| Bonsoir à tous ! Et bonne année 2016 ! Voici la suite, et elle arrivée bien plus vite que je ne le pensais... En ce jour de l'an, j'ai été très inspirée. J'espère que ça vous plaira. Je trouve que c'est un peu long pour un premier chapitre, et je ne sais pas si les autres auront cette longueur-ci. A très bientôt et bonne lecture.
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Chapitre I
La petite boîte était là. Elle avait été cabossée, usée, déformée, malmenée par le temps et les affres de la vie. Mais elle avait survécu, la petite boîte. C'était devenu son compagnon de voyage. Le seul à qui il avait jamais osé confier sa solitude, ses regrets et l'intense sentiment de vide qui l'habitait. Ce n'était qu'une vieille boîte à gâteaux. De celles-là même que les enfants, dans leur plus jeune âge, tentent d'atteindre alors que leurs parents ou gouvernantes les ont expressément disposées en haut de la plus solide étagère de la cuisine. La boîte de l'interdit. La boîte du petit bonheur volé. La boîte de l'arbitraire. Celle dont on rêve secrètement la nuit. Celle dont on niera toujours avoir ne serait-ce qu'avoir effleuré le couvercle orné d'images vieillottes en relief.
Une boîte. Sa boîte. Voilà tout ce qu'il possédait. C'était sa seule richesse, mais pourtant pas des moindres. Il était loin d'être pauvre, dépossédé ou à la rue : il avait tout ce dont il avait besoin. Mais tout paraissait creux et infiniment dérisoire face à cet objet qui ne valait pourtant pas un sou. Pour toute personne extérieure à sa situation, cette réalité aurait sonné comme un triste constat, annonçant une sénilité approchant à grands pas. Mais lui savait. Et la petite boîte aussi.
Oh, il n'était pas simple de se balader partout avec. Il aurait tant voulu le faire. Comme le bon vieil amant éploré qu'il était. Cela faisait à peine trente ans qu'il était venu au monde, mais la tristesse avait la fâcheuse tendance de lui tirer les traits, lui donnant un air songeur. Rongé de l'intérieur. Ne l'était-il pas ? Mais toujours il en revenait à la chose qui l'avait guidé durant toutes ces années de doutes : l'espoir. Cet espoir-là, personne ne le lui volerait. C'était un espoir fou, qu'il aurait dû abandonner derrière lui il y a bien longtemps déjà. Mais on ne renonce pas à un rêve comme on se déchausse le soir en rentrant chez soi. Ce serait bien trop facile. La boîte, il la gardait la majeure partie du temps en lieu sûr. Là où nul ne pourrait la toucher, se l'attribuer, l'agripper de ses doigts intéressés ni même l'égratigner de ses ongles sales et avides de pureté. La boîte était enfermée dans un coffre-fort. Son coffre-fort personnel que même la mère Marlowe, aussi cupide et vénale qu'elle fût, n'osait approcher, redoutant les foudres de son gendre. D'ailleurs, même après tout ce temps, il n'en revenait toujours pas : il avait un coffre-fort à sa disposition. Rien que pour lui. Plus que ça. Il avait des milliers de coffres-forts, partout autour de lui, qui n'attendaient que d'être remplis de pierreries et d'autres choses si chères aux yeux des Hommes. De choses si futiles, en somme.
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Alors, à chaque fois qu'il ouvrait ce coffre-fort, qui le fixait à toute heure du jour et de la nuit depuis l'étagère de son bureau, il ne pouvait s'empêcher d'être surpris. Surpris par l'immensité de cette caverne d'Ali Baba qui le contemplait, presque tout autant ébahie que lui. Car la fameuse boîte, qui trônait majestueusement au centre de cette prison dorée, paraissait ridicule. Mais elle ne l'était pas. La minutie dont il faisait preuve à son égard revelait presque du fétichisme. Il s'en faisait lui-même la remarque, parfois. Pourquoi tant de soin pour un stupide objet ? Pourquoi disposer cette... chose dans ce coffre-fort ? Cette chose dont personne ne se souciait et que personne ne songerait sûrement jamais à lui dérober ? Au fond, ne finissait-il pas par transformer sa vie en véritable pièce de théâtre, à se montrer ainsi si cérémonieux ? Tous ces rituels ne finiraient-ils pas par lui faire perdre entièrement la tête ?
