encouragé par le champagne et les petits fours que le directeur des arènes leur avait offerts pour célébrer le succès de la soirée. En équilibre sur la pointe des pieds, cou tendu, Candy se mit à scruter chaque recoin de la pièce à la recherche de Terry, laquelle semblait étrangement vide de sa présence. Déconcertée, elle se demanda si elle avait bien compris ce que lui avait dit le metteur en scène.

- Terry ? – fit-elle d'une voix inquiète, en avançant de quelques pas.
- Je suis là, Candy – lui répondit une voix masculine dissimulée par le paravent qui jouxtait la cloison derrière elle – Je finis de me changer…
- C'est bien dommage… - se dit-elle en faisant la moue – Je t'aimais bien dans ton costume de Roméo…

Le jeune homme surgit de derrière le panneau, vêtu de ses vêtements de ville : pull torsadé bleu clair en coton léger, pantalon en flanelle blanc et une paire de richelieu bicolore aux pieds. Une tenue chic mais qui restait confortable. Candy appréciait particulièrement cette couleur bleu pâle qui mettait en valeur son teint et l'éclat de ses yeux que des résidus de khol soulignaient. Il était vraiment d'une beauté bouleversante et elle frissonna d'émotion.

Un sourire amusé se dessina sur son visage à lui.

- Quoi ? – demanda-t-il en gloussant.
- Quoi donc ? – répondit-elle sans comprendre.
- Eh bien, je ne sais pas. Je trouve que tu me regardes d'une drôle de façon…

Démasquée, Candy se paralysa et bredouilla en rougissant.

- Je… Je me disais que… que tu m'avais vraiment impressionnée par ta prestation !
- Merci ! – fit-il, son sourire s'élargissant de malice – Mais certainement pas autant que la tienne quand tu es apparue dans l'enceinte…
- Tu… Tu m'as vue ?
- Aaaah Candy ! – ricana-t-il, en secouant négativement la tête – Il ne fallait pas revêtir cette robe si tu voulais passer inaperçue !

Le visage de Candy s'empourpra de plus belle.

J'étais caché derrière le rideau, occupé à observer l'assistance quand je t'ai vue telle une rose dans un champ de fleurs, majestueuse, prenant place dans ce carré où chaque homme te dévorait des yeux. J'aurais voulu me précipiter vers toi et tancer chacun d'eux pour t'avoir injuriée de leur convoitise, mais je devais me résoudre à rester à ma place et me contenter de te contempler de loin. Je distinguais ton visage crispé d'appréhension, d'inquiétude, semblable à celle que je ressentais. J'avais joué des centaines de fois Roméo et Juliette, et pourtant, à ce moment là, j'éprouvais l'angoisse des débutants, car j'allais me présenter à toi, et il n'y avait pas plus déterminant jugement que le tien. Plus tard, emporté dans la tempête, je me réconfortais de ta présence, si aisément identifiable au pourpre flamboyant que tu arborais, dont je bénis le choix, à présent que tu te tiens devant moi, si belle que je ne trouve plus les mots pour décrire l'émoi que tu fais grandir en moi.

- Tu es sublime, Candy. Cette robe te va merveilleusement bien – finit-il par dire sur un ton admiratif qui dissimulait péniblement son émotion – mais…

Le sang de Candy se figea.

- Mais ??? – demanda-t-elle, déglutissant avec peine.
- Mais il est regrettable que tu aies à l'enlever, car là où je t'emmène, elle ne pourrait que te gêner…

Disant ces mots, il sortit de derrière le paravent un costume de page et des bottines qu'il lui tendit fièrement.

- Je n'ai trouvé que cela qui soit à ta taille et qui soit suffisamment confortable pour ce que nous allons faire…

Mais devant le regard étonné mêlé d'incompréhension qu'elle lui adressait, il renchérit, un sourire mystérieux sur les lèvres :

- Fais-moi confiance…

A ce moment là, surgit Sidney Wilde, lequel, repoussant avec effort la porte, s'écria :

- Terry, je t'en supplie ! Viens signer ces autographes, qu'on en finisse !!!!
- J'arrive ! – soupira le jeune homme en levant les yeux au ciel. Puis, se penchant vers Candy, il lui chuchota à l'oreille :
- Change-toi pendant ce temps. Je reviens au plus vite !

Il déposa un tendre baiser sur son front et se pressa de rejoindre le directeur de la troupe. Les cris hystériques qu'elle entendit en retour la firent sursauter et elle courut se réfugier derrière le paravent. Elle posa les yeux d'un air perplexe sur le costume et se demanda ce que Terry avait dans la tête. Le "fais-moi confiance" qu'il avait prononcé plus tôt ne la mettait pas vraiment à l'aise… Tout ceci semait le désordre dans son esprit et la laissait dubitative. Mais la curiosité l'emporta finalement sur ses doutes et elle s'exécuta.

Quand Terry revint, Candy s'était changée. Debout devant la table de maquillage, elle lui tournait le dos, occupée à manipuler des flacons, fards et autres onguents avec lesquels il s'était grimé pour le spectacle. Le nez plongé dans une boite de poudre, elle leva la tête en éternuant, un nuage de poudre se répandant tout autour d'elle. Devant la cocasserie de la scène, il laissa échapper un petit rire. Candy n'imaginait pas combien ses maladresses la rendaient irrésistible ! Il l'adorait quand elle était comme cela : naturelle, spontanée. C'étaient ces "imperfections", que certains bien-pensants lui avaient autrefois reprochées, qui faisaient tout son charme et il ne souhaitait pas que cela change. Oh, dieu qu'il l'aimait !...

Candy ?... - fit-il d'une voix émue.

Elle se retourna et il resta quelques secondes interdit. Le souvenir d'un moment inoubliable de sa jeunesse venait de renaître en lui, celui du festival de mai à Saint-Paul. Souvenir, qui, par éclats, lui renvoyait les images de ce jeune garçon déguisé en Roméo, qui s'était introduit dans la fête et dont le regard espiègle sous son masque de velours avait attiré son attention. A son allure féline, sa souplesse dans les gestes et ses yeux insolents qui le dévisageaient, il l'avait finalement reconnue et en avait conclu que l'on ne pouvait que tomber éperdument amoureux d'une fille comme elle qui osait tout et qui se délectait de ses imprudences. Cette fille se tenait à présent devant lui, dans un costume similaire, mais le regard insolent de ses souvenirs avait revêtu des allures de reproches qui le déconcertèrent.

- On dirait que tu reviens d'un champ de bataille !... – marmonna-t-elle les bras croisés, en pointant du menton les cheveux ébouriffés du jeune homme et son pull tiraillé.
- Ma foi… - gloussa-t-il en se frottant la nuque d'embarras – Tu n'as pas tort. Les Véronaises ont une façon particulière de manifester leur contentement…
- Apparemment, elles ont aussi le contact facile… - grommela-t-elle en essuyant avec son pouce les traces suspectes de rouge à lèvres sur sa joue.

Il se débattit, l'œil narquois.

- Ce n'est pas ma faute, madame la juge, j'ai été attaqué par surprise !...

Mais devant son air sévère qui persistait, il s'empara de sa main et la porta à ses lèvres.

- Cela ne te va pas du tout d'être jalouse… - murmura-t-il en déposant un langoureux baiser sur la pulpe de ses doigts.

Elle voulut lutter en retirant sa main mais ne put empêcher une grimace attendrie s'esquisser sur son joli visage.

- Je ne suis pas jalouse, voyons ! – fit-elle en haussant les épaules.
- Dommage… - répondit-il d'un air faussement déçu.

Désarmée, Candy laissa échapper un petit rire et lui renvoya un regard plein d'adoration.

- Je suis vaincue… - admit-elle, en battant des cils.
- Tu auras ta revanche !... – dit-il en lui embrassant une nouvelle fois la main.
- Dès que possible, j'espère !... – répondit-elle avec un sourire carnassier.
- Inutile de fanfaronner. Tu sais que je suis une proie facile quand il s'agit de toi…
- Cela reste à prouver !... – s'enhardit-elle en rougissant alors qu'il n'avait toujours pas descellé ses lèvres de ses doigts.
- Dans ce cas, suis-moi ! – s'écria-t-il en l'entraînant vers l'autre bout de la pièce, tout en faisant mine, sourire entendu aux lèvres et yeux mi-clos, de ne pas remarquer les sifflements et autres commentaires railleurs de ses camarades sur leur passage. Il écarta un panneau de décor et poussa une porte qui donnait sur un escalier particulièrement sombre – Cela conduit sous les Arènes et permet de sortir discrètement par une rue adjacente. Cela ne te fait pas peur au moins ?

Un sourire de défi se creusa sur les lèvres de Candy, laquelle, en réponse à ladite provocation, s'empara d'une torche électrique qui était accrochée au mur et appuya sur l'interrupteur. La lumière jaune éclairait faiblement les premières marches pour s'évanouir profondément dans les ténèbres. La jeune américaine frissonna mais désireuse de ne rien laisser paraître, s'enfonça dignement dans l'obscurité sous le regard admiratif de Terry.

- Fichtre, quel cran ! Elle m'a bien eu ! – se dit-il tout en se hâtant de la suivre pour ne pas la perdre de vue.

L'escalier s'arrêtait sur un long couloir étroit et humide que la lumière de la lampe pénétrait avec toujours autant de difficulté. Tenant fermement la main de Terry, Candy avança, sursautant à plusieurs reprises au passage de rongeurs que les effets d'ombres et de lumières sur les parois rendaient monstrueux, et dut se mordre la lèvre pour ne pas hurler. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine et ce fut avec un grand soupir de soulagement qu'elle aperçut un nouvel escalier qui menait à la sortie. Au fur et à mesure de leur progression, les bruits de la rue se firent de plus en plus audibles et lorsqu'elle tira d'une main nerveuse sur le loquet de la porte, l'air extérieur qui s'engouffra par l'ouverture fut accueilli comme une délivrance. Candy sortit, tremblante, dans la rue. Ce petit intermède de terreur l'avait passablement secouée. Elle détestait ce genre d'endroits sinistres surtout depuis l'épisode traumatisant du bal des André à Lakewood, au cours duquel Elisa et Daniel l'avaient enfermée au grenier. Elle se rappelait sans aucune difficulté la peur effroyable qu'elle avait éprouvée et avait toujours évité depuis ce soir là de se retrouver dans ce type de situation. Elle se tourna vers Terry, dont le visage blême reprenait peu à peu des couleurs et elle sourit de satisfaction.

Elle n'était pas la seule à avoir eu la frousse…

Piqué au vif par son air goguenard, il plissa les yeux avec un petit rire sarcastique, se saisit de sa main et l'entraina sans autre explication à sa suite. Le souterrain qu'ils avaient emprunté débouchait sur la rue Fratini, juste à côté de l'église San Nicolo, dont les cloches sonnèrent au même moment, les douze coups de minuit. Malgré l'heure tardive, il y avait encore beaucoup de monde dans la ville. Les terrasses de restaurants et de cafés étaient bondées, certainement de spectateurs des arènes affamés.

A l'ombre des murs, les deux amoureux remontèrent discrètement quelques pâtés de maisons pour aboutir sur la piazza Erbe, et plus précisément devant la tour médiévale Lamberti. Ils la contournèrent pour se poster devant une porte ouvragée qui semblait tout aussi ancienne que l'édifice. Terry fouilla dans la poche de son pantalon et en retira une clé longue et rouillée qu'il inséra dans la serrure.

- Cette tour m'intriguait depuis tout à l'heure… - expliqua-t-il en remarquant la mine interrogative de Candy – J'ai eu l'occasion d'évoquer le sujet au directeur des arènes cet après-midi. Il s'avère qu'il est un ami du responsable des bâtiments historiques…

Candy opina du chef, ses yeux se promenant avec curiosité sur les vieilles pierres. La porte grinça en s'ouvrant et les deux jeunes gens se faufilèrent à l'intérieur. Terry ralluma la lampe torche et la pointa vers les hauteurs. La jeune blonde leva la tête et découvrit au-dessus d'elle, les reliefs fantomatiques d'un escalier qui montait en spirale sur des dizaines de mètres jusqu'à se perdre dans la nuit.

- Quatre-vingt quatre mètres… - gémit-elle en se remémorant le contenu du livre sur Vérone qu'elle avait offert à Patty - Tu… Tu veux que nous montions tout là-haut ???
- Il paraît que la vue est splendide ! – répondit Terry en hochant joyeusement la tête.
- Plus de trois cent soixante marches… - poursuivit-elle, consternée.
- Tu comprends maintenant pourquoi tu ne pouvais pas garder ta jolie robe ?

Elle émit un couinement qui se voulait affirmatif et soupira de résignation.

- Allez, montons ! – lui dit-il en lui tendant la main – Je suis sûr que tu me remercieras quand nous serons en haut !…

Candy eut en retour une moue dubitative, mais vaincue par la sincérité de son enthousiasme, elle acquiesça et se laissa guider dans leur ascension. Durant la montée, sans pause aucune, ils passèrent devant une grande horloge qui datait du 18ème siècle, puis trois cloches qui servaient à sonner les heures et à alerter la population en cas d'incendie. Tout en haut, dans son abri de forme octogonale, logeait la plus grosse, du nom de Rengo, qui était autrefois utilisée pour convoquer les réunions du conseil municipal ou pour faire appel aux citoyens pour défendre la cité. Essoufflée par la montée, Candy desserra les premiers liens de son corsage pour dégager sa gorge et s'approcha du garde-corps. Percé de huit ouvertures, le beffroi offrait une vue panoramique sur la ville. De ce poste d'observation, le plus haut de la ville, on pouvait laisser errer son regard sur le damier de toits et de terrasses duquel émergeait par endroits un clocher d'église, sa flèche s'élançant fièrement dans la nuit claire et transparente inondée de la clarté de la lune. Par delà ces murs de briques, on apercevait les eaux ondoyantes du fleuve Adige, qui, en un ruban chatoyant, serpentait entre les ponts de pierre. Terry ne lui avait pas menti. C'était féérique !

Adossée de profil à un des piliers, Candy ferma les yeux. Le bruissement de voix et de musiques provenant de la piazza Erbe laissait deviner une effervescence nocturne qui contrastait avec le silence profond qui régnait dans la tour. Elle devinait Terry, tout proche, qui l'observait. Le cœur au galop, son sang se mit à bourdonner à ses oreilles. Ils étaient seuls, sans personne autour d'eux. Enfin !… C'était un moment qu'elle avait bien souvent espéré vivre, dont elle avait fait l'expérience parfois en rêve, mais qui à présent, alors qu'il devenait réalité, faisait naître en elle un étrange sentiment de confusion qui lui faisait perdre toute assurance. Elle se sentait si gauche et avait si peur de briser le charme en se tournant vers lui qu'elle préféra fixer bêtement l'horizon tandis qu'il s'approchait d'elle et venait s'appuyer contre le pilier qui lui faisait face.

Elle était si belle !

Sa peau d'albâtre brillait d'un éclat irisé sous la lumière blanche de la lune. On aurait dit qu'on avait brodé des fils d’argent d'argent dans ses cheveux. L'étroitesse de son costume soulignait les formes graciles de son joli corps et plus particulièrement ses jambes qu'un collant de couleur sombre révélait fines et galbées. La ravissante adolescente de Saint-Paul s'était muée en une femme au charme irrésistible qui le bouleversait, le pénétrant d'un attendrissement délicieux. Elle tourna enfin la tête vers lui et lui sourit, timidement, ne soupçonnant point la sensualité troublante qui émanait d’elle. Devant cette savoureuse vision, un flot de pensées inavouables l’égara un instant et il tressaillit devant la fertilité de son imagination. Il dévia son regard vers le ciel étoilé pour cacher son embarras, et de ses lèvres frémissantes, s’échappa sa voix tendre et profonde :

Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse;
Ainsi qu'une beauté, sur de nombreux coussins,
Qui d'une main distraite et légère caresse
Avant de s'endormir le contour de ses seins,

Sur le dos satiné des molles avalanches,
Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,
Et promène ses yeux sur les visions blanches
Qui montent dans l'azur comme des floraisons.

Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,
Elle laisse filer une larme furtive,
Un poète pieux, ennemi du sommeil,

Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés comme un fragment d'opale,
Et la met dans son cœur loin des yeux du soleil.



- C'est magnifique, Terry ! – bredouilla Candy d'une voix émue - De qui est-ce ?
- C’est un poète français du nom de Baudelaire. Il a baptisé ce poème « Tristesses de la lune ».
- Tristesse ? Je ne vois pas de tristesse dans cela mais seulement de la beauté ! Ce poème est merveilleux, Terry, mais déclamé par toi, il se transforme en une ensorcelante mélodie. Je voudrais savoir comment… comment te vient cette aisance ? Cela a toujours été un mystère pour moi qui suis incapable de prononcer une ligne sans avoir l’air empotée et ridicule. Je t’en prie ! Quel est ton secret ?

Le jeune homme appuya sa tête en arrière contre le pilier de la vieille tour et promena son regard dans le ciel nocturne en soupirant.

- Je ne sais pas d’où me vient cette facilité à jouer, mais je rends grâce à Dieu chaque jour de m’avoir donné cette disposition. C’est quelque chose que je ne peux expliquer, qui fait partie de moi. Quand je lis un texte, les sons qui en émanent s’emparent de moi et une force irrésistible me saisit. C’est comme si la scène se déroulait sous mes yeux et que je me changeais en cette personne. Ces mots deviennent les miens sans que je m’en rende compte. Cela pourrait paraître prétentieux à certains alors que je n’ai pas vraiment suivi de cours de théâtre, mais je ne suis jamais autant meilleur que lorsque je ne réfléchis pas à mon jeu. Je me laisse simplement aller, emporter par la richesse du texte. C’est comme une libération. Oui… Je ressens un vrai sentiment de liberté !

Candy, la tête légèrement inclinée sur le côté, l’écoutait en silence, à la fois attentive et interrogative. Il baissa des yeux pénétrants vers elle et elle frissonna d’émotion. Elle se demanda si elle pourrait un jour s’habituer à ne plus être autant bouleversée à chaque fois qu’il la regardait. Son cœur se mit à battre plus vite tandis que tous ses membres s’engourdissaient, si bien qu’un simple souffle de vent aurait pu la faire basculer. Mais le voile obscur qu’elle vit soudain ternir l’éclat de ses iris aigue-marine la soutira immédiatement de ses rêveries.

