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Lettres à Juliette, (sans rapport avec une autre fanfic du nom de "les lettres à Juliette"...)

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Leia
icon5  view post Posted on 22/11/2011, 18:57 by: Leia
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Lettres à Juliette




in_la_porte02


(Main street) Rue principale de La Porte, Indiana




Chapitre 1





On éteignit les lampions et Mademoiselle Pony apparut sur le perron, un large sourire aux lèvres. Elle tenait entre les mains un énorme gâteau aux fraises débordant de crème, sur lequel brulaient vingt-six bougies. La famille et les amis proches, assis autour de la grande table rectangulaire que l'on avait installée pour l'occasion dans le pré de l'orphelinat, se mirent à entonner le célèbre chant de circonstance :

Bon anniversaire
Nos vœux les plus sincères
Que ces quelques fleurs
Vous apportent le bonheur
Que l'année entière
Vous soit douce et légère
Et que l'an fini
Nous soyons tous réunis
Pour chanter en chœur
Bon anniversaire



La vieille femme posa le plat devant Candy qui examinait le dessert avec gourmandise. Les flammes des bougies dansaient devant son joli visage, l'éclairant d'une lueur fauve nuancée de bleu qui accentuait l'éclat de ses yeux.

– Vas-y, souffle ! - fit l'un des petits pensionnaires de l'orphelinat, impatient d’avoir un morceau de gâteau dans son assiette.

La jeune blonde se leva en souriant et d'un signe de la main, convia Annie, sa meilleure amie, à l'accompagner dans cette tâche. N'avaient-elles pas été trouvées le même jour sur le seuil de la Maison Pony ? Personne ne connaissant la date exacte de leur naissance, il avait été décidé que le jour de leur découverte deviendrait leur date d'anniversaire, date que Candy avait toujours conservée mais que les parents d'Annie avaient préféré modifier après l'avoir adoptée. Ils avaient ainsi reculé cette date de quelques semaines, probablement dans le but de la différencier de sa soeur de coeur. Annie célébrait donc depuis ce jour son anniversaire en avril, mais continuait de le fêter dans son coeur le même jour que Candy. Ce fut donc sans hésitation qu'elle rejoignit son amie qui l’attendait en bout de table.

Penchées au dessus du gâteau, toutes deux en appui sur leurs mains, elles prirent une profonde inspiration et soufflèrent sur les bougies, faisant vaciller les flammes mais sans parvenir à les éteindre.

- Nous ne sommes vraiment pas très douées, n'est-ce pas, Annie ? - fit Candy en adressant un clin d'oeil complice à son amie - Peut-être que si nos petits camarades venaient nous aider nous parviendrions à éteindre ces bougies récalcitrantes ?

Ni une, ni deux, les enfants se postèrent autour d'elles en sautillant de joie et s'exécutèrent, mettant un terme, avec une redoutable efficacité, à cette infinie attente : manger le gâteau !

On ralluma les lampions et l'atmosphère de guinguette qui avait accompagné le repas reprit son cours. Il faisait très doux en cette soirée de mercredi 7 mai 1924. Un agréable parfum de roses, celui des rosiers d'Anthony que Candy avait fait planter tout autour du jardin quelques années auparavant, flottait dans l'air, tandis qu'invisibles dans l'herbe, les grillons participaient eux aussi à la fête en chantant joyeusement.

Cela faisait déjà plusieurs années que Candy était revenue vivre à la maison Pony. Le docteur Martin avec lequel elle avait travaillé à Chicago, avait ouvert une clinique à La Porte, petite ville de vingt mille âmes située à quelques kilomètres de l'orphelinat. Les travaux d'agrandissement qu’Albert avait généreusement financés avaient permis d'accueillir un nombre plus important d'enfants, augmentant par conséquent le nombre de petits malades. Devant les difficultés que rencontraient Mademoiselle Pony et Soeur Maria à soigner tout ce petit monde, l'idée de proposer au docteur Martin de s'installer dans les environs lui avait traversé l'esprit. Albert lui avait alors cédé pour un prix dérisoire un terrain que la famille André possédait en périphérie de la ville, et avait aussi, pour faciliter la mise en route de cette entreprise, investi une somme importante dans le capital de départ. Il savait que le docteur Martin n'était pas bien fortuné et il n'avait pas voulu lui donner l'impression de lui faire la charité. C'est pourquoi, ce système d'association en affaires avait très bien convenu aux deux hommes : l'un pouvant construire sa clinique sans soucis d'argent, tandis que le second permettait à Candy de se rapprocher de la maison Pony.

Ce fut donc sans grand regret que Candy avait quitté son poste d'infirmière à Chicago pour celui d'assistante du docteur à La Porte. Le quotidien rural avait rapidement conquis ses moeurs de citadine, ce qui avait laissé Annie perplexe. Cette dernière se demandait encore, même après tout ce temps, comment elle pouvait se priver aussi facilement de l'excitation de la ville, de ses bruits, de sa foule, de ses immeubles qui frôlaient le ciel, de ses boutiques de mode et de ses restaurants français. Candy lui répondait alors qu'elle appréciait la ville, mais que le calme de la campagne lui convenait mieux, qu'elle s'y sentait davantage dans son élément et que c'était le seul moyen pour elle de se ressourcer. Elle savait que cela impliquait un sacrifice, celui de vivre éloignée de personnes qu'elle aimait tendrement, mais ce soir, elle était comblée car, pour la première fois depuis des années, étaient rassemblées autour d'elle pour son anniversaire, toutes les personnes chères à son coeur : Annie et Archibald, Albert, Tom et sa jeune épouse, et aussi Patty, avaient fait le déplacement pour cet heureux jour. Cette dernière, était professeur de littérature anglaise dans un des collèges les plus huppés de New-York, et avait dû négocier ferme auprès du directeur pour obtenir quelques jours d'absence en dehors des vacances scolaires. Elle était tellement heureuse de pouvoir faire la surprise de sa venue à Candy.

La jeune infirmière rayonnait de joie. Avoir tous ses amis réunis à l'orphelinat représentait le plus beau des présents. Certains chers à son coeur lui manquaient pourtant cruellement mais elle pouvait sentir leur présence réconfortante tout près elle, comme une main invisible et rassurante posée sur son épaule.

- Alistair, ce grand gourmand, n'aurait jamais manqué ce moment – se dit-elle en ricanant intérieurement – Et Anthony… Anthony n'est jamais bien loin de toute façon… - ajouta-t-elle en clignant des yeux pour chasser les larmes perfides qui piquaient ses yeux. Arborant alors son plus beau sourire, elle brandit un gros couteau qu'elle planta sans aucune hésitation dans le moelleux gâteau.

Tandis qu'elle était occupée à couper des parts et à en faire la distribution, Soeur Maria revint de l'intérieur de la maison avec un panier débordant de papiers et de boites de toutes les couleurs qu'elle déposa aux pieds de Candy avec un clin d'œil complice. La jeune femme se hâta de servir tout le monde puis, un demi-sourire aux lèvres, entreprit l'ouverture de ses paquets, sous le regard empreint de curiosité des invités. Elle débuta par les cadeaux des enfants qui consistaient en des dessins, des petites sculptures en terre, des colliers, des bracelets de fleurs, une multitude de ravissantes et attendrissantes choses qu'elle rangerait plus tard bien précieusement dans le coffre de sa chambre. Elle les remercia les uns après les autres, serrant leurs bonnes joues entre ses mains, et les couvrant de baisers sonores.

Il restait encore deux cadeaux au fond du panier. Le premier 2TAIT un parfum à la violette de Toulouse, une fragrance fabriquée dans ladite ville aux briques roses du sud-ouest de la France. Un petit mot affectueux de Soeur Maria et Mademoiselle Pony l'accompagnait. Candy appréciait énormément le geste mais ne put s'empêcher de les gronder pour avoir dépensé une petite fortune dans l'achat dudit ce parfum. Emue, elle ouvrit le flacon, et la fraîche odeur de fleurs s'empara de ses narines, une odeur délicate et raffinée qui correspondait merveilleusement à la jeune et belle femme qu'elle était devenue. Du bout du majeur, elle en recueillit quelques gouttes et s'en caressa le creux de la gorge, enchantée par le doux effluve qui se diffusait sur sa peau. Elle ferma les yeux un instant pour mieux le savourer, puis referma le flacon et le rangea avec précaution dans sa boite, non sans gratifier les deux maîtresses de maison d'un large sourire plein de reconnaissance.

