Chapitre 8 Tout est bien qui finit bien
Alors qu’il sortait de l’hôpital, Terry fut assailli par les flashes. Contrairement à ce qu’il espérait, le froid et l’épaisse couche de neige qui avait recouvert les rues de la ville n’avaient pas eu raison de la détermination des reporters qui battaient pourtant la semelle depuis l’aube sur le perron. S’il ne se trompait pas, la petite troupe s’était même étoffée et n’avait, semble-il, nulle intention de différer davantage l’interview promise. Il soupira. Candy était encore fatiguée et il aurait préféré lui éviter ce genre de joyeuseté. Mais autant en finir tout de suite.
Chacun essayait d’attirer l’attention de l’acteur dans sa direction.
« Monsieur Graham… Monsieur Graham !
— Terrence !
— Pourquoi avoir précipitamment quitté votre gala ?
— Quels sont les liens qui vous unissent à Mademoiselle André ?
— Susanna Marlowe est-elle au courant de votre voyage ?
— Que pense votre fiancée de votre présence en ces lieux ? »
Terrence leva les deux mains devant lui pour réclamer le silence qu’il obtint aussitôt et déclara :
« Susanna est bien sûr au courant de ce voyage. Et ce qu’elle en pense… Le mieux serait de le lui demander en personne, ne croyez-vous pas ? Quant à cette personne à mes côtés, ajouta-t-il en entourant à nouveau les épaules de sa Taches de Son d’un bras protecteur, sachez qu’il s’agit de l’amour de ma vie. »
Sa déclaration fut suivie d’un bref silence qui céda presque aussitôt la place à un brouhaha indescriptible durant lequel Candy baissa les yeux, le rouge aux joues, le cœur battant à tout rompre. C’était une chose que d’entendre Terry lui déclarer sa flamme dans l’intimité de sa chambre d’hôpital… C’en était une tout autre de la lui entendre clamer haut et fort à la face du monde. Affreusement gênée, elle entendait les commentaires pas forcément élogieux qui se succédaient pêle-mêle, des « Mais quel malotru ! » « C’est un scoop !» « J’ai toujours dit que c’était un coureur… » « C’est incroyable ! » « Ces célébrités, ça se croit tout permis… » pour ne citer que les plus bruyants.
Les journalistes s’interpellaient et se consultaient du regard, abasourdis. Puis une voix couvrit les autres.
« Mais, et Susanna Marlowe, alors ?
— Vous voulez dire que vous avez rompu vos fiançailles ? ajouta quelqu’un d’autre.»
Terry éleva à nouveau sa main libre, obtenant toute l’attention de la cour qui s’agitait devant lui.
« Non je ne les ai pas rompues !
— Mais c’est un scandale ! s’indigna une femme entre deux âges.
— Et ça ne vous gêne pas de vous exhiber ainsi ? renchérit quelqu’un d’autre.
— Après tout ce que cette pauvre Susanna Marlowe a fait pour vous… continua un moustachu à l’air peu affable. »
Le comédien commençait à sentir la moutarde lui monter au nez et les interrompit, exaspéré :
« Vous jugez sans rien savoir. Figurez-vous qu’il m’aurait été bien difficile de rompre ces fiançailles pour la bonne raison que Susanna et moi n’avons jamais été fiancés. »
Cette fois-ci ce furent des « Hein ? », des « Comment ? », des « Ces quoi encore ces histoires ? » interloqués qui secouèrent la petite assemblée qui lui faisait face.
« Pourtant, fit le journaliste qui se trouvait le plus à droite, lorsque Madame Marlowe elle-même l’a annoncé, vous n’avez pas démenti !
— Et alors ? Si je n’ai pas jugé bon de le faire à ce moment-là, c’est parce que Susanna était à mes côtés, et que je ne souhaitais pas l’embarrasser devant tout le monde. Elle avait déjà suffisamment de problèmes auxquels faire face. »
Terry se souvenait encore de toute la volonté qu’il avait dû mobiliser pour rester calme et souriant devant la troupe de journalistes, alors que sa seule envie en cet instant était d’étrangler de ses propres mains l’horrible mégère qui tentait de lui mettre la corde au cou.
Alors que les questions étaient sur le point de reprendre, Albert franchit à son tour les portes de l’hôpital et ce fut vers lui que se tournèrent aussitôt les micros.
« Monsieur André, que pensez-vous de la déclaration de Terrence Graham au sujet de votre fille ?
— Quelle déclaration ?
— Il a dit qu’elle était la femme de sa vie… N’avez-vous pas peur que ce soit uniquement votre fortune qui l’intéresse ? »
Le milliardaire observa durant quelques secondes l’homme qui venait de s’exprimer, puis il secoua la tête, une moue désabusée sur les lèvres, et rétorqua :
« La seule chose qui m’inquiète actuellement est l’état de santé de ma fille. Et ce ne sont pas les commérages que vous vous plaisez à répandre qui lui apporteront la sérénité nécessaire à un bon rétablissement. Candy a besoin de repos. Désolé, mais je ne peux m’attarder plus longtemps. »
— Tu viens, Terry ? Ou tu as encore des choses à déclarer à ces messieurs-dames ?
— J’arrive, Albert... fit ce dernier en lâchant un peu à contrecœur la jeune femme pour la laisser aux bons soins de son père. Je tenais juste à préciser, mesdames et messieurs, que contrairement à ce que vous avez l’air de croire, j’ai toujours aimé Candy. Je ne suis resté avec Susanna Marlowe que pour l’aider à se remettre du terrible accident dont elle a été victime… et il me semble qu’à présent, elle a suffisamment repris confiance en elle pour voler de ses propres ailes !
— Monsieur Graham est-il vrai que…
— C’est tout ce que j’ai à dire pour l’instant. »
Sans plus prêter attention aux questions qui continuaient à fuser, Terrence s’élança à la suite d’Albert et de Candy, fendant la petite foule qui s’était refermée derrière le milliardaire et sa fille. Sur le point de monter dans la carriole où l’attendaient les deux autres, déjà confortablement installés et emmitouflés dans des couvertures chaudes et douillettes, il s’immobilisa, abasourdi.
