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Lettres à Juliette, (sans rapport avec une autre fanfic du nom de "les lettres à Juliette"...)

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Leia
view post Posted on 23/1/2013, 18:37 by: Leia
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La main tremblotante de Terry secouait la bouteille de whisky dans tous les sens mais elle restait désespérément vide. Cela le contrariait. Non pas qu’elle fût vide, mais plutôt parce le litre d’alcool qu’il venait d’ingurgiter n’était pas parvenu à lui embrouiller suffisamment l’esprit pour anesthésier la plaie béante qui lui déchirait le coeur. Il héla le barman et lui demanda une nouvelle bouteille, lequel lui en apporta une en trainant des pieds. Le client était roi mais cela lui faisait de la peine de voir ce jeune homme s’enfoncer volontairement dans l’ivresse pour s’abrutir et manifestement oublier quelque chose d’insupportable à vivre. Il faut dire qu’il avait de l’expérience en tant que serveur au Caffè Florian de la place Saint-Marc. Les plus grands noms étaient passés par cet endroit illustre : Doges de Venise, aristocrates, ambassadeurs, riches marchands, artistes, hommes de lettres. Il en avait vu des torturés défiler ! Il pouvait ainsi deviner à leur attitude quand ça n’allait pas fort : visage décomposé, échine courbée, ils allaient la plupart du temps se réfugier au fond de la salle, à l’abri des regards, et restaient des heures ainsi, à attendre devant leur boisson un hypothétique salut.

Le comportement de Terrence Grandchester n’avait donc laissé aucun doute. Quand il était entré dans le café en fin d’après midi, l’air hagard, marchant comme un automate, le serveur l’avait immédiatement dirigé vers le fond de la salle et il l’avait suivi depuis du coin de l’œil, en soupirant tristement. Il n’aimait pas voir les gens malheureux ! Un café, c’était fait pour être convivial, pour réunir des gens, pour les voir discuter, rire ou pour les entendre refaire le monde ! Ce n’était pas fait pour recueillir toutes les misères de l’âme! Chaque fois qu’il avait affaire à un de ces êtres désespérés de la vie, il ne pouvait que le servir en compatissant tout en regrettant son impuissance. A plusieurs reprises, il avait demandé à Terry s’il n’y avait pas une personne à contacter qui pourrait venir le chercher. A chaque fois, il répondait en haussant les épaules, avec un petit sourire sarcastique comme s’il se moquait de lui même. Puis il avalait une nouvelle gorgée d’alcool, lampant d’un trait son verre et faisant ensuite claquer gourmandement sa langue comme s’il eut été d’un délicieux nectar.

- Si jeune et déjà alcoolique !. Quelle tristesse !.. – se dit le barman en passant un coup de torchon propre sur le comptoir – Quel malheur a-t-il pu lui arriver pour qu’il soit si bouleversé?

S’il le lui avait demandé, peut-être que Terry lui aurait révélé la raison de sa détresse, cette inattendue et ignoble nouvelle dont il avait eu connaissance quelques heures auparavant…

Quand ce journaliste lui avait fait part de ses informations, cela l’avait déstabilisé sur le moment, puis il s’était ressaisi et l’envie de la lui faire boucler d’un coup de poing en pleine face s’était emparée de lui. Ce dernier, lisant la colère dans ses yeux, s’était empressé de lui poser la question suivante :

- Si vous ne me croyez pas, demandez donc à ce monsieur derrière son comptoir s’il n’y a pas inscrit dans son registre une certaine madame Capwell…

La tête de Terry avait instantanément pivoté en direction de l’employé de l’hôtel, qui, s’était raidi, sentant que la situation prenait mauvaise tournure.

- Pouvez-vous donc, monsieur, me dire si madame Capwell a réservé une chambre dans votre hôtel ? – s’était donc enquis le jeune anglais en essayant de garder son calme.
- Je le regrette, monsieur, mais comme je vous l’ai dit il y a cinq minutes, je ne puis aller contre le règlement de l’hôtel qui me l’interdit…

Le ton de l’aristocrate avait alors changé du tout au tout. Sans autre forme de procès, il avait saisi par le col le réceptionniste, lequel avait décollé de dix centimètres du sol, son corps basculant en avant, qu’il retenait de chuter en s’agrippant au comptoir. Paralysé, à demi-asphyxié, la rage qu’il voyait dans le regard de son agresseur avait achevé de le convaincre.

- Ecoute !... – avait lancé Terry d’une voix glaciale – J’ai traversé l’océan, risqué la mort pour arriver jusqu’ici et retrouver celle que j’aime. Tu comprendras donc que je n’ai pas trop envie de m’amuser et que je compte sur toi pour me dire si cette femme loge dans cet hôtel. Ne me fais pas languir, je t’en prie…

Loin d’être une supplique, cette dernière phrase avait toutes les apparences d’une menace sérieuse. Terrorisé, l’employé de l’hôtel, toujours suspendu au dessus du comptoir, avait instinctivement fait pivoter le registre vers Terry, qui avait lâché instantanément sa victime, laquelle était allée se réfugier contre le mur, tremblante et haletante.