Le dernier cadeau avait une étrange allure. Ce n’était pas une boite recouverte de papier argenté, ni nouée de rubans. C'était une simple enveloppe de taille moyenne mais d'une épaisseur certaine. Intriguée, Candy déchira l'un des côtés de l'enveloppe et en retira une série de documents : une réservation pour le premier juillet en première classe sur le paquebot Le France au départ de New-York vers Le Havre, puis un billet de train pour Le Havre-Paris, et enfin, un billet sur l'Orient Express à destination de Venise en Italie. Elle leva des yeux stupéfaits vers ses amis qui l’observaient d’un air très satisfait.

– Mais qu'est ce que ?... Mais c'est trop !... Enfin... Je... - bredouilla-t-elle, cherchant dans leur regard une explication.
– Ma chère Candy… - fit Albert, de sa voix chaude et rassurante - Nous avons pensé que tu travaillais beaucoup trop et qu'un petit séjour en Europe te ferait du bien.
– Mais vous n'y pensez pas ! Je ne peux pas... – s’écria Candy en secouant la tête – Je ne peux pas quitter la clinique comme cela, on a besoin de moi !
– Ne te fais aucun souci pour cela. Je me suis arrangé avec le docteur Martin pour qu’il te donne six semaines de congés.
– Six semaines, mais c'est de la folie !!!

Elle porta la main à son front comme si elle venait de prendre un coup de massue, roulant des yeux dans tous les sens. Les épaules d’Albert se secouèrent de rire.

–Voyons Candy !... Il te faudra bien cela si tu veux pouvoir profiter de ton séjour. Parvenir à destination ne se fera pas en deux jours !...

Il s'attendait à la réaction négative de sa jeune protégée et avait tout prévu pour neutraliser la moindre de ses dérobades. Il avait néanmoins volontairement omis de lui dire que la décision de l'envoyer si loin de La Porte procédait en grande partie de la mine sombre qu'elle affichait depuis des mois et de l'inquiétude que cela suscitait auprès de son entourage. Annie s'en était confiée à lui quelques semaines auparavant alors qu'il était venu lui rendre visite un dimanche après-midi, dans la somptueuse demeure d'été qui appartenait à ses parents. Située à mi-chemin de la Porte et de la maison Pony, le jeune couple Cornwell avait coutume de s’y rendre le week-end, ce qui permettait à Annie de veiller discrètement sur son amie.

C'était une vieille bâtisse d'architecture Victorienne qui avait conservé toute sa prestance. En arrivant, Albert avait ressenti un pincement au cœur au souvenir des quelques fois où il s'y était rendu avec sa sœur quand ils étaient enfants. Sa tendre sœur ainée, partie si jeune et laissant ce pauvre Anthony bien seul et bien solitaire... Avec le recul, il s'en voulait de n'avoir pas été plus présent auprès de lui. Il aurait dû cesser de fuir ses obligations familiales et aurait dû renoncer à sa vie de vagabond à ce moment là. Mais Anthony semblait si heureux en compagnie de ses cousins qu'il s'était senti rassuré et s'était contenté de l'observer de loin. Jamais il n'aurait imaginé le funeste destin qui l'attendait...

– Je croyais que Candy devait se joindre à nous... - avait-il fait remarquer en acceptant gracieusement la tasse de thé qu'un valet de la jeune épouse Cornwell lui tendait.
– Elle le devait en effet... - avait répondu Annie en soupirant.

Les jambes élégamment rassemblées sur le côté, elle était assise en face de lui sur une banquette de style empire dont le tissu pourpre contrastait étroitement avec la blancheur nacrée de sa robe.

– Mais elle s'est décommandée au dernier moment sous prétexte d'un travail urgent... – avait-elle poursuivi avec une moue dubitative, agitant d'une main nerveuse le long collier de perles qui pendait à son cou gracieux.
– Elle prend manifestement son métier à coeur, c'est très louable de sa part mais...
– ...Mais se tuer au travail ne l'aidera pas à chasser les idées sombres qui hantent son esprit – l'avait-elle interrompu, cherchant l'approbation dans son regard. Ce dernier, sans mot dire, avait reposé sa tasse de thé sur la table basse devant lui, patienté jusqu'au départ du domestique, puis avait déclaré, en regardant sa jeune hôtesse droit dans les yeux.
– Je crois que nous partageons la même opinion sur Candy... Et sur la source de ses tourments...

Annie s'était redressée dans un vif élan, portant la main à son coeur.

– Oh Albert ! Je suis tellement soulagée de savoir que vous êtes de mon avis ! J'ai bien souvent essayé d'en discuter avec Archibald, mais il devient incontrôlable quand il s'agit de... de Terry !... Vous voyez, même devant vous, je peine à prononcer son nom tant le sujet est sensible ! Candy ne m'a pas mieux facilité la tâche sur ce point. Pendant toutes ces années, je l'ai vue afficher une joie de vivre que je trouvais bien des fois excessive, et qui cachait un mal-être qu'elle refusait elle-même de concevoir. Je ne compte plus le nombre de jeunes hommes charmants qui lui ont été présentés et qu'elle a repoussés. J'avais pourtant eu grand espoir avec ce jeune médecin qui était parvenu à lui arracher un troisième rendez-vous, mais il m'avait confié quelques temps plus tard, avoir fini par renoncer à se battre contre un fantôme, un fantôme dont il ignorait l'identité mais dont la présence envahissante lui avait révélé l'impossibilité de construire un jour quelque chose avec elle. Je pensais alors que l'annonce du décès de Suzanne Marlowe lui aurait permis de considérer l'avenir sous de nouveaux auspices. Je croyais innocemment qu'elle se précipiterait auprès de Terry. Mais, contrairement à ce que je pensais, elle se contenta d'accueillir la nouvelle avec une complète indifférence. Elle ne prononça aucun mot sur lui mais s'empressa de s'apitoyer sur le sort de cette fille qui avait brisé leur vie ! Il est des moments où je ne la comprendrai jamais ! Elle trouve des excuses à tout le monde, même à ses pires ennemis !
– En effet, l'indulgence de Candy, une de ses grandes qualités, peut aussi devenir son plus grand défaut – avait opiné Albert en souriant, ravi de découvrir une facette inconnue de son interlocutrice. L'indignation lui colorait les joues et exaltait le ton de sa voix, si neutre de coutume. S'était-elle jamais mise en colère ? L'état de Candy semait manifestement la révolte dans son coeur, et le patriarche de la famille André en était intérieurement satisfait. Il était bon de savoir que sa fille d'adoption pouvait compter sur une amie fidèle et dévouée.
– Toutes ces années à taire son chagrin – se lamentait cette dernière - à refuser le bonheur qui s'offrait à elle, comme une veuve fidèle à sa promesse. Toutes ces années dédiées entièrement à son travail, à ses patients, comme si eux seuls méritaient que l'on prenne soin d'eux. Je la soupçonne d'être convaincue de ne pas être digne d'être heureuse, que ce genre de condition ne lui est pas destiné.
– On ne pourrait pas lui en vouloir. Chaque personne qu'elle a aimée lui a été enlevée... Cela ne favorise pas l'estime de soi...
– Elle est pourtant si combattive pour les autres ! Pourquoi ne l'est-elle pas autant pour elle ?
– Tout bonnement parce-que, comme nous venons de l'évoquer, elle ne veut plus souffrir. Faire un geste vers Terry reviendrait à prendre le risque d'être une nouvelle fois déçue...
– A ce propos… Pourquoi ne lui a-t-il toujours pas écrit ? Après tout ce temps, c’est quand même incroyable ! Plus d'un an s'est écoulé depuis le décès de Suzanne et il ne lui a pas encore donné signe de vie ! Je vois Candy sombrer un peu plus chaque jour dans la morosité et je persiste à croire que c'est à cause de lui. Je la soupçonne d’avoir nourri le secret espoir qu'il la contacterait. Son silence la ronge à petit feu !
– Je crains malheureusement qu'il ne fasse rien pour la revoir. Ces deux êtres sont si semblables : l'un est convaincu de porter malheur, l'autre de ne pas mériter le bonheur. Quand bien même s'ouvrirait un boulevard devant eux, ils ne feraient pas un pas l'un vers l'autre...
– Que pouvons-nous faire alors ??? – s'était-elle écriée dans un trémolo, les yeux embués de larmes – Allons-nous rester ainsi sans rien faire et la laisser malheureuse toute sa vie ?
– Non, bien entendu – avait répondu Albert en étirant ses longues jambes, un mystérieux sourire s'esquissant sur ses lèvres – Je crois qu'il est grand temps d'agir pour le bien de notre chère Candy.
– Nous en avons que trop perdu ! - s'était-elle exclamée en sautillant dans son fauteuil, les mains jointes de contentement – Dites-moi, comment allons-nous nous y prendre ?
– Je dois t'avouer que j'y réfléchis depuis un moment déjà et que j'ai ma petite idée sur le sujet. Je dois encore m'assurer de quelques détails mais je crois que Candy ne sera pas au bout de ses surprises...
– Nous ne serons pas trop de deux pour cela. Je suis impatiente de commencer à vous aider !
– Je parierais que Patty, elle aussi, ne dirait pas non à cette initiative, qu'en dis-tu ? N'habite-t-elle pas New-York ? - avait-il fait remarquer, une pointe d'ironie dans la voix.

