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Retour au pays de Candy !

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view post Posted on 21/12/2015, 18:09
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Bonjour à tous ! ^_^

Après beaucoup d'hésitations et de tergiversations, j'ai finalement décidé de me lancer en commençant à écrire ma première fanfic personnelle... Comme pas mal de personnes le savent sur le forum, j'avais beaucoup écrit autour de l'univers de Candy il y a de ça plusieurs années, mais c'était pour une fanfic collective (ça a été une aventure géniale, je VIVAIS littéralement derrière mon clavier ^^). Je profite donc de ce message pour saluer mes anciens compagnons d'écriture, et notamment Regina, miss capucine et paola, qui furent à mon souvenir les premières personnes à animer ce projet.
En ce qui concerne ma fanfiction, pour tout vous dire je ne sais vraiment pas dans quelle direction je vais aller, je vais me laisser porter au fil de la plume, et on verra bien...! Par contre, je ne peux malheureusement pas vous garantir que je serai régulière dans mes posts, puisqu'étant en terminale, j'ai énormément de travail et que la motivation et l'inspiration me font souvent défaut ! :P
Voilà voilà, j'arrête mon blabla. Bonne lecture et à bientôt, j'attends vos commentaires dans la section prévue à cet effet !

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Prologue



New York, 1930


Depuis quelques semaines, le froid s'était abattu sur toute l'Amérique. Presque sans prévenir. L'hiver, comme chaque année, se faisait une place au coeur des villes, mais aussi au coeur de nulle part, loin, là-bas, dans les campagnes. Dans les chaumières, on se réchauffait au coin de la cheminée, une tasse fumante à la main et un sourire aux lèvres. L'hiver se montrait alors sous son meilleur jour. Ce n'était plus le froid terrible et impitoyable qui règne dans le grand nord, non, c'était quelque chose d'une toute autre nature. Une saison synonyme de joie, de réconfort, et, bien au-delà des apparences, de chaleur. L'hiver, c'était ce mot magique qui faisait soudainement oublier aux uns et aux autres toutes les petites déconvenues arrivées pendant l'année. L'hiver, c'était cette saison où le plus hargneux des vieillards retrouvait, bien malgré lui, son âme d'enfant. L'hiver, c'était un paisible recommencement. L'hiver, c'était la promesse d'un renouveau. Comme si la Terre elle-même avait décidé de se guérir de ses maux en plongeant l'ensemble de ses habitants dans une torpeur glaciale.

Mais l'hiver était une période de l'année bien cruelle envers les roses. Elle détruisait les plus robustes d'entre elles. Toute promesse d'un futur radieux et bourgeonnant était alors piétinée. Les roses ne pouvaient pas lutter contre cette chose toute puissante qui les dépasse. Elles ne pouvaient qu'essayer de survivre aux frimas. Elles n'y étaient jamais préparées. La perte de leurs pétales marquait soudain la fin de leur innocence. Pour elles, l'hiver n'apportait ni cadeaux, ni amour, mais perte et chagrin. Oui, aussi tendres fussent-elles, leur souffrance se montrait inébranlable. Et pire que ça : insoupçonnable. Le vent, unique messager de ces âmes solitaires, préféraient taire leurs douleurs.

Dans les rues de la grosse pomme, le temps avait étouffé ses plus belles fleurs sous un fin manteau blanc. Çà et là, une boule de neige traversait l'air parmi un tas de garnements. Dans les boutiques, les gens s'affairaient, courant à droite et à gauche pour procéder à l'acquisition des derniers cadeaux de Noël. Partout où l'on pouvait poser le regard, des décorations vives et chatoyantes illuminaient le regard. Une odeur persistante de sapin et de dinde grillée flottait dans l'air. Petits et grands semblaient tous avoir le coeur à la fête.
Seul un homme se sentait étranger à toutes ces festivités. Un inconnu, un anonyme. Un voyageur qui n'était que de passage. La neige lui apportait chaque année une mélancolie dont l'intensité ne faiblissait cependant pas. Chaque année, il prenait un aller simple vers son passé. Ça lui faisait mal. C'était toujours cette même plaie ancienne qui se réouvrait, révélant alors son lot de banalités et de secrets. Au fond, il n'en avait cure. A quoi bon éviter ce pèlerinage ? Tout cela n'était que le point d'orgue d'une souffrance refoulée au fond de son être et qu'il traînait à sa suite durant tout le reste de l'année. Se voir souffrir alors que tous les autres se laissaient aller à une joie enfantine et passagère était libérateur. Mais il n'y avait pas que cela.

Car derrière son voile de tristesse et son masque d'indifférence, il revenait toujours avec le même espoir. Car malgré les années, l'homme était désespérément à la recherche de sa rose.


Edited by Lou99 - 1/1/2016, 18:28
 
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view post Posted on 1/1/2016, 18:53
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Bonsoir à tous ! Et bonne année 2016 ! Voici la suite, et elle arrivée bien plus vite que je ne le pensais... En ce jour de l'an, j'ai été très inspirée. J'espère que ça vous plaira. Je trouve que c'est un peu long pour un premier chapitre, et je ne sais pas si les autres auront cette longueur-ci. A très bientôt et bonne lecture.

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Chapitre I



La petite boîte était là. Elle avait été cabossée, usée, déformée, malmenée par le temps et les affres de la vie. Mais elle avait survécu, la petite boîte. C'était devenu son compagnon de voyage. Le seul à qui il avait jamais osé confier sa solitude, ses regrets et l'intense sentiment de vide qui l'habitait. Ce n'était qu'une vieille boîte à gâteaux. De celles-là même que les enfants, dans leur plus jeune âge, tentent d'atteindre alors que leurs parents ou gouvernantes les ont expressément disposées en haut de la plus solide étagère de la cuisine. La boîte de l'interdit. La boîte du petit bonheur volé. La boîte de l'arbitraire. Celle dont on rêve secrètement la nuit. Celle dont on niera toujours avoir ne serait-ce qu'avoir effleuré le couvercle orné d'images vieillottes en relief.