À quelques mètres de là se tenait… Il fronça les sourcils, n’en croyant pas ses yeux. Cette dégaine, ce regard fuyant… C’était bien… Niel. Niel Legrand. Impossible de se tromper.
Le sang de l’acteur ne fit qu’un tour. Ce que les autres lui avaient raconté le matin même lui était instantanément revenu à l’esprit. Il en avait été malade, malade d’apprendre que ce vaurien qui avait déjà tant harcelé et brutalisé Candy dans le passé, ne s’était pas gêné pour la forcer dans un mariage contre nature. Il songea que c’était presque une bénédiction de l’avoir, là, devant lui : il allait pouvoir extérioriser la rage qui l’avait submergé, telle un tsunami, et qui depuis, couvait en lui. Sans prendre le temps de la réflexion, sans chercher à comprendre la raison de la présence en ces lieux du fils Legrand, Terry se précipita vers lui.
Daniel s’était redressé hébété. Sans crier gare, sa sœur l’avait poussé hors du véhicule avec un petit glapissement de chat écorché « Ne reste pas là, fais quelque chose !!!» Cependant lui n’avait qu’une envie, disparaître dans un trou de souris. Il ne se voyait certainement pas affronter l’acteur qui arrivait sur lui comme un taureau furieux. Il se retourna vers la voiture cherchant de l’aide auprès d’Élisa mais celle-ci avait dû s’aplatir comme une crêpe sous le tableau de bord car il ne vit plus personne derrière le parebrise…
Puis les événements se précipitèrent. Niel se plia en deux, le souffle coupé. Il n’avait pas vu arriver le violent coup que venait de lui asséner Terrence au creux de l’estomac. Et quand bien même l’aurait-il vu, il n’aurait pu y changer grand-chose.
« Ahhh, ça fait du bien, s’exclama le comédien, même si je sais que je n’aurais pas dû m’abaisser à frapper quelqu’un d’aussi couard que toi. »
Accroupi au sol, un bras levé pour se protéger la figure, l’autre serré contre son ventre douloureux, le fils Legrand reçut le mépris de l’acteur comme un second coup de poing, presque plus désagréable que le premier. Terry s’accroupit près de lui et murmura :
« Tu touches encore un seul cheveu de Candy et je te tue… Tu as compris ? TU AS COMPRIS ?»
Le murmure avait cédé la place à un grondement menaçant et Daniel, recroquevillé sur lui-même, hocha frénétiquement la tête, incapable de garder les yeux ouverts. Terrence se releva, écœuré.
« Et tu diras à ton idiote de sœur qu’elle n’a pas intérêt à croiser mon chemin ou celui de Candy… Si par hasard j’ai le malheur de la rencontrer, je risque fort de me laisser aller à certaines extrémités que je ne suis même pas sûr de regretter par la suite. »
L’incident, vous vous en doutez bien, avait fait la joie des journalistes qui s’étaient aussitôt précipités afin de couvrir cet événement d’une importance capitale pour l’avenir de la nation… Malheureusement pour eux, l’acteur ne les avait point attendus et s’était prestement éclipsé dans la carriole qui s’était aussitôt ébranlée, ne leur laissant que Daniel Legrand à se mettre sous la dent.
« Pourquoi l’as-tu frappé, s’enquit Candy alors que le comédien prenait place près d’elle.
— J’avais besoin de me défouler…
— Oh… Terry !
— Tu vas faire la une des journaux, déclara Albert d’un ton sentencieux.
— J’ai l’habitude…
— Tu ne crains pas que ça te porte préjudice ?
— Bah… Il suffit de leur mettre d’autres nouvelles plus croustillantes sous les dents…
— En tout cas, cet abruti de Daniel aurait mieux fait de suivre mes ordres et de rester enfermé dans sa chambre… Il n’a eu que ce qu’il méritait…
— Oh, vous deux ! Vous exagérez quand même ! Qu’est-ce qu’il avait fait ce pauvre Daniel ?
— Avec tout ce qu’il t’a fait subir, tu t’inquiètes encore pour lui, Taches de Son ? Tu es et resteras toujours pour moi, une inépuisable source d’étonnement. »
—oooOOOooo—
Le souffle court, Terrence martela le sol de ses pieds et secoua le bas de son manteau pour le débarrasser de la neige qui s’y était accumulée, avant d’aider Tom à traîner l’énorme —et très lourd— sapin dans la pièce qui servait de salle de jeu aux petits pensionnaires. Un majestueux conifère, qu’ils étaient allés chercher ensemble dans la forêt toute proche. Candy, trop fatiguée, avait renoncé à les accompagner pour prendre un peu de repos et l’acteur avait dû se faire violence pour l’abandonner à l’orphelinat. À présent qu’il était revenu entre ces murs qui avaient vu grandir la jolie blonde, il n’avait qu’une idée en tête, la rejoindre au plus vite.
« Magnifique ! s’exclama Mademoiselle Pony, les mains jointes devant le cœur, un sourire épanoui sur la figure, alors que les deux hommes venaient de redresser l’arbre dans un coin de la pièce.
— Il n’y a plus qu’à le décorer, fit Tom, heureux d’avoir pu cette année encore, leur fournir un si beau sapin.
— Sœur Maria est justement allée chercher nos petits décorateurs… »
Terry essayait de prendre son mal en patience et se dandinait d’un pied sur l’autre, n’osant leur fausser compagnie.
« Tu ne vas pas voir comment va Candy ? lui demanda gentiment Tom qui avait remarqué sa fébrilité.
— Vous n’aurez pas besoin de moi ?
— D’habitude c’est Candy qui fait ça avec les enfants… répondit Mademoiselle Pony. Alors je pense qu’avec Tom, on va pouvoir se débrouiller ! »
Notre acteur ne se le fit pas dire deux fois et se précipita vers la chambre de sa belle sous le regard attendri de Mademoiselle Pony.
Arrivé devant la chambre de Candy, le comédien s’immobilisa, prit une grande inspiration pour se calmer, puis poussa la porte. Tout doucement.
La jeune femme dormait en chien de fusil. Ses boucles blondes recouvraient en partie son visage paisible. Terry s’approcha d’elle à pas de loup et avec mille précautions, remonta sur les jolies épaules rondes la couverture qui avait un peu glissé.