Il n'avait pas achevé sa phrase qu'Annie se précipitait déjà vers son téléphone pour indiquer à l’opératrice le numéro de Patty…

************



Candy regardait les billets avec circonspection. Repartir vers l'Europe, après toutes ces années, lui semblait incongru et inapproprié. On avait beaucoup plus besoin d'elle ici.

– Je regrette, je ne peux pas accepter !... - déclara-t-elle, persistant dans son entêtement.
– Je crois que c'est un peu tard pour refuser – fit Patty en s'approchant d'elle. Ses yeux riaient sous ses lunettes – car j'ai moi aussi réservé mes billets pour ce voyage ! Tu ne veux pas me laisser tomber, n'est-ce pas ?
– Tu... Tu veux dire que nous partons ensemble ????
– En effet, oui !... J'ai toujours rêvé de visiter l'Italie et je... Nous avons pensé que tu serais de très bonne compagnie.
– C'est une véritable conspiration, on dirait ! - dit en riant Candy, encore étourdie par ce qu'on lui proposait.
– Un véritable complot, auquel nous avons tous joyeusement participé ! - fit Annie en venant lui prendre affectueusement la main – Cela te fera le plus grand bien de découvrir de nouveaux horizons...
– Mais Soeur Maria, Mademoiselle Pony, êtes-vous sûres que... ? - fit-elle en adressant un regard perplexe à ses deux mamans.
– Si tu m’y obliges, je te ferai moi-même monter dans ce train pour New-York ! - l'interrompit la religieuse en fronçant les sourcils – Ne te fais aucun souci. Nous nous sommes organisées en conséquence.
– Mais...
– Il suffit !!! Ce que tu peux être têtue parfois ! – s’écria-t-elle visiblement agacée, sa coiffe tremblotant sur sa tête – Je ne veux plus d'objections. Tu partiras en Europe et je compte sur toi pour nous envoyer de jolies cartes postales de là-bas !

Le ton sévère employé par la bonne soeur tua dans l'oeuf les dernières tentatives de dérobade de la jeune infirmière. Elle haussa les épaules en signe de capitulation.

– Bon, c'est d'accord, mais elles risquent d'arriver après mon retour ! - gloussa-t-elle – Je vous promets néanmoins de vous en envoyer d'un peu partout !
– Voilà enfin une sage décision de prise ! - s'écria Soeur Maria en soupirant d'aise. Puis la prenant par l'épaule et déposant un tendre baiser sur sa tête – Je suis si heureuse pour toi mon enfant ! Quelle chance tu as de faire un si beau voyage !

Candy opina en souriant de gratitude.

– Vous avez raison. J'ai bien de la chance d'avoir une famille et des amis aussi généreux. Je me réjouis aussi à la pensée que Patty m'accompagnera.

Elle hésita une seconde puis se tourna vers Annie.

– Mais toi, Annie ? L'Italie ne t'inspire-t-elle pas ??? Comment se fait-il que tu ne te joignes pas à nous ?
– C'est à dire que... - bredouilla cette dernière en jetant un regard complice vers son époux – C'était en projet à l'origine... Jusqu'à ce que...
– Jusqu'à ce que nous apprenions que nous allions être parents !... - l'interrompit fièrement Archibald, bombant le torse comme s'il était l'auteur de la huitième merveille du monde. Un murmure de surprise et d'approbation se répandit parmi les invités renforçant la fierté du futur père. Pourtant, dix ans auparavant, il n'aurait pas parié un cents sur sa relation avec Annie. Il était encore trop amoureux de Candy. Mais avec le temps, il avait réalisé que ses espoirs étaient vains et qu'elle ne verrait jamais rien d'autre en lui qu'un ami. Il s'était alors tourné vers Annie, qui l'attendait, patiemment, et surtout, sans aucun jugement. Et peu à peu, cette tendre affection qu'il éprouvait pour elle s'était transformée en un amour sincère pour se conclure enfin par la venue d'un enfant…

– Un bébé ??? - s'écria Candy, stupéfaite – Vous allez avoir un bébé ???
– Oui… - fit Annie en rougissant, posant immédiatement une main tendre sur son ventre légèrement rebondi – Je suis enceinte de quatre mois, et tu comprends, je ne veux pas prendre de risque en partant si loin...
– Un bébé, Annie ! Tu vas avoir un bébé ! - ne cessait de répéter la jeune blonde – Je vais être tante !!!
– Quelle merveilleuse nouvelle ! - s'exclamèrent en choeur Soeur Maria et mademoiselle Pony, au bord des larmes - Mais dépêche-toi de t'assoir ! Il ne faut pas te fatiguer ! - ajouta la vieille femme en se précipitant pour lui rapprocher une chaise.
– Oh mais ce n'est pas une maladie ! - s'écria Annie en riant – Je crois bien n'avoir jamais été aussi en forme. Ce qui me permet de te dire ma chère Candy que j'aurais suffisamment de force pour t'emmener avec moi faire les boutiques et changer de garde robe. Une demoiselle de ta condition ne doit pas partir avec pour tout bagage, une salopette en denim et une robe vieille de dix ans ! Les européennes sont si élégantes que l'on te refoulerait à la frontière !
– Il est vrai que j'ai oublié le jour où nous avons pu admirer Candy dans une tenue autre qu'une blouse d'infirmière ou qu'un pantalon – renchérit Archibald, sarcastique.
– Cela devait être le jour de notre mariage, my love... Elle ne pouvait pas faire autrement puisqu’elle était ma demoiselle d'honneur...