Une boîte. Sa boîte. Voilà tout ce qu'il possédait. C'était sa seule richesse, mais pourtant pas des moindres. Il était loin d'être pauvre, dépossédé ou à la rue : il avait tout ce dont il avait besoin. Mais tout paraissait creux et infiniment dérisoire face à cet objet qui ne valait pourtant pas un sou. Pour toute personne extérieure à sa situation, cette réalité aurait sonné comme un triste constat, annonçant une sénilité approchant à grands pas. Mais lui savait. Et la petite boîte aussi.

Oh, il n'était pas simple de se balader partout avec. Il aurait tant voulu le faire. Comme le bon vieil amant éploré qu'il était. Cela faisait à peine trente ans qu'il était venu au monde, mais la tristesse avait la fâcheuse tendance de lui tirer les traits, lui donnant un air songeur. Rongé de l'intérieur. Ne l'était-il pas ? Mais toujours il en revenait à la chose qui l'avait guidé durant toutes ces années de doutes : l'espoir. Cet espoir-là, personne ne le lui volerait. C'était un espoir fou, qu'il aurait dû abandonner derrière lui il y a bien longtemps déjà. Mais on ne renonce pas à un rêve comme on se déchausse le soir en rentrant chez soi. Ce serait bien trop facile.
La boîte, il la gardait la majeure partie du temps en lieu sûr. Là où nul ne pourrait la toucher, se l'attribuer, l'agripper de ses doigts intéressés ni même l'égratigner de ses ongles sales et avides de pureté. La boîte était enfermée dans un coffre-fort. Son coffre-fort personnel que même la mère Marlowe, aussi cupide et vénale qu'elle fût, n'osait approcher, redoutant les foudres de son gendre. D'ailleurs, même après tout ce temps, il n'en revenait toujours pas : il avait un coffre-fort à sa disposition. Rien que pour lui. Plus que ça. Il avait des milliers de coffres-forts, partout autour de lui, qui n'attendaient que d'être remplis de pierreries et d'autres choses si chères aux yeux des Hommes. De choses si futiles, en somme.

***



Alors, à chaque fois qu'il ouvrait ce coffre-fort, qui le fixait à toute heure du jour et de la nuit depuis l'étagère de son bureau, il ne pouvait s'empêcher d'être surpris. Surpris par l'immensité de cette caverne d'Ali Baba qui le contemplait, presque tout autant ébahie que lui. Car la fameuse boîte, qui trônait majestueusement au centre de cette prison dorée, paraissait ridicule. Mais elle ne l'était pas. La minutie dont il faisait preuve à son égard revelait presque du fétichisme. Il s'en faisait lui-même la remarque, parfois. Pourquoi tant de soin pour un stupide objet ? Pourquoi disposer cette... chose dans ce coffre-fort ? Cette chose dont personne ne se souciait et que personne ne songerait sûrement jamais à lui dérober ? Au fond, ne finissait-il pas par transformer sa vie en véritable pièce de théâtre, à se montrer ainsi si cérémonieux ? Tous ces rituels ne finiraient-ils pas par lui faire perdre entièrement la tête ?

Il ne pouvait pas se résoudre à arrêter tout ça. Il avait cru vouloir oublier. Un temps. Mais qui dont pourrait être assez dérangé pour pouvoir condamner définitivement cette porte de sortie ? La porte qui le menait tout droit vers son passé, sombre, tumultueux, peuplé par les remords et les chagrins mais néanmoins stupéfiant, magnifique, bouleversant. Et heureux. Il avait été heureux. Alors, la petite boîte n'était pas là pour le lui rappeler, elle n'était pas en sa possession pour qu'il se souvienne. Car les souvenirs de ces jours heureux l'accompagnaient chaque jour, partout où il allait. Il était hanté. Littéralement. Il souriait, connaissait triomphe sur triomphe, était acclamé par la foule et les critiques, s'enrichissait, était servi par des domestiques, et vivait entouré de ce qu'on appelle communément le "beau monde". Lui, l'acteur, le voyou du Collège Royal de Saint-Paul, le sombre idiot qui avait sciemment nui à sa digne famille. Lui, qui n'avait dû compter que sur ses véritables capacités pour se faire une place, là, quelque part, parmi toutes ces braves personnes de bonnes familles et ces starlettes en devenir. Lui qui demeurait presque malgré lui sous les feux des projecteurs, lui auquel tout le monde semblait si dévoué et aimable. Seul son talent l'avait mené là où il se trouvait à présent. Mais ça ne lui suffisait pas. Rien de tout ça ne lui suffisait. Il n'avait jamais rêvé d'être une star, jamais rêvé de toutes ces mondanités qui frisaient par instants le ridicule. Il aurait voulu juste qu'on lui dise qu'il avait un talent, un vrai. Pas qu'on le transforme aux yeux du monde en un de ces acteurs si sûrs d'eux, si dédaigneux envers les autres qui croient que tout leur est acquis, qui semblent persuadés que le monde est prêt, là, en cuisine, à leur être servi sur un plateau, encore ébouillanté par leur éternelle et piteuse grâce, pourtant inexistante.

