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La triste réalité

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view post Posted on 12/8/2013, 22:44
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Voilà les idées qui me sont venues après la lecture de la merveilleuse fanfic « Lettres à Juliette » de Leia. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une histoire mais plutôt de quelques épisodes de la vie de Terry et de Susanna que l’on pourrait situer avant le début de la fiction de Leia. Comme c’est la première fois que j’écris quelque chose de ce genre, j’espère que vous serez indulgents et que vous aurez, malgré tout, plaisir à lire ce texte qui ne contient sûrement rien de très original…

Premier épisode.
Après avoir vu Candy à la clinique du Docteur Martin, Terry est revenu vers Susanna, bien décidé à se reprendre. Les journalistes, très intéressés par l’histoire pathétique de la jeune actrice, n’arrêtent pas de le poursuivre de leurs questions. Et son caractère emporté va lui valoir…

Un article peu élogieux.



Lorsque Terrence Grandchester sortit du théâtre, un des deux journalistes qui l’attendaient sur le trottoir, se précipita vers lui.
-Monsieur Grandchester, est-il vrai que vous allez finalement épouser Susanna Marlowe ?
Le jeune homme sentit la moutarde lui monter au nez et repoussa brutalement de la main le micro qui était tendu vers lui, l’envoyant valser par terre.
-Quand je voudrai faire une conférence de presse, je vous en aviserai aussitôt, lança-t-il d’un ton rogue avant de poursuivre son chemin sans un regard pour les deux hommes, qui, bien qu’au fait du tempérament ombrageux de l’acteur, ne s’attendaient pas à une réaction aussi vive.
Le journaliste se pencha pour ramasser son micro, puis se tourna vers son acolyte et lui murmura tout bas : « En tout cas, mariage ou pas, il n’a rien perdu de son sale caractère… » puis, il se mit à courir derrière l’acteur qui se dirigeait à grands pas vers son automobile, garée un peu plus loin, et ajouta assez fort pour être entendu :
-Nous voulions juste une confirmation de cette information.
Terry, la main sur la portière de sa voiture, se retourna, hors de lui. Il n’avait jamais pu supporter ces parasites qui gagnaient leur vie en fouinant dans celle des autres pour étaler au grand jour, leurs joies et leurs drames les plus secrets. Surtout leurs drames.
-Cette information ? ironisa-t-il en appuyant sur le mot, la voix pleine de sarcasme.
-Oui, répliqua le journaliste, une information, et de première main encore.
Le jeune acteur fronça les sourcils en fixant son interlocuteur, et celui-ci encouragé par son air interrogateur, continua :
-De la mère de Mademoiselle Marlowe, elle-même.
-Quoi ? rugit Terry en se redressant de toute sa hauteur.
Le journaliste eut un involontaire mouvement de recul et ce fut son collègue, derrière lui, qui précisa :
-Et Madame Marlowe a dit que c’était une bonne chose, car elle pense qu’il n’est pas convenable qu’un jeune homme et une jeune fille vivent ainsi ensemble sans être mariés.
Après un moment de stupeur, Terry reprit ses esprits. Le journaliste devait dire vrai, mais il en avait assez vu et entendu. Alors voilà ce qu’elle a trouvé pour m’obliger à me marier, la vieille harpie, pensa-t-il en s’engouffrant dans son véhicule. Faire intervenir la presse ! Elle va voir de quel bois je me chauffe.
-Je n’ai rien à ajouter, gronda-t-il en faisant claquer avec brutalité la portière au nez du journaliste qui s’était rapproché de lui, manquant de lui arracher un bras.
Celui-ci observa un instant le véhicule qui démarrait sur les chapeaux de roues et marmonna, furieux :
-Il ne sait pas à qui il a affaire. Je sens que je vais tirer un article fort intéressant de cette « interview ».

***



-Tu as lu le journal ? fit Robert Hattaway, l’air passablement ennuyé. Je crains que tes problèmes sentimentaux ne finissent par déteindre sur le prestige de la compagnie.
-Que veux-tu dire ?
- Tiens… Lis, tu vas comprendre, répondit son ami et mentor en lui tendant le journal en question.
Assis, les coudes sur son bureau, le menton reposant sur ces doigts croisés, le directeur de la troupe observait avec attention son protégé, tandis que celui-ci, debout devant lui, commençait silencieusement la lecture de l’article.

Un acteur sans cœur peut-il vraiment être un grand acteur ?


L’acteur Terrence G. Grandchester semble encore hésiter à demander Susanna Marlowe en mariage. Interrogé à ce sujet il a réagi avec une rare violence, menaçant physiquement son interlocuteur. L’ex-actrice, qui, on le sait, a failli perdre la vie pour l’homme qu’elle aime, attend pourtant cet événement avec impatience, comme nous l’a fait savoir sa mère. Mais si le sulfureux acteur a accepté la jeune femme sous son toit et peut-être même dans son lit, prendre ses responsabilités et en faire une femme honorable et honorée semble être le cadet de ses soucis. La douce Susanna nous a avoué qu’elle avait parfois bien du mal à endurer le caractère acariâtre et les colères à répétition de l’homme arrogant pour lequel elle a sacrifié sa carrière. Elle reste malgré cela prête à tout pour le satisfaire, alors que lui ne semble voir en elle qu’une passade qu’il pourra laisser tomber dès qu’il se sera lassé d’elle. On ne voit pas comment cet homme sans cœur pourrait à nouveau grimper au firmament des étoiles, comme ses débuts prometteurs pouvaient le laisser présager. A ce propos, on pourra se rappeler la dernière prestation de l’acteur, bien loin du génie auquel il nous avait habitués avant de disparaître soudainement de la scène théâtrale, créant un scandale sans précédent. On se demande d’ailleurs bien, comment ce directeur prestigieux qu’est Robert Hattaway, a pu accepter de reprendre l’acteur dans sa troupe, après la grave dépression qui a fait sombrer celui-ci dans l’alcool et la drogue...