L'ensemble des invités éclata de rire tandis qu'Albert posait une main compatissante sur l'épaule de sa fille adoptive. L'ancien vagabond qui dormait à la belle étoile en compagnie d'animaux sauvages pouvait aisément comprendre le peu d'entrain qu'elle témoignait pour ce genre de futilités. Qu'aurait-elle fait de jolies robes à l'orphelinat ou à la clinique, qu'elle aurait salies ou abîmées ? Comment aurait-elle pu travailler confortablement, coiffée d'un bibi et chaussées de talons ? Décidément, les gens de la ville oubliaient tout leur bon sens quand il s'agissait d'établir des priorités. Elle admettait néanmoins qu'évoluer dans la haute société nécessitait l'application de certains codes vestimentaires qu'elle pouvait se permettre d'éviter dans sa campagne éloignée. Albert ne suivait-il pas par obligation ces principes ? Elle admettait néanmoins que le costume lui seyait à merveille et qu'elle était loin de lui reprocher de s'être débarrassé de sa veste élimée de baroudeur. Vaincue, elle s'adressa à ses amis, feignant la contrariété :

– Assez, assez de moqueries ! - fit-elle en agitant une serviette blanche pour manifester sa reddition – J'ai compris le message. C'est d'accord. Je viendrai en ville avec toi, Annie, et tu pourras jouer à la poupée sur moi.
– Avec joie ! J’ai hâte de m’amuser avec toi ! - s'exclama son amie en ramenant ses mains graciles contre son coeur, tout en sautillant sur place comme un petit oiseau – Que dis-tu de partir à Chicago ce week-end ? Je connais une boutique qui vient de recevoir les dernières créations en provenance de France : Mariano Fortuny, Paul Poiret, Chanel... De véritables merveilles !
– Ma foi, tu ne perds pas de temps ! - pouffa Candy devant l'enthousiasme de son amie.
– Tu ne le regretteras pas ! Notre chauffeur viendra te chercher de bonne heure samedi matin. Tâche d’être prête !
– Bien mon général ! - fit Candy en claquant des talons avec un salut militaire. Annie leva les yeux au ciel en riant.

Ne pouvant plus retenir les gargouillis de son ventre, la jeune blonde jeta alors un oeil vers la table :

– Me permets-tu de goûter à ce délicieux gâteau qui me fait des appels depuis tout à l'heure ?
– Soit ! - opina Annie en souriant – Mais pas plus d'une portion. Je ne voudrais pas que nous ayons à réaliser quelques retouches sur tes vêtements avant ton départ.

Candy haussa les épaules en pouffant et engouffra goulument le morceau de gâteau qui se trouvait dans son assiette. Les émotions de la soirée ne lui avaient apparemment pas coupé l'appétit, tant et si bien que l'incorrigible gourmande s'arrangea pour dissimuler une part supplémentaire dans sa serviette, en prévision d'un encas nocturne... Patty remarqua du coin de l'oeil son petit manège et s'en divertit intérieurement. Ces vacances avec Candy promettaient d'être originales, par la personnalité de son amie d'une part, mais aussi par la surprise qu'on lui destinait...

***********************




Patty chaussa ses lunettes et regarda son réveil que les rayons de la lune à travers les rideaux de la chambre éclairaient légèrement. Distinguant l'heure avancée de la nuit, elle soupira de contrariété. Cela faisait déjà deux heures qu'elle essayait de dormir sans y parvenir. Mais comment trouver le sommeil dans ces conditions, avec Candy qui dormait dans le lit contigu au sien, en sachant ce qu'elle lui cachait depuis son arrivée ? Elle pouvait entendre sa respiration paisible et se demandait pour la centième fois, s'il fallait prendre le risque de lui confier ce qu'elle savait. Elle tira le plus discrètement possible sur le tiroir de sa table de chevet et s'assura que ce qu'il contenait était toujours présent, et le repoussa tout doucement. N'y tenant plus, elle se leva, quitta silencieusement la chambre, longea le long couloir et poussa la porte de la cuisine. Tout était silencieux Bien que les restes aient été rangés à l'abri dans les placards, cela sentait encore la bonne odeur du repas d'anniversaire. Patty comprenait à présent les raisons de l'appétit d'ogre qui habitait Candy. On mangeait si bien à la maison Pony ! Cela changeait du réfectoire de la très huppée Nightingale-Bamford School, dans l'Upper East Side, un quartier chic de Manhattan, où elle enseignait aux jeunes filles de très bonne famille. Elle n'était pas un fin cordon bleu non plus et cela lui manquait le soir quand elle rentrait dans son petit appartement, situé non loin de l'école. Il y avait encore un an de cela, c'était sa tendre grand-mère qui lui mitonnait de bons petits plats, mais depuis son décès, le contenu des assiettes se résumait à un choix limité de boites de conserves. Elle se dit qu'il serait peut-être temps qu'elle apprenne quelques rudiments culinaires si elle ne voulait pas mourir de faim. La perte de sa grand-mère l'avait particulièrement déstabilisée, et une nouvelle fois fragilisée. Elle représentait le seul et unique soutien affectif qui lui avait permis de garder la tête hors de l'eau après la mort d'Alistair, elle avait été son point d'ancrage qui lui avait évité de partir à la dérive. Que pouvait-elle attendre à présent de ses parents qui s'étaient toujours désintéressés d'elle et qui voyageaient continuellement ? C'est pourquoi elle espérait beaucoup de ce séjour en Europe en compagnie de Candy. Qui d'autre qu'elle, après tout ce qu'elle avait traversé, pouvait comprendre le bouleversement intérieur qui l'animait, ses doutes et ses craintes, cette tristesse infinie qui ne lui laissait aucun répit ? Elle éprouvait le vif désir de se prendre en main et de tourner une nouvelle page de sa vie. Qu'en était-il du côté de son amie ? Et qu'en serait-il quand elle lui ferait part de ce qu'elle savait ?

Tout à ses pensées, elle remplit une théière d'eau bouillante, y versa quelques cuillères à café de feuilles de thé et se mit à attendre devant la théière que l'infusion s'opère. Il n'y avait pas un bruit dans la cuisine si ce n'est le tic-tac du balancier de l'horloge comtoise qui rythmait les secondes à une cadence régulière. Au bout de quelques minutes, elle remplit une grande tasse du brûlant breuvage et s'approcha de la fenêtre, la tasse à la main. La lune presque pleine recouvrait le jardin d'une pâleur bleutée qui lui donnait des airs de contes fantastiques. Elle remarqua une couverture sur le rocking-chair de Mademoiselle Pony devant la cheminée, le posa sur ses épaules, et sortit de la maison.

Dehors, l'air était frais mais supportable. Emmitouflée dans sa couverture, les mains réchauffées par la tasse de thé, elle s'allongea sur une des chaises longues du jardin et leva les yeux vers le ciel sombre parsemé d'étoiles. Elle soupira une nouvelle fois pour tenter d'évacuer la sensation oppressante qui la tenaillait depuis son arrivée et se mit à repenser aux raisons qui la mettaient dans cet état d'angoisse...

Lorsque quelques semaines auparavant, Annie et Albert lui avaient fait part de la mission qu'ils lui confiaient, elle n'imaginait pas l'embarras dans lequel elle allait se plonger. Bien entendu, l'idée de participer au projet de réunir Candy et le garçon qu'elle aimait l'enchantait, mais elle était loin de se douter de la responsabilité que cela incombait. Sur le moment, elle n'avait considéré que le bonheur de Candy, mais à présent qu'elle se trouvait en sa compagnie, l'observant dans son petit univers à l'intérieur duquel elle avait bâti une forteresse infranchissable, elle se demandait s'ils avaient pris la bonne décision.

Elle se revoyait en train de se munir de sa plus belle plume et d'écrire une lettre à cet être irritant et désobligeant qu'était Terry, lettre dont le contenu restait imprégné indélébilement dans sa mémoire tant elle en avait réalisé des ébauches avant de lui envoyer celle qu'elle considérait la bonne, malgré quelques incertitudes, et la crainte qu'elle soit jetée à la poubelle dès sa lecture. Après moult brouillons jonchant le sol, elle avait fait le choix d'aller à l'essentiel. Connaissant l'énergumène, elle se doutait bien que ce ne serait pas sa prose qui attirerait son attention mais plutôt le message qu'elle voulait lui faire passer :

« Terrence Graham Grandchester,
Compagnie théâtrale Stratford,
10 West 45th St. Broadway
New York

New-York, le 12 mars 1924,



Cher Terry,

Tu dois être bien surpris de recevoir une lettre de ma part. J'avoue en être étonnée moi-même mais cela fait un certain temps déjà que je songe à entrer en relation avec toi. Je profite de la fin récente de ta tournée et de ta présence à New-York pour te faire part d'une requête à la fois personnelle et professionnelle à laquelle tu accepteras, je l'espère, d’accéder.