- Tu sais, chaque soir, j’attendais avec impatience d’être sur scène… - reprit-il. (Il secoua la tête et sa voix se fit chancelante.) - … J’étais impatient car c’était la seule chose qui me donnait encore l’impression d’exister. Pendant quelques heures, j’oubliais, j’oubliais que tu n’étais plus là et que je t’avais perdue à jamais. Mais dès que les lumières s’éteignaient, je replongeais dans ce néant qui résumait ma vie…

Les yeux de Candy commencèrent à se troubler de larmes et cela n’échappa pas à Terry qui s'avança vers elle et posa une main affectueuse sur sa joue. Elle perçut un frémissement de sa pomme d’Adam qui témoignait de l’émotion qui le saisissait à son tour. Mais c’est un regard serein qu’il lui adressa cette fois.

- Le théâtre m’a sauvé la vie mais toi, Candy, tu as sauvé mon âme ! J’errais sans but, ouvrant avec indifférence mes yeux chaque jour et les refermant sans plus d’enthousiasme chaque soir. Je n’ai aucun souvenir de cette période si ce n’est une sensation de vide absolu que rien ne pouvait combler. Et puis, tu m’es réapparue, Candy, et tout m’a semblé si simple alors ! Tout ce qui m’entourait retrouvait du sens, des couleurs, des odeurs ! J’avais l’impression de me réveiller d’un long sommeil, et j’ai su que… que je ne pourrais plus jamais supporter de vivre sans toi… Oh Candy, si je devais te perdre une nouvelle fois, je ne sais pas si je pourrais surv…. Je…. Si je te perdais, je…
- Cela ne se produira pas !… - l’interrompit-elle en posant son index sur les lèvres tremblotantes du jeune homme – Jamais !!!

Elle esquissa un sourire qui se voulait réconfortant et rassurant en le fixant de son regard émeraude. Il opina légèrement des paupières. Il lui semblait qu’il pouvait lire dans ses pensées, qu’il devinait tout ce qu’elle voulait lui dire.

« Cela ne se produira pas car rien ne pourra plus jamais me séparer de toi. Plus rien ne peut nous atteindre désormais ! J’en fais le serment sur ce que j’ai de plus cher en ce monde. Non, crois-moi, Terry, je me défendrai farouchement pour que plus rien ne m’éloigne de toi ! »

Bouleversée par la vague d’amour qui la submergeait, elle ne put retenir une larme qui vint rouler sur sa joue puis sur la main de Terry qui la caressait. Sa main à elle rejoignit la sienne et elle la pressa contre son visage pour mieux sentir le doux contact de sa paume contre sa joue. Ils restèrent ainsi un moment, yeux plongés l’un dans l’autre, sans rien dire, avec pour tout écho le rythme paisible de leur respiration. Mais peu à peu, le regard de Terry se mit à briller d'une lueur qui la troubla en retour. La main qu'il avait posée sur sa joue s’écarta et descendit effleurer le creux de sa gorge. Son cœur se mit à battre plus vite tandis qu’elle sentait ses longs doigts poursuivre leur chemin vers la naissance de sa poitrine que son pourpoint dénoué recouvrait. De sa main, elle guida timidement son poignet à lui, ses pommettes rosissant de sa propre audace, et ferma les yeux. Elle sentit comme un vol de papillons tourbillonner dans son ventre avec vigueur et elle eut un hoquet de stupéfaction. Terry se tenait à présent tout contre elle et elle pouvait sentir son souffle caresser ses cheveux et venir effleurer son visage. Ses mains à lui se retirèrent pour venir se poser autour de sa taille. Il l'enlaça puissamment. Sa tête à elle partit en arrière et son regard croisa les lèvres entrouvertes du jeune homme qui se rapprochaient tout doucement. Dans un sursaut ultime, elle s'enhardit et partit à leur rencontre, se scellant aux siennes par fines touches au début, puis avec impatience. Soudain, il recula. La couleur de ses yeux avait changé et elle se réjouit de la tempête qui s'y déchaînait. L'air dans la tour crépitait d'électricité, tel un orage prêt à éclater...

D'un mouvement vif, il la plaqua au pilier contre lequel elle se tenait, s'empara de ses mains et les releva au-dessus de sa tête. Sa jambe vint se placer entre les siennes, lui empêchant tout mouvement. Les yeux écarquillés, elle chercha à reprendre sa respiration. Son cœur battait si fort !!!

- Tu as ta revanche... - l'entendit-elle chuchoter à son oreille et elle frissonna d'émerveillement.

Les lèvres belles et pleines de Terry retrouvèrent alors leur chemin vers les siennes, mais cette fois avides et mordantes, joueuses et conquérantes. Elle sentit sa langue fraîche venir à la rencontre de la sienne, exploratrice, se nouant à la sienne puis se dénouant, et elle étouffa un gémissement. C’était pour elle encore une impression étrange, déconcertante, qui éveillait néanmoins en elle des sensations inconnues, qu’elle devinait délicieusement indécentes et qui l’étourdissaient.

- Il m'embrasse ! Terry m'embrasse ! – se dit-elle en s'arquant de plus belle pour mieux accueillir ses baisers.

Elle éprouvait un plaisir intense à goûter à une part plus intime de lui. Elle aimait la saveur de ses lèvres humides et tièdes qui palpitaient sur les siennes, le contact rêche de sa mâchoire contre sa peau qui laissait deviner une barbe naissante, excitant avec d'autant plus de vivacité la faim qu'elle avait de lui. Avec une délicieuse et excitante impudeur, elle se gorgeait de la sensuelle mélodie de leurs plaintes étouffées, de leur voix devenues sourdes prononçant des paroles qui se perdaient sous la frénésie de leur respiration.

Ce fut à ce moment là que la perfide cloche de la tour vint les soutirer une fraction de seconde à leur fougueuse occupation en sonnant la demie de minuit.

Terry s'écarta légèrement de Candy pour mieux la contempler et découvrit avec jouissance ses yeux brillants de fièvre.

"Je t'en prie, ne t'arrête pas !" – semblait-elle réclamer.

Elle eut un mouvement vers lui, et soupira de soulagement quand elle vit son visage se pencher de nouveau vers le sien pour l'embrasser. Il s'empara goulument de ses lèvres, les léchant et les mordillant, jusqu'à percevoir, avec un sourire triomphant, le son enchanteur de ses gémissements qui s'échappaient de sa gorge. Au frottement lascif de leurs vêtements l'un contre l'autre, il ne pouvait plus dissimuler la passion qui le possédait. Troublée, elle sentit alors monter en elle une chaleur intense, violemment délicieuse, grisante qui se répandait dans son corps et voulut l'attirer ardemment contre elle, mais ne put que constater son impuissance. Prisonnière de ses caresses qui glissaient impétueusement le long de son cou, de son dos, de ses hanches, elle se mit à se débattre, à gesticuler furieusement, renouvelant avec une rage grandissante ses tentatives pour libérer ses mains de son emprise et pouvoir le toucher à son tour, enrouler ses bras autour de sa nuque, emmêler ses doigts dans ses cheveux, sentir frémir sa peau qu'elle devinait douce, si douce !... Parvenant enfin à se libérer, elle saisit son visage à deux mains et se colla à lui dans un baiser fougueux, plaintif, sa langue en quête d'un nouvel échange, d'un affrontement qu'elle voulait intense, déterminée à rendre chaque coup. Les yeux mi-clos, un sourire imperceptible sur les lèvres, à la manière d'un matou hésitant sur le sort de sa proie, il l'enlaça en gémissant, répondant à ses baisers avec la même exigence. Livrée sans réserve à ses assauts, elle sentit ses muscles se crisper dans une exquise douleur qui prenait possession de tout son être, envahissant chaque terminaison nerveuse de son corps, jusqu'à ce qu'elle laissât échapper un cri qu'il bâillonna de ses lèvres, la laissant soupirante dans sa bouche...

C'est alors qu'il s’interrompit. La respiration affolée, elle leva des yeux interrogatifs vers lui. Il se dégagea d’elle et posa ses bras crispés en arc-de-cercle au-dessus d’elle. Le souffle court, il appuya son front contre le sien, cherchant à reprendre le contrôle sur lui-même.

- Je crois qu’il serait préférable de te raccompagner à la pension – murmura-t-il d’une voix rauque - Je m’en voudrais trop que mon manque de retenue porte atteinte à ta respectabilité. Candy, tu fais naître en moi des sentiments que je n’aurais jamais cru être capable de ressentir, et j’ai bien peur de perdre toute maîtrise si nous poursuivons ce que nous étions en train de faire…

Les joues en feu, la jeune femme acquiesça à regret.

- Si cela peut te rassurer, Terry – murmura-t-elle, écarlate – J'en avais envie autant que toi…

Il se redressa et un sourire complice éclaira son visage. Stupéfaite par l'audace de ses propres paroles, elle courut se cacher au creux de ses bras. Lovée contre lui, son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine et manqua d'exploser quand il referma son étreinte sur elle.

- Rien ne nous interdit de rester ainsi, n’est-ce pas ? – demanda-t-elle, en enfouissant de plus belle sa tête dans sa poitrine.

Terry opina du chef, ravi de cette initiative.

- Alors, laisse-moi te serrer contre moi ! – fit-elle en l’enlaçant plus fort contre elle – Laisse-moi me remplir de la chaleur de ton corps, des battements de ton cœur ! J’ai tant rêvé de ce moment là, Terry, que je voudrais qu’il dure le plus longtemps possible ! J’ai trop peur de me réveiller et de…

De l’index, il releva son menton et l’obligea à le regarder. Eblouie par les traits séraphiques de son magnifique visage qui frémissaient d’émoi sous la lumière bleutée du clair de lune, elle crut, un instant, qu’elle allait de nouveau sombrer devant tant de perfection.

- Peu importe, ma douce, du moment où nous faisons le même rêve… - répondit-il d’une voix caressante et rassurante - Peu importe puisque nous ne nous quitterons plus…

Tressaillant de contentement, elle sentit qu’il l'attirait à lui, sa main plongeant dans ses boucles dorées. Elle ferma les yeux au doux contact de sa paume contre sa nuque et s’emplit les narines de l’odeur de sa peau. Leurs corps blottis l’un contre l’autre, ils restèrent longtemps ainsi sans bouger, écoutant leur respiration reprendre un rythme régulier jusqu'à ce que la grosse horloge tintât la première heure du jour, témoin ému de leur amour.

Fin de la première partie du chapitre 13



Edited by Leia - 29/11/2013, 11:41
 
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view post Posted on 26/11/2013, 19:22
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Terry ferma la portière du taxi dans lequel Candy venait de s'installer, et se pencha vers le conducteur pour lui faire part de ses dernières recommandations.

- Conduisez lentement et assurez-vous que la demoiselle a bien passé le seuil de la pension avant de repartir !...

Le chauffeur de taxi opina en marmonnant quelque chose en italien que le jeune comédien ne comprit pas mais qui ne semblait pas très sympathique.

Ce n'était pas ce jeune freluquet qui allait lui apprendre son métier quand même ! Bien entendu qu'il allait mener la jolie demoiselle à bon port, bien entendu qu'il n'allait pas partir sans s'être assuré qu'elle était bien rentrée chez elle ! Il n'était pas irresponsable !

Il aurait bien aimé lui rappeler qu'il n'était pas loin de deux heures du matin et que ce n'était pas une heure pour faire le joli cœur avec une jeune femme mais il se passa de tout commentaire. Le jeune homme s'était montré très généreux pour la course… Il tendit l'oreille et devina à son accent que la petite beauté blonde était américaine.

Pfffff ! Ces américaines, toutes des dévergondées ! Ça voyage toute seule, ça passe la soirée avec un homme, ça… Fichtre ! Si c'était ma fille, soit elle serait mariée et aurait déjà au moins trois enfants, soit elle serait encore à la maison mais ne sortirait pas sans être chaperonnée de ses trois frères ! Décidément, ils avaient perdu tout sens des valeurs de l'autre côté de l'atlantique ! Pfff !... Regardez-les moi en train de se dévorer des yeux ! En plus, ces deux m'ont bien mis mal à l'aise tout à l'heure en arrivant ! Avec cette petite déguisée en garçon, j'ai bien cru avoir affaire à des… enfin... à des bonhommes aux mœurs disons… particulières !… Je pensais avoir tout vu dans ma carrière, mais là ! Bon !... On va pas passer la nuit ici quand même ! Et voilà que je t'envoie des baisers par la fenêtre, et voilà que je roucoule ! Bientôt on va leur jeter des graines à ces deux tourtereaux ! Grrrrr ! Dire que c'est ma dernière course avant d'aller me coucher, mais à ce rythme, je ne suis pas près d'y aller !

N'y tenant plus, l'irascible chauffeur de taxi sortit la tête par la fenêtre et tout en tapant du plat de la main sur sa portière, s'écria :

- Bon ! C'est pour aujourd'hui ou pour demain ??? Le compteur tourne !!!

Terry flottait sur un tel nuage que l'impolitesse de l'italien lui parut plus que jamais aimable. De la main, il envoya un dernier baiser à Candy et s'écarta à regret du véhicule. Le chauffeur réajusta son béret en grommelant et appuya sur la pédale d'accélération. La voiture remonta rapidement la piazza Erbe et disparut en quelques secondes vers la rue Rosa qui menait tout droit au pont Garibaldi, ce pont que Candy avait coutume d'utiliser chaque jour pour aller en ville ou pour revenir à la pension. Le chauffeur avait démarré si vite qu'elle avait à peine eu le temps d'adresser un dernier signe d'adieu à Terry avant que des murs d'immeubles viennent le chasser à sa vue. Le chauffeur était à l'évidence très pressé de rentrer chez lui car moins de cinq minutes plus tard, son véhicule s'arrêtait devant la pension Roberta, se délestant de Candy tout aussi vite. Il fit néanmoins l'effort de s'assurer qu'elle rentrait bien dans la maison puis au moment même où son pied franchissait le seuil, repartit au quart de tour en pétaradant, réveillant la moitié du quartier sur sa route. Candy grimaça en rentrant les épaules, et, essayant d'être aussi discrète que possible, monta une à une les marches en priant que rien ne grinçât ou ne craquât. Mais, parvenue devant la porte de sa chambre, elle réalisa qu'elle avait laissé la clé dans la pochette qui accompagnait sa robe. Seulement, la clé et tout le reste se trouvaient dans la loge du théâtre des arènes !... Miséricorde !... Comment allait-elle faire ? Elle ne voulait pas réveiller Patty, d'autant plus que celle-ci, curieuse comme une pie, la harcèlerait de questions et ne lui laisserait aucun répit. Elle ne souhaitait qu'une chose à présent : se coucher et retrouver Terry en rêve … Hummmm !

Avec un peu de chance, Patty n'avait pas fermé la porte à clé !

Candy tourna la poignée et poussa un soupir de soulagement en constatant que la porte s'ouvrait. La lumière était éteinte.

Patty dormait, dieu soit loué !

Bottines à la main, retenant sa respiration, elle pénétra à pas de loup dans la chambre, s'efforçant de distinguer dans l'obscurité des formes sur lesquelles ne pas buter. C'est alors qu'une lumière jaillit du côté du lit. Candy sursauta en poussant un petit cri effrayé. Patty, le bras encore tendu vers la lampe de chevet, se tenait assisse dans le lit et l'observait avec curiosité et malice.

- Tiens, tiens, Cendrillon !... C'est à cette heure-ci que tu rentres ???

Le cœur de Candy battait à tout rompre. Déglutissant avec difficulté, elle s'écria en chuchotant.

- Patty !!! Tu m'as fichu une de ces frousses ! Tu ne dormais donc pas ???
- Non, je ne dormais pas…

Tête inclinée sur le côté, fixant Candy d'un air suspect, elle l'invita à s'asseoir en tapotant le matelas. Soupirant de résignation, épaules baissées, cette dernière accepta l'invitation et alla, d'un pas trainant, prendre place au fond du lit. Patty, un sourire diabolique aux lèvres, prononça alors les paroles tant redoutées :

- Je ne dormais pas…et tu n'es pas prête à dormir toi non plus, tant que tu ne m'auras pas expliqué cette tenue du moyen-âge et ces cheveux ébouriffés !… J'ai-tout-mon-temps !…

Fin de la deuxième partie :Demon12: :Demon12: :Demon12:



Edited by Leia - 27/5/2016, 10:36
 
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view post Posted on 19/2/2014, 23:26
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Les jours suivants s'écoulèrent tranquillement. A vrai dire, un peu trop tranquillement au goût de Candy. Etrangement, malgré l'échange torride qu'elle avait eu avec Terry dans la tour Lamberti, elle avait dès le lendemain ressenti la désagréable impression qu'il mettait une certaine distance entre eux. Depuis, à plusieurs reprises, elle avait cherché à évoquer le sujet avec lui, mais il s'arrangeait toujours pour ne pas être seul. Paradoxalement, elle voyait bien dans ses yeux que son amour pour elle n'avait pas disparu, ce qui la rassurait mais, dès que son regard se détournait incompréhensiblement d'elle, elle replongeait rapidement dans une angoissante et cruelle incertitude. Cette négligence manifeste la contrariait énormément, ce qu'elle essayait tant bien que mal de lui cacher pour ne pas l'inquiéter ou le culpabiliser. Elle savait que le métier de Terry était très envahissant, et elle devait s'y résoudre si elle voulait faire partie de son existence. Mais au fur et à mesure que les jours défilaient, s'insinuaient dans son esprit des interrogations qui la mettaient mal à l'aise au point de l'effrayer. Qu'avait-elle donc fait pour qu'il s'éloigne d'elle ainsi ?