Terry, qui au fur et à mesure de la lecture, avait senti croître son irritation et sa fureur, froissa avec rage le journal et le lança à travers la pièce, hors d’état de poursuivre sa lecture plus avant.
-C’est un tissu de mensonges. Je n’ai jamais touché à la drogue, explosa-t-il, incapable de se contenir plus longtemps.
-Je le sais, mais le public lui, croira ce qui est écrit…
-Et ces allusions…
Le jeune acteur se mit à marcher de long en large, à grands pas furieux. Il s’arrêta soudain face à Robert, faisant voler ses longs cheveux autour de sa figure, et s’écria en écartant les bras :
-Qu’est-ce que je vais faire ? Ou plutôt qu’est-ce que je dois faire ?
-D’abord, assieds-toi, lui répondit le directeur d’une voix posée, tu me donnes le tournis à marcher en rond comme un lion en cage !
-Je n’ai pas envie de m’asseoir ! fit le jeune homme, excédé. Et puis… Et puis je sais ce que je vais faire… je vais, de ce pas, dire ce que je pense à ce journaliste sans scrupules !
-Terry ! C’est la dernière chose à faire ! Tu ne peux te mettre la presse à dos ! Pas avec ton métier !
-Je n’ai pas l’intention de me laisser dicter ma conduite par la presse ! rétorqua Terry avec colère. Surtout pas par ce genre de presse !
- Écoute Terry, cet article, c’est sûrement le résultat de ton entrevue de la dernière fois. Tu as dû indisposer le journaliste. J’ai vu comment tu lui as parlé.
-Et comment voulais-tu que je réagisse ?
Terry secoua la tête et serra les poings en se rappelant l’entrevue qu’il avait vécue comme une véritable agression à sa vie privée. En ce qui concernait l’article, Robert avait évidemment raison. Il s’agissait sûrement d’une basse vengeance de cet odieux journaliste. Pourtant, le jeune homme avait cru l’incident clos après sa violente dispute avec Madame Marlowe, ce soir-là. Et comme il fallait s’y attendre, la « douce » Susanna s’était effondrée en pleurs. Au souvenir de la scène, Terry souffla bruyamment entre ses mâchoires crispées. Quelle comédienne, cette Susanna, alors qu’elle venait débiter toutes ces méchancetés au journaliste. Mais en y réfléchissant bien, le jeune acteur, les sourcils froncés, se demandait s’il s’agissait bien des paroles de sa compagne. Elle l’aimait tant qu’elle n’aurait sans doute pas délibérément cherché à lui porter préjudice. Tout était de la faute de ce cerbère qui lui tenait lieu de mère et qui n’arrêtait pas de la monter contre lui.
-Il est vrai, continuait Robert, qu’un bon acteur peut se permettre d’avoir un caractère difficile, cela peut même lui donner un plus. Mais toi, tu n’as pas encore prouvé que tu étais devenu ce que tu promettais d’être avant ton escapade et en plus tes relations avec Susanna…
-Quoi, mes relations avec Susanna ? s’emporta le jeune homme, le coupant au milieu de sa phrase.
-Eh bien, soit tu as vraiment l’intention de t’occuper d’elle jusqu’à la fin de ses jours…
-Évidemment que j’en ai l’intention, l’interrompit Terry agacé.
-Mais alors, pourquoi ne pas l’épouser ? Le journaliste n’a pas tort, tu sais, cela ferait taire les mauvaises langues…
-Je ne peux pas l’épouser. Ce serait comme… comme si j’épousais ma sœur…
Robert Hattaway poussa un profond soupir et s’enquit :
-Ce n’est pas à cause de cette jeune femme pour laquelle tu m’avais demandé un billet spécial lors de la première de Roméo et Juliette ? Candice Neige André, si je me souviens bien…
Candy, pensa Terry, une boule douloureuse se formant au fond de sa gorge et l’empêchant de répondre, Candy, comme tu me manques, comme j’aurais besoin de toi, là, à mes côtés. Toi, tu saurais me conseiller. Le soudain changement dans l’expression du jeune homme, dans son regard qui s’était perdu au loin, toute son attitude était une réponse suffisamment claire pour qui le connaissait.
-Écoute, dit son ami en se levant de son bureau et en venant lui entourer les épaules de son bras. Je ne veux pas te bousculer, mais il faut faire quelque chose. Rentre chez toi et réfléchis-y !

***



Terry avait réfléchi, toute la journée et toute la nuit qui avait suivi, enfermé dans son bureau, après s’être une fois de plus disputé avec Susanna et sa mère. Mais ce mariage avec la jeune femme qui vivait sous son toit… il n’arrivait pas à se faire à une pareille idée. C’était tellement… définitif… et cela sonnait tellement faux… Et impossible d’imaginer une seconde que ses sentiments pour Susanna, pourraient un jour évoluer. Son cœur appartenait déjà à une autre et malgré toute sa bonne volonté, rien ni personne ne pourrait jamais y changer quoi que ce soit. D’ailleurs, s’il voulait être honnête avec lui-même, il devait bien s’avouer qu’il n’avait pas vraiment envie d’y changer quoi que ce soit. Il chérissait tant ce coin secret de son cœur, malgré la torture que cela lui infligeait. Il avait par conséquent décidé, dans un premier temps, de travailler dur pour clore le bec à ce misérable journaliste qui s’était permis de mettre en doute son talent d’acteur, il s’occuperait du reste après. Il passait donc désormais ses journées au théâtre, ou dans son bureau, à lire de nouvelles pièces et étudier de nouveaux rôles. Étonnamment, Susanna ne s’en était pas plainte, trop heureuse semblait-il de voir son Terry en train de repartir à l’assaut des sommets et de la gloire. Madame Marlowe, elle-même, avait cessé de le houspiller sans arrêt, ce qui le laissait un peu songeur. Et il pouvait être satisfait des résultats qui ne s’étaient pas faits attendre : un tonnerre d’applaudissements avait salué sa dernière apparition sur scène et les critiques n’avaient pas tari d’éloges à propos de sa prestation dans le rôle de Hamlet. Mais toutes ces louanges n’était rien comparées aux compliments que lui avait fait Robert juste après la fin de la pièce :
-Je suis heureux de voir que tu tiens le bon bout, avait-il dit. Tu as vraiment été extraordinaire ce soir. Je savais que je pouvais te faire confiance.
Terry avait eu l’impression de flotter sur un petit nuage, d’autant que son vieil ami s’était totalement abstenu de lui reparler de Susanna depuis le fameux jour de l’article. Robert Hattaway comprenait parfaitement les réticences du jeune homme pour ce mariage et il avait considéré que puisque son protégé s’était remis sérieusement au travail, sa vie privée ne le concernait plus.