La boîte était avec lui pour lui prouver que sa vie d'avant n'avait pas été un rêve. Pour lui assener, encore et encore, que rien ne devait être oublié. Que s'il devait recommencer, il saurait exactement quoi faire. Là reposait toute l'ambiguïté. La boîte l'entraînait, dans ses heures les plus sombres et mélancoliques, vers des chemins obscurs et lui lacérait les entrailles tandis que, tremblant, il en soulevait le couvercle, recevant son contenu tel une pénitence. Mais, parfois, c'était le contraire qui se produisait. Il ouvrait la boîte brusquement, tout fébrile d'en découvrir une énième fois le contenu, et il ne pouvait s'empêcher de sourire, de pleurer de soulagement. Elle était toujours avec lui. Une rose qui ne fanait ou qui ne s'endormait jamais dans son cercueil de vieux métal rouillé. Ainsi, elle lui apportait tantôt son lot de malheurs, tantôt un puissant réconfort qui l'irradiait jusqu'aux tréfonds de son âme.

La boîte voyageait, de temps à autre. C'était quand il partait en tournées avec la troupe. Ces occasions se faisaient hélas de plus en plus rares : désormais, il n'avait même plus besoin de se déplacer, car c'était les autres qui venaient à lui, comme s'il exerçait sur eux une attirance invincible. Il ne pouvait jamais se résoudre à la laisser derrière. Il puisait dans les ressources de son imagination moult inquiétudes : et s'il se produisait un incendie, une inondation, un cambriolage ; et si une de ses prétendues admiratrices se permettait de s'en emparer ? Ce serait un sacrilège, un drame, l'effondrement de tout son empire. De tout son espoir. Alors elle partait en balade, le suivant dans ses déplacements comme le plus fidèle des chiens. Elle n'était pas des plus simples à transporter, car volumineuse et lourde. Il la rangeait soigneusement dans une petite mallette qu'il s'attachait dès lors à ne plus quitter des yeux. Quand il arrivait à destination, il la rangeait dans un autre coffre-fort. Cette protection factice le rassurait quelque peu. Et alors il jouait, en pensant à la mallette. Parfois, quand il contemplait ce vulgaire bagage, il songeait à sa valise, à elle. Celle qu'elle trimbalait partout avec elle, au gré du vent et des tourments dans lesquels l'entraînaient la vie. La possédait-elle encore ? Peu importait. Il ne fallait pas penser à ça, puisque déjà il était temps de passer sur scène, et de s'envoler dans un autre monde. Il jouait pour cette stupide mallette, il jouait pour cette petite boîte, il jouait pour le contenu de cette saleté de boîte, ô combien vénéré.

Il jouait pour la rose qu'il n'oublierait jamais.

Ce soir-là, à New York, dans sa chambre d'hôtel, il avait ouvert la boîte. C'était le meilleur moment pour s'immerger, pour se saouler avec tout cet amour qu'il croyait encore détenir entre ses mains.

Une feuille de papier. Non, en réalité, trois feuilles de papier. Soigneusement pliées en quatre en respectant scrupuleusement les bordures. Le papier n'avait pas vieilli. Il les avait dépliées. Très, très lentement. Avait, avant de les parcourir des yeux une nouvelle fois, fermé les yeux et poussé un long soupir. Quand il les avait rouverts, la première chose qu'il avait relevée était les quelques petites taches d'encre qui parsemaient les feuilles. Plutôt arbitrairement. Il avait songé que cela aurait pu être les larmes qu'il avait versées ce soir-là. Cela aurait été si romanesque, si théâtrale, si grandiose. Mais non. C'était la neige qui avait fait coulé l'encre par endroit. Ce soir-là, des années auparavant, il était sorti. Il n'avait fait que quelques pas dans la neige que déjà il était tombé à genoux, glacé par un vide monumental qui avait soudain surgi devant lui. Il avait complètement oublié les feuillets qu'il avait maladroitement fourrés dans une des poches de sa veste. Ils avaient été alors mouillés. Par mégarde. C'était depuis cette nuit-là qu'il en prenait le plus grand soin.
Mais les taches ne pouvaient pas masquer les mots, qui étaient là, inscrits, sévèrement ancrés dans le papier et qui paraissaient le juger. Il y avait pourtant là quelque chose d'autre : les mots le consolaient, les mots le châtiaient comme on gronde un enfant qui vient de commettre une bêtise malicieuse, comme on gronde un enfant sans vraiment y croire.

Il lut ces mots, ces dizaines de mots écrits de sa propre main. Et même après tout ce qu'il avait vécu, l'émotion était là, pareille à celle du premier et du dernier jour, glaçante, rassurante. Sidérante et incroyablement poignante.

***



Ce soir, tu m'as quitté. Ou peut-être est-ce moi qui t'ai lâchement abandonnée ? Alors, nous nous sommes quittés. Ensemble. Dans un même geste désespéré. En symbiose.

Comme il en a toujours été.

Tu sais, je ne suis pas un homme de lettres. Mais ce soir, mais cette nuit, je ressens le besoin de t'écrire. En faisant ça, j'ai le sentiment de garder contre moi un bout de toi. C'est mal dit, mais je ne m'en soucis pas. Cette lettre. Cette lettre, cette lettre quand je l'écris, je me vois en train de te rattraper. Un ultime recours. Une illusion. Une image qui ne s'effacera pourtant jamais de ma mémoire. Malgré ton évidente détresse, tu était belle, ce soir. Belle comme une femme. Pas comme une adolescente effrontée et désobéissante. Tu étais belle dans ton grand manteau rouge, tu étais belle avec tes grands yeux qui me disaient : "Pardonne-moi. Pardonne-nous.". Tu étais belle, et je ne te l'ai même pas dit.

J'ai tiré le rideau de cette luxueuse mais non moins minable chambre, j'ai tiré le rideau comme on tirerait un trait sur un rêve devenu inaccessible. De ma fenêtre, je voyais ta frêle silhouette s'éloigner peu à peu. Déjà les traces de pas que tes bottes laissaient dans ton sillage s'effaçaient, et je ne pouvais pas supporter de te voir, toi aussi, disparaître.

Comme si tu avais été aussi éphémère que tes empreintes laissées dans la neige fraîche.