« Hmm… Terry… »
Le cœur de l’acteur bondit dans sa poitrine et il se figea, désolé d’avoir réveillée sa Taches de Son alors qu’elle avait tant besoin de reprendre des forces. Mais la jeune femme n’avait fait que parler dans son sommeil. Un sourire éclaira le visage de Terry alors que des souvenirs remontaient dans sa mémoire : une soirée d’orage et Candy, inconsciente entre ses bras et prononçant comme aujourd’hui un prénom, mais celui d’un autre. Puis prononçant ce même prénom, un peu plus tard, à l’infirmerie, où il l’avait transportée. Cela lui avait fait si mal à l’époque, si mal… Mais à présent, c’était son nom à lui qui s’échappait de la bouche adorée… Il en éprouvait un tel bonheur qu’un voile humide vint embuer ses yeux. Une violente envie de déposer un baiser sur les lèvres roses le prit, envie à laquelle il n’était pas sûr de pouvoir résister bien longtemps.
Il était temps de retourner aider les autres s’il ne voulait pas interrompre le sommeil de la belle au bois dormant. D’ailleurs, Candy serait heureuse de le voir se rendre utile auprès de ses « mamans » comme elle les appelait.
—oooOOOooo—
« Tu sais où est Mademoiselle Pony ? » s’enquit Terry en admirant l’arbre de Noël.
Les petits pensionnaires de l’orphelinat avaient bien travaillé. Le sapin était orné jusqu’à mi-hauteur de guirlandes de pop-corn, de bandes de papier savamment découpé et colorié, de pommes de pins ramassées dans la forêt et peintes de rouge, d’argent et d’or et d’autres babioles fabriquées avec soin à partir de matériaux de récupération.
« Mademoiselle Pony ? Elle est sortie à l’instant avec les enfants pour les faire goûter... Puisque tu es là, tu pourrais juste me passer l’étoile, là… »
Tom du haut de l’échelle montrait du doigt la décoration posée sur un coin de la table. L’acteur s’en saisit et la lui tendit.
« Terryyyy !!! » fit une petite voix joyeuse dans son dos.
Le comédien se retourna et contempla, éberlué la petite Mary qui, les joues rougies par le froid, accourait vers lui pour se jeter dans ses bras, suivie d’un Charlie tout sourire.
« Mary… Charlie… ? Mais comment êtes-vous arrivés là ? s’enquit Terry en recevant dans ses bras la petite boule d’énergie qui s’accrocha à son cou.
—Tu as raison de le demander ! Ça a été toute une aventure ! acquiesça Charlie en faisant un signe de tête à l’homme qui, du haut de son échelle, les dévisageait, un peu interloqué.
— Tom… enchanté… fit le jeune fermier en reprenant ses esprits.
— Charlie, un ami très cher, déclara Terry à son tour, et Mary, mon actrice principale. C’est grâce à elle que notre pièce a été un si franc succès… »
Il posa au sol la fillette qui rosissait de plaisir et la regarda avec affection. Celle-ci se tourna vers Tom, toujours juché sur son piédestal, et lui fit son plus beau sourire qu’elle accompagna d’une petite révérence gracieuse avant de chercher à nouveau le regard de l’acteur :
« Moi qui étais si pressée d’arriver ! Quand le train s’est arrêté et qu’il ne repartait plus, j’ai vraiment cru qu’on ne pourrait pas passer Noël ensemble…
— Elle a failli fondre en larmes !
— Pas du tout…
— Heureusement qu’un type s’est proposé pour nous amener. Une sacré veine qu’il connaisse ce coin perdu !
— Voyons, Tonton Charlie ! On ne dit pas un « type », mais un « monsieur ». Et il préfère qu’on l’appelle Gaspard !
— G… Gaspard ? bafouilla Terry, un peu estomaqué.
— Oui, Gaspard, comme le roi mage, c’est drôle, hein ? pépia Mary toute excitée, sans se douter de l’émoi qu’elle avait suscité en prononçant ce nom. Et on est venus en traîneau, tu te rends compte ? Avec les clochettes et tout et tout ! Tu devrais venir voir, c’est vraiment le traineau du Père Noël !
— Il manque juste les rennes… ricana Charlie qui avait remarqué le trouble de l’acteur et se doutait bien de ce qui avait pu le provoquer. »
Comme Terry le dévisageait, interrogateur, il haussa les épaules, dans un geste d’ignorance. Lui aussi s’était posé la question de savoir si ce Gaspard-là était celui de la commande… Mais il n’avait pas pu en avoir le cœur net. Dès le départ, Mary et l’homme s’étaient lancés dans des discussions sans fin et il avait fini par s’assoupir, à l’arrière du traineau, pour n’émerger que peu avant leur arrivée. C’est à ce moment seulement qu’il avait entendu Mary appeler le « monsieur » comme elle disait, par ce prénom et qu’il avait commencé à s’interroger. Terry interrompit ses pensées :
« Il est parti ?
— Qui ça ? Le sieur Gaspard ? Non… Il discute avec la directrice des lieux.
— Ils ont dit qu’ils nous rejoignaient, précisa Mary.
— Cette jeune fille, ici, était très, très, mais alors très pressée de te voir et il était impensable pour elle d’attendre une seconde de plus ! »
Mary fit la moue, un peu contrariée par le ton moqueur de Charlie.
« Tu ne m’en veux pas trop d’être parti sans même te dire au revoir, ma petite crevette ?
— Non, je ne suis pas fâchée. Mais je ne suis pas ta crevette ! Et je suis grande maintenant ! Où est-ce qu’elle se cache, Candy ?
— Tu connais Candy, toi ?
— C’est Robert qui lui en a parlé… C’est d’ailleurs lui qui nous a fait venir ici !
— Ah… Robert… Que deviendrai-je sans lui…
— Gaspard aussi connaît Candy, intervint la fillette. Il m’a raconté un tas de choses à son propos. »
Terrence fronça les sourcils. Donc cela signifiait que… Mais déjà, Mary continuait :
« Alors où est-ce qu’elle est ?
