| Le bien et le mal
C'est un fermier qui reçoit en cadeau pour son fils un cheval blanc. Son voisin vient le voir et lui dit: - Vous avez beaucoup de chance, ce n'est pas à moi qu'on offrirait un si beau cadeau! Le fermier lui répond: - Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose! Plus tard, le fils du fermier monte le cheval, celui-ci rue et éjecte son cavalier. Le fils du fermier se brise la jambe. - Oh! Quelle horreur! fait le voisin, vous aviez raison de dire que cela pouvait être une mauvaise chose. Celui qui vous a offert ce cheval l'a fait exprès pour vous nuire, maintenant votre fils est estropié à vie! Mais le fermier ne semble pas gêné, il dit calmement: - Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose! Là-dessus, la guerre éclate et tous les jeunes sont mobilisés sauf le fils du fermier et sa jambe brisée. Le voisin revient alors et dit: - Votre fils sera le seul du village à ne pas partir à la guerre, il a beaucoup de chance! Et le fermier de répéter: - Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose...
La perle précieuse
On raconte en Inde qu’un sage marchait un soir le long des plages de l’océan et qu’il arriva devant un petit village de pêcheurs. Il le traversait en chantant et s’en éloignait pour continuer son chemin, lorsqu’un homme se mit à courir après lui.
— S’il vous plaît, s’il vous plaît ! Arrêtez-vous ! Donnez-moi la perle précieuse ! Le sage posa son baluchon. — De quelle perle parlez-vous ? — Celle que vous avez dans votre sac. Cette nuit, j’ai rêvé qu’aujourd’hui je rencontrerais un grand sage et qu’il me donnerait la perle précieuse qui me rendra riche jusqu’à la fin de mes jours. Le sage s’arrêta. Il ouvrit son sac et en sortit effectivement une belle perle. Elle était énorme et elle brillait de mille feux. — Sur la grève, tout à l’heure, j’ai aperçu cette grosse boule. Je l’ai trouvée jolie et l’ai mise dans ma besace. Ce doit être la perle rare dont tu parles. Prends-la, elle est à toi.
Le pêcheur était fou de joie. Il saisit la perle et partit en dansant, tandis que le sage s’allongeait sur le sable pour y passer la nuit. Mais, dans sa hutte, le pêcheur ne dormait pas. Il se tournait et se retournait sur sa couche. Il avait peur qu’on lui vole son bien. De toute la nuit, il ne put trouver le sommeil. Aussi, au petit matin, il prit la perle et partit rejoindre le sage.
— Je te rends cette perle, car elle m’a procuré plus d’inquiétude que de richesses. Apprends-moi plutôt la sagesse qui t’a permis de me la donner avec autant de détachement. Car c’est cela la vraie richesse.
Conte hindouiste
Les riches et les pauvres
C’était la famine. Mais tout le monde ne mourait pas de faim pour autant : les riches avaient pris soin de remplir leurs greniers de blé, d’huile et de légumes secs. Khadidja dit alors à Nasreddine, son mari :
— La vie dans le village est devenue intolérable : la moitié des gens est très riche, pendant que l’autre moitié n’a pas de quoi manger. Si toi, qui es respecté de tous, tu arrivais à convaincre les premiers de partager leurs richesses, alors tout le monde vivrait heureux. — Tu as absolument raison, femme, j’y vais de ce pas.
Nasreddine quitta la maison et ne revint que le soir, complètement épuisé.
— Alors, lui demande Khadidja avec impatience, tu as réussi ? — À moitié. — Comment cela, à moitié ? — Oui, j’ai réussi à convaincre les pauvres.
Parabole de Nasreddine Hodja (figure de l’humour et de la sagesse chez les Arabes, les Turcs et les Persans depuis le XIIIe siècle)
Les voyageurs sous le platane
Un jour qu’ils marchaient en plein soleil de midi sur une route écrasée de lumière, des voyageurs se mirent en quête sous le platane d’un coin tranquille pour se reposer. Ils aperçurent un platane et coururent sans tarder profiter de la fraîcheur de son ombre. Ils étaient étendus sous son feuillage et devisaient de tout et de rien, lorsque l’un d’eux, levant les yeux vers l’arbre, s’écria :
— Cet arbre ne sert vraiment à rien. Il ne porte jamais de fruits !