Elle était tellement désespérée qu'elle en était venue à se demander si les élans amoureux qu'elle avait eus envers lui cette nuit là ne lui avaient pas laissé croire qu'elle était une fille légère. Peut-être avait-il été surpris par la fougue qu'elle avait manifestée quand il la tenait dans ses bras ? Peut-être aurait-il préféré qu'elle le repousse ou qu'elle ne lui octroie qu'un chaste baiser ? Peut-être ne s'attendait-il pas à autant d'ardeur de sa part et qu'il en avait été choqué, déçu, voire pire : dé-gou-té ??? Cette éventualité la paralysait d'angoisse et commençait à s'infiltrer insidieusement dans ses pensées, si bien qu'elle éprouvait beaucoup de mal à se concentrer sur ses tâches quotidiennes, et plus particulièrement sur celles du Club de Juliette. Ses camarades avaient bien entendu remarqué son étrange comportement mais avaient mis cela sur le compte de l'étourdissement dans lequel son amour pour le jeune homme l'entraînait. Candy s'était bien gardée de faire part de ses inquiétudes à qui que ce soit, pas même à Patty qui, malgré son insistance, n'était jamais parvenue à savoir ce qui s'était vraiment passé dans la tour. La jeune blonde était restée très évasive et avait évoqué une longue promenade en ville. Patty, sans être dupe, avait accepté cette explication. Après tout, Candy avait le droit à son intimité, même si la curiosité d'en savoir plus la dévorait de l'intérieur ! Et puis, elle ne lui disait pas tout elle non plus, notamment ce baiser* qu'elle avait échangé avec le beau chirurgien, devant la pension, quand il l'avait ramenée après le théâtre… Maintenant que Terry en avait terminé avec ses représentations, il allait certainement repartir en emmenant Candy avec lui. Une question la préoccupait alors : comment leur annoncer qu'elle avait décidé de rester un peu plus longtemps à Vérone auprès d'Alessandro ? Il n'avait pas eu besoin de beaucoup insister pour qu'elle reste. Elle était si heureuse avec lui qu'elle ne voulait pas renoncer à ce nouveau bonheur qui s'offrait à elle. Elle voulait tout savoir de lui : sa famille, ses amis, l'endroit où il vivait… Toutes ces choses avec lesquelles elle n'avait pas encore eu l'occasion de faire connaissance. Elle savait qu'elle partait à l'aventure et qu'elle serait peut-être déçue, mais elle voulait se fier pour une fois à son cœur plutôt qu'à sa raison, perspective qui loin de l'effaroucher, faisait palpiter l'espoir dans sa poitrine.

Contrairement aux apparences, Terry traversait lui aussi des tourments similaires. A vrai dire, il ne s'était toujours pas remis de ce qui s'était passé avec Candy dans la tour, et il ne remercierait jamais assez le ciel de lui avoir donné la force de mettre un terme à leurs emportements. Cette nuit là, grisé par le succès de la pièce et par le bonheur d'avoir retrouvé la jeune femme qu'il aimait, il n'avait pas réalisé le risque qu'il lui avait fait courir en laissant aller son enthousiasme. Elle ne l'avait point repoussé pour autant et s'était même révélée très encourageante, mais il se serait reproché toute sa vie de l'avoir couverte de la honte du déshonneur. Candy méritait un tout autre traitement que celui d'être culbutée en haut d'une tour, et la simple pensée que cela aurait pu se produire lui glaçait l'échine. Pour être honnête, il ne regrettait pas ce corps à corps passionné qu'ils avaient vécu et qui lui revenait en mémoire, le soir, quand il regagnait sa chambre. Le souvenir de la fougue de leurs baisers, de la langueur de leurs soupirs, de sa voix gémissante quand il posait ses lèvres sur sa peau ou quand ses mains partaient à la découverte de son corps, le laissait frémissant et frissonnant jusque tard dans la nuit. Quand il parvenait enfin à s'endormir, c'était pour plonger dans des rêves où elle occupait à nouveau tout l'espace, et le laissait au réveil, mort de fatigue. Mais, passés ces moments d'émerveillement, la raison reprenait le dessus et lui imposait de se soumettre à la résolution qu'il avait prise : celle de prendre ses distances avec Candy pour ne pas avoir à le payer très cher par la suite. Ainsi, dès qu'il était avec elle, il trouvait toujours un prétexte pour qu'ils ne soient jamais seuls. Les repas se passaient désormais en compagnie de la troupe, et les journées, en répétition. Un opportun concours de circonstances avait aussi voulu que le bel Alessandro fût de garde les soirs où il n'y avait pas de représentation et Candy, refusant alors que Patty reste seule, l'invitait à se joindre à eux, ce qui allégeait d'un poids la conscience du jeune acteur. Les choses devenaient de plus en plus difficiles à gérer et il remarquait bien que son étrange comportement contrariait la jeune femme. Connaissant son caractère impétueux, il s'attendait à ce qu'elle lui demande des comptes à plus ou moins brève échéance, et il ne voulait pas avoir à affronter cette situation. C'est pourquoi, il était soulagé qu'il n'y ait plus de représentation. La veille, après la dernière, ils s'étaient tous réunis pour une fête d'adieu dans une salle de réception d'un grand hôtel de la ville. Il ignorait encore si c'était le fait que cette étrange aventure prenne fin ou parce qu'il savait qu'il ne reverrait pas ses nouveaux amis avant un long moment, mais le trouble qui l'avait envahi à ce moment là l'avait grandement surpris. Il ne s'attendait pas à autant de sensiblerie de sa part, lui qui avait toujours su maîtriser ses émotions en toute circonstance. Seule Candy, par je-ne-sais quel extraordinaire pouvoir qu'on avait coutume de nommer "sixième sens féminin", était parvenue à lire en lui et à déceler ses faiblesses. C'est pourquoi il se sentait un peu désorienté alors qu'il serrait longuement et chaleureusement la main de ce brave Sidney, d'être obligé de détourner la tête pour cacher les larmes qui lui montaient aux yeux. Le metteur en scène n'en menait pas large non plus, et, dans une grande inspiration vacillante, avait gratifié Terry d'un élogieux commentaire :

- Jamais je ne pourrai assez te remercier pour ce que tu as fait, mon ami. Tu nous as retiré une sacrée épine du pied, tu sais !
- Ne me remercie pas, Sid. Cela devrait être à moi de le faire. Si tu n'avais pas insisté pour que je rejoigne la troupe, mon chemin n'aurait certainement pas croisé celui de Candy. Je te dois le bonheur qui est le mien à présent.

En disant cela, il avait discrètement dévié son regard aigue-marine vers le fond de la pièce où Candy était en train de discuter avec Patty et deux comédiennes de la troupe. Elle portait cette fois une jolie robe verte en soie de forme droite qui s'arrêtait au dessus des genoux, ceinturée aux hanches par un large ruban noir noué sur le côté. Un bandeau incrusté de perles ceignait son joli front, rehaussant l'éclat de ses yeux turquoise qui le contemplaient sans rien dire. Elle était divine ! Il s'en voulait tellement de l'avoir volontairement délaissée ces derniers jours !... L'irrésistible envie de traverser la salle pour la rejoindre et la prendre dans ses bras l'avait saisi, mais il s'était repris tout aussitôt, conscient des contraintes qu'il s'était imposé pour son propre salut. Se rendait-elle compte du pouvoir qu'elle avait sur lui et de l'effort surhumain que cela lui demandait de résister à l'appel des sens qu'inconsciemment elle lui envoyait ?

- Tu es un sacré veinard, tu sais ! – avait chuchoté Sidney sur un ton admiratif en remarquant l'émoi de Terry.

Ce dernier avait acquiescé en souriant timidement et avait enfoui ses mains dans les poches en se dandinant d'embarras. Le plus chanceux des hommes…

- Qu'allez-vous faire maintenant ? – avait-il alors demandé en se raclant la gorge, s'efforçant de ramener son esprit vagabond vers une réalité plus terre à terre.
- Ma foi, suite au succès que nous avons eu ici, nous avons été contactés par d'autres festivals pour aller jouer aux quatre coins du pays pendant tout l'été. Bien sûr, nous n'aurons pas l'honneur de t'avoir parmi nous, mais ce que tu as montré à mes gosses les a grandement inspirés. Tu as rallumé leur flamme. Quant à moi, tu m'as redonné la motivation d'en faire une grande troupe. Vois-tu, je n'aurais jamais imaginé pouvoir dire cela un jour. Je me surprends à avoir des projets alors que je m'étais assez bien habitué à cette vie tranquille.
- Haaa, Sid, je me réjouis de ces paroles ! Je les comprends d'autant mieux que, moi aussi, je m'étais accoutumé à une vie solitaire et contemplative que rien ne devait bousculer.
- Et à présent ? – demanda le quinqua en arquant un sourcil entendu.
- A présent… - soupira le jeune comédien en prenant appui contre le mur derrière lui – A présent, je renais de mes cendres. C'est une sensation étrange. Je me sens engourdi comme après un long sommeil tant ce bonheur soudain me paraît irréel. Je me sens fragile et désarmé comme un petit enfant…
- Je ne me fais pas de souci pour toi, Terry. Tes tourments ont pris fin avec cette petite. A ses côtés, tu vas retrouver l'énergie qui t'avait quitté toutes ces années. Surtout ne la laisse pas s'en aller cette fois !
- Rassure-toi, je ne commettrai pas la même erreur… - avait-il murmuré en posant un regard attendri sur Candy, laquelle, se sentant observée avait levé la tête vers lui, puis, un léger sourire aux lèvres, avait baissé les yeux en rougissant. Le besoin irrépressible d'être avec elle s'était emparé une nouvelle fois de lui. N'y tenant plus, il avait bredouillé quelques mots d'excuse et abandonné son vieil ami pour courir la rejoindre. Elle s'était redressée et l'avait regardé, intriguée. Sans rien dire, il l'avait prise par le bras et l'avait conduite dans un coin de la salle, à l'écart si ce n'est des regards, mais tout au moins des oreilles indiscrètes. Puis, recueillant ses mains dans les siennes, il avait balbutié, d'une voix hésitante.

- Candy… Je… J'ai tant de choses à me faire pardonner… Je…
- Terry… - avait-elle répondu, le front plissé d'incompréhension.
- Je sais que je t'ai délaissée ces derniers jours… Ne m'en veux pas… - avait-il poursuivi d'un air coupable.
- Terry… Je ne pourrai jamais te reprocher d'aimer ton métier… Je ne sais que trop l'importance qu'il a dans ta vie et la joie qu'il t'apporte.

Il avait secoué la tête de désapprobation.

- Candy… Cette joie, c'est toi qui me la procures maintenant. Je pourrais vivre sans le théâtre, mais sans toi… sans toi, cela me serait impossible !

Elle l'avait regardé bouche bée, un peu décontenancée par ses douces paroles, qu'elles connaissaient pourtant pour les avoir entendues dans la tour. Lui, si distant depuis quelques jours, semblait retrouver son éloquence. Elle en savourait chaque mot comme une délicieuse mélodie. Une chaleur réconfortante l'avait alors enveloppée, et des larmes d'émotion avaient commencé à lui monter aux yeux.

- J'ai tellement de choses à te dire, Candy… Cela fait si longtemps que je rêve de te les dire, si longtemps !... Ecoute… Je…

Une main s'était alors posée sur son épaule, le faisant sursauter de surprise. C'était le directeur du théâtre des Arènes qui venait les interrompre. Terry avait concédé un sourire crispé tout en toisant l'importun d'un regard furibond.

Ce crétin ne voyait-il pas qu'il dérangeait ???

- Ah, vous voilà enfin, Terrence ! Vous êtes difficile à trouver dans cette foule d'invités ! – s'était exclamé le directeur, faisant fi délibérément de sa propre indélicatesse – Le maire est là et je souhaiterais que vous vous joigniez à nous pour une photo qui immortalisera cette soirée. Vous ne voyez aucun inconvénient, n'est-ce pas mademoiselle, à ce que je vous emprunte votre… ami ?

Candy avait entrouvert la bouche pour répondre mais le malotru avait déjà passé son bras autour des épaules de Terry et le poussait vers un groupe d'hommes en costume à l'allure très officielle. Le jeune homme avait esquissé une grimace de mécontentement, et, dans un dernier mouvement vers l'intéressée, lui avait glissé discrètement :

- Viens chez moi demain, pour le déjeuner !
- Mais je ne sais toujours pas où tu habites ! – avait-elle rétorqué avec malice. Il avait répondu par un sourire gêné.
- Ne te fais pas de souci pour cela…

Sur ces paroles sibyllines, il lui avait soufflé un baiser de la main, puis s'était laissé emporter vers d'autres lumières qui s'étaient mises à crépiter à son approche. Réclamé de toute part, il n'était pas parvenu à la rejoindre de la soirée et avait dû se résoudre à la voir partir avec Patty un peu plus tard. Mais en cette fin de matinée, alors qu'il remerciait Rosa pour le panier de pique-nique qu'elle avait préparé pour eux, il se sentait libre, libre de toute contrainte, libre de pouvoir enfin confier à la jeune femme qu'il attendait si impatiemment, ses souhaits les plus ardents. La cloche du portail retentit soudain et son cœur bondit dans sa poitrine. Il se rendit sur le seuil et aperçut, derrière la grille entrouverte, s'éloigner le taxi qu'il avait envoyé pour chercher Candy. Un énorme massif cachait en partie le chemin qui menait à la maison mais il pouvait entendre le bruit de pas gracieux sur le fin gravier blanc. Il posa fébrilement la main sur la poche de son pantalon pour s'assurer une dernière fois que ce qu'elle contenait était bien en place et prit une forte inspiration tout en essayant de prendre une allure décontractée. Elle apparut enfin, vêtue d'une adorable robe sans manches à larges rayures bleues. Un petit sac en bandoulière se balançait en cadence contre sa hanche tandis qu'elle s'approchait en sautillant. Elle avait les joues roses de contentement et arborait un sourire radieux.

- Bonjour Terry ! – fit-elle en faisant claquer un baiser sur sa joue – Tu habites une bien jolie maison – ajouta-t-elle en promenant un regard admiratif sur la bâtisse.
- Bienvenue dans mon humble demeure, gente demoiselle… - ironisa-t-il pour dissimuler le trouble qui l'habitait. Puis, dans une révérence, il l'invita à entrer, tirant la porte derrière eux qui se ferma avec un petit claquement sec, comme un livre qu'on referme avec hâte, un livre qui se refermait sur un lourd passé pour se rouvrir sur un nouvel avenir, celui qu'il avait bien l'intention de proposer à Candy…

* baiser qui pourrait être relaté dans une fanfiction parallèle un peu plus tard…

Fin de la troisième partie



Edited by Leia - 20/2/2014, 11:45
 
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view post Posted on 22/3/2014, 23:58
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- Où m'amènes-tu donc ? – demanda-t-elle alors qu'il lui prenait la main et l'entrainait vers le fond du jardin. Des massifs de lilas blancs, disposés le long du terrain, libéraient leur parfum capiteux qui venait, par bouffées, se refermer sur leur sillage. Candy riait tandis que Terry restait silencieux, se tournant de temps en temps vers elle avec ce mystérieux sourire qui se promenait sur ses lèvres depuis qu'elle était arrivée. Elle avait naïvement pensé que le déjeuner se déroulerait sur la jolie terrasse, noyée sous le lierre et les rosiers grimpants, qu'elle avait découverte en sortant du salon par la grande porte-croisée, dont les vantaux vitrés laissaient pénétrer la lumière joyeuse de cette belle journée d'été. Elle avait été amusée par la décoration surannée de l'intérieur de la maison qui rappelait une toute autre époque. Des tonalités sourde de rose poudré alliées au gros velours du canapé et des fauteuils créaient une douce intimité qui laissait imaginer sans peine la maîtresse de maison en train de lire ou de tricoter, confortablement installée dans un siège prolongé d'un repose-pied à côté de la cheminée en marbre. Un court instant, elle avait cru voir mademoiselle Pony assise à cette place et son cœur s'était serré de nostalgie. Puis son regard avait dévié sur le côté pour s'arrêter sur le piano qui tournait le dos au jardin, et des pensées bien différentes lui avait traversé l'esprit ; le souvenir d'un après-midi d'orage en Ecosse où elle avait découvert les talents de pianiste de Terry, et ce jour plus récent à New-York où elle avait retrouvé ledit piano dans la pièce la plus personnelle de l'appartement du jeune homme. Elle s'était demandée si Terry oserait jouer une nouvelle fois devant elle cette irritante mélodie qu'il avait composée pour elle et qu'il avait perfidement intitulée "Thème de Tarzan taches de son et de la guenon". Elle avait plissé les yeux de défi à cette évocation et l'avait rejoint sur la terrasse où il l'attendait, un panier à la main.
- Un pique-nique ? Dans le jardin ? – avait-elle demandé, un sourire dubitatif au coin des lèvres.
- Pas tout à fait… - lui avait-il répondu avec un demi- sourire, en montrant d'un signe de tête, le fleuve Adige qui coulait au fond du jardin.

Devant sa mine incrédule, il avait laissé échapper un petit rire et s'était contenté de lui tendre la main qu'elle avait acceptée après quelques secondes d'hésitation. L'extrémité du jardin se prolongeait par un ponton ancré solidement sur le fleuve dont les ondulations venaient clapoter doucement contre les poteaux de bois. En apercevant la barque attachée au pied du ponton, elle crut un instant que Terry allait l'obliger à monter dedans et se sentit saisie d'effroi. A son grand soulagement, il bifurqua vers la droite en direction d'un bois. Elle n'était pas très à l'aise dans les barques depuis qu'elle avait failli se noyer en s'enfuyant de chez les Legrand. C'était du reste Albert qui l'avait sauvée de ce mauvais pas comme de bien d'autres plus tard. Albert… Son protecteur, son ange-gardien… Toujours là au bon moment… Toujours là pour l'aider… Pourrait-elle jamais un jour le remercier de tous ses bienfaits ?...

Ils se mirent à longer la berge sur un sentier façonné par les ans, jalonné de bouleaux et de trembles penchés au dessus de la rivière à la recherche de leur reflet. Les herbes folles qui le parsemaient laissaient à penser que l'on ne l'avait pas emprunté depuis bien longtemps. Terry continuait à mener la marche en serrant fortement la main de Candy comme s'il craignait qu'elle lui échappe. Elle se laissait conduire, intriguée, se demandant bien où il l'emmenait. Il s'était montré tellement secret ces derniers jours qu'elle avait du mal à comprendre ce qu'il avait en tête. Finalement, il était bien resté le même : tendre et aimant à un moment, puis distant et mystérieux l'instant suivant. Comment allait-il se comporter avec elle aujourd'hui ?