Le cœur battant, le jeune comédien avait feuilleté d’une main crispée les pages les plus récentes du livre et avait fini par découvrir le nom tant redouté : Capwell !...

- Ce… Cela ne veut rien dire de toute façon !... – avait-il bredouillé en secouant la tête.

Le journaliste s’était approché, puis, dans un demi-sourire, avait pointé son doigt sur le nom.

- Regardez donc ce qui est écrit tout à côté…

Entre parenthèses, trois initiales avait été ajoutées : C.N.A… Candice Neige André !...

Contre toute attente, il n’y avait pas eu de cris ni de nouvelles démonstrations de violence. Le visage de Terry avait blêmi, puis, sans un mot, ni un regard vers les deux hommes qui l’observaient en silence, il avait tourné les talons et quitté l’hôtel. Incapable de penser ni d’agir, il avait marché sans rien voir dans les rues de Venise, butant contre les passants, bousculant ce qui se trouvait sur son passage, jusqu’à ce que au hasard de son errance, il trouvât refuge au Caffé Florian, lieu où l’attendait une ancienne bonne amie à laquelle il avait été fidèle un certain temps bien des années auparavant : cette bonne vieille bouteille de whisky !...

Il se versa un nouveau verre d’alcool qu’il engloutit comme s’il eut été d’un verre de limonade. Le liquide brulant descendait doucement dans sa gorge, durant lequel il ressentait une légère euphorie qui laissait place ensuite à une impression de vide, de mort intérieure qui le terrorisait. Il connaissait trop bien ce sentiment pour l’avoir éprouvé durant toutes ces années, et il avait cru s’en être débarrassé quand le fol espoir d’avoir retrouvé Candy l’avait aveuglé. Aveugle, en effet, il avait été. Aveugle de n’avoir pas su distinguer le vrai du faux, la réalité du mensonge ! On s’était moqué de lui ! Patty, Albert et peut-être même Candy…

Il comprenait à présent pourquoi Albert n’avait pas voulu lui dire où elle se trouvait exactement.

Parce que c’était déjà trop tard. Parce qu’il n’imaginait pas qu’il traverserait l’océan pour la retrouver. Parce qu’il était certain qu’il abandonnerait comme il l’avait fait après l’accident de Suzanne.

Il comprenait pourquoi Candy était venue à son appartement pendant son absence et s’en était enfuie…

Parce-qu’elle devait déjà être promise à cet homme et que sa présence à New-York n’avait rien à voir avec lui, Terry. Elle voulait juste lui dire adieu…

Quoi d’autre cela aurait-il pu être ??? Ployant sous la violence du chagrin, tellement convaincu de ne pas mériter cet amour, tellement convaincu que sa vie se devait d’être à jamais misérable à cause de son erreur de jeunesse, il était incapable de suspecter la moindre incohérence dans ce qui lui arrivait. Il avait déjà oublié les implorations de Patty, l’accueil chaleureux d’Albert et ses encouragements, les larmes de Candy sur le bateau… Tout ceci n’avait plus d’importance. Il ne retenait que ce nom « Capwell » sur le registre de l’hôtel et les initiales C.N.A qui prouvaient son identité. S’il n’avait pas aussi facilement cédé au doute, il aurait remarqué le lien entre Capwell et Capulet de la pièce de Shakespeare. Cela l’aurait immédiatement interpellé et il aurait compris que c’était une manière déguisée de lui indiquer que c’était Candy. Comble de malchance, le réceptionniste qui était en combien avec Albert était tombé subitement malade le matin-même et avait été remplacé à la va-vite par son collègue qui ignorait tout du plan d'Albert. S'il en avait été informé, il aurait pu immédiatement mettre un terme à ce malentendu. D'un autre côté, si Terry avait pris le temps de réfléchir, il n'aurait pas donné foi aux informations douteuses d'un journaliste à scandale, lui qui d'habitude ne donnait aucun crédit à ces racontars. On aurait dit que tout était réuni pour qu’il tombât dans le piège d’Elisa, laquelle bénéficiait d’une chance incroyable. Bien que se trouvant à des milliers de kilomètres de là, elle parvenait à ses fins, tirant parti sans le savoir d’un certain nombre de coïncidences mais surtout du peu de confiance que Terry avait en lui-même. Elle n’avait pas de cœur mais elle était loin d’être idiote ! Elle savait qu’après toutes ces années de séparation que le jeune homme aurait toutes les difficultés à croire en la concrétisation de ses retrouvailles avec Candy. Beaucoup trop de temps s’était écoulé, beaucoup trop de choses les éloignaient désormais et c’était pour cela qu’il n’était jamais revenu vers Candy….