— Eh bien… elle dort pour l’instant.
— Elle dort ? À cette heure-ci ? On n’a qu’à aller la réveiller !
— Elle a besoin de se reposer, tu sais. Il lui est arrivé toute une aventure, à elle aussi…
— Je sais… mais je veux la voir ! Je veux savoir si elle est aussi jolie et gentille que Gaspard l’a dit ! »
Terry ne put s’empêcher de rire.
« Elle l’est, je peux te l’assurer et tu la verras tout à l’heure, promis. Pour l’instant tu peux aider à décorer le sapin.
— Ohhh ! Chic ! »
Mary s’était déjà libérée des bras du comédien pour se précipiter auprès de l’arbre qu’elle scrutait de haut en bas, les mains sur les hanches en secouant la tête.
« Ça manque de décorations, par ici ! »
Tom faillit s’esclaffer devant l’air sérieux qu’affichait la petite, mais il se retint. Il ne voulait pas la vexer. Et puis cette gamine lui rappelait beaucoup Candy, plus jeune. Mêmes boucles blondes, même air décidé, même gentillesse dans le regard… Il se demanda si l’acteur ne l’avait pas inconsciemment choisie pour cette raison.
Le regard de Terry passa de la fillette qui sautillait autour du sapin, ravie, à Charlie à qui il déclara :
« Je n’en reviens toujours pas de vous voir ici…
— Si tu n’étais pas le mécréant que tu es, je dirais que c’est un miracle qu’on soit là…
— Figure-toi que je commence à y croire, aux miracles… murmura le comédien. »
Puis il aperçut, dissimulant presque entièrement la petite silhouette replète de Mademoiselle Pony, l’homme souriant qui se tenait dans l’encadrement de la porte. En rencontrant son regard malicieux, Terry eut un mouvement de stupéfaction puis bredouilla :
« V…vous êtes… l’homme du train… ?
— En autre… déclara celui-ci en esquissant une courbette. Gaspard, pour vous servir !
— Vous vous connaissez ? intervint la vieille dame qui pénétrait à son tour dans la pièce, intriguée, tandis que Terry dévisageait le nouveau venu, abasourdi.
— En quelque sorte… acquiesça ce dernier avec un sourire bonhomme.
— Quelle coïncidence ! s’exclama la vieille demoiselle, toute réjouie. »
Et elle ajouta avec entrain :
« Figurez-vous que Gaspard sera notre Père Noël cette année !
— Mais cela reste entre nous, n’est-ce pas… murmura celui-ci sur un ton confidentiel. Je suis ici in-co-gni-to !
— Bien entendu, rit Mademoiselle Pony. »
L’acteur ne savait plus que penser : cela lui paraissait trop gros pour être qualifié de simple « coïncidence ». Il fronça les sourcils. Il avait besoin d’en savoir davantage sur cet étrange personnage, mais celui-ci emboîtait déjà le pas à Mademoiselle Pony. Terry l’arrêta d’un « excusez-moi » poli. Il venait en effet de se remémorer la bague qu’il avait glissée au doigt de Candy.
« Oui ? fit Gaspard en se retournant vers lui, dans l’expectative.
— Je… je crois bien que j’ai trouvé quelque chose qui vous appartient.
— Ah… la bague, peut-être ?
— Euh… Oui… J’ai essayé de vous rattraper lorsque…
— Je suis heureux de voir qu’elle a bien joué son rôle !
— Son… rôle ?! »
Pour toute réponse Gaspard se fendit d’un sourire avant de sortir de la pièce en ajoutant :
« Vous pouvez la garder. C’est un cadeau ! »
---oooOOOooo---
Candy ouvrit un œil, puis l’autre.
Un peu désorientée, elle promena son regard sur les murs de la chambre avant de retrouver tout à fait ses esprits. Elle se sentait beaucoup mieux. C’était un fait. Elle s’assit sur le rebord de son lit, s’étira comme un chat et… s’aperçut qu’une petite fille la dévisageait, fascinée. Une petite fille qu’elle n’avait encore jamais vue à la maison Pony. Une nouvelle sans doute, qu’elle s’étonna de ne pas avoir remarquée plus tôt.
« Bonjour ! lui dit-elle gentiment pour ne pas l’effrayer. Comment t’appelles-tu ?
— Mary. Et vous, vous êtes… Candy, n’est-ce pas ?
— Oui, tu as bien deviné. Mais tu peux me tutoyer, tu sais. Tous les enfants ici me tutoient. Tu es ici depuis quand ?
— Je viens juste d’arriver. J’espère que je ne vous ai pas, euh…, que je ne t’ai pas réveillée.
— Non, non, ne t’inquiète pas. »
Pour appuyer ses dires et la tranquilliser, la jeune femme accentua le sourire qui lui était naturellement venu aux lèvres à la vue de l’enfant.
« Vous, euh, tu es vraiment aussi jolie qu’on le dit, surtout quand tu souris.
— Qu’on le dit ? s’étonna Candy, un bref instant troublée par cette phrase qui lui rappelait tant de souvenirs. Et qui t’a raconté ça ?
— Tout le monde… Gaspard, Charlie, Robert et bien sûr Terry. »
Candy se tut, déroutée. Cette petite connaissait donc Terry, ainsi qu’un certain Gaspard, dont elle-même n’avait jamais entendu parler, mais qui, lui, semblait la connaître. C’était pour le moins étrange. Quant aux deux autres, étaient-ils bien ceux auxquels elle pensait ?
« Si j’ai bien compris, tu n’es pas ici en tant que pensionnaire ?
— Non, pas du tout, même si je suis effectivement orpheline.
— Ah… Et comment tu connais Terry ?
— J’ai joué dans sa pièce, vous savez, pardon… tu sais ! J’y ai même joué le rôle principal, se rengorgea la petite. Une fille qui voulait un papa et qui finit par en trouver un. »
La petite se tut avant de poursuivre sur le ton de la confidence :
« Peut-être que pour moi, ça va se passer comme dans la pièce... en mieux !
—Oh ! Mais, tu en trouveras sûrement un, toi aussi !