Mais je ne voulais pas non plus te voir te retourner et lire la souffrance contenue dans tes yeux brumeux. Alors, j'ai tiré le rideau. De toutes les manières, tu ne te serais pas retournée. Tu es bien trop fière pour ça. C'est une des choses que j'admire le plus chez toi : ta détermination et ton caractère de cochon. Des années de fausse résignation face à des personnes capables des pires vilenies ont fait de toi ce que tu es devenue aujourd'hui : une femme forte et indépendante.

"Tu peux encore aller la retrouver, il n'est pas trop tard."

Si, il est trop tard, Suzanne. Tu le sais bien. Elle le savait bien. A quoi bon essayer de me faire croire à une possible alternative ? Le mal était fait, pourtant, c'était ce qui était supposé constituer une action louable, juste et emprunte d'une pure logique. Je me devais de sauver les apparences. Comme si, enfin, je pouvais faire honneur à mon rang. Comme il l'appelle. Un digne héritier de mon salaud de père ! Cependant, en réalité, seules la culpabilité et la pitié m'ont jeté dans les bras de cette femme. Amie artiste, compagne de route, collègue de travail, mais finalement si étrangère. Sa pâleur et sa faiblesse symbolisent toute la froideur qu'elle m'inspire. Pour autant, je ne parviens pas à la détester, car je me plais à m'autoflageller et à croire que je suis l'unique fautif dans cette histoire. Notre histoire.
Oh, Candy, ma douce Candy... La honte m'étouffe tellement l'âme, me comprime tant les poumons que j'ose à peine te nommer. Tu m'as appris à aimer. Tu es parvenue à panser des blessures que mon être même ignorait receler.

A chaque fois que je déclamais des vers, ils étaient pour toi. Je les destinais à tes yeux vifs et intelligents, brillants d'un éclat émeraude dont toi seul détenais le secret. Mais Candy. Durant ces mois d'errance psychologique, durant ces mois où je poursuivais aveuglément un idéal qui a aujourd'hui perdu de sa saveur, j'ignorais une chose.

J'excelle dans l'art du théâtre, il est vrai, je chante la poésie shakespearienne à merveilles, dit-on ici et là. Mais dans mon propre rôle, oui, dans ma propre vie, je ne serai jamais qu'un piètre figurant.

Ce soir, tu étais à mes côtés, et je me blottissais contre toi dans une dernière étreinte, mais en réalité, jamais nous n'avons été aussi éloignés l'un de l'autre. Ni les règles, ni les conventions, ni les océans, ni même nos absences n'ont su réellement nous séparer. Nous nous sommes rencontrés, séparés, entrevus, croisés, nous avons malgré tout fait bonne figure face à la vie mais nous ne nous sommes jamais, ô grand jamais, oublié. A l'heure de nos retrouvailles, une femme, une seule, a su ébranler notre amour. Un amour muet, tu, nié, sublimé par nos silences et nos désillusions. Un amour fort, persistant, brûlant, inaliénable. Mais néanmoins si fragile. Les épines de tes roses n'ont pas pu nous sauver ; les arbres de ta colline non plus.

Un drame rôdé tel une terrible machine, orchestré par les voix de l'ombre. Un drame digne des plus grandes tragédies. Ne crois pas que je mets tout ça sur le compte du destin et de la fatalité. Ça, je n'y crois pas. J'ai participé. Activement.

J'ai préféré l'honneur à l'amour, mais mon coeur, aussi puéril et haïssable qu'il soit, restera à jamais brisé par ce dilemme qui n'en est plus un.

Candy.

Personne ne connaîtra ton nom. Tu ne feras pas la une des journaux. Aux yeux du monde, nos chemins ne se seront jamais croisés. Tu ne seras ni plus ni moins qu'une simple admiratrice, perdue au milieu d'une cohue agitant frénétiquement maints bouquets de roses. Des roses, j'en ai reçues par milliers, mais tu es la seule que j'ai jamais désirée. Ton amour est le seul trophée, le seul éloge que j'apprécie à sa juste valeur. Je me tairai, tu te tairas, nous le savons tous les deux. C'est ainsi, et je tends à croire qu'il faut s'y soustraire.

Mais oublier, jamais. Je vous aime, mademoiselle taches de son. Je vous aime même si je n'ai su te le dire, à toi. Tu seras à jamais l'unique objet de mes désirs.

Tu ne recevras jamais cette lettre. Car je ne te l'enverrai pas. Je n'y ai pas songé une seule seconde en en débutant la rédaction. Ces mots sont vains, Candy. Vains mais pourtant si précieux. C'est la seule épine que je peux me targuer de t'avoir offerte un jour. Où que tu sois. Où que tu ailles.

Je t'appartiendrai toujours. Malgré les masques, les costumes, les apparences et les faux-semblants. Je serai éternellement tien. Et à chaque représentation, je jouerai pour toi. Car sinon, plus rien n'aurait de sens.

Adieu, Candice Neige André.

Adieu, Candy.

Terrence G. Grandchester



Edited by Lou99 - 9/1/2016, 01:15
 
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view post Posted on 9/1/2016, 01:22
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Bonsoir, malgré une semaine mouvementée j'ai pris énormément de plaisir à écrire ce deuxième chapitre ce soir, même si, comme vous allez le constater, il n'est pas des plus réjouissants. Je ne sais pas quand arrivera le chapitre trois, étant donné que les semaines à venir risquent d'être encore plus chargées. En attendant, je tiens à vous remercier pour vos commentaires positifs qui me poussent à continuer l'aventure... A bientôt et bonne lecture !