Cependant, le temps passant, la question du mariage fut peu à peu remise sur le tapis, tout d’abord de façon timide, de la part de Susanna, puis de façon plus appuyée par la reine mère. Terry ne savait plus quels arguments avancer :
-Tu sais que je t’aime bien, Susanna, mais seulement comme une sœur… lui déclara-il un soir, alors qu’ils étaient seuls en train de dîner.
-Ce n’est pas grave, répondit celle-ci avec douceur, le fixant de ses grands yeux candides. Je te demande juste de régulariser notre situation.
-Notre situation ? Mais il ne se passe rien entre nous !
-Tais-toi, fit la jeune femme en se cachant la figure entre les mains.
Terry soupira et tendit la main pour prendre celle de Susanna. Celle-ci s’écarta de lui et, les yeux brillants de larmes, gémit :
-Je ne peux plus supporter tous ces gens qui jasent autour de nous.
-Les gens jasent autour de nous ? s’étonna le jeune homme qui n’avait absolument rien remarqué. Quels gens ?
-Oh… Les gens… Toute sorte de gens…
La réponse ne satisfaisait pas vraiment Terry qui insista :
-Mais plus précisément ?
-Eh bien, d’après ma mère…
Elle ne put aller plus loin. Terry s’était brusquement relevé, renversant au passage le verre de vin qu’il venait de porter à ses lèvres. Il se tenait maintenant, les mains crispées sur la nappe, penché vers elle, un air sauvage sur la figure, et il éclata :
-Ta mère ! Ta mère ! J’en ai assez de ta mère !
-Terry, je t’en supplie…
-Tu ne comprends donc pas ? poursuivit-il avec violence en s’écartant de la table. Même si je me mariais avec toi, je ne pourrai faire de toi une vraie femme… Quel intérêt de se marier alors, dis-moi ?
-Eh bien, sanglota sa compagne en le suivant des yeux tandis qu’il arpentait la pièce, je… je pourrais… m’en contenter… Je t’aime… Je t’aime Terry… Plus que tout au monde… et si… si c’est ainsi que tu… que tu envisages le mariage… je suis prête à… je suis prête à l’accepter.
Le jeune homme s’immobilisa et contempla, abasourdi, la femme qui pleurait devant lui. Que venait-elle de d’affirmer là ? Sa colère tomba d’un coup.
-Tu veux dire que tu serais d’accord pour contracter un mariage blanc ?
Mais pourquoi lui as-tu posé une question pareille, se morigéna-t-il aussitôt. Elle va se faire des idées…Et en voyant combien le visage de Susanna s’était éclairé, il comprit qu’il venait de s’engager dans une voie qu’il risquait de regretter sous peu.
-Ce n’est pas du tout ainsi que je conçois le mariage, déclara-t-il d’une voix ferme pour mettre fin aux folles espérances de la jeune handicapée.
-Oh Terry ! On pourrait au moins essayer !
Essayer ? Tout cela n’avait pas de sens ! Le mariage n’était pas une chose qu’on pouvait essayer. En tout cas c’était son avis. Il ne pouvait y avoir de mariage entre elle et lui et il n’y aurait pas de mariage. Mais une partie de lui-même continuait à étudier le problème d’un autre point de vue : puisqu’il était bloqué là, avec elle, autant lui donner vraiment satisfaction, ce qu’il n’avait pas réussi à faire jusqu’à présent. Après tout, si elle n’en demandait pas plus, pourquoi ne pas lui offrir ce petit plaisir supplémentaire et régulariser la situation, comme elle avait si bien dit ? Mais non, quelle idée saugrenue… Le mariage avec elle était totalement inenvisageable !

***



Terry était en train de se changer dans sa loge tout en songeant à son prochain mariage avec Susanna, maintenant prévu dans moins d’un mois. Pourquoi donc avait-il finalement dit oui ? Par culpabilité, sûrement, comme pour tout ce qui concernait Susanna. Mais pouvait-on fonder une relation saine sur la culpabilité ? A partir du moment où il avait bêtement cédé aux pressions conjuguées de Susanna et de sa mère, celles-ci n’avaient eu de cesse d’obtenir une date pour le mariage. Il avait repoussé sans cesse ce moment fatidique, avec l’impression que tant qu’il ne serait pas marié, il restait libre pour Candy. Libre ! Il eut un rire de dérision. Comment avait-il pu s’imaginer être libre alors qu’il se trouvait pieds et poings liés avec une femme qu’il n’aimait pas ? Comment Candy prendrait-elle la chose ? Égoïstement il espérait qu’elle en souffrirait. Mais à peine cette pensée peu charitable avait-elle surgi dans son esprit, qu’il se reprit. Non, non ! Je lui avais demandé, que dis-je, supplié d’être heureuse sans moi, pensa-t-il. Et elle y était parvenue. Il eut un pincement au cœur en se rappelant ce moment cruel, où il l’avait vue, sortant de la clinique du docteur Martin, entourée d’enfants avec qui elle riait sans retenue. Contrairement à lui, elle semblait s’être parfaitement remise du choc de leur séparation et avoir tiré un trait sur leur passé. Albert avait sûrement eu raison de lui conseiller de ne pas s’immiscer à nouveau dans sa vie. Le seul bon côté de ce douloureux épisode était que la vue de Candy lui avait redonné un courage qu’il avait cru perdu à jamais et il s’était promis, pour elle, de remonter la pente et de tenir bon. Il tiendrait donc bon. Et s’il fallait en passer par le mariage, il se marierait.

***



Deuxième épisode.
Malgré un article peu élogieux, Terry a réussi à reprendre sa carrière en main. Et pressé par Susanna et sa mère il a fini par consentir à se marier avec celle qui vivait depuis si longtemps sous le même toit que lui. Mais ses bonnes résolutions vont finir par être mis à mal par…

Un rêve troublant.