Il ne pouvait pas se résoudre à arrêter tout ça. Il avait cru vouloir oublier. Un temps. Mais qui dont pourrait être assez dérangé pour pouvoir condamner définitivement cette porte de sortie ? La porte qui le menait tout droit vers son passé, sombre, tumultueux, peuplé par les remords et les chagrins mais néanmoins stupéfiant, magnifique, bouleversant. Et heureux. Il avait été heureux. Alors, la petite boîte n'était pas là pour le lui rappeler, elle n'était pas en sa possession pour qu'il se souvienne. Car les souvenirs de ces jours heureux l'accompagnaient chaque jour, partout où il allait. Il était hanté. Littéralement. Il souriait, connaissait triomphe sur triomphe, était acclamé par la foule et les critiques, s'enrichissait, était servi par des domestiques, et vivait entouré de ce qu'on appelle communément le "beau monde". Lui, l'acteur, le voyou du Collège Royal de Saint-Paul, le sombre idiot qui avait sciemment nui à sa digne famille. Lui, qui n'avait dû compter que sur ses véritables capacités pour se faire une place, là, quelque part, parmi toutes ces braves personnes de bonnes familles et ces starlettes en devenir. Lui qui demeurait presque malgré lui sous les feux des projecteurs, lui auquel tout le monde semblait si dévoué et aimable. Seul son talent l'avait mené là où il se trouvait à présent. Mais ça ne lui suffisait pas. Rien de tout ça ne lui suffisait. Il n'avait jamais rêvé d'être une star, jamais rêvé de toutes ces mondanités qui frisaient par instants le ridicule. Il aurait voulu juste qu'on lui dise qu'il avait un talent, un vrai. Pas qu'on le transforme aux yeux du monde en un de ces acteurs si sûrs d'eux, si dédaigneux envers les autres qui croient que tout leur est acquis, qui semblent persuadés que le monde est prêt, là, en cuisine, à leur être servi sur un plateau, encore ébouillanté par leur éternelle et piteuse grâce, pourtant inexistante.
La boîte était avec lui pour lui prouver que sa vie d'avant n'avait pas été un rêve. Pour lui assener, encore et encore, que rien ne devait être oublié. Que s'il devait recommencer, il saurait exactement quoi faire. Là reposait toute l'ambiguïté. La boîte l'entraînait, dans ses heures les plus sombres et mélancoliques, vers des chemins obscurs et lui lacérait les entrailles tandis que, tremblant, il en soulevait le couvercle, recevant son contenu tel une pénitence. Mais, parfois, c'était le contraire qui se produisait. Il ouvrait la boîte brusquement, tout fébrile d'en découvrir une énième fois le contenu, et il ne pouvait s'empêcher de sourire, de pleurer de soulagement. Elle était toujours avec lui. Une rose qui ne fanait ou qui ne s'endormait jamais dans son cercueil de vieux métal rouillé. Ainsi, elle lui apportait tantôt son lot de malheurs, tantôt un puissant réconfort qui l'irradiait jusqu'aux tréfonds de son âme.
La boîte voyageait, de temps à autre. C'était quand il partait en tournées avec la troupe. Ces occasions se faisaient hélas de plus en plus rares : désormais, il n'avait même plus besoin de se déplacer, car c'était les autres qui venaient à lui, comme s'il exerçait sur eux une attirance invincible. Il ne pouvait jamais se résoudre à la laisser derrière. Il puisait dans les ressources de son imagination moult inquiétudes : et s'il se produisait un incendie, une inondation, un cambriolage ; et si une de ses prétendues admiratrices se permettait de s'en emparer ? Ce serait un sacrilège, un drame, l'effondrement de tout son empire. De tout son espoir. Alors elle partait en balade, le suivant dans ses déplacements comme le plus fidèle des chiens. Elle n'était pas des plus simples à transporter, car volumineuse et lourde. Il la rangeait soigneusement dans une petite mallette qu'il s'attachait dès lors à ne plus quitter des yeux. Quand il arrivait à destination, il la rangeait dans un autre coffre-fort. Cette protection factice le rassurait quelque peu. Et alors il jouait, en pensant à la mallette. Parfois, quand il contemplait ce vulgaire bagage, il songeait à sa valise, à elle. Celle qu'elle trimbalait partout avec elle, au gré du vent et des tourments dans lesquels l'entraînaient la vie. La possédait-elle encore ? Peu importait. Il ne fallait pas penser à ça, puisque déjà il était temps de passer sur scène, et de s'envoler dans un autre monde. Il jouait pour cette stupide mallette, il jouait pour cette petite boîte, il jouait pour le contenu de cette saleté de boîte, ô combien vénéré.