Se tenant derrière lui, elle profitait de sa position pour le contempler avidement, admirant sa silhouette élancée, sa taille fine, ses belles et larges épaules qu'elle devinait sous sa chemise blanche dont les manches retroussées révélaient des avant-bras musclés, traversés d'une veine saillante, preuve manifeste de sa riche musculature. Son corps d'adolescent s'était agréablement transformé et elle regrettait de n'avoir pu assister aux différentes étapes de cette mutation. Elle appréciait d'autant plus retrouver dans ce corps d'homme qu'elle découvrait un peu plus chaque jour, cette allure féline et sensuelle qui avait coutume, à Saint-Paul déjà, de la perturber chaque fois qu'il apparaissait devant elle. Ne lui avait-elle pas, d'ailleurs, donné secrètement le surnom de "Tigre" ?

Elle se remémora ce jour où, pendant les vacances en Ecosse, elle avait machinalement écrit “T.G. T.G” sur une fenêtre recouverte de buée du dortoir de l'école d'été. Bien entendu, T.G signifiait les initiales de Terrence Grandchester qu'elle avait écrites dans son journal intime. Patty l'avait surprise et lui avait demandé ce qu'elle écrivait. Elle lui avait répondu ""Tigre", j'ai écrit "Tigre" en rougissant tout en s'empressant d'effacer les lettres sur la vitre. Sur l'impulsion du moment, elle avait imaginé cette excuse, mais elle se doutait bien que Patty avait deviné ce à quoi elle pensait vraiment. Le Tigre qu'elle avait inconsciemment écrit sur la fenêtre ce jour là, prenait tout son sens à présent, car, tout comme cet animal, émanait de Terry une force sauvage qui la fascinait.

Après ce petit épisode, elle avait réalisé que ce trouble qu'elle éprouvait envers lui venait en réaction à l'attirance qu'il exerçait sur elle et qu'elle avait refusé de concevoir pendant si longtemps. Quelques semaines auparavant, il aurait été inimaginable pour elle de ressentir quoi que ce soit pour cet arrogant personnage qui se fichait d'elle à la moindre occasion ! Son cœur appartenait à Anthony et à nul autre ! Elle n'aurait pu le trahir en se laissant séduire par ce délinquant, buveur et bagarreur, à la verve sarcastique et aux propositions indécentes. Et pourtant… Elle avait bien été obligée de reconnaître qu'elle était vaincue et qu'il avait capturé son cœur et son âme. Elle, qui avait toujours pensé qu'on ne pouvait aimer passionnément qu'une fois, avait bien dû se résoudre à l'évidence : qu'elle était capable d'éprouver des sentiments pour un autre et avec une telle intensité que cela lui faisait tourner la tête…

Plongée dans ses pensées, elle ne remarqua pas tout de suite qu'il s'était arrêté et buta contre lui. Des yeux magnétiques croisèrent les siens. Elle cligna des paupières, éblouie par ce regard aux milles nuances qui la dévisageait avec un certain amusement.

- Qu'y a-t-il ? – demanda-t-elle en rougissant, inquiète qu'il ait pu lire sur son visage la raison de sa rêverie.
- Je te parlais mais tu semblais ailleurs… - gloussa-t-il avec un sourire narquois.
- Je… J'étais absorbée par cet endroit qui me rappelle les bois de Lakewood – mentit-elle en esquivant son regard scrutateur – J'avais l'habitude de m'y promener en sautant de branche en branche. C'est d'ailleurs comme cela que j'ai fait la connaissance d'Alistair.
- Fichtre ! Il n'a pas eu la trouille ? Cela a dû lui faire bizarre d'apercevoir une guenon en robe dans les arbres... - ricana-t-il tout en se préparant à affronter les foudres de la jeune américaine.

Piquée au vif, elle s'arcbouta. Mais refusant de céder à la provocation, elle se contenta de croiser les bras et de le toiser, les yeux plissés de dédain.

- Désolée de te décevoir mais il ne s'est pas enfui en courant. Loin s'en faut. Il m'a au contraire proposé de monter dans sa voiture. Nous avons même fini par nous retrouver en petite tenue…
- Pardon ??? – couina-t-il, les yeux exorbités de stupéfaction.

Elle et Alistair ??? Des images terribles fusèrent alors dans son esprit, effaçant d'un trait le sourire goguenard qu'il arborait fièrement quelques secondes auparavant. Candy jubilait intérieurement tout en se retenant de rire mais se ravisa bien vite devant sa mine consternée.

- Holala, tu as beaucoup trop d'imagination ! – fit-elle en éclatant de rire - Alistair était un chauffeur très maladroit et nous avons tout bonnement échoué dans un lac. C'est pourquoi nous avons dû mettre à sécher nos vêtements…

Il arqua cette fois du sourcil d'un air soupçonneux.

- Si cela peut te rassurer, j'avais encore sur moi ma sous-robe !...
- Et lui ?
- Lui ? Il était tout nu, je crois !...

Elle sentit cette fois qu'il allait défaillir et elle s'empressa d'ajouter en pouffant.

- Voyons, Terry, je te taquine ! C'est fou ce que tu prends ce genre de chose au sérieux ! Détends-toi !
- Je n'ai pas très envie de plaisanter quand il s'agit de tes petits copains d'Amérique, voilà tout !...
- Mes "petits copains", comme tu dis, sont mes cousins, je te le rappelle !

Il hocha vivement la tête à plusieurs reprises, visiblement excédé.

- Ouais, ouais, ce n'est pas ça qui les empêchait d'avoir des vues sur toi ! Surtout l'autre gravure de mode ! Je me souviens tres bien de la bonne correction que je lui ai donnée…
- Si mes souvenirs sont bons, vous avez fini ex aequo…
- Tu prends sa défense, ma parole !
- Pas du tout, mais je trouve ta jalousie ri-di-cule !
- Ce qui est ridicule, c'est que tu puisses me croire jaloux de ce type en fanfreluches !
- Ta réaction excessive me conforte dans cette opinion en tout cas…

Pour toute réponse, Terry lui renvoya un sourire crispé, puis avec un soupir d'exaspération, poursuivit son chemin d'un pas rageur. Il ne lui tenait plus la main cette fois et Candy dut accélérer le pas car il n'avait manifestement pas l'intention de l'attendre. Elle n'aimait pas du tout quand ils se disputaient. Cela faisait tout juste quelques jours qu'ils s'étaient retrouvés et déjà ils se querellaient. Mais elle n'aimait pas non plus quand il critiquait ses chers cousins auxquels il reprochait tout simplement de porter des pantalons. Mais au fond d'elle, elle appréciait qu'il réagisse ainsi car cela voulait dire qu'il avait des sentiments pour elle et son cœur se gonfla d'allégresse.

C'est ce moment là que choisit une poule d'eau pour surgir d'un fourré. Dérangée dans sa tranquillité, apeurée, elle traversa le chemin à toute vitesse et se précipita vers la rivière en caquetant bruyamment. Parvenue à une distance respectueuse, elle les toisa de son plus grand mépris, bec rouge dressé et postérieur dédaigneux.

- Voilà bien une Véronaise qui n'a pas succombé à ton charme… - ironisa Candy en faisant allusion à la horde d'admiratrices qui attendait Terry à chaque représentation devant sa loge.

L'irritation perça à travers les yeux mi-clos du jeune homme.

- Je n'en suis pas réduit à devoir séduire des volailles pour élargir mon public… - riposta-t-il, avec une grimace pincée.
- Pourtant elles m'avaient tout l'air de "cocottes", celles qui s'époumonaient derrière ta porte !...

Terry s'immobilisa, bouche entrouverte et yeux écarquillés. La colère qu'elle avait pu lire précédemment sur son visage s'était évanouie. Elle l'observait, perplexe, tandis qu'il s'efforçait de retenir un rire, lequel finit par exploser, faisant basculer sa tête en arrière. Quand enfin il se redressa, un sourire provocateur fendait de part en part son visage, révélant des dents de carnassier parfaitement alignées.

- Je le savais ! Tu es jalouse ! – fit-il en agitant un index moqueur sous son nez plissé d'agacement.
- Pardon ??? Mais pas du tout !!! - s'écria-t-elle en reculant.
- Si, si, tu es ja-lou-se ! Hahaha ! Et dire qu'il n'y a pas deux minutes, c'est moi que tu accusais d'être jaloux ! C'est un comble !

Elle haussa les épaules avec un grognement de mépris.

- Tu es vraiment bien présomptueux ! Je te répète que je ne suis pas jalouse !
- Si tu le dis…

La tête penchée sur le côté, il l'observait du coin de l'œil, avec ce demi-sourire qui laissait à penser qu'elle ne l'avait pas convaincu. Elle ne l'était pas non plus du reste, mais aurait tout donné pour qu'il cesse de la narguer avec cet air triomphant.

- Ooooooh ! Ce que tu me fatigues !!! – s'écria-t-elle soudain en le repoussant avec force. Pris par surprise, déstabilisé, Terry trébucha et glissa en arrière dans un affaissement de la berge qui tombait tout droit vers la rivière. Chutant irrémédiablement, il se mit à mouliner énergiquement des bras pour tenter de retrouver son équilibre. En vain. Candy réagit immédiatement et happa sa main au vol. Le corps penché dans le vide, il s'agrippa à elle tandis qu'elle le tenait fermement et le tirait de toutes ses forces vers elle.

- Ouf ! – soupira-t-il de soulagement quand ses pieds eurent touché la terre ferme - Merci ! Sans toi, j'étais bon pour un bain forcé !

Son regard plein de gratitude la dévisageait alors qu'elle n'osait lever les yeux sur lui, trop embarrassée qu'elle était de sa maladresse.

- Excuse-moi, je ne voulais pas te faire tomber à l'eau. Mais si tu ne m'avais pas énervée comme ça je… - répondit-elle d'un air contrit.
- C'était de ma faute, pardonne-moi. – fit-il en lui relevant tendrement le menton, mais l'étincelle de malice qui jaillit au même moment dans son regard laissait augurer qu'il n'allait pas tarder à la provoquer une nouvelle fois.

- Vous avez vraiment une force herculéenne... Mademoiselle Taches de son… - murmura-t-il à son oreille avec un insolent sourire.
- Appelle-moi encore une fois comme ça et je te jure que tu iras rejoindre dans la rivière la poule d'eau de toute à l'heure !!! - siffla-t-elle, dents serrées.

Il éclata de rire avec arrogance et la folle envie de le gifler la saisit. Mais l'affectueux baiser qu'il vint poser sur sa joue réduisit à néant ses dernières résolutions.

- Viens ! – fit-il en lui décochant un clin d'œil ravageur qui l'acheva définitivement. En disant cela, il s'enfonça un peu plus profondément dans le bois pour s'arrêter peu de temps après sous un arbre de taille imposante. Il l'attendait fièrement à côté du tronc, le panier à ses pieds.
- C'est là que nous allons nous installer ? – demanda-t-elle en regardant autour d'elle.
- Là ? Non. Mais là-haut, oui !

Candy leva la tête et aperçut une cabane perchée dans l'arbre. Des souvenirs heureux lui revinrent aussitôt en mémoire, ceux de délicieux moments passés dans la cabane de ses cousins à Lakewood.

- Je parie que tu n'es jamais montée dans une cabane… - lança Terry avec un sourire satisfait.

Candy n'osa pas le détourner de ses certitudes. Il aurait encore été capable de lui faire une scène en apprenant qu'elle avait passé des journées entières dans une cabane en compagnie de ses cousins ! Son ventre se mit à gargouiller. Elle mourait de faim et toutes ses émotions lui avaient creusé l'estomac. Elle se tourna vers lui et lui adressa un sourire entendu.

- Par où monte-t-on ? – fit-elle en redressant orgueilleusement le menton.

Terry fouilla dans les branches de lierres qui tapissaient le tronc et en retira une échelle de corde.

- Après toi ! – dit-elle avec un sourire malicieux.
- Ce serait préférable que je protège ton ascension en restant derrière toi…
- Bien tenté ! Mais je suis en robe et je n'ai pas envie que tu en profites pour te rincer l'œil.
- Tu me prêtes de bien mauvaises intentions… - fit-il en prenant un air penaud.
- On n'est jamais trop prudent !...

Terry haussa les épaules.

- Soit… Mais n'en profite pas à ton tour pour lorgner mon postérieur ! – dit-il, faussement offusqué tout en commençant à se hisser sur l'échelle.

Prenant un air des plus innocents, elle opina du chef. Mais quand elle leva la tête, elle se dit en rougissant qu'elle avait bien fait de mettre une robe...

(A suivre... :Demon09: :Demon09: :Demon09:)

Edited by Leia - 16/6/2016, 16:39
 
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view post Posted on 12/4/2014, 00:28
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Soudain, elle entendit le bruit sourd de quelque chose qui tombait derrière elle et se retourna, intriguée. C'était une corde que Terry avait lancée et dont il brandissait l'autre extrémité.

- Noue la corde autour de la hanse du panier, je vais le remonter ! – lui cria-t-il.

Candy s'exécuta, vérifia que tout était était bien attaché puis fit signe à Terry. Le panier se mit en branle et se détacha du sol. Elle se dirigea alors vers l'échelle et commença son ascension, escortée du panier qui montait au même rythme qu'elle. Du coin de l'œil, elle remarqua un appétissant saucisson à l'intérieur et sentit son estomac gargouiller de plus belle. Tenaillée par la faim, elle voulut accélérer la cadence mais ce n'était pas très pratique de monter avec des chaussures de ville et elle se reprocha de ne pas les avoir enlevées avant de grimper. De plus, l'échelle n'était pas très stable et se balançait au moindre mouvement. Candy pestait intérieurement, s'efforçant d'équilibrer ses gestes maladroits qui la retardaient et qui ne manqueraient de susciter les moqueries de Terry. Elle l'imaginait en train de rire d'elle et un frisson d'agacement lui parcourut le corps. Le panier, de son côté, avait pris de l'avance et elle posa un regard dépité sur le saucisson qui la narguait en s'éloignant. Enfin, elle atteignit le dernier barreau et saisit la main secourable de Terry qui l'attendait. Contrairement à ce qu'elle craignait, il ne rit pas d'elle. Aucun sourire moqueur ne flottait sur ses lèvres et elle se détendit. S'accrochant de l'autre main à la rambarde, elle se hissa avec un ultime effort et atterrit, emportée par son élan, au creux des bras du jeune homme qui resserra alors son étreinte. Comme il sentait bon ! Elle avait gardé une excellente mémoire olfactive de certains évènements de sa vie, et plus particulièrement des garçons qu'elle avait aimés. Pour Anthony, c'était indéniablement le parfum des roses qui la troublaient et ce, malgré les années écoulées, mais concernant Terry, c'était une odeur singulière qu'elle ne pouvait décrire, une odeur très subtile, à la fois raffinée et animale, qui provoquait en elle une multitude d'émotions et de souvenirs, si bien qu'elle ne se rendit pas vraiment compte qu'elle pressait un peu plus fort sa joue contre sa poitrine. Elle aimait le contact de sa peau contre la sienne à travers l'étoffe de sa chemise qui laissait passer la douce chaleur de son corps, et aurait aimé se perdre plus longuement dans ses bras, mais un borborygme perfide vint subitement briser le charme.

- Nom d'une pipe ! Qu'est-ce donc bruit ??? Tu caches une bestiole sur toi ??? – s'écria-t-il en faisant un bond en arrière avec un petit cri faussement effrayé.
- Ce n'est que mon ventre, gros bêta ! – répondit-elle en levant les yeux au ciel d'un air désabusé tandis qu'il gloussait comme un gamin.

Quand cesserait-il de la faire enrager ? Lui laisserait-il jamais une seconde de répit ? Au rire idiot qui le secouait, elle dut bien se rendre à l'évidence : son cas était désespéré…

- Je n'ai pas beaucoup mangé au petit-déjeuner – mentit-elle en le toisant alors qu'elle avait une fois de plus horrifié Patty avec son appétit d'ogresse.
- Dans ce cas… - fit-il avec une moue dubitative en lui prenant la main pour la conduire à l'intérieur de la cabane – J'espère qu'il y en aura assez pour l'estomac à jambes que tu es !...

Vexée, elle allait lui donner un petit coup dans les côtes en représailles, quand elle stoppa net son geste en découvrant, interdite, la magnifique table dressée devant elle. Enfin… Ce n'était pas vraiment une table, mais plutôt une grosse caisse recouverte d'une belle nappe blanche sur laquelle étaient disposés vaisselle en porcelaine, verres en cristal et couverts en argent. En guise de fauteuils, on avait retiré les coussins du vieux sofa qui trônait au fond de la pièce et on les avait empilés de part et d'autre de la caisse. Mais ce qui troublait le plus Candy, c'était le joli bouquet de roses posé au milieu de la table. Elle savait que cela avait dû beaucoup coûter à Terry de faire cela car il n'ignorait pas que cela allait obligatoirement raviver le souvenir d'une autre personne qui aiguisait cruellement sa jalousie, et en apprécia d'autant plus le geste.

- Il est ravissant, merci… - fit-elle d'une voix émue à l'attention de son hôte qui l'observait, attentif à sa réaction.
- Je sais combien tu aimes les roses… - murmura-t-il d'une voix douce en posant une main sur son épaule
- Encore plus quand elles ont été cueillies par toi… - s'enhardit-elle en rougissant. Elle baissa les yeux d'embarras. Elle n'arrivait pas à s'expliquer cette gêne perpétuelle qui l'habitait quand elle se trouvait devant lui, comme si elle avait peur d'être ridicule en lui montrant ses sentiments. Cela avait été bien plus simple dans l'obscurité de la tour… Mais à présent, à la lumière du jour, dans cet espace exigu qu'était la cabane et qui les faisait se frôler au moindre mouvement, elle se sentait vraiment désarmée, comme s'il la voyait toute nue !