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Chapitre II



Londres, 1930

Du blanc. Du blanc partout. Il n'y avait que ça. Cela semble aux premiers abords si apaisant, le blanc. Aux yeux de tous, il symbolise la pureté et l'innocence. Mais on oublie bien trop souvent le caractère agressif de cette couleur. Quand, après une longue nuit du sommeil, la clarté aveuglante du jour se révèle à nous, le blanc aux trémas dorés des rayons du soleil nous irrite les yeux. Il paraît vouloir nous percer à jour. Là se cache toute sa mesquinerie. Le blanc adopte, selon son humeur du jour, des visages tous plus singuliers les uns que les autres. Il sait se montrer chaleureux, rassurant, et nous envelopper de sa tendre aura comme on chanterait une berceuse à un enfant tout juste sorti d'un cauchemar. Cependant, et c'est le triste revers de la médaille, le blanc est aussi très doué pour nous raconter des histoires. Car derrière sa façade rassurante et bienveillante, se dissimule tant bien que mal une facette plus obscure. En effet, il nous laisse, l'espace d'un instant, entrevoir un semblant de paradis qui nous accable de reproches bien plus qu'il nous rassure. Il nous obsède, nous terrifie car nous ne pouvons jamais saisir ses véritables intentions. Car le blanc, c'est aussi la maladie. Car le blanc, c'est aussi les limbes et le linceul.

Ce jour-là, le blanc avait revêtu l'habit noir. Ce jour-là, le blanc était en deuil.

***



Une valse. Elle chantonnait une valse. Un deux trois, un deux trois, un deux trois. Elle ne savait plus depuis combien de temps elle fredonnait cet air d'autrefois. Profondément enfoui au fond de sa mémoire, il avait jailli comme une évidence au milieu de la foule de pensées contradictoires qui se bousculaient dans sa tête. Elle contemplait fixement le plafond, le regard vide et les yeux cernés par le chagrin. La tristesse s'était abattue comme une chape de velours sur ses épaules. Tout doucement. Sans rien dire, sans trop se faire voir. Silencieusement. Elle l'avait serrée dans ses bras. Et maintenant qu'elle la tenait, et maintenant qu'elle la serrait dans son étau, l'étouffant presque, elle lui susurrait à l'oreille des mots terribles. Des mots qu'elle ne voulait pas entendre. Elle les refusait, ces saletés de mots. Toujours les mêmes. Ils tournaient en boucle dans sa tête, comme un vieil enregistrement abîmé dont la bande saute sans arrêt.

Un véritable déchirement. Un supplice de Tantale qui la laissait entièrement démunie. Sa tête allait probablement exploser d'une minute à l'autre. Car elle ne pouvait échapper à ces pensées aussi envahissantes que morbides. Par moments, elle avait la sensation de délirer. Si c'était possible, elle se serait probablement ouvert le crâne pour tenter d'en extirper le mal qui la rongeait. Ou alors, elle se serait tapé la tête contre le mur le plus proche, mue par une farouche volonté de se faire du mal. De se détruire encore plus qu'elle ne l'était déjà. Rarement le désespoir l'avait envahie à ce point. Elle se sentait comme transpercée de part en part par un fer invisible. C'était insupportable, et elle aurait donné n'importe quoi pour que cela s'arrête. Pour que tout s'arrête. Non, en réalité, ce qu'elle aurait voulu arrêter, c'était le temps. Ce temps qui défilait sans se préoccuper de sa douleur. Ne pouvait-elle pas revenir en arrière ? Elle n'arrivait pas à concevoir ce qui lui arrivait tant son incompréhension et sa culpabilité face au drame était immense.

Elle se voyait ainsi prise dans une sorte d'apathie générale qui lui procurait une profonde impression d'irréalité. Elle n'avait plus la force d'agir, plus la force de penser. Son corps, ce corps qui l'avait trahie lui était à présent étranger. Sa haine envers lui était inqualifiable et elle la sentait grandir en elle comme un fruit qui pourrit lentement mais sûrement à l'intérieur de sa coque. L'épuisement physique s'était très vite joint à la souffrance psychologique. Alors, elle entonnait la douce mélopée. Elle se souvenait des belles robes, des passions qui l'avaient traversée et de tous ces petits moments de bonheur qui s'étaient furtivement glissés sur son chemin. Les notes étaient-elles réellement disséminées dans l'air par sa voix fluette ? Ou ne dansaient-elles qu'à l'intérieur de sa tête ? Son état la rendait totalement incapable de discerner le vrai du faux, la réalité de l'illusion. Elle qui était d'ordinaire si lucide, malgré sa naïveté latente. Parfois, il lui semblait voir passer des silhouettes derrière l'ombre de ses paupières mi-closes. C'était les musiciens qui s'étaient rassemblés pour elle, dans un dernier concert. Elle en était sûre. Cela ne pouvait être que cela.

La chambre blanche revêtait alors ses habits d'apparat pour se métamorphoser en une splendide salle de réception. Seulement, ils étaient régulièrement obligés d'interrompre le déroulement de leur concert car les mots, les terribles mots, flottaient toujours dans les airs, déroutant les pauvres notes qui ployaient et s'échouaient lamentablement sur le sol, abattues par l'invasion ennemie. Assassinées par la tristesse.

***


"Tu vois, après toutes ces années, nous nous retrouvons enfin, toi en moi. Je ne t'ai pas oubliée. Je n'aurais jamais pu. Mais tu t'en doutais, n'est-ce pas ? Aucun mortel ne m'échappe indéfiniment. Beaucoup me croient présomptueuse car je prétends être encore plus puissante que la mort. Sais-tu pourquoi ? Car je tue les gens de l'intérieur. Je les brise comme nul être au monde n'en est capable. Et cette destruction est pernicieuse, car contrairement à une mort banale et ordinaire, personne ne s'en rend compte. La mort intérieure est la pire hantise des Hommes, mais elle touche chacun d'entre eux, et ce, au moins une fois au cours de leur vie.