J'enseigne depuis quelques années la littérature anglaise au Nightingale-Bamford School, et dans le cadre du programme sur les grands auteurs britanniques, j'ai pris à coeur de faire découvrir l'oeuvre de Shakespeare à mes jeunes élèves. La tâche est plutôt ardue en cet âge ingrat où les classiques de la littérature les effraient plutôt qu'ils ne les séduisent. J'ai donc pensé que le grand comédien shakespearien que tu es pourrait m'aider dans l'art d'apprivoiser ces jeunes demoiselles afin de les ramener vers des chemins plus vertueux. Je ne doute pas de ton talent ni de ton charme, ni de ton aptitude à leur révéler les richesses de cet auteur. Tu es le seul capable de réussir cette prouesse. Tu parvenais déjà à captiver l'assistance à Saint-Paul, ce sera un jeu d'enfants pour toi devant ces jeunes oies blanches.

Inutile de dire que je compte vraiment sur toi sur cet épineux cas.
En souvenir du bon vieux temps, Terry...

Bien à toi,

Patty

Patricia O'Brien
Département de littérature anglaise
Nightingale-Bamford School
20 East 92nd Street
New York, NY 10128 »


Priant le ciel d'avoir été convaincante, elle avait posté la lettre le jour même et attendu sans grande conviction un signe du rebelle aristocrate. Deux semaines s’écoulèrent sans qu'elle reçût la moindre missive de sa part, si bien qu'elle s'était résignée à l'échec de sa tentative. Mais un après-midi, alors qu'elle était de permanence dans son bureau, un appel téléphonique avait manqué de la faire s'étrangler et l’avait paralysée tout entière. A l'autre bout du fil ricanait une voix familière qu'elle n'avait pas entendue depuis des années, une voix qui avait pris en maturité et en gravité mais qu'elle reconnaissait sans aucune équivoque...

– Alors, « Têtard-à-lunettes », il me semble avoir compris que tu avais besoin de mon aide ?

Fin du chapitre 1




1 : Le France est un paquebot transatlantique français de la Compagnie générale transatlantique mis en service en 1912 et qui assura la ligne Le Havre - New York. C'est le seul navire français à avoir arboré quatre cheminées.

***************



Chapitre 2




Au moment où Patty poussa la porte du bureau du directeur de la Nightingale-Bamford School, un frisson désagréable lui parcourut l'échine. Malgré les années, elle était restée au fond d'elle-même la jeune lycéenne terrorisée en présence de Terry, et les moqueries de sa part dont elle avait bien souvent fait l'objet restaient ancrées dans sa mémoire. Les appels téléphoniques qu'ils avaient échangés au cours de ces dernières semaines avaient confirmé ces craintes. Il était resté le même : arrogant, sarcastique et moqueur, avec cet indécrottable besoin de s'adresser à elle en usant des surnoms aussi stupides que vexants. Elle s'était toujours interrogée sur le pouvoir de séduction qu'il avait sur Candy, pouvoir qui la laissait dubitative tellement elle le trouvait insupportable ! Plusieurs fois, il lui avait fait faux bond au dernier moment, et elle avait failli renoncer à son projet tant il lui témoignait peu de bonne volonté. Elle avait l'impression qu'il voulait lui faire payer cette idée saugrenue qu'elle avait eue de remuer le passé, et il savait y mettre les formes ! Mais elle avait tenu bon, et finalement, était parvenue à se mettre d'accord avec lui sur une date bien précise, vers la fin du mois d'avril.

Ce jour là, alors que les heures défilaient et que quinze heures à l'horloge allaient bientôt sonner, l'angoisse tenaillait son estomac, non pas par crainte qu'il ne vienne pas au rendez-vous, mais bien au contraire, par peur qu'il soit bel et bien présent. La responsabilité qui lui incombait pesait sur ses épaules comme un lourd fardeau car elle craignait par dessus tout d’échouer dans la tâche qu'on lui avait attribuée, d’autant plus qu’elle était d’une timidité maladive et dépourvue de toute confiance en elle. Elle avait fait cependant un grand pas en parvenant à le faire se déplacer jusqu'à l'école. Mais le plus dur restait encore à faire...

Elle prit une profonde inspiration et entra dans la pièce. Henry Wragg, le directeur, se leva en l'apercevant, contourna son bureau et alla à sa rencontre.

- Ah, ma chère Patricia, vous voilà ! Approchez-vous, je vous en prie, afin que je vous présente monsieur Graham...

Le large fauteuil qui lui tournait le dos remua en grinçant et une silhouette élancée en émergea. Terry se tenait devant elle, son regard acier perçant à travers ses mèches brunes qu'il avait raccourcies de quelque peu. Il était vêtu d'un élégant costume en tweed clair et tenait un canotier qu'il posa sur le bureau. Il lui tendit la main, un sourire narquois au coin des lèvres.

- Mademoiselle O'Brien, ravi de vous revoir après tout ce temps...

Patty, liquéfiée, répondit par une main mollassonne. Il fallait qu'elle se ressaisisse à tout prix ! Faisant fi de l'émoi qui rosissait ses joues, elle affronta l'ennemi, cette fois, d'une voix plus ferme.

- Monsieur Graham, le plaisir est partagé...
- Vous... Vous vous connaissez ? - demanda le directeur, les yeux écarquillés de surprise.
- Nous avons fait nos études dans le même collège en Angleterre – répondit Terry, réjoui du trouble qu'il voyait naître en Patty.
- En effet. Nous avions aussi de nombreux amis communs... - ajouta-telle avec une inattendue malice.

Blessé par la pique, le sourire goguenard de Terry s'évanouit et laissa place à de l'interrogation. Visiblement, Patty voulait autre chose de lui. Ce qu'il soupçonnait depuis le début commençait à se vérifier et il avait bien l’intention d’obtenir une explication, dusse-t-il la lui arracher de force !

- Quelle cachotière vous faîtes, mademoiselle O'Brien ! - ricana nerveusement le directeur - Vous ne m'aviez jamais dit que vous étiez amie avec monsieur Graham ! Je comprends à présent la facilité avec laquelle vous êtes parvenue à le convaincre de participer à notre petite conférence sur Shakespeare.
- Facilité, c'est vite dit ! - se dit Patty en repensant à la patience dont elle avait dû faire preuve pour ne pas craquer et tout abandonner. Puis se tournant vers à Terry, elle répondit :
- Monsieur Graham a immédiatement accepté notre invitation et je lui en suis très reconnaissante. Que n'aurait-il pas fait pour une ancienne amie de collège…

Comprenant la perfidie de l'insinuation, le jeune homme lança un regard noir à la jeune enseignante, serrant si fort le poing que les jointures de ses doigts en perdirent toute couleur.

- Soyez-en remercié une nouvelle fois ! - fit le directeur en se frottant les mains de contentement – Il est bon de voir que de grands comédiens prennent encore plaisir à partager leur passion avec les simples mortels que nous sommes.
- Je vous en prie – répondit Terry avec fausse modestie – Patricia me l'a si gentiment demandé que je n'ai pas pu le lui refuser...

Patty leva les yeux au ciel en soupirant. Décidément, il lui tapait sur les nerfs ! Mais que pouvait donc lui trouver Candy ? Il était si exaspérant ! Elle se rappelait leurs disputes mémorables et se demandait encore comment ils avaient pu tomber amoureux l'un de l'autre. Elle se souvint alors qu'il avait suffi que son front et celui d'Alistair s'entrechoquassent et qu'ils en perdissent leurs lunettes pour que la flèche de Cupidon les transperçât. L'amour était-il donc si simple que cela ?... Elle se souvint aussi de l'indulgence que le maladroit inventeur avait toujours eue pour Terry et de cette phrase qu'il avait un jour prononcée à son égard alors qu'Archibald médisait sur sa personne :

- Tu te trompes sur son compte. Il mérite d'être mieux connu... Il n'est pas aussi mauvais que ce que l’on croit...

Patty secoua discrètement la tête pour faire fuir les larmes qui bordaient ses yeux couleur d'automne et se dit que si son Alistair était capable d'autant de compréhension, elle pouvait bien faire un petit effort à son tour. Finalement, prétextant l'heure qui avançait, elle mit un terme à l'atmosphère ambiante qui devenait de plus en plus pesante.