A l’annonce de la mort de Suzanne, Elisa avait tremblé à la pensée qu’il se précipiterait pour rejoindre cette fichue orpheline. A sa grande surprise, il n’en avait rien fait et elle avait fini par comprendre : il n’avait jamais été vraiment sûr de l’amour de Candy. Comment aurait-il pu en être autrement de toute façon alors qu’ils ne s’étaient pas revus ni écrit depuis des années ? Le silence volontaire qu’ils avaient instauré entre eux avait bâti dans l’esprit de Terry la conviction qu’elle était passée à autre chose, que leur amour de jeunesse n’était plus qu’un lointain souvenir et qu’elle avait construit une nouvelle vie sans lui. Elisa avait cerné les faiblesses de Terry et compris qu’il suffisait d’un grain de sable pour briser l’équilibre et le faire renoncer à ses bonnes résolutions. Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir… Victime de l’intensité de ses émotions, il avait perdu tout raisonnement, incapable de discerner l’évidence : que l’horreur qu’il traversait depuis quelques heures n’existait pas, si ce n’est dans son imagination, qu’il avait fertile quand il s’agissait de se faire souffrir…

Tout ceci lui apportait la confirmation qu’il n’était pas fait pour Candy. Depuis le début de leur relation, les obstacles s’étaient accumulés pour les empêcher de s’aimer. L’océan, lui aussi, s’en était mêlé, si bien que déjà à l’hôpital de Plymouth il avait songé à renoncer à la retrouver. A quoi bon persévérer alors que tout était si clair à présent ?... Il avait cru en un rêve, un rêve merveilleux dont le sort l’avait perfidement bercé, pour mieux l’accabler au réveil du poids atroce de la réalité. Cela lui était insupportable ! Il suffoquait. Il sortit quelques billets de sa poche et quitta en trombe le café. Il faisait presque nuit sur la place Saint-Marc et cela le surprit. Il y avait foule encore à cette heure et personne ne faisait attention à lui. Il remonta la place vers le Campanile, une très haute tour de brique isolée sur un côté de la place, puis le contourna par la droite vers le Palais des Doges dont la magnifique façade gothique bordait le grand canal. Les gondoles s’étaient regroupées en bordure pour la nuit, abandonnées jusqu’au matin par leurs propriétaires. Elles ondoyaient au rythme des vaguelettes qui faisaient pencher et s’entrechoquer leur tête de proue dans un ballet de clapotis et de bruits métalliques. Un courant d’air froid qui arrivait du canal éparpillait les passants frigorifiés qui repartaient vers la place Saint-Marc, bien protégée par les arcades et les monuments qui l’encadraient. Seul restait Terry, impassible, indifférent à tout ce qui se passait autour de lui, uniquement captivé par les reflets rougeoyant du crépuscule sur l’eau. Il s’approcha un peu plus de la berge et aperçut sa silhouette déformée par l’onde qui venait se briser sur le quai. Il pensa que cela résumait très bien sa vie : à jamais tourmentée par l’infortune…

Cette fois, le visage de Candy se dessina sur l’eau, celui qu’il avait aperçu sur le bateau à New-York. Un sanglot s’échappa de sa gorge et des larmes brulantes brouillèrent le vert de ses yeux, des larmes empreintes de regret et d’amertume.

- Pourquoi ? Pourquoi ai-je tant tardé à lui écrire ? – se dit-il en serrant les poings alors que la forme d’un homme sans visage apparaissait aux côtés de Candy – J’avais si peur qu’elle me rejetât, et voilà que je suis doublement puni de n’avoir pas eu le courage d’entrer plus tôt en contact avec elle. Dieu que c’est douloureux de devoir renoncer à elle !...

La pensée de mettre fin à cet enfer lui traversa l’esprit. Il fallait que cela s’arrête !!!

Il se rapprocha un peu plus du canal…

Il n’y aurait plus de tristesse, plus de souffrance, plus de larmes. Il ne serait plus au supplice en imaginant Candy dans les bras d’un autre, il n’aurait plus à se torturer l’esprit à la pensée qu’il aurait pu être à la place de cet homme.

Le bout de ses pieds à présent dépassait du bord…

Il n’y aurait plus de regrets, plus de remords. Il n’y aurait que le néant absolu, réparateur, où nul sentiment ne pourrait plus le consumer. Il n’y aurait plus de souvenirs, plus de rires qui viendraient le hanter…

Encore un pas et il basculerait…

Il serait enfin en paix !...

Il respira profondément, ferma les yeux, et se laissa aller. Mais au moment où il allait tomber, une main ferme le saisit par l’épaule et le retint dans son élan.

- Ne fais pas ça, fils !...

Terry se retourna, le regard perdu dans le vague, groggy, comme émergeant d’un long sommeil.

- Vous ? – fit-il en reconnaissant celui qui venait de l’empêcher de commettre l’irréparable.

Le comte Contarini se tenait devant lui, encore sous le coup de l’émotion de ce à quoi il venait d’assister. Il restait immobile, bouleversé, incapable de prononcer un mot. Pour seule réponse, il écarta lentement les bras. Terry vacilla en retour et un soupir frémissant s’échappa de sa poitrine. Sa bouche se tordit en un rictus de désespoir et ses yeux s’emplirent de larmes qu’il essaya de cacher en secouant la tête. A bout de force, vaincu, il se jeta dans les bras du vieil homme et éclata en sanglots.

Fin du chapitre 7 – janvier 2013



Edited by Leia - 20/5/2017, 11:19
 
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