— Non, ce que je voulais dire c’est que je l’ai peut-être déjà trouvé mais…
— Ah ? Tu as trouvé un papa ? »
La jeune femme pensa à son papa à elle, qu’elle voyait d’ailleurs plus comme un ami ou un grand frère que comme un père. Elle songea à tout ce qu’elle lui devait et à la chance qu’elle avait eu de le rencontrer, et elle ajouta :
« C’est merveilleux !
— C’est pas encore sûr et ça doit rester secret… murmura Mary.
— Compris ! Je serai muette comme une tombe. En tout cas, j’espère de tout cœur que tu vas l’avoir ton papa !
— Moi aussi… Il manque juste encore une maman ! »
Dans la bouche de la fillette, il ne s’agissait pas d’une plainte. Juste d’une constatation. Mais elle dévisageait Candy avec une telle intensité, une telle confiance que celle-ci, troublée, eut l’impression d’un appel au secours.
« Je suis sûre que tu vas en trouver une…»
Le regard clair, plein d’attente que la fillette posait sur elle la remuait profondément et elle essaya d’embrayer sur un autre sujet.
« Si je comprends bien, tu es venue de New-York avec Terry ?
— Oui… Non… C’est-à-dire… Je viens bien de New-York, mais je suis venue avec Charlie. Et on a fait la fin du trajet dans le traineau du père Noël !
— Du père Noël, rien que ça ?
— Oui, enfin. Il dit qu’il est le père Noël, mais en réalité, il s’appelle Gaspard. Et heureusement qu’on l’a rencontré, sinon on ne serait jamais arrivés…
— Attends… raconte-moi tout depuis le début, l’interrompit Candy en tapotant le matelas pour l’inviter à s’asseoir auprès d’elle.»
---oooOOOooo---
« Je t’ai apporté les papiers, déclara Charlie en tendant à son ami une liasse de feuillets.
Des chants de Noël s’élevaient dans la pièce voisine. Les petites voix, même si elles manquaient parfois de justesse, étaient pleines de ferveur et donnaient un rien de solennité à l’ambiance festive dans laquelle ils baignaient.
« D’après Robert, continua-t-il, la procédure d’adoption a été accélérée parce qu’ils étaient persuadés que tu allais bientôt épouser ta jolie fiancée…
— Tu sais très bien que ce n’est pas ma fiancée, se renfrogna l’acteur.
— Je sais, je sais…
— Je la retiens, la mère Marlowe et ses affirmations mensongères ! Encore tout à l’heure…
— De quoi tu te plains ? le coupa Charlie. Ses mensonges auront au moins eu l’avantage de faire avancer un peu les choses.
— Si tu le dis… Sauf que l’adoption ne pourra prendre effet qu’une fois que je serai marié, constata Terry en lisant le premier feuillet du document. »
Il parcourut la suite, un peu inquiet. Heureusement, le nom de la femme qu’il était censé épouser n’était nulle part mentionné. Il fallait juste qu’il épouse quelqu’un. Il releva vers Charlie un regard soulagé.
« Eh bien, tu n’as plus qu’à te marier ! Tu le lui as proposé ?
— Non, pas encore…
— Et tu lui as parlé de la petite ?
— Je n’en ai pas eu le temps, non plus. Et j’avoue que je ne sais pas trop comment lui présenter la chose. »
Devant la mine soudain soucieuse de son ami, Charlie déclara :
« Tu devrais juste lui en parler, Terry. Telle que je la connais, elle va trouver que c’est une idée fantastique ! Elle qui aime tant les enfants ! Et puis elle a été élevée ici. Elle sait ce que c’est !
— Justement, Je ne voudrais pas qu’elle se sente obligée d’accepter le mariage juste dans l’intérêt de la petite.
— Tu rigoles ?
— Pas du tout… Candy a une tendance marquée à faire passer le bien-être des autres avant le sien et je sais de quoi je parle...
— Tu n’as qu’à ne pas lui en parler tout de suite, de la petite, tu verras bien…
— Peut-être, mais ensuite ? Je n’ai pas envie de lui imposer Mary comme ça, même si c’est une gamine formidable. »
Tout à leur discussion les deux hommes faillirent avoir une attaque lorsqu’une petite voix s’éleva derrière leur dos :
« Vous parliez de moi ? »
La fillette lâcha la main de Candy et se précipita vers Terry qu’elle entoura de ses petits bras.
« Doucement… rit celui-ci, à la fois heureux de voir sa Taches de Son debout, et inquiet à l’idée qu’elle ou Mary aient peut-être surpris des paroles qu’elles risquaient de mal interpréter. Je vois que vous avez fait connaissance, toutes les deux… »
La petite se haussa sur la pointe des pieds.
« Tu sais, tu as raison, lui glissa-t-elle à l’oreille. Elle est aussi gentille que jolie ! »
Si l’acteur avait craint un moment qu’elles puissent ne pas s’entendre, ces paroles et le sourire espiègle qui éclairait le visage de Candy le rassuraient sur ce point.
« Qu’est-ce que vous complotez, tous les deux ? s’enquit cette dernière en s’approchant d’eux.
— Rien du tout… fit Terry en remettant les papiers dans leur pochette. »
La discussion fut interrompue par l’arrivée d’Albert et d’Archibald. Présentations et embrassades se succédèrent dans un joyeux brouhaha. Le fils Cornwell s’était bien évidemment précipité vers sa cousine.
« Quel bonheur de te savoir tirée d’affaire ! » déclara-t-il en l’étreignant.
Terry rongeait son frein. Il avait beau se raisonner, être le témoin de ces effusions le hérissait, bien qu’il sût le Dandy à présent « casé ». Il faut dire aussi qu’avec cette arrivée impromptue, le moment de calme et d’intimité qu’il appelait de tous ses vœux était à nouveau repoussé aux calendes grecques.
« Annie ne t’a pas accompagnée ? s’étonna la jeune blonde avec un froncement de sourcil.
—Les filles sont restées avec Mademoiselle Pony, Sœur Maria et les enfants, intervint Albert.