- Terry, es-tu prêt à te jeter dans la fosse aux lions ?
- Plus que jamais, très chère !
- Alors, je vous en prie !... - fit Henry Wragg en lui ouvrant la porte – Après vous.

Tous trois sortirent du bureau, empruntèrent un escalier qui menait au rez-de-chaussée, sur une cour ceinturée par une galerie bordée de colonnes en pierre finement sculptées. C'était un cloître, visiblement d’époque romane, vestige d'un voyage en Europe d'un richissime bienfaiteur de l'école. Terry arqua un sourcil désapprobateur en traversant l'enceinte, navré d'un tel pillage. Qui donc avait pu laisser partir une telle richesse artistique et culturelle ? Qui s’intéressait encore ici à l'histoire de cet endroit, à sa raison d'être ? Autrefois lieu de contemplation et de prières, il n'était à présent qu'un simple lieu de passage sur lequel on posait un regard empreint d'indifférence et d'ignorance. Un graffiti sur un pilier, représentant un cœur et des initiales, acheva de le consterner et c'est avec un grand soupir de désappointement qu'il rejoignit l'angle opposé de la galerie, en direction d'un long et sombre couloir.

Cela n'en finit pas... - se dit-il, de plus en plus de mauvaise humeur.

Seul le bruit de leurs pas résonnait sur le sol de terre cuite et ce silence pesant accentuait son malaise. Le jeune acteur réalisa que c'était la première fois qu'il revenait dans un collège depuis qu'il avait quitté Saint-Paul, presque dix ans auparavant. Avec Patty à ses côtés qui ne pipait mot, il avait l’impression de se retrouver soudain plongé dans un passé qui n’était pas si lointain. Des bruits, des odeurs commencèrent à refaire surface. Une porte s'ouvrit à leur droite au moment où ils passaient et il tressaillit, croyant un instant voir surgir la mère supérieure. Mais ce n'était que le vieux comptable de l'école, chargé de livres de comptes, qui les salua sans vraiment les regarder.

- Tout va bien ? - demanda Patty qui avait remarqué son embarras.
- Oui, oui... - répondit-il d'une faible voix tout en pestant intérieurement sur la folie qui l'avait mené ici.

La jeune femme poursuivit son chemin à côté de lui, un léger sourire aux lèvres. Finalement, la carapace commençait à céder...

Ils parvinrent enfin à destination. Les portes de l'auditorium s'ouvrirent en grand, révélant une salle immense sur laquelle étaient alignées plusieurs dizaines de rangées de fauteuils. Elle était traversée en son centre et sur les côtés par des marches qui descendaient en pente douce jusqu'à la scène, sur laquelle deux fauteuils semblaient attendre patiemment qu'on veuille bien les occuper.

Terry n’avait pas fait un pas dans la pièce que des cris, des applaudissements et des sifflets jaillirent de toute part. La salle était remplie de jeunes collégiennes en uniforme, mais aussi de personnes plus âgées, des professeurs certainement et des membres du personnel de l'école. Tout le monde voulait voir le grand acteur Terrence Graham. Peu coutumier au trac quand il s'agissait de rencontrer ses admirateurs, il se sentit pourtant saisi d'une angoisse irrépressible qui le paralysa. Il lui semblait, à travers cette nuée de jeunes filles en col bleu et blouse blanche, qu'elle apparaissait de toute part. Elle, dont il avait banni jusqu'au nom mais dont le souvenir jaillissait au moindre prétexte. Peu importait ses efforts, tout et n'importe quoi la lui rappelaient. Transformé en statue de sel par l'émotion, il sursauta au contact du bras de Patty venu à la rencontre du sien.

- Viens, Shakespeare s'impatiente... – lui chuchota-t-elle en posant sur lui un regard bienveillant qui le remit en confiance – Tout va bien se passer...

Terry se laissa docilement conduire jusqu'à la scène. Patty se tenait debout à côté de lui et l'applaudissait, encouragée par les acclamations de l'assistance qu'il salua. Peu à peu, le coeur de ce dernier se calma. L'éclairage vif qui recouvrait la scène l'empêchait de voir distinctement les personnes en face de lui et cela le rassura. Reprenant contrôle sur lui-même, il s'efforça de se concentrer sur la raison de sa présence ici : Shakespeare... Il respira profondément, leva fièrement la tête et s’adressa à son public qui venait de faire silence pour l’écouter.

Ainsi, pendant plus d’une heure, il évoqua, à sa manière, cet auteur de génie, s'attardant sur la modernité du style, des thèmes, sur la richesse de ses oeuvres, sur son influence sur le théâtre et en littérature. Usant d'exemples, jouant parfois des extraits de scènes, citant des anecdotes, son éloquence croissait au rythme des minutes qui s'écoulaient. Narré par Terry, Shakespeare devenait un jeu, un divertissement, un personnage contemporain plus qu'un auteur classique barbant. On l'écoutait dans un silence religieux. Plongé dans son récit, arpentant de long en large la scène de sa longiligne silhouette, son port de tête se redressait peu à peu, ses yeux verts éteints du début brillaient d'un nouvel éclat, sa voix grave s'égayait, ses gestes se libéraient avec grâce. Le vrai Terrence, le Terry de Candy se révélait aux yeux d'un public définitivement acquis et d'une Patty troublée. Elle comprenait, elle comprenait à présent ce qui avait charmé ce garçon-manqué qu’était son amie. Sous ses grands airs arrogants, il savait se montrer un être à sa mesure, qui cachait à travers ses boutades et ses moqueries, une âme sensible, une fragilité qui le rendait d'autant plus envoutant. Candy était de cette trempe. Elle avait su voir au-delà des apparences, avait deviné avant tout autre la part de lumière qui était en lui, et la passion qui l'habitait.

Quand il eut terminé, Patty fut la première à se lever et à l'applaudir avec un enthousiasme non dissimulé. Elle aurait voulu lui sauter au cou pour le remercier du moment extraordinaire qu'il venait de leur faire passer mais se ravisa, rougissante. Une chose était certaine : les librairies allaient crouler sous les commandes d'oeuvres de Shakespeare, et les représentations théâtrales de Terrence Graham continueraient à jouer à guichets fermés.

Au bout de quelques minutes, quand les acclamations s'espacèrent, la jeune enseignante l'invita à s'assoir dans le fauteuil derrière lui tandis qu'elle prenait place dans l'autre siège en face du sien. Il croisa ses longues jambes et prit une position confortable, bras posés sur les accoudoirs.

- Cher Terrence, avant de nous séparer, nous souhaiterions que vous participiez à un petit test que nous avons coutume de faire passer à nos invités.
- Soit, tant que vous ne me posez pas de questions trop personnelles... - ricana-t-il, un brin nerveux.

Le visage de Patty resta impassible.

- C'est le questionnaire de Proust que nos élèves ont adapté. Il peut varier en fonction des invités que nous accueillons ici. Mais avant tout, mettons-nous d'accord sur un point. Si vous acceptez de faire ce test, vous ne pourrez plus vous rétracter. Il vous faudra répondre à toutes les questions que l'on vous posera.
- Comme je vous l'ai dit, tant que vous ne dépassez pas les limites...
- Est-ce oui ou est-ce non ?!!!

Il hésita un instant puis répondit :

- Je vais vous dire oui !

L'éclairage sur la scène se déplaça vers la salle et Terry put cette fois distinguer le public qu'il avait en face de lui. La boule d'angoisse qui l'avait quitté précédemment recommença à se former dans son estomac.

Une jeune élève au premier rang se leva et se mit à lire en tremblotant le bout de papier qu'elle tenait entre les mains.

- Monsieur Graham, pouvez-vous nous dire quel est le principal trait de votre caractère ?
- L'impulsivité.
- La qualité que vous préférez chez un homme ? - poursuivit une autre.
- Sa vulnérabilité.
- Et chez une femme ?
- Sa force de caractère.
- La qualité que vous appréciez le plus chez vos amis ? - s'enquit une autre.
- Je n'ai pas d'amis...