Elle passa nerveusement les mains le long des plis imaginaires de sa robe, s'éclaircit la gorge, et pour se laisser le temps de retrouver une contenance, fit mine d'examiner les lieux. Le temps s'était arrêté dans cette maisonnette, un temps heureux qui n'avait pas connu la guerre mais qui en avait été très proche si on se rapportait aux unes des journaux qu'on avait rassemblées à côté du vieux sofa tout élimé. Quelques ressorts récalcitrants en avaient percé l'assise qui, dépouillée de ses coussins, affichait piteusement sa misérable condition. Tout contre, un gramophone attendait par terre qu'on veuille bien le remettre en marche, déployant gracieusement son pavillon en forme de fleur de crocus. Dans une grosse boite en carton était rangée une série de disques de chanteurs d'opéra mais aussi de compositeurs célèbres, frémissants du secret espoir qu'une main curieuse s'intéresse de nouveau à eux et les soutire de leur repos forcé. De l'autre côté du sofa, contre le mur, une commode rehaussée d'un miroir terni par les ans, abritait dans ses tiroirs des vêtements démodés et des déguisements. Le tiroir du milieu renfermait toute une panoplie d'objets et de jeux hétéroclites qui avaient dû occuper bien des journées des jeunes fils Russo : épées en bois, jeu de l'oie, jeu de dames, les trois mousquetaires d'Alexandre Dumas, une pipe sans tabac, une boussole, un canif… Mais aussi… un calendrier coquin qui semblait avoir été coincé sous le tiroir et qui avait glissé aux pieds de Candy au moment où elle le refermait. Elle tourna vivement la tête vers Terry, le regard soupçonneux.

- J'aime bien le chignon de mademoiselle Avril ! – ricana-t-il bêtement.
- Pardon ? – bredouilla-t-elle, les sourcils froncés de reproche – Tu… Tu l'as feuilleté ???
- Oh si peu… Enfin… Pfffiouuu… - répondit-il en se frottant machinalement la nuque – Je croyais surtout l'avoir mieux… caché !…

Ses yeux à elle s'agrandirent d'effarement tandis que sa bouche s'arrondissait, muette de tout son.

- Ne me regarde pas comme ça ! Je l'ai trouvé par hasard en faisant le ménage !
- Le ménage ? Toi ?
- Oui ! Le ménage ! Il fallait bien que quelqu'un le fasse ! Cette brave Rosa avait refusé de monter à l'échelle… Et je n'avais pas l'intention de t'accueillir dans la poussière et la saleté.
- C'est vraiment très louable à toi… - fit-elle, dédaigneuse, en reposant l'objet du délit dans le tiroir.

Elle s'interrompit, croisa les bras et porta son index à sa bouche, l'air pensif.

- A quoi tu penses ? – fit-il, piqué par la curiosité.
- Oh, je t'imaginais juste en habit de soubrette, le plumeau à la main…

Terry n'en croyait pas ses oreilles et mit quelques secondes à réagir.

- Hahaha !!! Mais dites donc, mademoiselle André, vous avez une sacrée imagination ! Les photos de ce calendrier vous ont perverti l'esprit !
- Je crois malheureusement que c'est le tien qui déteint sur le mien…
- Je prends cela pour un compliment ! Pour une fois que j'ai un peu d'influence sur toi…

Un sourire complice se dessina sur les lèvres de la jeune blonde. Elle avait très bien saisi le sous-entendu. Elle s'approcha de lui et murmura à son oreille :

- Tu n'es pas au bout de tes surprises…

Ces quelques mots laissaient présager de belles batailles en perspective si bien que l'envie soudaine de la prendre dans ses bras et de plaquer ses lèvres sur les siennes s'empara de lui. C'était pour cela qu'il l'avait choisie elle, et aucune autre, parce qu'elle le ne craignait pas de le défier et qu'elle aimait la joute, quitte à la provoquer. Oh Dieu qu'il aurait ardemment souhaité se livrer avec elle à un nouveau duel jusqu'à épuiser toutes leurs ressources et échouer terrassés l'un contre l'autre, s'avouant dans un souffle leur reddition commune… Il se mit à trembler d'émotion et secoua la tête pour retrouver ses esprits. Tout ceci n'avait duré que quelques secondes et Candy, heureusement, ne s'était rendue compte de rien. Elle était occupée à regarder par la fenêtre le fleuve Adige qu'elle distinguait au loin, à travers les arbres. Le soleil s'était livré un passage au milieu des branches feuillues, et s'amusait à un jeu d'ombres et de lumières sur le balcon. On pouvait entendre le chant heureux des oiseaux, le murmure d'une brise légère qui se faufilait dans la cabane par les ouvertures et qui venait rafraîchir la chaleur étouffante de ce mois de juillet. Bercée par la douce et suave mélodie des "Rêveries" de Debussy, elle posa la tête contre l'encadrement de la fenêtre, un sourire s'étendant sur son ravissant visage, et se laissa emporter, l'esprit libre et joyeux.

Le bruit d'un bouchon de champagne qu'on fait sauter la soutira de sa contemplation. Terry s'avançait vers elle une coupe à la main.

- Je n'ai rien dans l'estomac, je vais être pompette ! – s'écria-t-elle tout en le remerciant d'un signe de tête. Le sourire suggestif qu'il lui renvoya confirma son inquiétude et elle plissa les yeux d'un air méfiant. Ils trinquèrent. Au bout de quelques gorgées, les bulles faisaient déjà leur effet et elle sentit qu'elle avait la tête qui tournait.
- Tu veux m'enivrer, brigand ! – marmonna-t-elle tandis qu'il la conduisait à la table en ricanant où elle se laissa choir sur les confortables coussins du canapé. La position assise lui convenait mieux et elle se redressa, cherchant à retrouver un peu de dignité après avoir titubé jusqu'à la table. Terry lui tendit une assiette de charcuterie - un assortiment de jambon, de coppa, de pancetta et de… saucisson ! - sur laquelle elle se précipita. Il fallait qu'elle remplisse son ventre au plus vite pour retrouver les idées claires ! Il s'assit en face d'elle et tout en portant un morceau de jambon à sa bouche, se mit à l'observer, un demi-sourire au coin des lèvres. Cette spontanéité souvent maladroite qui la caractérisait l'amusait beaucoup. C'était un perpétuel divertissement d'être en sa présence et il se dit qu'il avait vraiment de la chance de l'avoir dans sa vie. Il en était conscient depuis bien longtemps mais à présent, alors qu'ils se trouvaient seuls au monde dans cette cabane, il réalisait l'inestimable cadeau qui lui avait été fait. C'est pourquoi il était impatient de lui faire part de son souhait le plus cher. Il s'était dit que cette maison dans les arbres, à l'abri des yeux indiscrets, la mettrait en confiance et qu'elle ne pourrait pas lui refuser ce qu'il avait toujours rêvé de posséder : sa main, sa jolie menotte à laquelle il passerait bientôt l'anneau… Si elle le voulait bien… Mais pour l'instant, il lui semblait difficile de s'en assurer tant le goinfre qui habitait son amoureuse semblait uniquement préoccupé par le contenu des assiettes. Celle d'antipasti se vida très rapidement et Candy fit honneur d'aussi belle manière aux tomates mozzarella, au poulet froid et à la tarte aux pommes de Dame Rosa.

- C'était délicieux ! Tu pourras féliciter Rosa pour sa cuisine ! – fit Candy en se tapotant les lèvres avec sa serviette.
- Tu le lui diras de vive voix tout à l'heure, quand nous rentrerons… - lui répondit-il en reprenant la bouteille de champagne qui attendait dans un seau à glace à côté de lui et en lui en versant une nouvelle coupe. Cette fois, elle ne montra aucun signe de réticence. Elle avait remarqué qu'elle avait le vin gai et que cela lui donnait du courage pour affronter le regard scrutateur de Terry. Maintenant que leur repas était terminé et qu'ils avaient évoqué tous les sujets anodins possibles, elle aurait bien besoin de plus de bulles pour cacher son embarras. L'expérience dans la tour lui revenait incessamment à l'esprit et tout ce qu'ils y avaient fait, tout ce qu'ils s'y étaient dit, contrastait fortement avec les banalités qu'ils étaient en train d'échanger. Elle se demanda ce qu'en penserait Albert s'il la voyait dans cet état-là et réalisa soudain qu'elle ne lui avait pas donné de nouvelles depuis son dernier télégramme. Il devait être très inquiet !
- Qu'y a-t-il ? – fit Terry en remarquant l'attitude étrange de Candy.
- Je viens de me rendre compte que je n'ai pas écrit à Albert depuis mon dernier télégramme qui remonte à mon arrivée à Vérone. Il ne sait même pas où j'habite ni comment va Patty. Il doit être aux cent coups !
- Tu lui enverras un télégramme demain. Ne t'inquiète pas…
- Je ne comprends pas comment j'ai pu être si négligente ! – poursuivit-elle en secouant la tête.
- Tout s'est passé si vite depuis que tu es ici… L'opération de Patty, le club… Nos retrouvailles…

Sa voix s'était faite plus douce en disant cela et elle lui sourit tendrement.

- Tu sais que j'ai été très étonné d'apprendre qu'Albert était ton Grand-Oncle William… - reprit-il en se raclant la gorge d'émotion - Je n'aurais jamais imaginé que cet aventurier aux centres d'intérêts si éloignés des affaires était en fait à la tête d'une des plus riches familles des Etats-Unis !
- Tu ne crois pas si bien dire ! Je ne m'y attendais pas du tout moi non plus ! Je me revois encore dans son bureau, toute tremblante, avec l'espoir qu'il accepterait d'annuler ce stupide mariage avec Daniel…
- Pardon ? – intervint Terry d'une voix blanche – Un mariage avec Daniel ???

Candy opina en baissant les yeux.

- C'était horrible !!! J'ai eu la bêtise un soir de le sauver des griffes de voyous qui en voulaient à son argent, et dès lors, il a jeté son dévolu sur moi, m'offrant des fleurs, des cadeaux, me rendant visite. Je l'ai repoussé à chaque fois, tu penses ! L'idée même qu'il m'approche m'était insupportable… Et puis un jour il a usé d'un perfide stratagème : il m'a tendu un piège en me faisant croire que tu me donnais un rendez-vous secret dans une demeure à la sortie de Chicago. J'étais si heureuse de te revoir que je me suis jetée sans réfléchir dans la gueule du loup !...

Le regard de Terry changea subitement de couleur, celle de la fureur quand celle-ci s'emparait de lui. Un frisson de peur secoua la jeune femme.

- Il… Il ne t'a rien fait au moins ? – parvint-il à articuler.
- Rassure-toi… - répondit-elle en secouant négativement la tête – Son entrejambe a gardé un souvenir cuisant de ma venue dans cette maison…

Il essayait de paraître détaché mais le poing qu'il serrait à s'en faire pâlir les jointures témoignait de la rage sourde qu'il peinait à contenir.

- J'ai hâte de lui laisser à mon tour un souvenir à ma façon… Vivement que nous soyons de retour en Amérique ! – siffla-t-il entre ses dents.
- Il a été bien humilié tu sais ! Après mon refus, il est parvenu à convaincre sa famille de m'épouser. Même la Grand-Tante Elroy a accepté ! J'étais acculée ! C'est là que j'ai demandé une entrevue avec le Grand-Oncle William pour le supplier de tout annuler. Et c'est là là que j'ai découvert sa véritable identité…
- C'est vraiment une histoire incroyable !
- Si tu avais vu leur tête à tous quand Albert est entré dans la salle de réception où devait se dérouler la cérémonie des fiançailles ! La Grand-Tante n'en menait pas large ! Les gens étaient vraiment surpris quand il a révélé qui il était vraiment. Tout comme moi, ils avaient toujours cru que le Grand-Oncle William était un vieux bonhomme souffreteux et ils découvraient un splendide trentenaire ! A l'annonce de l'annulation, Daniel s'est comporté comme un sale gamin capricieux et s'est enfui en chouinant de la pièce.
- Il vit toujours à Chicago ? – demanda Terry, projetant secrètement de lui rendre une petite visite dès qu'il aurait posé un pied sur le sol américain.
- Non, il s'est établi en Floride où il construit des hôtels… Je ne l'ai que très rarement revu depuis ce triste épisode et il m'évite comme la peste.
- Il a au moins un peu de bon sens…

Elle arqua un sourcil réprobateur.

- Je veux dire que malgré sa cervelle creuse, il lui reste assez d'intelligence pour ne pas chercher à se ridiculiser une nouvelle fois en te faisant la cour… - gloussa-t-il.
- C'était peine perdue, le pauvre idiot ! Brrrr ! Rien que de penser à lui me fait frissonner de dégoût !
- Lui, je veux bien te croire, mais les autres…?
- Les autres ???
- Oui, les autres. Ceux qui ont voulu te séduire. Ne me fais pas croire qu'aucun homme ne t'a tourné autour durant toutes ces années ?

Il avait dit cela sur un ton badin, mais l'aiguillon de la jalousie prenait un plaisir sournois à le pincer. Candy prit un air songeur. Elle se remémora les quelques prétendants auxquels elle avait concédé un rendez-vous et répondit par une grimace dédaigneuse.

- Cela n'a aucune importance…

Oui, ils n'avaient aucune importance... A chaque rendez-vous, je ne pouvais m'empêcher de les comparer à toi, Terry. Tu avais placé la barre si haut !... Même ce baiser échangé avec ce médecin que m'avait présenté Annie, me paraît d'une fadeur affligeante en comparaison de ce que je peux ressentir ne serait-ce que lorsque tes doigts effleurent ma peau… Je crois que j'aurais pu finir ma vie seule si je ne t'avais pas retrouvé. J'étais en bon chemin, mais je préférais cela plutôt que de partager une existence médiocre et vide de passion avec un autre….

- Et toi ? – demanda-t-elle en penchant la tête sur le côté, sourire en coin.

- Cela n'a pas d'importance non plus…

Le sourire entendu qu'il lui adressa était suffisamment éloquent pour qu'elle ne cherche pas à en savoir plus. Elle savait qu'il n'avait jamais épousé Suzanne et qu'il ne l'avait jamais aimée. S'occuper d'elle l'avait-il néanmoins empêché de céder aux attraits des jeunes et belles actrices qui orbitaient quotidiennement autour de lui ? La seule pensée de Terry enlaçant une autre femme lui tourneboulait l'estomac. Elle secoua la tête pour chasser cette insupportable image et fut prise d'une irrépressible envie de se venger.

- Te rappelles-tu ce que je t'avais promis le jour où nous nous sommes revus ? - fit-elle, l'œil brillant de malice.
- Non, pas du tout… - répondit-il avec un léger mouvement de recul. Ce qu'il lisait dans le regard de Candy ne lui disait rien de bon… Elle farfouilla dans son sac qu'elle avait posé derrière elle et en sortit une paire de ciseaux très fin et une pince.
- Je t'avais promis d'ôter ces fichus points de suture qui te défigurent !… - dit-elle en brandissant ses outils fièrement.
- Il me semble t'avoir répondu que je ne voulais pas prendre le risque de l'être encore plus… - gémit-il en déglutissant avec peine.

Elle avançait vers lui en rampant, comme une bête prête à bondir sur sa proie.

- Ne m'approche pas ! – hurla-t-il en reculant. Il buta contre le canapé et chercha de la tête une issue mais elle était déjà sur lui, assise à califourchon, arborant un sourire sadique et effrayant.
- Ne me dis pas que tu as peur quand même…
- Je suis très douillet, arrête !!!

Il se débattait comme un forcené. Elle laissa tomber ses ustensiles et empoigna ses mains pour le maîtriser. Le corps à corps s'annonçait féroce.

- Fichtre ! Elle a de la force ! – se dit-il tandis qu'il s'évertuait à se dégager. Soudain, il parvint à la faire basculer sur le côté. Cette fois, c'était lui qui la dominait, plaquant ses bras au sol avec un cri de victoire.

- Alors, on fait moins la maline, mademoiselle Taches de Son !

Elle gigotait comme une malheureuse mais Terry était le plus fort et elle dut bien se résoudre au bout d'un moment à s'avouer vaincue. Penché au-dessus d'elle, il se délectait de cette délicieuse vision qu'elle lui renvoyait, soumise entre ses bras, la poitrine haletante, ses yeux brillants d'un provocant éclat. Irrémédiablement attiré, il se pencha un peu plus vers elle, ses lèvres tremblantes effleurant les siennes…

- Embrasse-moi… - semblait-elle le supplier en s'arquant vers lui.

Il savait que s'il l'embrassait, il perdrait toute maîtrise de lui-même et qu'il les entrainerait tous deux dans un monde sans limite où ils pourraient sombrer. A contrecœur, il s'arracha d'elle, la laissant pantoise. Fuyant son regard empli d'incompréhension, il se releva, laissant dans l'élan tomber la petite boite qu'il tenait cachée dans sa poche et qui avait dû se déplacer durant la lutte. Elle roula vers Candy qui se redressa, intriguée.

- Qu'est-ce donc ? – fit-elle en la prenant entre ses mains.
- C'est… - bredouilla-t-il, embarrassé – Enfin… Je cherchais le bon moment pour… Enfin, tu vois, non ?

Candy souleva le couvercle de l'écrin et découvrit un magnifique anneau en or blanc serti de diamants : une petite merveille qui devait valoir une fortune ! Elle dirigea vers lui des yeux écarquillés de stupeur.

- C'est Patty qui m'a aidé à choisir… Tu comprends, je n'ai pas trop l'habitude de… - dit-il, gêné, en se frottant la nuque.

Candy se rappela que la veille Patty s'était absentée un petit moment du club, prétextant une course à faire. Elle était revenue une heure plus tard sans plus d'explication et Candy en avait conclu qu'elle avait eu un rendez-vous galant avec son beau chirurgien et qu'elle voulait rester discrète sur le sujet. Elle n'aurait jamais imaginé qu'elle était avec Terry en train de l'aider à choisir une bague !

Elle restait sans voix admirant le précieux bijou qui scintillait de mille lumières.