Terry s’arrêta devant la porte de l’appartement et soupira en fermant les yeux. Pourquoi diable avait-il accepté ce mariage ? Pour la même raison qui l’avait poussé à accepter le départ de Candy. Une culpabilité écrasante qu’il n’avait pas réussi à surmonter et dont avait habilement joué cette femme qui voulait à tout prix caser sa fille. Il espérait que Susanna serait couchée, pour une fois, car il était vraiment tard, et ce soir, tout particulièrement, il se sentait complètement épuisé. La répétition s’était éternisée à cause de ce nouvel acteur que le directeur de la troupe avait accepté de tester. Enfin « acteur » était un bien grand mot pour définir ce jeune sot qui croyait tout savoir et qui en savait si peu, et d’ailleurs, s’il n’avait tenu qu’à lui, il l’aurait tout de suite mis à la porte après sa très médiocre prestation. Mais, contrairement à ses habitudes, Robert, qui semblait bien connaître le père du jeune homme, lui avait promis de lui donner sa chance. Fort heureusement, il ne l’avait pris qu’à l’essai. Et bien sûr, en l’absence du directeur qui devait se rendre à Chicago, c’était à lui, Terry, que l’on avait confié la tâche ingrate d’expliquer à ce débutant sans talent, ce qu’il convenait de faire ou de ne pas faire. Plusieurs fois il avait failli perdre patience tant le jeune homme paraissait sûr de lui et peu intéressé par ses conseils. Dans ces conditions, les chances qu’il intègre véritablement la troupe étaient infimes...
-Terry ! s’exclama Susanna en entendant le grincement que fit la porte d’entrée lorsqu’il la poussa.
Il soupira une fois de plus, dépité, pénétra dans le salon et aperçut les traits tirés de la jeune handicapée en chemise de nuit dans son fauteuil roulant. Elle lui souriait d’un air soulagé, et il répondit d’un ton las :
-Susanna… Tu n’es pas couchée ?
-Je t’attendais… Tu rentres si tard ! lui fit-elle, une nuance de reproche dans sa voix flûtée.
-Les répétitions, tu sais ce que c’est…
-Oui, je sais mon chéri, minauda-t-elle, mais je ne t’ai pas vu de la journée. Pourquoi es-tu parti si tôt ce matin ? Sans même me dire au revoir…
-J’avais à faire, marmonna Terry agacé. Cela ne te regarde pas.
Ce matin-là, très tôt, il s’était réveillé au beau milieu d’un merveilleux rêve et avait eu du mal à reprendre pied dans la réalité. En apercevant la jeune femme couchée auprès de lui, il avait eu l’impression de s’être réveillé en plein cauchemar et avait senti le besoin impérieux de quitter au plus vite l’endroit. Après avoir pris un semblant de douche, il s’était retrouvé dehors en deux temps, trois mouvements, parcourant d’un pas rapide les rues encore peu fréquentées à cette heure-là, tout en repassant sans trêve dans sa tête, le rêve qu’il venait de faire : ce n’était pas un de ces rêves où il était désespérément à la recherche d’une Candy introuvable. Non, dans ce rêve-ci, il avait été appelé d’urgence à l’hôpital où l’on avait transporté Susanna, victime d’un grave accident de la route. Lorsqu’il s’était introduit dans sa chambre, son cœur avait douloureusement bondi dans sa poitrine. Il reconnaissait les boucles dorées de l’infirmières penchée au-dessus de la jeune accidentée.
-Candy ?
Celle-ci avait relevé la tête. Son visage exprimait la plus grande inquiétude.
-Terry… Elle va très mal, et elle veut te parler…
Le regard du jeune homme était resté rivé un long moment sur les yeux émeraude de celle qu’il n’était pas parvenu à oublier, malgré le temps, et il avait été pris d’une envie irrépressible de s’approcher d’elle et de la serrer dans ses bras pour se fondre en elle. Mais ce n’était ni le lieu, ni le moment.
-Candy, avait-il répété, hébété par le tourbillon de sentiments qui l’avait envahi.
La jeune infirmière s’était redressée, lui avait fait un sourire triste et lui avait dit en passant près de lui :
-Je vous laisse tous les deux, elle n’en n’a plus pour longtemps.
Elle avait quitté la pièce sans se retourner et il l’avait suivi des yeux. Il avait été sur le point de courir après elle. Il n’allait pas, cette fois-ci encore, la laisser partir sans la retenir pour de bon. Mais une voix faible et implorante l’avait retenu :
-Terry…
Il s’était retourné à contrecœur. Susanna s’était sacrifiée pour lui et aujourd’hui, elle était en train de mourir. Il ne pouvait être question de l’abandonner maintenant. Il s’était approché d’elle, lui avait doucement pris une main dans la sienne, tout en relevant avec douceur de l’autre, une mèche de ses cheveux blonds.
-Je suis là Susanna.
-Terry… Je… Je vais mourir…
-Chut… chut… Tout va aller bien maintenant. Les docteurs vont s’occuper de toi.
-Non… avait-elle murmuré d’une voix tremblante, des larmes perlant au bord de ses paupières. Je le… Je le sens.
-Ne parle pas, tu te fatigues. Tu dois reprendre des forces.
Susanna avait pris une grande inspiration et déclaré tout doucement :
-Terry… Pardon…
Le jeune homme en était resté sans voix. Pardon ? Pourquoi la jeune femme lui demandait-elle pardon ?
-Je t’aime tant… avait continué Susanna. Sois heureux avec Candy…
Et elle lui avait fait un sourire lumineux juste avant de rendre son dernier souffle, le laissant là, impuissant et incrédule, emporté par un maelström de sensations. Quelques instants plus tard, Candy était revenue. Il s’était jeté sans un mot dans ses bras et lorsque celle-ci avait commencé à répondre à son étreinte, il s’était senti revivre. Malheureusement, son rêve avait pris fin et il s’était réveillé alors qu’il était sur le point de l’embrasser, elle, l’élue de son cœur.
Terry serra les mâchoires. La réalité, la triste réalité était là devant lui, en fauteuil roulant, et il allait falloir vivre avec. Susanna le dévisagea et ses grands yeux bleus se gonflèrent de larmes.
-Oh, Terry…