Peut-être penses-tu que j'ai fait de toi ma proie favorite. Mais tout ceci ne constitue pas un acharnement pur et simple. Non. Ce n'est pas ça. Comprends-moi. La vie me donne tant d'occasions de t'emprisonner entre mes serres que souvent, je ne sais pas résister à la tentation. Toi, par contre, tu as tout d'une combattante. Je dirais même que tu es une sacrée vaillante. Et, ma chère, mon honneur s'en trouve profondément blessé. Ta détermination et ton courage sont vexants. Jamais tu n'as baissé les bras. Jamais tu n'as voulu jeté l'éponge. Pourtant, à ta place, plus d'un aurait sombré sous mes assauts répétés.

Le peu que la vie t'a accordé, tu l'as perdu dans mes bras. Deux de tes amours ont péri sous tes yeux. Un de tes plus proches amis, qui était comme un frère pour toi, a trouvé la mort dans des conditions atroces. Tu as été bannie de toutes les familles où tu as mis les pieds. Pointée du doigt quasiment partout où tu allais. Mais, finalement, tu t'es trouvé cette petite vocation qui a l'air de si bien t'aller. C'est vrai que tu es véritablement faite pour le métier d'infirmière. C'est étrange, dans le fond, quand on y pense. Tu as toujours été celle qui avait besoin d'aide, toujours celle à qui les autres auraient dû tendre la main. Mais ce soutien si précieux, c'est toi qui leur apportes depuis tout ce temps. Jour après jour. Sans défaillir. Sans trembler. Sans hésiter. La tête de linotte d'antan est bien loin. Hein, tête de linotte ? Tu en as appris des choses, depuis notre derrière grande rencontre. Oh, bien sûr, il y a eu quelques petites occasions, que j'ai finies par apprécier à leur juste valeur car j'ai réalisé, au fil des années, combien elles se faisaient rares. A croire que finalement, tu as su te frayer un chemin, sans jamais te perdre en t'aventurant sur des sentiers trop sinueux.

Aujourd'hui, c'est différent. C'est jour de fête. Nous célébrons nos grandes retrouvailles. Tu me sens, là, au fond de toi, au fond de ton coeur. J'en ai chassé tous les souvenirs heureux, toutes ces belles choses que tu as connues pendant ces années de répit. J'aurais pourtant espéré que je te manquerais. Rien qu'un tout petit peu. Crois-moi, les gens heureux sont si ennuyants ! De temps à autre, je t'assène un ou deux coups de couteaux dans le ventre, histoire de te rappeler ma présence. Je ne veux pas que tu te laisses aller à tes souvenirs. Je ne veux pas que tu m'échappes. J'ai tant attendu ce moment. Et le voilà enfin. Ces stupides notes de musique qui résonnent dans ta tête ne te sauveront pas. Je vois très bien ce que tu essayes de te faire. Echapper à la cruelle réalité qui est tienne. T'abstraire de ce monde, fuir dans les nuages. Je vois en toi. Tu ne peux rien me cacher.

Il y a ces quelques misérables petites branches auxquelles tu tentes de te raccrocher. Comme quand tu étais petite. Tu te souviens ? Tu montais très haut dans les arbres, sans te rendre compte du danger. Toute fière de toi, tu contemplais le monde. Ta colline, ta petite maison, l'herbe foisonnante et les arbres fruitiers. Le monde te semblait si petit, si insignifiant vu de là-haut ! Ce qui faisait toute la différence, c'était que c'était ton monde à toi. Et personne ne pouvait te le voler. Ton équilibre était cependant plus qu'instable. Un instant d'inattention, et hop ! Tout se cassait la figure, et tu dégringolais. Il faut toujours être sur ses gardes. Je pensais te l'avoir inculqué. J'ai encore de la peine à croire que tu aies pu baisser ta garde. Fatigue passagère ? Lassitude ? Ou tout simplement une trop grande béatitude face à la vie qui t'ouvrait les bras, t'offrant dans un coffret nacré le plus beau cadeau qu'elle puisse faire à une femme ? Qu'importe, le résultat est là, et maintenant tu es à moi."

***



"Mademoiselle, un télégramme est arrivé pour vous. Il s'agit de votre soeur. Elle tient à vous faire savoir qu'elle sera auprès de vous dans les plus brefs délais. Avez-vous besoin de quelque chose ? Oh, non, suis-je bête. Pardonnez-moi. Vous n'avez besoin de rien, sinon de courage et de silence." La voix, douce et chaleureuse, marqua une courte pause. "Sachez que j'ai parfaitement conscience de la souffrance que vous endurez. S'il y avait quoi que ce soit que je puisse faire pour vous soulager ne serait-ce qu'un peu... Je sais que mes mots vous sembleront bien fades et banals face à la tragédie qui vous frappe. Je suis sincèrement désolée. Je ne sais pas si vous m'entendez, mais je tenais à ce que vous le sachiez."

Malgré son état psychologique chaotique et les médicaments qu'on lui avait prescrits, la patiente distinguait à peu près nettement une jeune femme vêtue d'une blouse blanche. Elle ne lui avait semblé en rien condescendante. En effet, elle avait pleinement compris que lui adresser la parole et la sortir ainsi de sa torpeur pouvait avoir un effet dévastateur. "Oui, c'est une bonne infirmière." se dit la malade qui refusait pourtant de se considérer comme telle. "Elle a tout fait pour me montrer sa compassion sans pour autant me faire croire que j'étais faible et impuissante. Elle est jeune. Trop jeune. Elle ne réalise pas que rien n'est de sa faute. Qu'elle n'aurait rien pu faire pour éviter ça. Ces compétences ne sont pas en cause. C'est moi qui ai failli. C'était ma tâche et j'ai échoué. J'ai échoué et j'ai perdu la personne que j'aimais le plus au monde. Une petite personne que je n'ai même pas eu le temps de connaître."