Il y eut un instant de silence, puis le platane répliqua :
— Ingrats que vous êtes ! Vous osez me dire inutile alors que vous profitez de mon ombre !
Il en est de même des hommes : certains sont si déshérités que, même lorsqu’ils rendent service, ils ne persuadent personne de leur utilité.
D’après le fabuliste grec Ésope (VIe siècle)
Le savant et le passeur
Une rivière était si large qu’il n’y avait pas de pont pour la traverser. Aussi un passeur s’était-il installé sur ses rives. Contre quelques misérables piécettes, il faisait traverser les voyageurs. Or il advint qu’un grand lettré, encombré de livres et de dictionnaires, eut à utiliser ses services. Au moment où il montait dans la barque, le passeur lui souhaita la bienvenue et parla avec lui de choses et d’autres. Le savant se rendit compte qu’il n’avait pas beaucoup d’érudition et ne maîtrisait pas bien la grammaire.
— Dis-moi, mon ami, lui demanda-t-il, as-tu jamais été à l’école ? — Non, lui répondit le passeur, en continuant à ramer. — Alors, mon ami, tu as perdu la moitié de ta vie.
Le passeur en fut blessé, mais il garda le silence. Lorsque la barque fut au milieu du fleuve, un courant rapide la renversa, et les deux hommes se retrouvèrent à l’eau, assez loin l’un de l’autre. Le passeur vit que le savant se débattait pour ne pas se noyer. Il lui cria :
— Est-ce que tu as appris à nager, maître ? — Non, répondit le savant, en continuant à se débattre. — Alors, mon ami, tu as perdu toute ta vie.
Conte du Moyen-Orient
Les deux branches de l’arbre
Il y a bien longtemps, sur une lande desséchée, se trouvait un arbre extraordinaire. Il était très vieux, aussi vieux, disait-on, que la Terre ; et il donnait des fruits merveilleux, dorés et luisants comme des soleils. Ces fruits faisaient ployer deux énormes branches. Hélas, personne ne pouvait profiter de ce don du ciel, car l’une des deux branches portait des fruits empoisonnés ; et l’on ignorait laquelle. Tous salivaient donc devant ces fruits offerts, mais aucun n’y touchait. Vinrent des temps de famine. Un printemps trop glacial ravagea les vergers, un été trop sec brûla la moisson. Seul le vieil arbre portait ses fruits, plus beaux que jamais. Alors les villageois se rassemblèrent autour de ses branches, l’envie au cœur. Il leur fallait choisir : risquer la mort en mangeant les mauvais fruits, ou mourir de faim en n’y touchant pas. Ils tournaient autour de l’arbre, indécis, lorsqu’un vieil homme, que plus rien ne rattachait à la vie, osa faire le geste. Il saisit un fruit d’une branche et mordit à pleines dents. Tous le regardèrent. Puis, voyant qu’il croquait et croquait encore, ils se précipitèrent pour se nourrir à leur tour. La chair des fruits était suave, elle rassasiait de la faim comme de la soif. Et, miracle ! au fur et à mesure qu’on les cueillait, d’autres fruits repoussaient.
Durant plusieurs jours, la population du village festoya en riant de sa peur passée. Dire qu’ils avaient failli mourir de faim à cause de l’autre branche empoisonnée !
À quoi bon d’ailleurs garder cette branche, aussi inutile que dangereuse ? À la nuit tombée, ils prirent une hache et la coupèrent au ras du tronc. Hélas, lorsqu’ils revinrent le lendemain, tous les fruits étaient tombés. Ils pourrissaient sur le sol. Et l’arbre, le bel arbre aussi vieux que la Terre, était mort.
D’après un conte de l’Inde
|