Terry sentit la confusion et la culpabilité l’envahir. Tant qu’ils n’étaient pas mariés, il pouvait toujours espérer que Susanna finirait par comprendre qu’ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre et qu’elle le libèrerait de sa promesse. Mais depuis qu’il avait accepté ce mariage, rien n’était plus pareil et après le rêve de cette nuit, il s’était surpris, plus d’une fois, au cours de la journée, à penser que si Susanna disparaissait vraiment, il serait enfin libre. Libre d’aller retrouver celle que son cœur appelait de tous ses vœux. Mais… non ! Ce n’étaient pas des pensées dignes d’un gentleman, et il les repoussait à chaque fois avec toute la détermination dont il se sentait capable. Mais sournoisement, elles lui revenaient à l’esprit et le minaient. Heureusement, la répétition, tout à l’heure au théâtre, lui avait permis de mettre momentanément ces sordides idées de côté. Et cela grâce au jeune abruti qui avait accaparé toute son attention, incapable qu’il était de se mouvoir correctement sur scène. Mais à présent, en face de Susanna, elles revenaient, avec plus de force que jamais et il se sentait écrasé par la honte. Comment pouvait-il vouloir du mal à cet être fragile et sans défense, cet être qui l’aimait tant ? Il esquissa un sourire contraint et s’excusa :
-Désolé Susanna, je n’aurais pas dû dire ça.
La jeune femme continuait à le fixer, une larme perlant au bord de ses longs cils. Elle attendait sans doute des explications qu’il n’avait aucune envie de lui fournir.
-Je ne me sentais pas bien ce matin, finit-il par laisser tomber avec lassitude, et j’ai éprouvé le besoin de sortir. C’est tout.
-Tu penses encore à elle, se lamenta-t-elle amèrement, ses larmes roulant maintenant le long de ses joues pâles. C’est pour cela que tu ne veux toujours pas consommer notre mariage !
Malgré ses promesses, Susanna n’avait eu de cesse de mettre Terry dans son lit. C’était là, la place d’un mari répétait-elle, butée. Elle ne pouvait s’endormir, disait-elle, en le sachant loin d’elle. De guerre lasse, il avait fini par obtempérer et passait en général la nuit auprès d’elle. Mais malgré l’insistance de sa femme, il n’était jamais allé plus loin.
Le visage de Terry se ferma.
-C’est avec toi que je suis ! s’exclama-t-il furieux. Cela ne te suffit-il donc pas ?
Qu’espérait-elle donc en le séparant de Candy ? Qu’il l’oublierait d’un coup de baguette magique ? Susanna était certes gentille, aimante, cherchant à tout faire pour le satisfaire. Mais elle n’était pas Candy et ne pourrait jamais remplacer Candy. Il avait bien tenté, après sa descente aux enfers, de faire évoluer ses sentiments pour la jeune actrice mais ceux-ci n’avaient pas dépassé le stade des sentiments fraternels. Après avoir aperçu Candy à la clinique du docteur Martin, il s’était juré de trouver un semblant de bonheur auprès de Susanna. Mais il avait misérablement échoué. Et pourquoi avait-il finalement accepté de se marier ? Se mariait-on avec sa sœur ? Lui qui ne comprenait pas comment son père avait pu préférer faire un mariage de convenance plutôt que de vivre sa vie avec celle qu’il aimait, voilà qu’il marchait sur ses traces. Il serra les mâchoires devant l’ironie de la situation. La vie était bien cruelle lui avoir enlevé Candy alors qu’il venait enfin de la retrouver. Il vit Susanna se cacher le visage entre les mains et reprit avec plus de douceur.
-J’ai fait ce que j’ai pu, mais je vois bien que je ne te rends pas heureuse.
Et comment l’aurait-il pu ? Chaque fois qu’il posait ses yeux sur elle, il avait l’impression qu’on retournait un couteau dans la plaie béante qu’était devenu son cœur. C’était à cause de Susanna qu’il avait perdu le goût de vivre et cela le rendait froid et distant. Il n’arrivait même plus à avoir avec elle cet esprit de camaraderie qui les liait auparavant, avant ce tragique accident qui avait brisé ses rêves de bonheur en mille morceaux.
-Je t’aime Terry ! reprit-elle en sanglotant. Et toi, tu ne me regardes même pas !
-On ne peut contrôler ses sentiments, répondit-il d’un air dur. Si c’était le cas, je t’aurais demandé de cesser de m’aimer.
-Oh ! Terry ! Comment peux-tu envisager de me demander une chose pareille ?
-Alors cesse de me demander l’impossible. Je ne t’aime pas et je ne t’aimerais jamais.
Le jeune homme regretta ses paroles dès qu’il les eut prononcées. Susanna porta une main devant ses lèvres tremblantes en se décomposant. Elle éclata en sanglots tout en dirigeant de l’autre main son fauteuil roulant vers la porte du salon, avec l’intention d’en sortir. Terry fut derrière elle en trois pas, retint le fauteuil, le contourna et s’accroupit face à la jeune fille.
-Pardon Susanna. Je n’avais pas l’intention de te faire du mal. C’est juste… c’est juste que ce soir je suis très, très fatigué. Robert a engagé une espèce de clown qui n’a aucune idée de ce que c’est que de jouer sur scène, et qui est bien trop imbu de sa personne pour profiter des conseils qu’on veut bien lui donner.
Elle le regardait, en continuant à sangloter sans rien dire, le visage inondé de larmes. Il se releva, se pencha vers elle et l’enleva dans ses bras en lui murmurant :
-Tu permets ?
Susanna acquiesça en hoquetant, trop heureuse d’être dans les bras de l’homme qu’elle aimait plus que sa vie. Elle ferma ses yeux gonflés de larmes en passant ses bras autour de son cou et appuya avec confiance sa tête contre son épaule, respirant avec bonheur cette odeur qu’elle chérissait. Elle pouvait tout endurer pour des moments comme celui-ci. Terry, le cœur lourd, la porta jusqu’à leur chambre et la déposa délicatement dans le lit. Il la borda et l’embrassa sur le front.
-Je t’aime, fit la jeune femme d’une toute petite voix.
-Dors Susanna. Tu en as besoin.
Il se rendit ensuite dans la salle de bain pour se rafraîchir et se changer. Les pensées se bousculaient en désordre dans sa tête. Même s’il n’avait fait qu’énoncer la vérité, il n’avait pas à être aussi dur avec la jeune femme. Elle l’aimait vraiment, elle était même prête à mourir pour lui. Mais il ne pouvait nier qu’il se serait bien passé de cet amour envahissant dans lequel il avait la désagréable impression de s’enliser et d’étouffer. C’était Candy qu’il aurait voulu tenir dans ses bras, c’était Candy qu’il aurait voulu porter dans son lit, pas Susanna. Lorsqu’il revint dans la chambre, la jeune femme s’était assoupie, à son grand soulagement. Cela coupait court à la discussion. Il se glissa sans bruit sous les couvertures, mais contrairement à sa compagne, ne put malgré sa fatigue, trouver tout de suite le sommeil. Candy hantait ses pensées. J’aimerais tant poursuivre le rêve d’hier, pensa-t-il avec tristesse et amertume. Le rêve, c’est tout ce qui me reste, le rêve et le théâtre.