— Les filles ? Patty est donc là aussi ? »
Comme un enfant devant un cadeau-surprise, Candy sautillait sur place d’excitation et son père l’observa avec un sourire attendri. Sa question laissait supposer que pas plus que lui, Terry n’avait trouvé le temps de raconter à la jeune femme les derniers développements survenus durant son séjour à l’hôpital. Il avait prévu de le faire durant le trajet jusqu’à l’orphelinat, mais la conversation s'était orientée dans une tout autre direction à cause de la présence devant l’hôpital de cette fripouille de Daniel. Albert s’avança vers sa fille, la prit par le coude et s’approcha avec elle d’un des bancs qui encadraient la longue table de bois sur laquelle traînaient quelques pop-corn égarés, crayons de couleur, papiers froissés et autres journaux témoignant de l’activité fébrile dont elle avait été le théâtre, un peu plus tôt.
« Ah… Justement… Tu veux bien t’asseoir, Candy ? Je dois te parler.
— Tu dois me parler ? Qu’est-ce qui se passe ? S’alarma aussitôt celle-ci.
— Rien de grave. Ce serait même plutôt une merveilleuse surprise. Mais vu ton état, je préfère prendre mes précautions. »
Assise à l’extrême bout du banc, le dos raide, Candy dévisageait Albert. Malgré ses paroles apaisantes, son inquiétude persistait et ne se dissipa que lorsque Terry enjamba le banc pour prendre place à califourchon derrière elle et l’entourer de ses bras en murmurant « Détends-toi, Taches de Son. Tout va bien » Et effectivement, elle sentit que tout allait bien. Que tout était revenu à sa place. Que son monde tournait à nouveau rond.
« Patty est là, effectivement, reprit Albert. Et elle a une grande nouvelle à t’annoncer.
— Elle est enceinte ? ne put s’empêcher de demander la jeune femme malgré l’absurdité de la question. »
Elle avait eu Patty au fil la semaine précédente et savait que celle-ci n’avait toujours pas trouvé l’âme sœur. Il faut dire que, tout comme elle, son amie ne faisait pas grand-chose pour la dénicher…
« Pas encore… rit Albert.
— Pas encore ? Pourquoi ? Elle s’est trouvé quelqu’un ? s’enquit la jeune femme, perplexe.
— Disons plutôt qu’elle a retrouvé quelqu’un…
— Retrouvé ? Je… Je ne comprends pas. »
Albert se tourna vers Archibald.
« Va donc les chercher. »
Celui-ci hocha la tête et s’éclipsa alors que Terry chuchotait à l’oreille de Candy « Alors ? Tu ne devines pas qui c’est ? ». La jeune femme se retourna vers lui et sonda son regard, y cherchant les réponses à ses interrogations. Elle avait bien entendu échafaudé quelques hypothèses toutes plus loufoques les unes que les autres, mais son esprit ne cessait de buter sur la plus folle d’entre elles. « C’est absurde… » dit-elle tout bas sans le quitter des yeux. L’acteur qui devinait ce qui se tramait dans la jolie tête blonde murmura : « Tu devrais davantage croire aux miracles, Taches de Son… N’es-tu pas dans mes bras ? »
Lorsqu’Annie et Patty se présentèrent à la porte, Candy se serait bien levée pour les embrasser, mais Terry la tenait fermement contre lui. Ce n’est que lorsque les deux frères Cornwell apparurent à leur tour dans l’encadrement de la porte, que la jeune blonde, mue par un élan irrésistible, s’arracha aux bras protecteurs de l’acteur qui, décontenancé, les laissa mollement retomber sur le côté, tandis qu’elle se jetait dans ceux de son cousin revenu d’entre les morts. Entre rire et larmes elle n’arriva à prononcer qu’un mot, en une interrogation extasiée : « Alistair ?! »
Celui-ci l’avait attrapée par la taille, soulevée en riant, embrassée avec fougue et fait tournoyer, manquant renverser son frère qui ne s’était pas écarté assez vite.
Terry observait la scène, encore ébranlé par le sentiment de frustration qui l’avait submergé lorsque sa Taches de Son lui avait brusquement échappé, le privant de la chaleur de sa présence. S’il comprenait fort bien la réaction de sa belle, il avait malgré tout du mal à se faire à l’idée qu’elle avait préféré sauter dans les bras de son cousin plutôt que de rester entre les siens… Mais Candy était ainsi, vive et joyeuse, offrant sans compter son affection et sa tendresse à ses amis qui le lui rendaient bien, parfois trop bien, même. Des amis qui, il le comprenait à présent, comptaient encore plus pour elle dans cette vie qu’elle s’était tracée loin de lui. Il devrait en prendre son parti, s’il voulait l’inclure à nouveau dans la sienne.
Un besoin vital de lui proposer le mariage, là, tout de suite, balaya son trouble et sa frustration. Une envie irrépressible de leur faire savoir à tous, qu’il désirait la faire sienne. Tant pis pour l’intimité… Et au diable les doutes qui ne cessaient de le tirailler. Il ne voulait plus, ne pouvait plus attendre.
Il se leva, l’air— mais seulement l’air — résolu, et s’approcha de la jeune blonde qui lui tournait le dos et buvait les paroles d’Alistair en train de lui conter son aventure. Ce dernier aperçut l’acteur et, un sourire de connivence aux lèvres, lâcha les mains de sa cousine pour la prendre par les épaules et lui faire faire demi-tour tout en lui murmurant « Je crois qu’il y a quelqu’un qui veut te parler… »
Dans l’effervescence de l’instant, Candy ne s’était rendu compte de rien et sursauta en découvrant Terry si proche d’elle. Sans lui laisser le temps de reprendre ses esprits, celui-ci mit un genou à terre et lui présenta l’écrin dans lequel reposait la bague qu’il s’était procurée le matin-même chez un joaillier. Un ami d’Albert, qui avait accepté d’ouvrir sa boutique aux aurores, rien que pour lui.
« Candy, je remets mon cœur et ma vie entre tes mains…
— C’est juste une bague, murmura Archibald dans son dos. Aïe !
— Chuuuut ! »
Annie outrée lui avait donné un bon coup de coude dans les côtes.
« Tu ne vas quand même pas gâcher un instant pareil, lui chuchota-t-elle à l’oreille. C’est si romantique !