Candy réussit péniblement à articuler un merci. Le mot s'était échappé de ses lèvres et envolé dans la chambre d'hôpital tandis que ses lourdes paupières se fermaient, lui empêchant mécaniquement d'entrevoir, à travers les rideaux tirés, un timide lever de soleil qu'elle ne se sentait pas la force de supporter.

***



Quelques jours s'écoulèrent. La mélancolie perdura. Elle avait perdu la notion du temps. S'alimentait à peine. Se renfermait sur elle-même, se barricadait à l'intérieur de son esprit comme pour faire rempart à l'innommable. Quand Annie pénétra enfin dans la chambre d'hôpital, si laide et empestant la mort malgré la propreté évidente des lieux, les larmes s'étaient taries depuis longtemps sur le visage de Candy. Elle était allongée là, comme figée dans le temps, ses longs cheveux blonds et bouclés reposant sur l'oreiller en formant une auréole autour de son visage demeuré enfantin. Elle semblait dormir. Annie n'osait imaginer les cauchemars de son amie, tourments qui se traduisaient par de soudains et passagers crispations de son visage.

Annie attendit toute une journée avant que Candy ne se réveille. Soudain, elle ouvrit les yeux, comme Blanche-Neige échappant miraculeusement à son sommeil empoisonné. Elle battit lentement des paupières.

- Annie. Tu es venue.
- Candy. J'aurais tant voulu être à tes côtés pour te soutenir dans cette épreuve. Pardonne-moi.
- Tu n'y es pour rien, Annie. Tu n'y es pour rien. C'est moi qui... Jamais je n'aurais pu croire que la plus belle chose au monde se transforme en la pire. Jamais je n'aurais pu croire que je... Il était là, et soudain c'était fini... C'était fini...

Alors Annie se précipita vers le vétuste lit d'hôpital et serra Candy dans ses bras.

- Oh, Candy. Je serai là. Je serai avec toi. Je te le jure. Pour toutes les fois où je ne l'ai pas été.

En prononçant ses mots, elle pleurait silencieusement. Et tandis que les larmes dégringolaient le long de ses joues, Candy prononça ces quelques mots qui achevèrent de lui briser le coeur :

- Oh, Annie. C'était un garçon...
 
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view post Posted on 25/6/2016, 17:50
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Bonsoir !

Me revoici, après de longs mois. Je n'ai pas du tout oublié mon projet et compte bien le mener à terme (quitte à ce que cela prenne dix ans ^^). Je vous propose aujourd'hui ce troisième chapitre, que j'ai pris, comme d'habitude, beaucoup de plaisir à écrire.
Au plaisir de lire vos impressions à travers la rubrique commentaires,

Lou99

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Chapitre III



Ecosse, 1931

Chère Patricia,

Je ne sais trop comment débuter cette lettre. La première fois que j'ai écrit à quelqu'un, je crois bien que j'étais moins embarrassée et troublée qu'aujourd'hui, et ce, malgré mon inexpérience en la matière.

Pourtant, nous sommes des amies de longue date et il m'a toujours semblé ridicule de chercher maintes formules alambiquées pour exprimer sa pensée. Certes, je ne suis pas écrivain, comme toi, mais mon avis sur l'expression des sentiments est tranché : on ne devrait jamais chercher ses mots quand on parle à quelqu'un qu'on aime.

Tu vois, je suis toujours ta Candy, et tu me retrouves dans toute ma spontanéité. Patricia... Je t'imagine lisant cette lettre, le coeur auréolé par ton habituelle bienveillance. Patricia, aujourd'hui je cherche mes mots, aujourd'hui cette lettre est brouillonne et digne du plus médiocre écrivain de pacotille, mais j'éprouve le besoin de te l'écrire. Depuis des mois, c'est la première fois que je me laisse le droit d'exprimer mon désarroi et ma vacuité intérieure persistante. C'est si dur. Il le faut pourtant. Je dois laisser galoper les mots sur le papier, leur conférer cet étrange pouvoir d'apaisement tandis que ma plume les fait danser.

Sache que je regrette amèrement ma conduite des derniers mois. Je sais que tu as sûrement en tête mille justifications à mes agissements. Le fait qu'ils soient excusables ne les légitimise pas pour autant.

Je regrette. Combien de lettres as-tu rédigé à mon intention avant que je ne daigne enfin t'adresser une réponse à travers la présente ? Et quelle présente ! Je me fais l'image d'une petite fille perdue tâchant vainement d'aligner trois mots, incapable de structurer sa pensée, et se parlant plus à elle-même qu'à une de ses plus chères amies.

Je m'en veux tant. Après la perte qui a creusé un puits sans fond au plus profond de mon être, je me suis repliée sur moi-même, telle une huître, refusant toute tentative de sollicitation extérieure. Tu m'as tendu la main, tu voulais m'aider. Qui était mieux placé que toi pour le faire ? Tu avais été toi-même déjà directement confrontée à la mort. Cette chose qui semble nier toute cohérence vitale mais qui pourtant donne tout son sens à nos existences.

J'avais mal, si mal intérieurement que tout me semblait vain et inutile. Comme si rien que le fait d'être au monde, parmi vous tous, me condamnait à un éternel exil intérieur. Je me sentais déchirée, et j'avais peur, si peur. Mon esprit oscillait dangereusement entre effroyable lucidité et déraison totale. J'étais dans le noir. Un petit animal traqué par ses propres démons. Il ne m'a fallu qu'un jour pour faire connaissance avec l'enfer. Il ne m'a suffi que d'une seconde. Celle où l'ange a déclaré son indépendance, une indépendance bien trop précoce. Celle où il a quitté mon corps, tandis que la vie quittait le sien. Une seconde. Une seconde pour muer une femme accomplie en orpheline. Morte à l'intérieur, mais pourtant si vivante, trop vivante, comme je le sentais à la souffrance glacée qui courait le long de mon échine.