Un murmure embarrassé se propagea dans l'assistance puis le questionnaire reprit comme si de rien n'était, passant de jeune fille en jeune fille.

- Votre principal défaut ?
- Ne pas savoir dire non quand il faut...
- Votre occupation préférée ?
- Jouer au théâtre !
- Votre rêve de bonheur ?
- Ce n'est malheureusement qu'un rêve...
- Quel serait votre plus grand malheur ?
- Il a déjà frappé...
- Ce que vous voudriez être ?
- Libre dans ma tête...
- Votre couleur préférée ?
- Le vert émeraude...
- La fleur que vous aimez ?
- La jonquille.
- Votre auteur préféré ?
- Vous osez encore me poser la question ? - gloussa-t-il.
- Votre poète préféré ?
- Arthur Rimbaud
- Le don que vous aimeriez avoir ?
- Celui de pouvoir remonter le temps...
- Les fautes qui vous inspirent le plus d'indulgence ?
- Celles des autres...
- Comment aimeriez-vous mourir ?
- Dans les bras de quelqu’un que j’.... Ecoutez, je crois avoir suffisamment répondu à vos questions, non ? - s'écria-t-il, visiblement agacé.

Ce questionnaire prenait des allures d'inquisition !

Il m'en reste une dernière ! - fit une petite voix au troisième rang.
- Si vous me promettez que ce sera bien la dernière... - répondit Terry, contrarié, sans pouvoir distinguer correctement son interlocutrice. Il devinait une frêle silhouette, de petite taille, dont la coiffure lui rappelait étrangement une certaine peste qu'il avait eu le malheur de fréquenter dans sa jeunesse. Il savait bien que cela ne pouvait être Elisa, mais cela le mit d'autant plus mal à l'aise. La jeune élève posa enfin sa question :

- Je voulais savoir si vous aviez déjà été amoureux ? Je veux dire... Je vous ai vu interpréter Roméo à Broadway et vous jouiez si bien que j'en ai conclu que pour exprimer aussi parfaitement ce genre de sentiments, il vous avait fallu en faire personnellement l'expérience, n'est-ce pas ?
- C'est que... - bredouilla-t-il, visiblement décontenancé. Il se tourna vers Patty qui affichait une mine des plus innocentes – C'est que... Voyons... Je suis un acteur avant tout et mon travail consiste à faire semblant. Si je devais incarner un assassin, devrais-je avoir tué quelqu'un pour autant pour être crédible ?
- Vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question.
- Si fait !
- Non... Je regrette... Vous avez promis de répondre à toutes les questions...
- Ecoutez... Je... - fit-il se tortillant d'embarras sur son fauteuil. Du coin de l'oeil, il aperçut la porte de sortie et éprouva l'irrésistible envie de s’y précipiter.
- Je vous écoute, Monsieur Graham. Avez-vous déjà été amoureux ?

Le jeune acteur se tourna une nouvelle fois vers Patty, le regard incandescent de colère. Dans quel piège l'avait-elle entraîné ? C'était la dernière question de toute façon… Ses épaules s'affaissèrent, et tête baissée, il répondit en soupirant de lassitude.

- Oui, j'ai déjà été amoureux, il y a de cela bien longtemps. Etes-vous satisfaite à présent ???
- Amoureux ??? Mais de qui ??? - s'écria une autre jeune élève au bord de l'évanouissement.
- Qui est-elle ? - demanda une autre voix dans un cri hystérique ?
- Etait-ce Suzanne Marlowe ?
- Pourquoi ne l'avez-vous pas épousée ?
- Etait-ce à cause de cet amour secret ?
- Où vit-elle ?
- L'avez-vous revue ?
- Que fait-elle dans la vie ?
- Quel est son nom ?
- Est-elle belle ?

Les questions fusaient de toutes parts. Puis soudain, un flash d'appareil photo crépita, l'éblouissant à moitié.

- Qu'est-ce donc ? Un de ces charognards ? Ici ??? – se dit-il en se protégeant les yeux de la main.

Il imaginait déjà la une des journaux à scandales du lendemain avec en photo sa face d'ahuri pour harmoniser le sinistre tableau :

« Le célèbre comédien Terrence Graham bousculé par de jeunes et innocentes lycéennes ! Qu'en est-il de la vie amoureuse du jeune acteur ? Qui est donc la mystérieuse jeune femme qui lui a brisé le coeur ? Un an après le décès de la comédienne Suzanne Marlowe, le voilà de nouveau disponible ! Terrence Graham est un coeur à prendre !!! »

Excédé, il quitta la scène à grandes enjambées sans prendre la peine de dire au revoir, et se dirigea prestement vers la sortie, laissant le directeur de l'école médusé, bras ballants. Patty, paniquée, courut à sa poursuite.

- Terry, arrête-toi, je t'en prie ! - s'écria-t-elle en essayant de le retenir alors qu'il défonçait chaque porte sur son chemin pour finalement déboucher sur une ruelle qui jouxtait l'arrière-cour de l'établissement. Hésitant, il chercha du regard la direction qu'il devait prendre pour s'échapper de ce lieu maudit.
- Tu m'as bien eu !!! - hurla-t-il en pointant un index furibond vers le visage blême de la jeune femme qui venait de le rejoindre, toute essoufflée.

Elle avait toujours détesté le voir en colère. Il était vraiment effrayant. Toute tremblante, elle esquissa un geste d'apaisement vers lui qu'il repoussa violemment.

- Quelle folie t'a prise de m'entraîner dans ce traquenard ??? Es-tu satisfaite de toi à présent ???
- Mon dieu, Terry, calme-toi ! Je n'ai jamais voulu ça ! Je voulais juste te faire réagir, je n'aurais jamais imaginé que cela prendrait cette tournure. Il faut que tu me croies !
- Te croire ??? Alors que tu m'as tranquillement poignardé dans le dos ? Dire que tu prétendais être mon amie !...

Il avait dit cela sur un ton tellement méprisant qu'elle en avait presque ressenti le crachat.

- Crois-moi, il n'y a pas plus grande preuve d'amitié que celle dont je viens de te témoigner... Je voulais que tu viennes ici car je savais que cela te rappellerait des souvenirs et je voulais que tu les affrontes au lieu de les fuir comme tu le fais depuis toutes ces années...
- De quoi te mêles-tu ? Est-ce que je me permets de te juger alors que tu pleures encore ton soldat mort au combat??? Tu es pathétique !
- Juger ? Tu viens de le faire à l'instant et bien cruellement !... - répondit-elle en se mordant la lèvre de contrariété.

Terry regretta aussitôt ses paroles et soupçonna des larmes qui perlaient sous les lunettes de son amie.

- Excuse-moi... - fit-il d'une voix lasse, baissant la tête, le dos courbé – Je perds tout contrôle dès qu'on évoque son sujet... Tu n'avais pas le droit de me faire ça...
- Oh que oui, je l'avais ce droit ! - fit-elle en faisant un pas vers lui – Je l'avais, car je t'ai vu vaciller quand on a fait référence à elle. Je sais que tu l'aimes encore et je ne comprends pas pourquoi tu ne lui as toujours pas écrit, ni même cherché à la revoir depuis le décès de Suzanne. Un an, plus d'un an que cette fille est morte et tu n'as toujours pas esquissé un geste vers Candy ???
- Elle est bien mieux sans moi... - murmura-t-il d'une voix morte.
- Détrompe-toi, elle est loin de l'être ! Elle est toujours amoureuse de toi, tu sais ?...
- Vr… Vraiment ?... J'étais convaincu qu'elle m'avait oublié... Qu'elle était passé à autre chose...
- Pourquoi crois-tu qu'elle travaille dans une modeste clinique proche de la Maison Pony alors qu'une carrière brillante s'ouvrait à elle à Chicago ? Parce que c'est le seul et unique endroit qui soit capable de soigner ses plaies à l'âme, c'est son refuge, son équilibre. Elle n'a pas pour autant guérie car le remède, c'est toi qui le détiens.
- Je... C'est trop tard ! - fit-il en secouant la tête – Je ne veux pas gâcher sa vie une nouvelle fois...
- Mon dieu, Terry !!! Quand cesseras-tu de refuser ce bonheur qui te tend les bras ????