— Romantique, pff… »
Par chance, nos deux tourtereaux, totalement immergés dans leur propre monde, ne percevaient plus rien de celui qui les entourait, et l’acteur, plus fébrile qu’un jour de première, chercha à calmer sa respiration erratique avant de reprendre sa tirade d’une voix dont il n’avait pas réussi à supprimer complètement les tremblements.
« … dans l’espoir fou que tu consentes à unir ta vie à la mienne.
— Oh, Terry… J’y consens. J’y consens de toute mon âme. »
Candy était si émue qu’un sanglot lui échappa. Elle qui avait si longtemps rêvé ce moment ! Elle qui avait fini par abandonner tout espoir ! Voilà que le miracle se produisait… Les jambes en coton, elle se laissa choir à genoux devant l’acteur et enroula ses bras autour de son cou, ses yeux humides fixés sur les siens. Dans son geste, elle percuta la petite boîte de velours noir qui échappa aux mains de Terry dans un claquement sec pour passer au travers de celles d’Alistair qui tentait de la rattraper au vol et finir sa course aux pieds de Mary.
Dans le silence ahuri qui suivit l’incident, on entendit quelqu’un pouffer.
« Ex… cusez… moi » hoqueta Albert, pris d’un fou rire qui gagna le reste de la petite assemblée, brisant définitivement l’attention religieuse dont l'acteur et sa belle étaient le centre.
Nos deux héros, brusquement tirés du petit nuage de bonheur dans lequel ils baignaient, furent les seuls à ne pas prendre part à l’hilarité générale. Candy, rouge comme une pivoine était terriblement gênée par sa maladresse, et se demandait comment son Terry si parfait pouvait aimer pareille empotée. Ce dernier qui devait décidément lire dans ses pensées, lui adressa un tendre sourire, puis la serra dans ses bras avant de chuchoter dans le creux de l'oreille :
« Ma petite Taches de Son, ne change jamais… C’est comme ça que je t’aime ! »
---oooOOOooo---
Mary secoua la main de Terry lorsqu’elle aperçut l’homme tout de rouge vêtu qui se tenait à l’entrée de la pièce, un gros sac de jute sur le dos, et s’extasia :
« Ooooh ! On dirait le vrai père Noël !
— Comment ça, on dirait le vrai père Noël ? déclara l’acteur à son tour. Parce que moi, je n’avais pas l’air d’un vrai père Noël, peut-être ?
— Eh bien, toi, je savais que c’était toi…
— Et lui… Tu sais bien que c’est lui aussi, non ?
— C’est vrai, mais…
— Mais ?
— Ben, lui, il a l’air tellement vrai !
— Je vois… murmura Terry, un peu vexé. »
C’est alors qu’une bande de gamins survoltés prit la pièce d’assaut. Bientôt, le « père Noël » fut entouré d’une nuée d’enfants surexcités. Mademoiselle Pony les contemplait en souriant alors que Sœur Maria se démenait comme un beau diable — c’est juste une façon de parler, bien sûr — pour tenter sans y parvenir vraiment de réduire le niveau sonore devenu infernal.
« Ho ! Ho ! Ho ! Les cadeaux ça se mérite, les enfants ! »
La voix tonitruante ne s’était pas éteinte, que le calme était déjà revenu, et la religieuse se demanda si elle ne devrait pas emprunter à Gaspard son costume pour mieux se faire obéir.
Le repas convivial qui suivit fut joyeux et animé. Chacun constata avec plaisir et soulagement que Candy avait retrouvé son appétit d’ogre, ou plutôt d'ogresse, et savourait avec gourmandise chacun des plats et surtout des succulents desserts placés devant elle.
Vers dix heures, Mademoiselle Pony décida qu’il était l’heure pour les enfants, d’aller au lit. Quelques protestations fusèrent bien ici ou là, mais sans grande conviction. En présence du Père Noël, mieux valait être sage, n’est-ce-pas ? Pour tenter d’apaiser la déception des enfants, Candy leur proposa de venir les border avec Annie et Patty, ce qu’ils acceptèrent avec des cris de joie. Terry qui n’avait pas envie de la voir s’éloigner de lui déclara à son tour :
« Et moi je vais vous raconter une histoire. Tu viens nous aider, Mary ?»
La fillette ne se fit pas prier. Jouer la grande sœur auprès des plus petits, elle adorait ça. Alistair et Archibald ne furent pas en reste. Sans se concerter, ils se levèrent à la même seconde, pour emboîter le pas au reste de la troupe.
Gaspard s’éclipsa quelques minutes plus tard, prétextant une envie pressante.
Resté seul, Albert se leva et se planta devant le magnifique sapin en soupirant. Il ne savait toujours pas quoi faire d’Élisa malgré la houleuse discussion qu’il avait eue avec les rejetons Legrand.
Daniel, ulcéré par la façon dont sa sœur l’avait propulsé sous les projecteurs pour ensuite le laisser en plan — car, oui… la chipie était partie, le laissant tout seul, le pauvre, à la merci des journalistes dont il avait été la risée— Daniel, donc était venu lui expliquer tout ce qu’il savait. La façon dont elle avait escamoté les invitations, puis le vol, car c’était bien ce dont il s’agissait, du billet de train ainsi que tout ce qu’elle avait entrepris pour empêcher la rencontre entre Terry et Candy, sans compter, le matin même, la façon dont elle l’avait ignominieusement harcelé pour obtenir son aide…
Ce que lui avait révélé son neveu recoupait les dernières informations qu’il avait obtenues par Tom d’une part, et par sa fille et son chevalier servant d’autre part, lors du trajet jusqu’à l’orphelinat, et le patriarche de la famille André n’avait pas eu grand mal à reconstituer le puzzle des événements. Daniel n’avait probablement pas vraiment pris part à quoi que ce fût de tangible. Pour ce qui le concernait, Albert trouvait que le coup de poing qu’il avait reçu en public était une humiliation suffisante.
Le problème c’est qu’il ne voyait absolument pas quel genre de « punition » pourrait amender l’esprit retors de son insupportable nièce. Il soupira derechef, pas convaincu qu’une telle punition pût exister puis sursauta lorsque quelqu’un chuchota derrière son dos :
« Il semblerait que vous cherchiez quoi faire de votre nièce… »
Albert se retourna et dévisagea, interloqué, l’homme tout de rouge vêtu qui venait de lui adresser la parole.