***



Troisième épisode.
Terry a fait un rêve qui sape la nouvelle réalité qu’il est en train d’essayer de se construire. Mais il aurait encore pu surmonter cet état de choses sans la désagréable et constante présence de cette femme qui est véritablement…

Une encombrante belle-mère.



On frappa à l’entrée et la voix aigre de Madame Marlowe s’éleva derrière la porte :
-Terrence ? Terrence ? Voulez-vous bien m’ouvrir ?
Terry, furieux, se dirigea vers la porte d’entrée.
-Elle ne peut jamais nous laisser tranquille, celle-là ?
-Terry, fit la voix implorante de Susanna, c’est ma mère.
-Justement ! répondit-il sur un ton cassant. Ce n’est pas d’elle dont j’ai promis de m’occuper !
S’il se sentait coupable envers la jeune fille, il en voulait à mort à sa mère qui avait profité de sa jeunesse et de son inexpérience pour mettre sur ses épaules un fardeau dont il n’avait pas compris l’ampleur à l’époque. Les tragiques événements qu’il venait de vivre l’avaient mis dans un état d’hébétude tel qu’il lui avait été impossible de raisonner correctement, impossible de se projeter dans l’avenir, impossible, ne serait-ce que d’imaginer à quel point sa vie, sans Candy, pourrait se révéler misérable, impossible de se rendre compte que cette rupture ne pourrait rien apporter à quiconque, puisqu’il ne semblait pas capable d’offrir le bonheur à Susanna. Cette soirée, qui aurait dû être une mémorable soirée de triomphe s’était achevée en un épouvantable désastre. Par quelle aberration s’était-il laissé convaincre par les paroles de Candy ? Pourquoi n’avait-il pas compris qu’ils étaient tous deux en train de faire un sacrifice inutile et dont ils allaient payer le prix fort ? Terry se secoua, ouvrit la porte et fit entrer une Madame Marlowe furibonde d’avoir dû patienter. Il l’invita à entrer d’un sourire froid et, comme il s’y attendait, celle-ci, avant même de pénétrer dans le hall de l’appartement, commença ses doléances :
-Terrence ! Ma fille vous a sauvé la vie et depuis, la sienne est un enfer !
-Et la mienne ? s’étrangla Terry. C’est vous qui nous avez mis dans cette situation votre fille et moi, en m’obligeant à prendre des responsabilités qui n’étaient pas les miennes. Je n’ai jamais rien demandé à personne et certainement pas à votre fille de me sauver la vie…
-Elle aurait mieux fait de vous laisser mourir ce jour-là, cracha la femme en face de lui.
-Eh bien ! lui jeta le jeune homme qui sentait la fureur l’envahir, c’est bien la première fois que je suis d’accord avec vous, Madame Marlowe. La vie, dans ces conditions, ne vaut vraiment pas la peine d’être vécue…
-Assez, cria une voix provenant du salon. Assez, je vous en supplie !
Terry se tut mais Madame Marlowe continua sur le même ton en pénétrant dans le salon et en tendant le bras en direction de sa fille :
-Voyez donc l’état dans lequel elle se trouve par votre faute ! Et je ne parle pas que de son état physique !
Terry sentait la rage bouillonner en lui. Cette vieille mégère faisait vraiment tout pour lui rendre la tâche plus difficile encore. Il ne se sentait pas le courage d’affronter encore une fois tous les reproches qu’elle avait l’habitude de lui faire. Il aurait dû avoir plus de cran et lui dire qu’il était ici chez lui, et que si elle n’était pas contente, elle n’avait qu’à partir. Au lieu de cela, il se saisit de son pardessus et, les dents serrées, siffla :
-Je vous laisse avec votre fille, Madame Marlowe, vous n’avez certainement pas besoin de moi, ici.
Puis il sortit en claquant violemment la porte derrière lui. A peine sorti, il se laissa aller, dos contre le chambranle de la porte, les deux mains recouvrant son visage. Il entendit encore la voix de la vieille harpie :
-Quel garçon insolent et mal élevé ! C’est une honte !
-Maman…
-Je ne comprends vraiment pas ce que tu lui trouves !
-Maman, s’il te plaît…
Ce n’était plus possible. Ce n’était plus vivable. Qu’était-il advenu du garçon rebelle qui ne laissait personne lui marcher sur les pieds ? Si Candy avait été là, il ne se serait pas laissé faire ainsi. Candy… Terry prit plusieurs profondes respirations pour se calmer et rouvrit doucement la porte.
-Madame Marlowe, j’ai changé d’avis, annonça-t-il sur un ton froid et impersonnel.
La mère de Susanna qui ne l’avait pas entendu rentrer sursauta et se retourna, sans savoir quoi répondre, pour une fois. La détermination qu’elle lisait dans les yeux du jeune homme y était sans doute pour quelque chose.
-Ma place est auprès de Susanna, continua Terry sur le même ton glacial, et nous avons tous deux besoin d’un peu d’intimité.
-Comment ? Mais…
-Au cas où vous ne le sauriez pas, je suis ici chez moi ! la coupa Terry, péremptoire. Et je vais vous prier poliment de quitter les lieux, et à l’avenir, de ne plus mettre les pieds chez moi sans ma permission.
Il tenait la porte ouverte d’une main et lui indiquait la sortie de l’autre. Madame Marlowe s’étranglait d’indignation et n’arrivait plus à trouver ses mots. Elle chercha du soutien auprès de sa fille, mais celle-ci déclara d’une toute petite voix :
-Je crois… je crois que Terry a raison, Maman.
Madame Marlowe, abasourdie, ne pouvait en croire ses yeux et ses oreilles. Sa fille, sa propre fille, sa fille adorée pour laquelle elle s’était toujours coupée en quatre, sa fille la trahissait et prenait fait et cause pour cet homme insupportable et arrogant. Cela plus que tout le reste la décida et, tremblante de colère, elle prit son chapeau, son manteau et son sac et sortit aussi dignement que possible de l’appartement.
-Vous ne perdez rien pour attendre, réussit-elle à cracher au jeune homme qui contemplait sa fille avec une certaine perplexité.
-Je n’en doute pas un instant, fut la réponse, sarcastique.
Lorsque la porte se fut refermée sur sa belle-mère, Terry poussa un long soupir de satisfaction en sentant toute la tension et la frustration de ces derniers jours fondre comme neige au soleil. Il aurait dû s’occuper de cette insupportable belle-mère depuis bien longtemps. Il se tourna vers son épouse :
-Je suis désolée, Susanna, mais à partir de maintenant je ne veux plus voir ta mère ici.
La jeune femme baissa la tête. Elle comprenait le point de vue de l’homme de sa vie, mais c’était tout de même de sa mère dont il s’agissait là.
-Terry, je…
-Inutile d’insister, la coupa-t-il sèchement. Je ne saurais supporter plus longtemps les accusations et sarcasmes de ta mère. Ce n’est pas sain pour notre couple. Je me suis engagé à m’occuper de toi et je le ferai, à la condition expresse de ne plus la voir ici.
-Je… Je comprends, murmura la jeune femme en contemplant le sol devant elle, les yeux pleins de larmes.
-Mais bien sûr, je ne t’empêche pas d’aller la voir.
Le visage de Susanna s’éclaira :
-Vrai ? Tu n’exiges pas que je cesse de la voir ?
L’idée même de ne plus voir sa mère l’avait mise à la torture. Elle adorait sa mère et elle ne comprenait pas comment les deux êtres qu’elle chérissait le plus, pouvaient se vouer une pareille haine.
- C’est ta mère après tout et il est normal que tu continues à lui rendre visite. Je suis même prêt à t’accompagner chez elle chaque fois que tu le désireras.
-Oh, Terry…
Elle ne put continuer et éclata en sanglots.
-Eh bien quoi ? se moqua le jeune homme, si l’idée d’aller voir ta mère te met dans cet état, je ne te force pas ! Moi franchement, à ta place, je la laisserais là où elle est…
-Terry ! s’indigna la jeune femme en séchant ses larmes.
Et celui-ci éclata de rire, d’un rire clair qu’elle n’avait pas entendu depuis longtemps.