- Candy… - murmura-t-il. Il avait posé un genou à terre et lui avait pris la main. Son cœur battait à tout rompre ! – Je ne suis pas très doué pour ce genre chose… Toute la journée j'ai attendu le meilleur moment pour te faire… enfin… tu vois… te faire ma demande… et…. Ce n'était jamais le bon, du moins à mes yeux… Le hasard a précipité les choses et me voilà donc devant toi, bégayant ces mots que j'ai répété pourtant tant de fois dans ma tête et qui me font défaut à présent tant l'émotion me submerge ! Candy… Peut-être aurais-tu souhaité une demande plus conventionnelle, formulée devant Albert et tes mères d'adoption de la Maison Pony ?

Elle secoua la tête négativement et il soupira de soulagement.

- Candy… Te rencontrer a été la plus belle chose qui me soit arrivée dans la vie... et me séparer de toi fut la plus terrible expérience qui soit… J'ai bien cru t'avoir perdue à jamais une fois et je ne veux plus revivre cela… Je ne pourrais plus vivre sans toi. Oh Seigneur, Candy !...

Il s'interrompit et se passa la main dans les cheveux en ricanant d'un air songeur.

- Pourquoi ris-tu ? – lui demanda Candy, perplexe.
- Ce n'est rien – gloussa-t-il - C'est juste que je viens de réaliser que si Patty ne m'avait pas obligé à t'écrire, tu n'aurais pas lu ma lettre, tu n'aurais pas cherché à me revoir à New-York, je n'aurais pas traversé l'atlantique pour te retrouver et je ne serais pas là en train de te demander ta main. C'est fou ce que cela tient à peu… de… choses

A l'instant même où il prononça ces mots, il sut que qu'il venait de faire et de dire la plus grosse bêtise de sa vie. Quel idiot il était !!!!

- Obligé ? Patty t'a o-bli-gé ???

La réaction de Candy ne se fit pas attendre. Rouge de colère, elle lui jeta à la figure le coffret qui contenait la bague, se leva d'un bond et se dirigea vers la porte sans un regard pour lui.

- Candy, attends ! – s'écria-t-il tout en tâtonnant à quatre pattes à la recherche de la bague qui avait roulé sous le canapé – Ce n'est pas ce que je voulais dire ! Je t'en prie, attends !

Mais elle avait déjà disparu. La rage aidant, elle n'eut aucune difficulté cette fois pour descendre à l'échelle et rejoignit le sol en quelques secondes. Terry surgit sur le balcon et l'interpella :

- Candy ! Laisse-moi t'expliquer ! Je t'en supplie, attends-moi !

Mais elle ne l'écoutait point et poursuivait son chemin à grandes enjambées, poings serrés, raide comme un piquet. Les mauvais souvenirs lui revenaient à l'esprit et ne faisaient qu'accentuer sa fureur : l'accident de Suzanne qu'elle avait découvert par hasard et dont il n'avait jamais osé lui parler, leur séparation sur les marches de l'hôpital Jacob, la vie sans lui à laquelle elle avait dû se résigner, le vide, l'attente, l'espoir d'avoir de ses nouvelles après le décès de Suzanne, nouvelles qui n'arrivaient jamais et enfin cette lettre que Patty lui avait confiée, mais qu'il n'avait écrite que sur l'insistance de celle-ci… Pourquoi l'envie n'était-elle pas venue de lui ? L'avait-il un jour vraiment aimée ? Elle, qui lui avait écrit des dizaines de lettres quand il débutait, et auxquelles il n'avait que rarement répondu. Elle avait toujours pensé que c'était parce qu'il était trop occupé. Grrrrrr ! Il aimait la torturer, souffler sur elle le chaud et le froid, comme ce soir-là dans la tour, pour l'ignorer le jour suivant et la faire culpabiliser ! Quel mufle !

Elle approchait de la maison et hâta le pas. Elle voulait s'échapper de cet endroit au plus vite ! Elle se retourna et vit que Terry était sur ses talons. Il la rattrapa, tout essoufflé, alors qu'elle atteignait la terrasse.

- Mais quelle mouche t'a piquée, voyons ??? – rugit-il en lui prenant le bras, l'obligeant à le regarder.

Elle ne lui répondit pas et se détourna de lui, le menton pointé vers le ciel.

- Candy !!! Je t'en prie, écoute-moi ! Je me suis mal exprimé ! Je n'avais pas l'intention de te blesser. Je t'en prie, regarde-moi !...

Elle finit par tourner la tête vers lui, des éclairs de colère dans les yeux.

- Pourquoi n'as-tu jamais répondu à mes lettres ? – lui lança-t-elle, fulminante.
- Tes lettres ?
- Oui, des dizaines de lettres que je t'ai envoyées quand tu débutais à New-York !!! Pourquoi n'y répondais-tu pas, hein ? Parce qu'il n'y avait personne pour t'obliger à le faire peut-être !!!
- Tes lettres, Candy… - fit-il tristement en baissant la tête - Je les ai découvertes après la mort de Suzanne, cachées au fond d'un tiroir de son bureau…
- Cachées ???
- Oui, cachées… Pendant toutes ces années, elle les avait gardées secrètement, jalousement… Comme si elle ne m'avait pas assez fait de mal comme cela…
- Oh Terry…

A travers le voile de larmes qui lui brouillait la vue, elle remarqua le visage dévasté du jeune comédien et sa colère s'évanouit...

- Je les ai lues et relues pendant des jours - poursuivit-il en secouant la tête - Je pourrais te les réciter tant elles sont ancrées dans ma mémoire. Pendant quelques instants, je revivais le temps de ces jours heureux, où le jeune comédien que j'étais projetait avec insouciance de te faire venir à lui pour ne plus jamais te laisser repartir… Et puis, j'ai malheureusement réalisé que dix années s'étaient écoulées, que tu avais une nouvelle vie, sans moi, et que je n'avais pas le droit de venir briser la tranquillité de ton existence. Maintes fois j'ai voulu t'écrire et maintes fois j'y ai renoncé. J'avais peur Candy, peux-tu le comprendre ? J'avais si peur que… que tu me repousses…
- Oh mon dieu, Terry, je ne t'aurais jamais repoussé… Je t'attendais, je t'ai toujours attendu !… Quand Suzanne est morte, j'ai très égoïstement espéré que tu reviendrais et puis…

Elle sanglotait. Lentement et avec une infinie tendresse, la main de Terry vint se poser contre sa joue et elle releva la tête. Sa beauté l'étourdit – elle ne s'y habituerait jamais - et elle chancela. Il la regardait d'une façon qui ne laissait aucun doute. Il se livrait entièrement à elle, sans aucune équivoque. Il n'était plus arrogant ni moqueur, il était redevenu ce Terry qu'elle avait rencontré un soir sur un bateau, habité de souffrances et de désespoir. Et son cœur se brisa d'avoir pu raviver ces sentiments en lui.

- Peux-tu comprendre Candy, que je… que je t'aime ! Je t'aime comme un fou ! Je t'aime tellement que quand il s'agit de toi, je perds toute assurance, toute certitude ! Je ne t'ai pas écrit parce que je ne me suis jamais cru assez bien pour toi. Tu es si… si parfaite à mes yeux que je ne pouvais pas revenir vers toi. J'avais trop honte. Je ne pouvais pas pardonner au pauvre abruti que j'étais de t'avoir laissée partir ce soir-là alors que je t'aimais passionnément et que je savais que cela allait me détruire de devoir renoncer à toi. Parce que... Parce que j'ai continué à t'aimer, que je ne l'ai jamais cessé, et que je t'aime encore ! Oh oui, je t'aime, je t'…. !

Il ne pouvait plus lutter...

Renonçant à ses bonnes résolutions, il l'attira contre lui, prit son visage entre ses mains, presque brutalement, et l'embrassa avec fouge. Saisie de surprise, Candy s'abandonna dans ses bras, subissant ses assauts avec incrédulité. Tout était allé si vite qu'elle avait du mal à réaliser ce qui était en train de se passer. Il l'aimait, il venait de le lui dire, à plusieurs reprises ! Jamais auparavant elle n'avait entendu ces mots sortir de sa bouche, qui se répétaient à présent en écho dans son esprit tandis qu'il embrassait ses yeux, ses joues, ses lèvres… Peu à peu, son rythme cardiaque s'affola, son sang se mit à bouillonner dans ses veines. Elle s'écarta une seconde pour retrouver son souffle. Un éclat sauvage, celui du tigre de ses pensées, illuminait ses yeux à lui aux couleurs des plaines d'Ecosse. Sa mâchoire était crispée et elle frissonna de désir devant la sensualité extrême qu'il dégageait. Debout sur la pointe des pieds, elle enroula ses bras autour de sa nuque, s'agrippa à ses cheveux et entrouvrit les lèvres pour accueillir les siennes qui revinrent se plaquer sur sa bouche avec une telle intensité qu'elle laissa échapper un gémissement. Il resserra son étreinte et sentit son corps frémir contre le sien. Leurs langues se nouèrent l'une à l'autre, avides de se retrouver jusqu'à leur faire oublier où ils se trouvaient. D'un bond, elle enlaça sa taille de ses jambes tout en continuant à l'assaillir de baisers. Leurs regards se croisèrent, brillants de fièvre, et ils comprirent qu'il était trop tard pour reculer, car le feu dévorant qui était en train de les consumer ne pourrait s'éteindre que sous les plaintes mourantes de leur désir comblé. Il enfouit son nez dans le creux de son cou en grognant, et l'emporta en titubant à l'intérieur de la maison, sous le regard fasciné de Dame Rosa qui, au son des cris qui l'avaient alertée, s'était approchée de la fenêtre de sa cuisine qui donnait sur le jardin des Russo. Elle n'avait pas manqué une miette du spectacle.

- Et bien… - se dit-elle, une moue polissonne étirant le coin de ses lèvres – Voilà des petits qui ne vont pas tarder à en faire à leur tour…


Fin du chapitre 13 :Demon09: :Demon09: :Demon09:



Edited by Leia - 17/4/2014, 18:31
 
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Chapitre 14




Le bruit de la pluie sur le toit la réveilla. L'obscurité avait enveloppé la chambre.

Combien d'heures avait-elle dormi ?

Elle jeta un œil sur le réveil posé sur la table de nuit à côté d'elle et constata qu'il n'était que la fin de l'après-midi. Elle se retourna et reconnut à travers les carreaux de la fenêtre, un ciel gris et sombre d'orage d'été. Le roulement de tonnerre approchait, prêt à ébranler le ciel et la terre.

En réaction, elle se glissa un peu plus sous les draps mais fut saisie alors d'une étrange sensation : celle de son corps nu contre le tissu qui l'enveloppait. Elle souleva le drap et ne put que constater l'évidence. Elle était nue dans un lit inconnu, à l'intérieur d'une chambre qu'elle ne reconnaissait pas ! Elle se redressa brusquement, rougissante, tirant par réflexe sur le drap pour recouvrir sa poitrine dénudée. Elle chercha du regard une silhouette familière parmi celles qui se détachaient en ombre chinoise autour d'elle. Elle était seule…

Peu à peu des images furtives lui revinrent à l'esprit : celles de Terry la transportant à travers la maison, traversant le salon en trébuchant contre les meubles qui leur barraient le passage… Ses mains puissantes qui l'enserraient, les baisers grisants qu'ils échangeaient…

Elle porta la main à sa bouche et caressa ses lèvres de la pulpe des doigts.

… Puis l'éprouvante montée de l'escalier qui avait nécessité plusieurs haltes et entretenu l'ardeur de leurs élans, ses jambes à elle refermées autour de sa taille, la paroi du mur dans son dos les soutenant, jusqu'à ce qu'ils parviennent à la chambre et que leurs deux corps s'écroulent sur le lit qui grinça de surprise sous le choc.

Au sol, leurs vêtements éparpillés témoignaient de la hâte avec laquelle ils avaient été enlevés.

Tout était encore un peu flou dans son esprit…

Elle se leva et marcha jusqu'à la salle de bain pour revêtir un peignoir accroché à la porte. Elle s'entrevit dans le miroir du lavabo et frissonna devant ce qu'il lui renvoyait : le reflet du visage ému de celle qui venait de découvrir l'amour…

Elle s'adossa contre l'encadrement de la porte et ferma les yeux…

Lui au-dessus d'elle, lèvres entrouvertes et yeux mi-clos qui l'observaient, dissimulés en partie par ses mèches brunes qui retombaient sur son beau visage… La douceur de ses mains… Ses mains étreignant ses...

Edited by Leia - 19/10/2015, 21:38
 
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view post Posted on 12/5/2014, 22:15
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La suite de ce chapitre 14 se trouve ici

https://candyneige.forumfree.it/?f=10314695

Edited by Sophie_ - 26/1/2015, 20:17
 
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Chapitre 15




Madame Legrand referma la porte de la chambre de sa fille en soupirant tristement.

Cela fait une semaine qu'Elisa a été conduite dans cet hôpital et elle n'a toujours pas retrouvé ses esprits...

Elle avait encore du mal à accepter que sa fille soit dans un asile pour malades mentaux. Ce genre d'endroit était destiné aux fous et non pas à sa glorieuse fille ! Mais elle avait bien dû se rendre à l'évidence dès la première fois qu'elle l'avait vue, attachée à un lit, hystérique, hurlant des chapelets d'insanités, puis redevant étonnamment calme quelques secondes plus tard, bredouiller d'une voix plaintive des mots incompréhensibles parmi lesquels s'échappaient plus distinctement les prénoms de Candy et d'Albert, pour ensuite repartir de plus belle dans son délire paranoïde. Son état depuis lors, ne connaissait pas d'amélioration et les médecins ne semblaient pas très optimistes...

Après chacune de ses visites, la rage emplissait son cœur de mère meurtrie, suivie d'une soif de vengeance qui l'étouffait jusqu'au malaise. Elle n'avait pas encore informé la Grand-Tante Elroy de l'état de sa nièce. La femme acariâtre et autoritaire d'antan avait depuis quelques années cédé la place à une vieille dame à la santé fragile, dont le port impérial qui avait si souvent imposé le respect autour d'elle, n'était plus qu'illusion. Aucun choc émotionnel ne lui était permis et le cœur, bien qu'insensible de Sarah Legrand, ne se sentait pas le courage de lui faire part de cette mauvaise nouvelle.

Il faudra pourtant bien le faire à un moment ou à un autre...

Elle savait par l'intermédiaire des domestiques que la Grand-Tante avait réclamé Elisa à plusieurs reprises déjà. Elle ne pourrait pas lui mentir éternellement... Mais avant d'en arriver à cette extrémité, elle souhaitait parler à son cousin pour le convaincre de revenir sur sa décision. De retour dans sa suite de l'hôtel Waldorf Astoria, elle s'empressa de demander à l'opératrice de composer son numéro, ses doigts pianotant fébrilement d'impatience sur le combiné...

*********************


Le sourcil légèrement arqué de Georges tandis qu'il lui tendait le téléphone était on ne peut plus éloquent. Intrigué, Albert prit le combiné et la voix gémissante de sa cousine lui parvint aussitôt, faisant accélérer son pouls d'irritation. Levant les yeux au ciel, il l'écouta d'une oreille distraite faire l'éloge de sa fille tout en exprimant son incompréhension quant à cette terrible décision qu'il avait prise à son égard, et qui n'était certainement dû qu'à un coup de folie de sa part. Un petit rire étouffé secoua les épaules athlétiques du chef de famille devant l'impudence de cette insinuation.

- N'avez-vous donc pas de coeur, mon cousin ? - l'implorait-elle, sur un ton des plus larmoyants destiné à l'amadouer.
- Je l'avais mise en garde, ma cousine. Et ce, à plusieurs reprises !
- Mais... En venir à la rejeter alors qu'elle est un membre de la famille...
- Etait !...
- Mais voyons, mon cousin, tout cela est ridicule ! Avez-vous perdu tout bon sens ?
- Bien au contraire, ma chère, votre fille m'a aidé à retrouver toute ma lu-ci-di-té ! Il n'était que temps que je mette un terme à toutes ses manigances ! J'ai été bien patient pendant toutes ces années, mettant sur le compte de la bêtise et l'éducation que vous lui aviez donnée, le comportement scandaleux de votre fille à l'égard de la mienne...
- Permettez-moi de m'interroger sur votre définition du mot scandale, mon cousin – rétorqua-t-elle, piquée au vif - Vous, qui avez adopté cette orpheline dont on ignore les origines, celles d'un bagnard et d'une professionnelle probablement...
- Ma chère cousine, quand je vous écoute, je ne peux nier la filiation qui vous lie toutes deux. Vous êtes bien la digne mère de votre fille !...

Sarah Legrand pâlit. La remarque acide d'Albert était loin d'être un compliment et elle pinça les lèvres de mécontentement, des larmes d'indignation au bord des yeux. Puis se ressaisissant, elle ajouta dans un ultime trémolo :

- Je vous en supplie, Albert, je sais que nous avons souvent été en désaccord, mais vous ne pouvez pas laisser Elisa dans cette situation ! Son mari vient de demander le divorce et la garde de leurs deux enfants. Elle va se retrouver à la rue !

La réponse glaciale d'Albert la parcourut de part en part.

- Demandez-donc à son escroc de frère de lui attribuer une suite dans un des nombreux hôtels qu'il a bâtis en Floride en rachetant à un prix dérisoire des terres à des paysans naïfs et crédules !
- Voilà maintenant que vous vous en prenez à Daniel ! Cela devient une obsession !
- L'obsession qui est mienne à présent est de ne plus jamais avoir affaire à un seul membre de votre lignée, ma cousine. Et croyez-moi, rien ne pourra me faire changer d'avis !
- Mais, Albert, vous avez perdu la tête !...
- Bien au contraire, elle est plus que jamais solidement vissée sur mes épaules ! Et je puis vous assurer que moi vivant, plus aucun Legrand ne portera préjudice à Candy et au nom des André ! Que cela vous plaise ou non, elle est ma fille. Sa bonté d'âme et son honnêteté éclipsent d'un battement de cils vos préjugés d'un autre temps, temps que je ne me sens plus obligé de perdre avec vous !
- Albert, je vous en prie !...
- Je crois que nous nous sommes tout dit, ma cousine. Je souhaite, même si cela m'en coûte, un bon rétablissement à votre fille. Candy m'en voudrait trop de manquer de charité chrétienne et je ne veux pas la décevoir. Mais la miséricorde que je lui accorde s'arrête là. Je me laisse le soin de faire part de ma décision à la Grand-Tante Elroy afin de rétablir la vérité sur les mensonges que vous allez de ce pas lui conter...
- Vous allez lui briser le cœur. Elle est très attachée à Elisa...
- J'en prends le risque !...
- Vous êtes... Vous... Vous n'avez aucune...
- Je sais, je sais, ma cousine... Mettons cela sur le compte de l'hérédité, voulez-vous ? Moi aussi je suis capable de n'éprouver aucune pitié, mais contrairement à vous, c'est un sentiment que je réserve uniquement aux gens qui ne m'inspirent que mépris... Ne cherchez donc plus à me contacter si ce n'est par l'intermédiaire de mon avocat. Adieu !