Elle s'arrêta un instant, une vague de désespoir se déversant soudain sur elle, la laissant chancelante.

- Si je pouvais – prononça-t-elle dans un sanglot étranglé en grimaçant de douleur – Si je pouvais revoir Alistair, ne serait-ce qu'une fois, je donnerais mon âme pour cela ! Je serai capable de souffrir les enfers pour lui ! Mais mon « petit soldat » comme tu dis est mort, il est MORT, tu comprends !!! Je n'aurais jamais la chance que vous avez de le retrouver alors que cette deuxième chance s'offre à vous !!! Tu la repousses par excès d'orgueil et parce qu'au fond de toi, tu as la frousse, la frousse de risquer son refus. Dieu du ciel, Terry, vous avez la chance de vous aimer et d'être vivants ! Maintenant que tu es libéré de tes chaînes, que te faut-il de plus pour ne pas tout tenter pour la récupérer ???
- Je ne veux pas... Je ne veux pas la faire souffrir une nouvelle fois !!! - répondit-il en se débattant – Je ne veux plus entendre ses pleurs, ni voir son visage bouleversé. C'est la dernière image que j'ai d'elle, vois-tu ? Et je me maudis chaque jour pour cela !
- Il ne tient qu'à toi de changer le cours des choses... Je t'en supplie Terry, écris-lui ! Tu feras son bonheur et le tien... Qu'attends-tu pour être enfin heureux ?

Terry resta pensif de longues minutes. Maintes fois il avait éprouvé la tentation de prendre sa plume et d'écrire à Candy, mais il s'était ravisé à chaque tentative. Il avait trop honte de ce qu'il lui avait fait. Il avait honte de ne pas avoir eu le courage d'affronter Suzanne et sa mère alors que Candy et lui venaient tout juste de se retrouver. Comment avait-il pu la laisser partir ce soir là ??? Il était si jeune et le poids de la culpabilité si lourd à porter, qu'il n'avait pas eu la force de repousser la jeune actrice et de lui proposer de prendre soin d'elle sans pour autant sacrifier son amour pour Candy. Que restait-il de tout cela à présent ? Des années obscures à subir ses larmes, ses caprices, et l’omniprésence de sa mère qui, tel un cerbère, surveillait ses moindres faits et gestes. Puis quand étaient apparus la maladie et son terrible diagnostic, il avait espéré qu'elle prendrait conscience de la précarité des choses de la vie, qu'elle aurait compris que son obstination à l'obliger à vivre à ses côtés l'avait chaque jour un peu plus éloigné d'elle tandis que son amour pour Candy avait résisté, s'était renforcé, jusqu'à occuper tous ses jours et toutes ses nuits. Mais elle avait persisté dans son fantasme jusqu'au bout... Parfois, en rêve, il se revoyait sur les marches de cet escalier, ceinturant la taille fine de son aimée, sentant la douce chaleur de sa peau à travers l'étoffe de sa robe, mais cette fois, il l'obligeait à se retourner, il la serrait contre lui, et la retenait pour ne plus jamais la laisser repartir... Il se réveillait alors en nage, sanglotant, et il lui fallait des heures pour se remettre de ce merveilleux mais insoutenable rêve. La triste réalité voulait qu'il vive séparé d'elle et il s'y était habitué. Il s'était accoutumé au malheur. Candy était la seule personne à lui avoir apporté sa part de bonheur et on la lui avait retirée car il n'était pas doué pour cela. Il se tourna vers Patty et les paroles déchirantes qu'elle avait eues lui revenaient en écho. Il la regarda toute frêle, tremblotante, cachant son immense chagrin sous de verres épais, et n'hésitant pas malgré tout à l'affronter et à lui démontrer l'aberration de son comportement. Contrairement à elle, le coeur de l'être qu'il aimait plus que tout au monde battait encore, et il se payait pourtant le luxe de refuser la chance qui s'offrait à lui, la chance de lui faire un signe, et de pouvoir enfin lui révéler la profondeur de ses sentiments. Quel sombre idiot il était ! Et il fallait que ce soit cette « Tétard-à-lunettes » qui le ramène à la raison. Candy savait manifestement choisir ses amies !

- Soit, je lui écrirai... - laissa-t-il finalement échapper d'une voix presque inaudible.

Craignant que ses oreilles soient en train de lui jouer un tour, Patty s'approcha de lui, cherchant à sonder son regard.

- Tu me le promets ?
- Je te le promets !
- Je pars dans une semaine chez elle pour fêter son anniversaire. J'espère que ta lettre sera arrivée d'ici là sinon gare à toi !
- Fichtre, tu es effrayante quand tu es menaçante ! - s'écria-t-il, retrouvant sa morgue.

Il était décidément horripilant !

- Tu ne crois pas si bien dire ! - répondit-elle, imperturbable – Rentre chez toi à présent et écris cette lettre. Tu as promis, n'oublie pas !
- Je tiens toujours mes promesses.
- C'est ce que nous verrons...

Terry hocha la tête et tourna les talons pour rejoindre la rue principale et héler un taxi. Il s'arrêta à mi-chemin et se retourna vers Patty.

- Excuse-moi encore une fois pour les mots durs que j'ai eus envers Alistair. C'était un mec bien, un chic type ! J'ai été très peiné par sa mort et j'espère que tu arriveras un jour à en faire le deuil...

La jeune femme se raidit de surprise. C'était la première fois que Terry lui témoignait de l'empathie, et les mots qu'il venait d'avoir pour Alistair achevèrent de l'ébranler.

- Merci Terry... Il avait de l’estime pour toi, tu sais... - répondit-elle, n'essayant plus de contenir ses larmes.

Terry esquissa un léger sourire et reprit son chemin, les mains enfouies dans les poches de sa veste. Patty le regarda s'éloigner, tétanisée par l'émotion. Ce qu'elle venait de vivre était si intense qu'elle se demandait encore comment elle avait pu réussir ce qui semblait depuis le début voué à l'échec. Après un petit moment, elle parvint à retrouver ses esprits et rejoignit sa classe. Ses élèves l'attendaient, frisant l'hystérie. Elle prétexta que le départ subit du séduisant acteur relevait d'une urgence professionnelle. Les élèves ne furent pas dupes mais elle maintint son affirmation. Les maîtriser s'avéra plus ardu que de dompter ce diable de Terrence Grandchester !...

Quand elle rentra plus tard chez elle, épuisée, elle repensa aux évènements de la journée et pria fortement pour que Terry ne changeât pas d'avis. Elle restait néanmoins très optimiste. Le bouleversement qu'elle avait lu dans ses yeux témoignait de sa détermination. Ce n'était plus qu'une question de temps pour qu'il écrive à Candy.

Le lendemain matin, à la première heure, on sonna à sa porte. L'esprit encore embrumé de sommeil, elle regarda par le Judas. C'était un coursier qui venait lui remettre un pli. A l'intérieur se trouvait une lettre destinée à Candy, suivie d'un petit mot de Terry à son attention :

« Chère Patty,

Comme tu peux le constater, je tiens mes promesses ! Je t'avoue qu'elle est une des plus aisées que j'aie eu à tenir. Voici donc ma lettre pour Candy. Je te la confie afin que tu la lui remettes en mains propres. Je te demanderai seulement de bien réfléchir avant de la lui donner. Assure-toi qu'elle soit bien prête pour cela, et si ce n'est pas le cas, je t'en prie, abstiens-toi. Je ne souhaite que son bonheur et si un geste de moi revenait à ruiner son équilibre, je ne le supporterais pas. Je m'en remets donc à ta sagesse et t'en suis éternellement reconnaissant.

Amicalement,

Terrence »


Un sourire de satisfaction sur les lèvres, Patty rangea l'enveloppe dans sa commode, similaire mode de rangement qu'elle occupera plus tard, au fond du tiroir de la table de chevet d'une chambre à la Maison Pony...

Fin du chapitre 2



Edited by Leia - 30/9/2017, 13:42
 
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