***



Quatrième épisode.
Après s’être enfin débarrassé de la présence envahissante de Madame Marlowe, Terry espère pouvoir couler des jours tranquilles auprès de son épouse. Mais c’est sans compter sur…

La terrible maladie de Susanna.




Lorsque Susanna, quelques mois plus tôt, s’était mise à se plaindre de douleurs abdominales, Terry avait commencé par mettre ces plaintes sur le compte des nombreuses jérémiades dont sa femme avait l’habitude d’user et d’abuser pour se faire dorloter davantage. Elle savait qu’il lui suffisait la plupart du temps, de se mettre à pleurer pour qu’il se sente obligé de la prendre dans ses bras, écrasé qu’il était par la culpabilité de la savoir dans cet état par sa faute. Mais parfois, son petit manège restait sans effet et ce jour-là, alors qu’elle se plaignait une énième fois de violentes douleurs dans le bas-ventre, il ironisa :
-Tu comptes jouer à la malade longtemps ?
Elle l’avait contemplé à la fois blessée et indignée.
-Je ne joue à rien Terry, j’ai vraiment mal, mais puisque ma santé ne t’intéresse pas, je vais cesser de t’ennuyer avec mes problèmes.
Et contre toute attente, Susanna avait effectivement cessé de se plaindre. Mais parfois, lorsqu’elle pensait qu’il ne la voyait pas, il surprenait sur son beau visage lisse une grimace de douleur. Par acquit de conscience, il avait fait venir un médecin qui, comme il s’y attendait, n’avait rien trouvé d’anormal et avait juste conseillé un peu de repos à la jeune femme. Puis Terry avait commencé à se poser des questions et à s’inquiéter vraiment. Son épouse, qui avait déjà habituellement un teint plutôt pâle, semblait maintenant avoir encore perdu des couleurs et sa peau, devenue blafarde, laissait voir par transparence le fin réseau veineux qu’elle recouvrait. Certains jours, Susanna ne se sentait même plus le courage de se lever de son lit.
-Tu veux que je fasse venir quelqu’un ?
-C’est juste un peu de fatigue, ne t’inquiète pas, ça ira mieux demain.
Terry, le visage soucieux, passait de longs moments auprès d’elle et elle finit par lui dire sur un ton taquin :
-Finalement, je vais bénir cette maladie qui me permet de profiter de ta présence comme jamais auparavant.
Ce fut l’époque du ballet incessant des médecins venant se pencher au chevet de la malade. Mais si aucun d’entre eux ne put dire exactement de quoi souffrait la jeune femme, chacun semblait à présent persuadé de la gravité de son état. Celui-ci se dégradait si vite que l’on pouvait se demander combien de temps elle allait tenir encore. Terry avait même pensé faire venir Candy ou au moins lui demander conseil. Après tout, elle était dans le milieu médical. Mais en imaginant la scène des retrouvailles, il avait finalement repoussé cette idée. Il ne pouvait être question d’obliger Susanna à supporter la présence de sa rivale et il ne se voyait pas, non plus, en train d’accueillir Candy, alors que Susanna se mourait dans son lit. Madame Marlowe, qu’il ne pouvait décemment plus tenir à l’écart de sa fille dans ces conditions, avait repris ses quartiers dans leur appartement. Elle n’avait pas manqué de reprocher à son beau-fils de ne pas avoir fait venir plus tôt les médecins et affirmait à qui voulait l’entendre que c’était lui qui était en train de la tuer à petit feu.

Le jeune homme se sentait horriblement coupable et mal à l’aise. Depuis ce fameux rêve, n’avait-il pas souhaité plus de mille fois la disparition de sa femme? Et voilà que son vœu était sur le point d’être exaucé. Il allait être libre. Mais libre de quoi faire ?

Terry dévisagea longuement son épouse. Elle avait beaucoup changé. Curieusement, durant cette période, Susanna avait perdu l’habitude de pleurer pour un oui ou pour un non. De l’enfant pleurnicheuse et gâtée qu’elle avait été, il ne restait plus rien. Elle s’était soudainement muée en une jeune femme forte et raisonnable affrontant avec un courage qu’il ne lui connaissait pas, une maladie qui allait sans doute la conduire à la mort. Il faut dire que Terry faisait beaucoup plus attention à elle et aux paroles qu’il lui destinait, et qu’il multipliait envers elle les gestes tendres. Une complicité certaine s’était peu à peu installée entre les deux jeunes gens, et sans le spectre de la mort prochaine de Susanna et les éclats furieux de sa belle-mère qui l’accusait de tous les maux, le jeune acteur aurait même pu se mettre à apprécier ces moments qu’il passait en présence de la jeune femme. Il avait remarqué qu’elle avait également cessé de se plaindre des maux inhérents à sa maladie et s’étonna, un jour qu’il était assis auprès d’elle sur le lit :
-Tu n’as plus mal ?
Susanna l’observa un long moment sans rien dire, fit un petit sourire triste puis baissa la tête.
-Si, mais à quoi bon en parler… Tu te fais déjà tant de soucis pour moi. Et moi, qu’est-ce que je t’apporte ?
-Tu dois me dire quand tu as mal, Susanna. Les médecins m’ont dit ce que je pouvais faire pour te soulager !
-Ce qui me soulage le plus, c’est que tu sois là, près de moi, lui assura-t-elle en élargissant son sourire et en lui prenant la main.
Et il fallait avouer que depuis qu’il avait demandé un congé à Robert pour s’occuper d’elle, l’état de sa femme, sans réellement s’améliorer, avait cessé de se dégrader de cette façon galopante qui le terrifiait et lui faisait faire des cauchemars la nuit. Mais ce qui avait véritablement changé, alors qu’il ne le croyait plus possible, c’était ses propres sentiments à son égard. De cette pitié mêlée de culpabilité et de ressentiment qui autrefois l’habitait lorsqu’il se trouvait en sa présence, il était passé à un sentiment proche de la tendresse dont il ne se croyait pas capable vis-à-vis d’elle.
-Tu sais Susanna, je crois qu’on pourrait vivre heureux tous les deux, murmura-t-il en la serrant contre lui avec une infinie douceur.
-Oh, Terry, j’attends ces paroles depuis si longtemps ! Si j’osais…
La jeune femme s’interrompit et secoua la tête.
-Quoi ? Que veux-tu Susanna ?
-Non, rien…
Mais Terry ne pouvait pas ne pas comprendre l’expression du visage plein d’espoir levé vers lui. Malgré la maladie, la jeune femme aux longs cheveux blonds n’avait rien perdu de sa beauté diaphane et le contemplait, avec dans son regard bleu une soif qui ne trompait pas. Et il ne se sentait pas le cœur de lui refuser ce plaisir qu’elle n’osait lui demander ouvertement. Il était acteur après tout et il pouvait bien lui jouer la comédie. Il se pencha doucement vers elle et l’embrassa. Le baiser d’abord chaste puis imitant à la perfection la passion, prit soudain une dimension qu’il n’était pas près d’oublier. Il fut envahi de sensations très peu en rapport avec le professionnalisme dont il croyait faire preuve. Susanna ne s’était pas rendu compte de son trouble, tout au bonheur de ce baiser qu’elle n’osait plus espérer.
-Comme je suis heureuse que tu m’aies embrassée une dernière fois !
-Qu’est-ce que tu racontes… réagit aussitôt Terry. Nous avons encore toute la vie devant nous !
-Toute la vie… C’est beau ce que tu dis ! La seule chose que je regrette, c’est de ne pas avoir su te rendre heureux à temps, moi aussi…
Il s’écarta d’elle et se perdant au fond de ses prunelles couleur du ciel au printemps, il ajouta :
-Tout est encore possible ! Pour ça il te suffit de guérir vite !