Il raccrocha sans autre sommation, laissant la mère d'Elisa hébétée, le regard fixé sur le combiné du téléphone à travers lequel lui parvenait la voix de l'opératrice lui demandant si elle voulait passer un autre appel. Elle ne répondit pas et raccrocha à son tour, le cœur battant et l'estomac tout retourné. La démarche hésitante, elle traversa le petit salon et se dirigea vers sa chambre, chassant d'une main exaspérée une femme de chambre qui se trouvait là, occupée à ranger les robes qu'on avait remontées de la lingerie, et se laissa choir au bord du lit pour s'abandonner aux larmes qu'elle avait trop longtemps retenues...

***************



- Voilà une bonne chose de faite ! - s'écria Albert, ses doigts tapotant joyeusement le bord de son bureau. Georges acquiesça silencieusement avec un imperceptible sourire. Habitué à dissimuler la moindre de ses émotions, il n'avait pu réprimer son contentement devant la détermination de son protégé. Durant toutes ces années où il avait été au service d'Albert, il avait assisté, impuissant, aux insupportables agissements de madame Legrand et de ses détestables enfants. L'entendre se faire remettre à sa place aussi magistralement lui procurait un plaisir jouissif qu'il avait du mal à contenir. A l'instar d'Albert, il appréciait énormément Candy. Il l'avait connue enfant, l'avait vue grandir et traverser avec courage et dignité les pires tourments. Il était grand temps qu'on lui accorde un peu de répit !

Albert s'était un peu plus enfoncé dans son fauteuil et contemplait son bureau d'un air songeur comme s'il allait le quitter bientôt. Tellement de choses s'étaient décidées dans cette pièce ! Notamment l’adoption de Candy... Son regard se posa sur le télégramme qu'elle lui avait envoyé quelques jours auparavant et il le prit entre ses doigts. Elle lui annonçait ses retrouvailles avec Terry ainsi que leur prochain mariage dès leur retour en Amérique. Un sourire de satisfaction se dessina sur ses lèvres. Il n'aurait plus à s'inquiéter désormais. Un autre que lui allait prendre le relais et s'occuper de Candy. Il se sentait rassuré. Les Legrand hors d'état de nuire, mariée à l'homme qu'elle aimait, Candy allait enfin vivre heureuse pour le restant de ses jours et cette perspective lui réchauffait le cœur. Sa main droite se remit alors à trembler et il reposa, en soupirant d'agacement, le télégramme qui s'agitait maladroitement sous ses yeux.

- Voulez-vous que j'appelle le docteur, monsieur ? - demanda Georges en remarquant le mal-être de son maître.
- C'est inutile mon ami. Nous savons tous deux que ce "désagrément" va se produire malheureusement de plus en plus souvent. J'espère seulement être encore en état de conduire Candy jusqu'à l'autel le moment venu...

Fin de la première partie



Edited by Leia - 11/7/2016, 16:53
 
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view post Posted on 1/10/2015, 14:41
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La sirène du bateau qui reliait Le Havre à Southampton retentit. Deux silhouettes lovées l'une contre l'autre, en appui contre le garde-corps, tournèrent la tête vers l'horizon cabossée de formes urbaines sous la lumière du matin. Déjà, des petits bateaux à moteur se dirigeaient vers le navire pour le guider jusqu'à l'entrée du port.

- Nous voilà en Angleterre, mon aimée – murmura Terry à son oreille – Toi et moi, ensemble...

Candy opina avec un sourire mélancolique. Depuis quelques minutes déjà, une multitude de souvenirs remontaient à sa mémoire. Cela faisait plus de dix ans qu'elle avait quitté le collège Saint-Paul mais cette année passée là-bas, bien que lointaine, restait aussi vive dans son esprit qu'au premier jour. Certainement parce-que Terry avait occupé une grande partie de cette période compliquée de son existence. Parfois, elle se disait que si elle ne l'avait pas rencontré, elle aurait peut-être sagement continué ses études puis serait docilement retournée en Amérique pour épouser un bon parti que la famille aurait choisi pour elle. Elle se sentait tellement redevable d'avoir été adoptée par la famille André, qu'elle aurait fait n'importe quoi pour satisfaire l'Oncle William. Mais Terry lui avait montré que l'on était maître de son destin et qu'il ne fallait pas avoir peur de vouloir être libre.

- Tu m'as sauvé la vie... – se dit-elle en tournant un visage empreint de tendresse et d'admiration vers le jeune aristocrate, lequel, remarquant son étrange regard arqua un sourcil interrogateur.
- Je vous aime, monsieur Grandchester... – murmura-t-elle en réponse, ses yeux brillant du trouble que ce flot d'émotions ravivées provoquait en elle.

Elle avait passé ses bras autour de son cou, et il l'avait enlacée à son tour, contemplant tous deux leur amour dans le regard de l'autre.

Cesse donc ! - finit-il par dire en ricanant. Mais comme elle insistait, faisant mine de ne pas comprendre, il ajouta :
Cessez donc mademoiselle André de me regarder ainsi, où je me verrai dans l'obligation de vous conduire à votre cabine pour vous tancer comme il se doit !...

Les joues de Candy s'enflammèrent immédiatement tandis qu'elle tournait la tête de tous côtés pour s'assurer qu'on ne l'avait pas entendu.

- Un peu moins fort, voyons ! - chuchota-t-elle tout en écrasant son index contre sa bouche à lui – On pourrait t'entendre !

Le pont s'était rempli de voyageurs appuyés contre la barrière pour assister à l'arrivée. Une élégante vieille dame à côté d'eux les observaient avec un demi sourire.

- Se pouvait-il qu'elle ait compris le sous-entendu ? - se demanda Candy en rougissant de plus belle tandis que Terry, un sourire provocateur au coin des lèvres, plongeait sa tête dans le creux de son cou. Le souffle chaud de sa respiration caressait sa nuque faisant frémir de délice tout son être. Elle ferma les yeux, impuissante. Elle ne pouvait nier que la proposition indécente du jeune homme qui la tenait dans ses bras la séduisait. Les nuits torrides qu'ils avaient passées depuis leurs retrouvailles avaient rendu son corps plus que jamais avide du sien, comme une drogue dont elle était devenue l'esclave consentante et bien souvent requérante. Jamais auparavant elle n'aurait pu imaginer combien sa chair pouvait se montrer faible dès qu'il posait les mains sur elle, la précipitant dans un monde où le désir dominait la raison auquel elle se soumettait avec une ardeur qui la surprenait chaque fois plus encore. Elle comprenait à présent toute la signification que revêtait cette fusion charnelle, qui, non content d'unir leurs corps s'adressait aussi à leurs âmes, lesquelles, loin d'être perdues se rejoignaient dans un partage exclusif des sens et des pensées que seuls quelques privilégiés du grand amour pouvaient connaître.

- J'ai tellement de chance de pouvoir vivre cela avec celui que j'aime plus que tout au monde – se dit-elle, émergeant de sa torpeur alors qu'il persistait à la butiner de ses baisers. A bout de résistance, elle le repoussa discrètement, lui décochant un œil de reproche, provoquant chez lui un gloussement moqueur.

- D'accord... - soupira-t-il en feignant la déception. Il se posta derrière elle puis l'attira contre lui et, le menton en appui sur sa blonde tête, il ajouta en marmonnant – Mais tu ne perds rien pour attendre...

A l'écoute de cette promesse des plus suggestives, elle s'efforça d'afficher un visage impassible malgré le tressaillement de ses paupières qui la trahissait. Heureusement qu'il ne pouvait pas le voir sinon il aurait une nouvelle fois ricané bêtement, ravi de l'émoi qu'il provoquait en elle.

Un nouveau coup de sirène la fit sursauter, éloignant pour quelques instants le flot de pensées impudiques qui la traversait et dirigea son regard troublé de fièvre vers la jetée qui se rapprochait. Elle reconnaissait le lieu bien qu'il fût baigné de brouillard la dernière fois qu'elle s'y était rendue. C'était sur cette jetée qu'elle avait fait ses adieux à Terry... Et qu'elle s'était enfin avoué qu'elle l'aimait... Elle se serra un peu plus contre lui et ferma les yeux, savourant la chaleur de son corps à lui qui l'enveloppait. Il était bel et bien présent, avec elle sur ce bateau. Elle n'était plus seule... Elle posa sa main sur la sienne et la pressa tendrement, pour se rassurer encore une fois. Elle n'avait de cesse de le toucher depuis pour vérifier que tout cela n'était pas qu'un rêve. Elle se dit que dès qu'elle foulerait le sol britannique, nombre des entraves psychiques qu'elle s'imposaient commenceraient à s'exorciser.

Le chauffeur du Duc de Grandchester les attendait sur le quai. Le jeune couple s'installa dans la voiture tandis qu'il déposait les bagages dans la malle. Puis ils quittèrent Southampton en direction de Londres où se trouvait le père de Terry. Une boule d'angoisse grossissait dans la gorge de Candy au fur et à mesure que les kilomètres défilaient. Elle redoutait cette rencontre avec le Duc même si Terry l'avait assurée que tout se passerait bien.

- Il a hâte de te revoir, Candy – lui dit-il en lui prenant la main, remarquant l'inquiétude sur son visage – Il a beaucoup d'estime pour toi.

Candy lui sourit sans grand enthousiasme. Le Duc de Grandchester l'avait toujours impressionnée. Quand elle avait osé le confronter à Saint-Paul après le départ de Terry, ce n'était que poussée par la rage du désespoir. Dans d'autres circonstances, elle s'en serait bien gardée. Elle espérait qu'il ne lui gardait pas rancune de son audace et qu'il saurait apprécier le choix de son fils.

Elle se tourna vers lui et vit qu'il s'était assoupi, la tête posée contre la vitre de la portière. Il avait le visage si détendu qu'elle osait à peine remuer de peur de le réveiller. Il faut dire qu'ils ne dormaient pas beaucoup depuis ces derniers jours, et elle rougit une nouvelle fois à cette évocation. Depuis leurs retrouvailles en Italie, ils ne s'étaient plus quittés. Candy avait rendu sa chambre à la pension Roberta dès le lendemain. En bonne copine, Patty n'avait pas cherché d'explication, comprenant sans peine la gêne de Candy. Il n'était pas commun qu'une jeune femme de son rang passe ses nuits avec un jeune homme sans être mariée, même si on pouvait supposer qu'ils dormaient chacun dans une chambre séparée... A vrai dire, tout cela l'avait bien arrangée car elle allait pouvoir à son tour organiser son emploi du temps sans avoir l'impression de rendre des comptes même si Dame Roberta avait toussoté de réprobation en soupçonnant la raison du départ de Candy. Elle s'attendait à quelques reproches si elle aussi venait à rentrer à des heures indues... (voir mini-fic parallèle sur Patty et Alessandro prochainement) et s'était dit qu'elle devrait demander à ce dernier de l'attendre plutôt au coin de la rue quand elle le rejoindrait après son travail.

Candy et Terry n'étaient restés que deux jours à Vérone, le temps pour tous deux de faire leurs adieux à leurs nouveaux amis : le banquier qui avait si généreusement prêté la maison de sa mère à Terry, les gardiens de la dite maison et plus particulièrement, leur discrétion, les dames du club de Juliette, les infirmières de l'hôpital, le docteur Biazinni et bien sûr Patty qui avait préféré passer quelques jours de plus auprès de son beau médecin. Les deux amies s'étaient quittées avec effusion, toutes à la joie de ce nouveau bonheur qui s'offrait à chacune d'elles, et s'étaient promis de se revoir au plus vite. Terry désirait se marier rapidement afin de pouvoir s'afficher ouvertement avec Candy mais cette dernière souhaitait que le mariage ait lieu à la Maison Pony. Il n'était pas question pour elle de se marier sans ses deux mères de cœur. Ils avaient donc opté pour des fiançailles dans sa famille à lui en Angleterre, ce qui officialiserait leur relation tout en laissant un peu de temps à Albert pour organiser leur mariage en Amérique. En chemin, ils avaient fait une halte à Venise pour saluer le Comte Contarini puis avaient repris leur route vers le pays de Shakespeare. Les jours s'étaient écoulés à une vitesse folle les laissant tout étourdis de joie et d'excitation. Elle était si heureuse, si heureuse ! Que pouvait-il arriver maintenant qui viendrait troubler ce bonheur ? Elle posa sa tête contre le dossier de la banquette sur laquelle elle était assise, et laissa vagabonder ses pensées , le regard tourné vers le paysage au dehors qui défilait derrière les vitres closes, le cœur palpitant d'espérance...

Fin de la deuxième partie



Edited by Leia - 3/10/2015, 21:38
 
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view post Posted on 4/10/2015, 21:24
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Le domaine londonien des Grandchester était situé à l’extérieur de la ville et s'étendait sur plusieurs centaines d'hectares. Le château, qui datait de la Renaissance avait été entièrement rebâti au cours du XIXème siècle dans le style victorien et dominait de façon imposante les environs. On le distinguait de très loin si bien que Candy pouvait l'apercevoir alors qu'il leur restait encore quelques kilomètres à parcourir ! Son cœur bondit dans sa poitrine et elle serra un peu plus fort le mouchoir qu'elle tenait dans sa main gantée de blanc. L'angoisse qui s'emparait d'elle devenait de plus en plus oppressante, bloquant régulièrement sa respiration. Elle chercha un peu d'air du côté de la fenêtre mais son malaise ne s'atténuait point si bien qu'elle se demanda avec inquiétude si son estomac allait tenir jusqu'à leur arrivée. Soudain, la voiture s'arrêta au milieu du chemin.

- Viens – lui dit Terry en posant une main rassurante sur la sienne – Nous terminerons le dernier kilomètre à pied. Cela te fera du bien.

Il sortit de la voiture et la contourna par l'arrière pour aller lui ouvrir la portière. La jeune femme émergea, livide, de l'habitacle. Se retenant de rire, il ordonna au chauffeur de partir au devant annoncer leur arrivée toute proche. Puis il revint vers Candy, laquelle n'avait toujours pas repris de couleurs. Un sourire ironique au coin des lèvres, il l'attira contre lui, et passant un bras autour de ses épaules, se mit à conduire la marche.

- Tu es aussi blanche qu'une feuille de papier, ma chérie. Si mon père te voit dans cet état, il va penser que tu es souffreteuse et refuser que je t'épouse !

Candy leva vers lui un regard inquiet mais le petit rire qui secouait ses épaules la rassura.

- Je ne sais pas ce que j'ai – dit-elle en riant nerveusement – Même devant la Grand-Tante Elroy, je ne me suis jamais sentie aussi mal...
- Si cela peut te mettre à l'aise, je ne me sens pas tranquille non plus. La dernière fois que je suis venu ici, j'ai eu une violente dispute avec mon père. Les murs en avaient tremblé.
- Le château ne semble pas en avoir gardé de traces – ironisa-t-elle en pointant du menton l'impressionnant édifice qui se précisait peu à peu à ses yeux. Avec ses parements en pierre de Bath et ses tourelles carrées néo-renaissance, il avait grande allure. Elle avait néanmoins une préférence pour le manoir de la famille en Ecosse, plus petit et rustique, mais dont elle avait gardé d'émouvants souvenirs.

Le soleil avait débuté sa descente derrière les toits de l'imposante demeure, indiquant que l'après-midi était bien entamée. Un gargouillement en provenance de son estomac lui rappela alors qu'elle n'avait pas mangé depuis le petit-déjeuner, et elle posa sa main contre son ventre en réaction pour essayer d'atténuer le bruit qu'il faisait, maudissant le monstre perfide qui devait y loger.

- Flute ! - grommela-telle, espérant que Terry n'ait rien entendu.
- Je remarque en tout cas que toutes ces émotions ne t'ont pas coupé l'appétit !... - s'écria-t-il alors, laissant ainsi à penser qu'entre autre qualité, il avait l’ouïe fine, ce qui aux yeux de Candy avait en cet instant valeur d'insupportable défaut.
- Je meurs de faim à vrai dire... - confessa-t-elle en baissant les yeux d'embarras, se préparant à subir le rire moqueur de son compagnon, tandis que son estomac s'égosillait de plus belle.
- Ne t'inquiète pas, je pense qu'il y a suffisamment de réserves en cuisine pour amadouer l'ogre qui gouverne cette partie de ton anatomie.

Elle le repoussa d'un coup de poing à l'épaule et redressa le nez, vexée. Il éclata de rire et resserra affectueusement son étreinte malgré la réticence qu'elle lui témoignait, réticence qui s'évanouit au moment même où il déposait un baiser triomphant sur le dessus de son crâne.

- Tu ne m'épargneras jamais rien, n'est-ce pas ? - soupira-t-elle en levant les yeux au ciel.
- Jamais ! - lança-t-il, l'oeil malicieux, en l'embrassant une nouvelle fois. Elle pencha un peu plus la tête vers lui et colla sa joue contre sa poitrine, espérant secrètement qu'il ne change jamais.

Cette petite querelle lui avait redonné des couleurs, et ce fut les joues rosies de frais qu'elle se présenta quelques instants plus tard devant le majordome qui les attendait sous le porche surmonté des armoiries de la famille.