Il jouait pour la rose qu'il n'oublierait jamais.
Ce soir-là, à New York, dans sa chambre d'hôtel, il avait ouvert la boîte. C'était le meilleur moment pour s'immerger, pour se saouler avec tout cet amour qu'il croyait encore détenir entre ses mains.
Une feuille de papier. Non, en réalité, trois feuilles de papier. Soigneusement pliées en quatre en respectant scrupuleusement les bordures. Le papier n'avait pas vieilli. Il les avait dépliées. Très, très lentement. Avait, avant de les parcourir des yeux une nouvelle fois, fermé les yeux et poussé un long soupir. Quand il les avait rouverts, la première chose qu'il avait relevée était les quelques petites taches d'encre qui parsemaient les feuilles. Plutôt arbitrairement. Il avait songé que cela aurait pu être les larmes qu'il avait versées ce soir-là. Cela aurait été si romanesque, si théâtrale, si grandiose. Mais non. C'était la neige qui avait fait coulé l'encre par endroit. Ce soir-là, des années auparavant, il était sorti. Il n'avait fait que quelques pas dans la neige que déjà il était tombé à genoux, glacé par un vide monumental qui avait soudain surgi devant lui. Il avait complètement oublié les feuillets qu'il avait maladroitement fourrés dans une des poches de sa veste. Ils avaient été alors mouillés. Par mégarde. C'était depuis cette nuit-là qu'il en prenait le plus grand soin. Mais les taches ne pouvaient pas masquer les mots, qui étaient là, inscrits, sévèrement ancrés dans le papier et qui paraissaient le juger. Il y avait pourtant là quelque chose d'autre : les mots le consolaient, les mots le châtiaient comme on gronde un enfant qui vient de commettre une bêtise malicieuse, comme on gronde un enfant sans vraiment y croire.
Il lut ces mots, ces dizaines de mots écrits de sa propre main. Et même après tout ce qu'il avait vécu, l'émotion était là, pareille à celle du premier et du dernier jour, glaçante, rassurante. Sidérante et incroyablement poignante.
***
Ce soir, tu m'as quitté. Ou peut-être est-ce moi qui t'ai lâchement abandonnée ? Alors, nous nous sommes quittés. Ensemble. Dans un même geste désespéré. En symbiose.
Comme il en a toujours été.
Tu sais, je ne suis pas un homme de lettres. Mais ce soir, mais cette nuit, je ressens le besoin de t'écrire. En faisant ça, j'ai le sentiment de garder contre moi un bout de toi. C'est mal dit, mais je ne m'en soucis pas. Cette lettre. Cette lettre, cette lettre quand je l'écris, je me vois en train de te rattraper. Un ultime recours. Une illusion. Une image qui ne s'effacera pourtant jamais de ma mémoire. Malgré ton évidente détresse, tu était belle, ce soir. Belle comme une femme. Pas comme une adolescente effrontée et désobéissante. Tu étais belle dans ton grand manteau rouge, tu étais belle avec tes grands yeux qui me disaient : "Pardonne-moi. Pardonne-nous.". Tu étais belle, et je ne te l'ai même pas dit.
J'ai tiré le rideau de cette luxueuse mais non moins minable chambre, j'ai tiré le rideau comme on tirerait un trait sur un rêve devenu inaccessible. De ma fenêtre, je voyais ta frêle silhouette s'éloigner peu à peu. Déjà les traces de pas que tes bottes laissaient dans ton sillage s'effaçaient, et je ne pouvais pas supporter de te voir, toi aussi, disparaître.
Comme si tu avais été aussi éphémère que tes empreintes laissées dans la neige fraîche.
Mais je ne voulais pas non plus te voir te retourner et lire la souffrance contenue dans tes yeux brumeux. Alors, j'ai tiré le rideau. De toutes les manières, tu ne te serais pas retournée. Tu es bien trop fière pour ça. C'est une des choses que j'admire le plus chez toi : ta détermination et ton caractère de cochon. Des années de fausse résignation face à des personnes capables des pires vilenies ont fait de toi ce que tu es devenue aujourd'hui : une femme forte et indépendante.
"Tu peux encore aller la retrouver, il n'est pas trop tard."