Dès lors, j'ai préféré lâchement m'éloigner. Je me brisais tant, comme si cette rupture abominable durait indéfiniment. C'était une épine qui ne cessait de remuer dans ma peau en se cassant en cent un petits morceaux, et qui se brisait, oui, se brisait sans arrêt, devenant toujours plus fine et insondable, toujours plus fine et venimeuse tandis que paradoxalement, la blessure semblait se refermer. J'avais peur. Peur de moi, peur des autres, peur de faire de ma colère une arme en arrachant l'aiguille de la plaie béante pour en faire un dard.

Pardonne-moi, s'il te plaît. Pardonne-moi mon silence oppressant, mon mutisme, mon autoapitoiement. Et tout le reste. Pardonne-moi pour toutes ces choses que je n'ai pas su dire, et qui auraient peut-être pu me libérer. Dans ma tête les mots étaient devenus vides, ils sonnaient creux et se décomposaient lentement, jusqu'à en perdre leur sens et ne devenir que des balbutiements. C'est parce qu'ils avaient besoin de lumière, et de contact, aussi. Ils avaient besoin d'émerger, de prendre vie et de se mêler à leurs semblables dans une symbiose.

Je n'ai fait qu'ajouter à mon malheur l'isolement, le désespoir et l'absurdité. Je ne voulais plus vivre. Cependant, je continuais chaque jour. A l'époque, dans mes rares moments de prise de recul par rapport à moi-même, j'étais convaincue que cette situation résultait soit de l'habitude, soit de la lâcheté. A présent, je pense sincèrement qu'il n'en était rien. Le fait que je ne me sois pas entièrement fanée est dû à une profonde velléité de vivre.

Quand Soeur Maria a compris que rester alitée à la Maison de Pony me desservait plus que cela ne m'aidait - pire encore, cela m'infantilisait - elle m'a forcé la main pour que je me rende en Ecosse. Et pas n'importe où en Ecosse, comme tu l'as peut-être deviné.

Revenir sur ces lieux peuplés par les bons souvenirs et recelant une aura apaisante m'a amenée à reprendre petit à petit goût à la vie. Cela ne s'est pas fait du jour au lendemain, bien sûr. Progressivement, les barrières que j'avais érigées contre le monde extérieur se sont affaissées ; mon asphyxiante carapace s'est craquelée, puis morcelée ; mes sens se sont aiguisés. Finalement, l'aiguille s'est elle-même extraite de la blessure, m'accablant d'une douleur nouvelle, jusque-là inconnue. Moins aigüe, mais plus durable. Une douleur utile, celle de la reprise de conscience, en franche contraste avec la douleur fulgurante et arraisonnée qui m'avait traversée durant ma phase de mutisme.

Cette douleur, j'ai appris à vivre avec, et j'ai recommencé à nourrir de l'espoir et l'envie de revoir la lumière. Oui, voilà les trois mots qui me brûlent la langue : recommencer à vivre. J'ai recommencé à vivre. Enfin. Malgré la culpabilité ressentie chaque matin à mon réveil et l'impression qu'une partie de moi me manquait, comme si je n'étais rien de plus qu'un puzzle incomplet dont la pièce manquante était irrémédiablement perdue. Il est clair que retourner converser en Ecosse avec les fantômes du passé aurait aisément pu m'enfoncer davantage dans ma torpeur tourbillonnante et mon désespoir, mais cela m'a finalement été profitable. De mon lointain passé rejaillissaient de puissants échos qui me poussaient à aller de l'avant et à tourner le dos à mes tourments. Je revoyais la Candy joyeuse et espiègle du Collège Royal de Saint-Paul, je vous revoyais, Annie et toi. Je revoyais Terry, aussi. Autant de voix qui se mêlaient dans une douce symphonie, m'exhortant à continuer à me battre et à espérer. Envers et contre tout.

Je suis si heureuse d'avoir eu le courage de t'écrire aujourd'hui, Patricia. Je ne redoute nullement ton jugement, ne crois pas ça. J'emploie le terme "courageux" car pour la première fois depuis des mois, je me force à établir un dialogue avec les autres et avec moi-même.

Ton amie,

Candy


Edited by Lou99 - 25/6/2016, 19:09
 
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Clinchard
view post Posted on 16/5/2018, 21:49




Super! Y a-t-il une suite?
 
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view post Posted on 13/9/2019, 03:19
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@Lou99 hi, its such a pity thsi story was left unfinished. real pity
 
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view post Posted on 20/11/2019, 14:27
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QUOTE (Perth77 @ 13/9/2019, 03:19) 
@Lou99 hi, its such a pity thsi story was left unfinished. real pity

Hi, thanks for the message!
I know and I think so, I've begun writing this story years ago and now I don't really know how to continue it. Did'nt spend so many time to write in between... I've always loved writing but I used to be not very self-confident.
Yet I think that if I continue it one day, it will be for pleasure, because I don't have to put so much pression on myself to make it!
But I want to say that I'm very very pleased that you all enjoyed it this way :Amour14:

French translation:

Salut, merci pour vos messages !
Je me dis la même chose, mais ça fait vraiment longtemps que j'ai commencé à écrire cette histoire et du coup maintenant, je ne sais pas trop comment la poursuivre. Il faut dire que je n'ai pas consacré beaucoup de temps à l'écriture, entre temps... J'ai toujours adoré écrire mais j'ai trop souvent été peu sûre de moi par le passé.
Maintenant, je pense que si j'en viens à écrire la suite de cette histoire un jour, ce sera uniquement pour le plaisir, parce que ça me semble inutile de me mettre autant de pression !
Mais je suis vraiment très très heureuse de voir que cette histoire vous a tant plu ! :Amour14:

Lou99
 
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