- Bonjour Carson – fit Terry en saluant l'employé de maison, lequel le salua à son tour avec un discret mais chaleureux sourire. C'était un homme de grande taille et à forte carrure. Une raie parfaitement rectiligne séparait en deux côtés identiques ses cheveux grisonnants qu'il avait gominé légèrement. Ses yeux gris fatigués par le temps contemplaient avec une infinie tendresse le jeune couple.
- Bonjour, My Lord. Permettez-moi de vous exprimer tout le plaisir que me procure votre visite.

Des enfants Grandchester, Terry avait toujours été son préféré. Il avait tant de fois assisté à regret au traitement inégal et injuste qu'on lui réservait qu'il s'était attaché à cet enfant solitaire, mis à l'écart de la famille. Discrètement et dans la mesure de ses attributions, il s'était efforcé de le protéger. Il avait toujours trouvé les mots pour consoler le petit garçon qui s'isolait dans sa chambre pour pleurer loin des regards de ses cruels frères et sœurs, lui redonnant courage et fierté. Son départ pour le Collège Saint-Paul avait été un crève-coeur pour tous deux mais il l'avait encouragé à tenir bon, devinant dans l'adolescent qui se tenait devant lui l'homme au destin glorieux qu'il deviendrait un jour. L'avenir lui avait donné raison et il avait du mal à dissimuler en cet instant son émotion.

- Le plaisir est partagé, Carson, soyez-en assuré. - répondit Terry, visiblement ému lui aussi. Ce n'était pas le genre de Carson de manifester ainsi sa joie et il en était très touché. S'éclaircissant la gorge, il demanda : Mon père est-il là ?
- Il vous attend ainsi que mademoiselle André dans le salon, My Lord. Souhaitez-vous vous rafraichir avant de le rencontrer ? J'ai fait monter vos bagages dans vos chambres – s'enquit le majordome tandis qu'on finissait de vider le coffre de la voiture stationnée quelques mètres plus loin devant une des entrées de service.
- Vous êtes bien aimable, Carson, mais ce ne sera pas nécessaire. J'ai hâte de présenter ma future épouse à mon père.
- Dans ce cas, My Lord, ne le faisons pas attendre plus longtemps et suivez-moi.

Candy adressa à Terry un regard de biche effrayée. Ce dernier lui prit délicatement la main avec un sourire bienveillant et l'entraîna à l'intérieur. Ils traversèrent le long vestibule qui desservait un certain nombre de pièces comme la bibliothèque, les salons de musique et de dessin, le fumoir, croisant ça et là des servantes empressées. Le majordome poussa enfin une porte à deux battants qui s'écartèrent sur une grande pièce rectangulaire baignée de lumière grâce au toit de verre qui la surplombait. Une magnifique voute en ogive de style gothique soutenait le toit et retombait gracieusement vers le sol nappé d'épais tapis d'orient. Des tableaux de famille ornaient les murs tapissés de tentures anciennes et de boiseries, observant de leurs yeux curieux les nouveaux visiteurs. Une porte à l'extrémité opposée de la pièce s'ouvrit et une silhouette que Candy avait eu l'occasion d'approcher une fois apparut. Tétanisée, elle serra si fort la main de Terry qu'il ne put retenir un petit cri de douleur. Le Duc de Grandchester avançait vers eux l'air grave, son regard acier les fixant tous deux. Il était aussi grand et impressionnant que dans ses souvenirs. Parvenu à leur hauteur, il s'arrêta, ses yeux d'un bleu profond se promenant de l'un à l'autre. Candy avait le cœur qui battait à vive allure et la respiration tremblante.

- Il va me jeter dehors ! - se dit-elle au bord de l'évanouissement, ses vertes prunelles écarquillées vers lui, telle une proie hypnotisée par la bête qui s'apprêtait à la dévorer.

Contre toute attente, elle vit soudain les traits de son visage se détendre et ses yeux pénétrants se plisser de contentement. Puis elle sentit ses bras puissants l'attirer violemment contre lui, sa joue, emportée dans l'élan allant s'écraser dans un bruit d'étoffe contre la veste de son costume. Elle ne pouvait bouger, prisonnière de ses bras qui l'enserraient, et essayait du coin de l'oeil de capter le regard de Terry, mais il était trop en retrait et elle ne pouvait l'apercevoir.

- Bienvenue – entendit-elle alors prononcer le Duc d'une voix frémissante empreinte d'une sincère émotion – Bienvenue chez vous, mon enfant...

Fin de la troisième partie



Edited by Leia - 19/10/2015, 21:39
 
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view post Posted on 6/10/2015, 23:05
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- Avez-vous encore besoin de mes services, mademoiselle ? - demanda la femme de chambre à Candy après l'avoir aidée à revêtir sa chemise de nuit.

Assise devant sa coiffeuse, occupée à ôter ses boucles d'oreilles, elle lui répondit avec un sourire amical à travers le reflet du miroir.

- Merci Bénédicte, cela ira. La journée a été longue pour vous aussi. Dépêchez-vous d'aller vous coucher.
- Je vous remercie, mademoiselle. Je vous souhaite une bonne nuit.
- Bonne nuit à vous aussi, Bénédicte. Merci.

La domestique vérifia une dernière fois les plis de la robe de chambre en soie qu'elle avait étendue sur le lit et quitta la chambre. Dès qu'elle eut fermé la porte, la jeune André s'empressa de s'étirer comme un chat tout en baillant à gorge déployée. La tension nerveuse qu'elle avait éprouvée toute la journée l'avait épuisée ! C'était sans compter le repas gargantuesque que la cuisinière du Duc leur avait préparé ! Candy avait bien eu droit à une collation dans l'après-midi pour calmer sa faim douloureuse, mais elle ne s'attendait pas à un tel festin en soirée ! Chaque met était un tel délice qu'elle n'avait pu se résoudre à laisser des morceaux dans son assiette. Elle n'avait pas non plus voulu froisser la cuisinière qui avait visiblement mis tout en œuvre pour les satisfaire. Elle se sentait lourde et malgré la fatigue, assurée de mal dormir. Une petite promenade dans les jardins du château lui ferait certainement du bien...

Elle mit e sa robe de chambre, la noua prestement autour de sa taille, puis passa la tête à travers l'embrasure de la porte. Personne à l'horizon ! A pas feutrés, elle s'engagea dans le couloir et se dirigea vers l'escalier principal pour rejoindre le grand salon. Le château était si grand qu'elle ne voulait pas se perdre et préférait se fier aux pièces qu'elle avait déjà visitées. Une des portes-fenêtres était entrouverte et elle s'y faufila, débouchant sur une terrasse en surplomb d'un immense jardin dont elle discernait les ombres mystérieuses sous le voile sombre de la nuit. C'était une belle nuit d'été, chaude et odorante. Cela sentait l'herbe coupée d'où s'élevait un concert de chants de grillons. Elle s'appuya sur la rambarde et ferma les yeux.

On se croirait presque à la maison Pony...

Le visage de ses deux mères de cœur se rappela à sa mémoire et elle se promit de leur envoyer un télégramme le lendemain pour leur annoncer la bonne nouvelle.

- Il se peut qu'Albert les ait déjà mises au courant – se dit-elle – Dieu qu'il me tarde de tous les revoir !

Mais ces retrouvailles n'allaient pas pouvoir se dérouler tout de suite. Au cours du repas, le Duc avait évoqué les fiançailles et expliqué que malgré sa meilleure volonté, elles ne pourraient avoir lieu avant deux semaines. Comme le mariage n'allait pas se passer en Angleterre, il voulait que la cérémonie des fiançailles soit célébrée dans des conditions à la hauteur de leur rang, c'est à dire avec faste et beaucoup d'invités. Candy et Terry auraient souhaité une fête plus intime mais il semblait si concerné qu'ils n'avaient pas osé le contredire.

- Nous organiserons en Amérique notre mariage comme nous le désirons, laissons-lui donc ce plaisir s'il n'y a que cela pour le contenter - avait suggéré Terry à Candy tandis qu'ils remontaient l'escalier qui conduisait à l'étage où se trouvaient leurs chambres - Je crois ne l'avoir jamais vu aussi enjoué de toute ma vie !
- Je n'y vois pas d'inconvénient, mon aimé - avait-elle répondu en continuant de monter les marches - Je suis si heureuse de voir que tout va mieux entre vous, et si nos fiançailles peuvent renforcer votre relation, je suis toute disposée à me soumettre à ses désirs.


Parvenue sur le palier ,elle leva les yeux vers l'immense portrait de Béatrix Grandchester, accroché sur le mur devant eux. Elle était assise sur un fauteuil, dans une position classique, les mains croisées sur les cuisses, le port de tête noble mais sévère. Au style de la robe qu'elle portait, on devinait que le tableau avait déjà quelques années.

- Je suis curieuse de rencontrer ta belle-mère... - avait-elle murmuré. Au ton de sa voix, on devinait
néanmoins une certaine appréhension car Lady Grandchester n'avait pas la réputation d'être la personne la plus aimable au monde.
- Je t'avoue que je suis beaucoup moins impatient que toi de la revoir – avait-il rétorqué en grimaçant – Je suis bien heureux qu'elle poursuive sa cure à Bath et ne rentre que deux jours avant les fiançailles. Deux jours qui seront déjà de trop...
- Nous n'avons que peu évoqué tes frères et sœurs pendant le repas. Penses-tu qu'ils seront là ?
- J'en ai bien peur... - avait-il soupiré de désolation.
- Où sont-ils en ce moment ? Je pensais qu'ils seraient au château ?
- Mon frère, Rodolphe travaille dans une banque à Londres où il gère des porte-feuilles immobiliers tandis que ma sœur, Sibylle, est à Bath avec sa mère, laquelle doit être en train de s'évertuer à lui chercher un mari mais il faut dire que les prétendants ne se disputent pas sa main...

D'un mouvement de tête, il avait indiqué le portrait d'une jeune fille un peu plus loin, dont les traits excessivement ingrats, malgré tous les efforts de l'artiste pour les camoufler, ne la flattaient point.

- Oh mon dieu ! - s'était écriée Candy, horrifiée, en portant sa main à sa bouche.

Terry avait hoché la tête en fermant les yeux de consternation.

- Hé oui... Et je peux aussi ajouter qu'elle est particulièrement sournoise et méchante !
- C... Comme Elisa ? - avait-elle demandé, incapable d'imaginer qu'il existât sur terre une autre personne aussi odieuse que sa cousine.
- Comme elle, mais... en plus moche !

Le sourcil froncé de reproche, elle lui avait asséné une tape sur l'épaule, non sans laisser échapper un gloussement nerveux.

- Ce n'est pas beau de se moquer, Terry !
- Constater n'est pas se moquer... - avait-il répliqué, l'oeil plein de malice – Et puis, quand tu feras la connaissance de ma sœur, tu perdras toute envie d'être charitable !
- Quelle perspective réjouissante ! - s'était-elle exclamée en poursuivant sa visite, passant en revue d'un œil scrutateur le défilé des ancêtres, en quête d'un air de ressemblance avec leur illustre descendant. Soudain, elle avait stoppé net devant le portrait d'un homme en tenue de Highlander, dont la chevelure d'un roux flamboyant contrastait fortement avec les cheveux bruns de Terry. C'était un homme d'une quarantaine d'années très séduisant qui n'avait pas vraiment de ressemblance avec le jeune aristocrate, mais dont la détermination dans le regard rappelait singulièrement le sien.

- Qui est-ce ? - avait-elle demandé, troublée.
- James Alexander Malcolm MacKenzie Fraser(1), un de mes ancêtres écossais, qui combattit les anglais pendant la rébellion jacobite. C'était un homme très courageux et un véritable guerrier. Il a aussi participé à la révolution américaine. On ne sait pas trop de quoi il est mort d'ailleurs. On dit qu'il a disparu avec sa femme qu'on soupçonnait d'être une sorcière...
- Une sorcière ? Vraiment ???
- Sans rentrer dans les détails car cela serait trop long tellement sa vie est un roman, je peux néanmoins te dire qu'il a eu un fils, William, avec une riche aristocrate anglaise, et que ce William a eu plus tard une fille qui a épousé un Grandchester, un autre écossais, au grand effroi de la lignée britannique !
- Deux familles de valeureux écossais... - avait-elle murmuré, émerveillée – Quelle chance tu as d'avoir de tels ancêtres, Terry ! Moi, je ne sais même pas d'où je viens...
- Du singe assurément, vu ton agilité dans les arbres !... - avait-il lancé, moqueur, avec la sotte idée que cela allait chasser la tristesse qui était apparue dans ses yeux.

Il s'était attendu à une réaction violente de sa part, mais étonnamment, il n'en avait été rien, se contentant de répliquer par un inquiétant sourire qui laissait présager de prochaines représailles, représailles qu'elle s'était empressée d'exercer, impitoyablement, en arrivant devant la porte de sa chambre.

- Je pourrai venir te rejoindre dans la soirée ? - avait-il roucoulé d'un ton charmeur, le bras appuyé contre le chambranle de la porte.
- Cela ne sera pas possible, monsieur Grandchester – avait-elle répondu en se retournant vers lui, affichant un air des plus ingénu - Vous oubliez que nous ne sommes pas mariés. Je ne voudrais pas que notre comportement porte atteinte à l'honneur de la famille...
- Cesse tes idioties et dis-moi que je pourrai venir plus tard !
- N'insistez pas monsieur Grandchester, ou je me verrai dans l'obligation de demander à la femme de chambre de rester dormir avec moi...
- Pfffff ! - avait-il rouspété en secouant la tête – Tu m'en veux à cause de ma plaisanterie sur les guenons ?
- Une guenon maintenant ! Merci de cette précision ! - s'était-elle écriée en simulant l'indignation, se divertissant intérieurement de la mine désappointée de son bien-aimé – Et bien la guenon va de ce pas aller dormir, SEULE !

Terry avait ouvert la bouche pour répliquer quand une voix féminine les avait interrompus. C'était la femme de chambre qu'on l'on avait attribuée à Candy pour le séjour.

- Bonsoir mademoiselle André. Je suis Bénédicte, votre femme de chambre, et je viens vous aider à vous vêtir pour la nuit.
- Vous arrivez à point nommé ! - s'était exclamée la jeune femme en l'invitant à entrer. Puis, un sourire revanchard au coin des lèvres, elle avait claqué la porte au nez du jeune homme qui en était resté tout interdit.

Se remémorant cet épisode amusant de la soirée, elle se demanda si Terry était dans sa chambre en train de pester contre elle. Elle avait encore en tête l'image de son visage stupéfait devant sa résistance et se mit à ricaner de satisfaction. Elle remarqua alors une odeur de tabac qui se répandait autour d'elle et comprit que quelqu'un l'observait. Elle pivota d'un coup vif sur elle même mais ne distingua personne. Seule une cigarette achevait de se consumer dans un cendrier posé sur une petite table à côté d'une chaise longue. Intriguée, elle balaya du regard la terrasse en quête d'une présence. Le lieu semblait pourtant résolument vide. Sentant la peur s'emparer d'elle, elle se dit qu'elle irait se promener à une autre occasion dans le jardin, préférant regagner sa chambre au plus vite. Elle n'avait pas oublié qu'il y avait des fantômes en Angleterre, et elle n'était pas très disposée à tenter l'expérience cette nuit. Un peu plus rapidement qu'à l'aller, elle reprit le chemin en sens inverse, et rejoignit sa chambre avec un soupir de soulagement. Elle ne s'habituerait jamais à ces longs couloirs sombres où la moindre ombre vous tétanisait de peur.

Assise au bord du lit, elle était en train d'enlever sa robe de chambre quand un drôle de bruit en provenance de l'armoire entrouverte la fit sursauter. Une silhouette en jaillit comme un diable de sa boite. Muette de terreur, elle saisit un chandelier sur le guéridon à côté du lit, qu'elle brandit au-dessus d'elle en guise de défense, et réalisa alors que la silhouette n'était autre que celle de Terry.

- Terry ??? Mais que... - fit-elle, surprise, en reculant devant la mine étrange qu'il arborait. Elle buta contre le mur derrière elle, le chandelier pendant à son bras ballant. Il se tenait tout près d'elle, la chemise entrouverte et la respiration frémissante. Elle pouvait sentir son haleine imprégnée de tabac effleurer sa joue.
- Voilà l'explication à mon fantôme... - se dit-elle en se reprochant son manque de discernement. Elle avait le cœur qui battait à vive allure et pouvait sentir la chaleur de sa peau irradier à travers le tissu de sa chemise. Elle se mordit la lèvre devant l'insoutenable envie de la lui arracher puis se ressaisit, se rappelant qu'elle ne devait pas céder. Les guenons ne dormaient-elles pas dans les arbres alors que leurs compagnons restaient au sol, enfouis sous les hautes herbes ?

Elle leva les yeux vers lui, lequel restait silencieux, seule sa mâchoire crispée témoignait de son trouble.

- Tu... Tu ne devrais pas être ici, Terry. Ce n'est pas bien – bredouilla-t-elle, tandis qu'il posait ses bras au dessus d'elle et la fixait. Elle sentait qu'elle ne pourrait pas lui échapper bien longtemps. Il était si beau avec sa mèche de cheveux qui retombait sur son visage ! Beau à se damner ! Et c'était bien une énième damnation qu'elle encourait si elle le laissait continuer !
- Demande-moi de partir... - murmura-t-il de sa voix chaude en baissant la tête vers ses lèvres qu'il effleura sans les toucher pour ensuite descendre vers le creux de son gorge, la laissant haletante – Demande-moi de partir... Et j'obéirai...

Elle esquissa une ébauche de réplique qui se perdit dans le couinement de plaisir qu'elle émit au moment où il se glissait sous sa chemise de nuit et écrasait ses lèvres sur sa peau. Emportée par le désir, elle laissa échapper le chandelier qui retomba avec un bruit sourd sur le tapis, pour rebondir sous le lit, vers lequel il l'entraîna avec un cri de rage victorieux, rapidement étouffé sous la mélodie confuse de leurs longs et voluptueux soupirs....

(1) Personnage principal de la saga Outlander (Le chardon et le tartan) de Diana Gabaldon

Fin de la quatrième partie



Edited by Leia - 9/10/2015, 11:05
 
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