Si, il est trop tard, Suzanne. Tu le sais bien. Elle le savait bien. A quoi bon essayer de me faire croire à une possible alternative ? Le mal était fait, pourtant, c'était ce qui était supposé constituer une action louable, juste et emprunte d'une pure logique. Je me devais de sauver les apparences. Comme si, enfin, je pouvais faire honneur à mon rang. Comme il l'appelle. Un digne héritier de mon salaud de père ! Cependant, en réalité, seules la culpabilité et la pitié m'ont jeté dans les bras de cette femme. Amie artiste, compagne de route, collègue de travail, mais finalement si étrangère. Sa pâleur et sa faiblesse symbolisent toute la froideur qu'elle m'inspire. Pour autant, je ne parviens pas à la détester, car je me plais à m'autoflageller et à croire que je suis l'unique fautif dans cette histoire. Notre histoire. Oh, Candy, ma douce Candy... La honte m'étouffe tellement l'âme, me comprime tant les poumons que j'ose à peine te nommer. Tu m'as appris à aimer. Tu es parvenue à panser des blessures que mon être même ignorait receler.
A chaque fois que je déclamais des vers, ils étaient pour toi. Je les destinais à tes yeux vifs et intelligents, brillants d'un éclat émeraude dont toi seul détenais le secret. Mais Candy. Durant ces mois d'errance psychologique, durant ces mois où je poursuivais aveuglément un idéal qui a aujourd'hui perdu de sa saveur, j'ignorais une chose.
J'excelle dans l'art du théâtre, il est vrai, je chante la poésie shakespearienne à merveilles, dit-on ici et là. Mais dans mon propre rôle, oui, dans ma propre vie, je ne serai jamais qu'un piètre figurant.
Ce soir, tu étais à mes côtés, et je me blottissais contre toi dans une dernière étreinte, mais en réalité, jamais nous n'avons été aussi éloignés l'un de l'autre. Ni les règles, ni les conventions, ni les océans, ni même nos absences n'ont su réellement nous séparer. Nous nous sommes rencontrés, séparés, entrevus, croisés, nous avons malgré tout fait bonne figure face à la vie mais nous ne nous sommes jamais, ô grand jamais, oublié. A l'heure de nos retrouvailles, une femme, une seule, a su ébranler notre amour. Un amour muet, tu, nié, sublimé par nos silences et nos désillusions. Un amour fort, persistant, brûlant, inaliénable. Mais néanmoins si fragile. Les épines de tes roses n'ont pas pu nous sauver ; les arbres de ta colline non plus.
Un drame rôdé tel une terrible machine, orchestré par les voix de l'ombre. Un drame digne des plus grandes tragédies. Ne crois pas que je mets tout ça sur le compte du destin et de la fatalité. Ça, je n'y crois pas. J'ai participé. Activement.
J'ai préféré l'honneur à l'amour, mais mon coeur, aussi puéril et haïssable qu'il soit, restera à jamais brisé par ce dilemme qui n'en est plus un.
Candy.
Personne ne connaîtra ton nom. Tu ne feras pas la une des journaux. Aux yeux du monde, nos chemins ne se seront jamais croisés. Tu ne seras ni plus ni moins qu'une simple admiratrice, perdue au milieu d'une cohue agitant frénétiquement maints bouquets de roses. Des roses, j'en ai reçues par milliers, mais tu es la seule que j'ai jamais désirée. Ton amour est le seul trophée, le seul éloge que j'apprécie à sa juste valeur. Je me tairai, tu te tairas, nous le savons tous les deux. C'est ainsi, et je tends à croire qu'il faut s'y soustraire.
Mais oublier, jamais. Je vous aime, mademoiselle taches de son. Je vous aime même si je n'ai su te le dire, à toi. Tu seras à jamais l'unique objet de mes désirs.
Tu ne recevras jamais cette lettre. Car je ne te l'enverrai pas. Je n'y ai pas songé une seule seconde en en débutant la rédaction. Ces mots sont vains, Candy. Vains mais pourtant si précieux. C'est la seule épine que je peux me targuer de t'avoir offerte un jour. Où que tu sois. Où que tu ailles.
Je t'appartiendrai toujours. Malgré les masques, les costumes, les apparences et les faux-semblants. Je serai éternellement tien. Et à chaque représentation, je jouerai pour toi. Car sinon, plus rien n'aurait de sens.
Adieu, Candice Neige André.
Adieu, Candy.
Terrence G. Grandchester Edited by Lou99 - 9/1/2016, 01:15
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