***



Le baiser avait éveillé en Terry des sentiments complexes et contradictoires. Chaque fois qu’il y repensait, et cela arrivait plus d’une fois dans la journée, son cœur battait la chamade. Il avait l’impression d’avoir trahi son amour pour Candy alors qu’elle lui aurait sûrement assuré qu’il n’avait fait que remplir son devoir. Mais avait-il vraiment fait tout cela uniquement par devoir ? Il n’arrivait pas à s’en convaincre et contemplait avec mélancolie le doux visage de la jeune femme qui les avait séparés. Contrairement à ce à quoi il s’attendait, Susanna ne fit plus aucune tentative pour se faire embrasser à nouveau, mais la lumière dans ses yeux prouvait à quel point cet unique baiser l’avait inondée de bonheur.

Susanna s’éteignit quelques jours plus tard dans son sommeil, lui laissant une affreuse sensation de vide à laquelle il n’était absolument pas préparé. Il avait eu la pénible impression qu’une main géante lui broyait les entrailles, l’empêchant de trouver sa respiration, lorsqu’il l’avait retrouvée, le matin, sans vie, son visage si beau, si calme et si serein qu’il semblait qu’elle allait se réveiller dans l’instant. Il était resté un moment comme assommé, puis il avait longuement serré et bercé dans ses bras le corps inerte de celle qu’il n’avait pas su apprécier à temps. La tempête qui avait secoué son cœur et son esprit l’avait laissé sans force face aux attaques répétées de sa belle-mère qui l’avait surpris dans cette position.
-Alors ? Vous êtes content de vous je suppose ? déclara-t-elle d’une voix blanche lorsqu’elle comprit qu’elle avait perdu sa fille.
Terry, hébété et les yeux rouges et humides, la regardait sans comprendre.
-Vous voilà enfin libre ! continua la femme en élevant la voix. Ne me dites pas que vous n’attendiez pas cet instant avec impatience, pour enfin pouvoir aller la rejoindre…
Elle avait craché ces derniers mots avec un tel mépris que ses paroles pleines de fiel finirent par avoir raison du néant dans lequel le jeune homme avait sombré, ramenant l’amertume et cette désagréable sensation de honte et de culpabilité qui depuis longtemps ne lui laissait plus un instant de répit. Terry avait bien compris ce que ces paroles impliquaient, mais encore sonné par la mort de son épouse, restait sans voix.
-Mais je ne le permettrai pas, poursuivit une Madame Marlowe survoltée, vous entendez ! Je ne permettrai pas que vous la rejoigniez…
Après avoir reposé avec douceur le corps de Susanna, le jeune homme se leva pour aller au salon se servir un whisky, talonné par la mère de la jeune fille qui continuait sa diatribe, toujours plus fort :
-C’est cela ! Replongez-vous dans l’alcool ! C’est tout ce que vous savez faire. Vous saoûler ! Vous ne méritiez pas l’amour de ma fille ! Si j’avais su ! Ma pauvre enfant, si innocente ! Depuis qu’elle a fait votre connaissance, elle a vécu un enfer ! Et maintenant elle est morte par votre faute…
-Madame Marlowe, l’interrompit Terry, d’une voix sans timbre. Votre fille repose à côté, peut-être pourrions-nous faire une trêve ?
La femme regarda avec mépris l’homme qui lui avait ravi sa fille :
-Vous avez tué ma fille et c’est tout ce que vous trouvez à dire ?
Terry dévisagea sa belle-mère avec lassitude. À quoi bon se défendre… Elle ne voudrait entendre aucune de ses explications. Depuis le début elle l’avait considéré comme un ennemi. Il s’en rendait compte maintenant, bien trop tard pour y changer quoi que ce soit.
-Je dois m’occuper des formalités, lâcha-t-il l’esprit engourdi par la douleur. Je vous laisse.

***



Épilogue

A présent, Terry était véritablement libre de retourner vers Candy. Mais à quel prix ? Il ne se sentait plus le cœur à rien. Maintenant qu’il s’était rapproché de Susanna, il se sentait encore plus coupable de ne pas avoir su la comprendre plus tôt. Sa mère avait raison, après tout. La jeune femme était morte à cause de lui. Réussirait-il jamais à surmonter sa détresse d’avoir perdu l’être extraordinaire qu’elle s’était finalement révélée être et à se pardonner de ne pas avoir su être à la hauteur ? Et ce dernier baiser qui l’avait tellement bouleversé, remettant en cause toutes ses certitudes… Comment, dans ces conditions pouvait-il retourner vers Candy ? D’ailleurs, celle-ci avait sûrement suivi son chemin de son côté et pour s’en convaincre, il n’avait eu qu’à se remémorer la dernière fois où il l’avait vue, rayonnante de bonheur au milieu des enfants, devant la clinique du docteur Martin. Il ne pouvait se résoudre à entrer à nouveau en contact avec elle : il apprendrait peut-être qu’elle ne pensait plus à lui, ou pire, qu’elle s’était mariée. Cette seule pensée le faisait frémir et il jetait au panier les nombreux brouillons qu’il commençait pour elle, ce qui creusait chaque jour un peu plus le gouffre qu’il s’imaginait ouvert entre eux. Ses nuits étaient peuplés de cauchemars et il n’arrivait même plus à se réfugier dans le rêve. Seul le théâtre lui donnait encore satisfaction et il se plongea corps et âme dans son travail, essayant sans vraiment y parvenir, d’oublier le reste. Pourrait-il un jour mettre son orgueil de côté pour au moins prendre des nouvelles de celle qui restait malgré tout la maîtresse de son cœur ? Il faudrait pour cela un coup de pouce du destin…

FIN

 
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