« Comment êtes-vous au courant ? s’enquit-il.
— Ah ça… C’est un secret !
—Mais encore ? »
Les yeux du bonhomme pétillèrent et Albert devina un sourire sous l’imposante barbe blanche.
« Quel Père Noël serais-je si je n’étais pas capable de faire la différence entre les enfants sages et ceux qui ne le sont pas ?
— Ce n’est pas faux… lui répondit le milliardaire en esquissant un sourire. Mais ça ne me dit pas…
— Écoutez, j’ai une proposition sérieuse à vous faire. Je compte visiter les orphelinats du pays et j’ai besoin de quelqu’un pour m’accompagner dans ma tournée. Je suis prêt à engager votre nièce comme secrétaire. Pour un an.
— C’est très aimable à vous et ça lui ferait sûrement un bien fou, mais… soupira Albert ne sachant comment continuer.
— Mais ?
— Je ne me sens pas le droit de vous imposer sa présence…
— Pourquoi ?
— Vous ne la connaissez pas. Elle est un peu difficile à vivre. »
Et c’est un euphémisme continua Albert pour lui-même.
« Un peu ? »
L’homme à la houppelande lâcha un petit rire et poursuivit :
« Ne vous inquiétez pas, j’en ai parfaitement conscience. Je pense que je saurai me débrouiller avec elle. »
Albert se gratta l’arrière du crâne, à bout d’arguments. Il s’enquit :
« Gaspard, c’est ça ? »
L’autre acquiesça.
« Je voudrais que vous preniez le temps de réfléchir, tout de même.
— Si ça doit vous tranquilliser… »
—oooOOOooo—
« C’est une blague ? » s’insurgea la jeune rousse qui n’en croyait pas ses oreilles et dévisageait, sidérée, son oncle qui venait de la réveiller en plein milieu de la nuit pour lui déblatérer des inepties.
Elle était furieuse. Depuis le matin, les catastrophes ne cessaient de s’amonceler sans qu’elle ne pût s’y soustraire. D’abord cette gifle psychologique qu’elle avait reçue après la révélation publique de Terrence Graham. Celui-ci n’avait pas hésité une seconde lorsqu’il avait déclaré son amour pour cette moins que rien de Candy… Comment pouvait-on aimer ce genre de fille ? Elle en avait éprouvé un tel dépit qu’elle avait envoyé Niel à la rescousse, espérant contre toute attente que pour une fois, son frère saurait faire preuve d’un peu d’initiative. Las…
La seconde gifle avait suivi, humiliante au possible. L’acteur avait osé la traiter d’idiote et la déclarer persona non grata devant cette bande d’imbéciles de journalistes qui ne se gêneraient sans doute pas pour le relater dans les colonnes de leurs torchons. Elle était par chance, invisible, dissimulée comme elle l’était, mais elle n’était pas sourde, et les mots qu’il avait prononcés avaient été pour elle comme autant de coups de poignards. Elle avait senti monter un irrépressible besoin de vengeance qui lui avait sans doute dicté cette nouvelle idée. Une idée qui nécessitait son retour immédiat au manoir. Impossible d’attendre que son béta de frère se sorte des serres des vautours qui l’encerclaient.
La brutale marche arrière que la rouquine avait enclenchée, avait failli envoyer le véhicule dans le décor, mais son obstination l’avait finalement conduite à destination. Dès son arrivée, elle avait téléphoné à une amie journaliste qui habitait New-York. Il fallait prévenir au plus vite Susanna Marlowe de ce qui se tramait ici. C’était la seule solution. Pourquoi n’y avait-elle pas pensé plus tôt ?
« Tu ne m’apprends rien, figure-toi et à mon avis le lui dire ne servira pas à grand-chose…
— Pourquoi tu dis ça ?
— Je crois qu’elle est déjà au courant. Depuis hier, elle s’affiche avec un type qu’on ne connaît ni d’Ève, ni d’Adam. Je ne l’ai pas vu de mes yeux, mais il paraît qu’il est beau comme un Dieu. Et quand on lui a demandé ce qu’allait en penser son fiancé, devine ce qu’elle a répondu !
— Qu’est-ce que tu veux que j’en sache ?
— Elle a dit : « Je ne pense pas que ça le dérange. D’ailleurs, on n’est même pas vraiment fiancés… »
— Quoi ? Tu plaisantes ?
— Pas du tout. En fait… »
Élisa n’avait pas été capable d’en entendre davantage et avait raccroché au nez de son interlocutrice, avant de s’affaler sur le sofa, les jambes en coton. Alors c’était vrai ? Ils n’étaient pas fiancés ? Rien de ce qu’elle espérait ne semblait vouloir se concrétiser.
Et puis son frère avait fini par arriver, dans un état lamentable et une fureur indescriptible. Elle avait eu beau s’évertuer à lui expliquer la situation, qu’elle ne l’avait nullement « lâchement abandonné » comme il le prétendait, que c’était juste que pour mettre à exécution le plan qu’elle venait d’imaginer, il lui fallait absolument et incessamment retourner au manoir… il n’avait rien voulu entendre et avait tout déballé à Albert lorsque celui-ci était rentré, un peu plus tard… Son oncle l’avait à peine regardée et avait simplement laissé tomber d’une voix sèche qu’il prendrait une décision la concernant d’ici peu. Et voilà que ce moment était arrivé…
La voix de son oncle, menaçante et exaspérée, la ramena au présent.
« Non, ce n’est pas une blague. Et tu as intérêt à t’y plier avec grâce, si tant est que tu en sois capable.
— Mais…
— Terry est prêt à porter plainte contre toi, dans le cas contraire. Et crois-moi, tu n’as aucune chance de t’en sortir.
— C’est du chantage !
— On ne récolte que ce qu’on sème…
— Mais, un an ?
— Ce n’est pas négociable. »
Un an à faire la secrétaire pour un type sorti de nulle part ? À fréquenter des orphelinats ? À côtoyer des miséreux ? Quelle déchéance pour une femme du monde comme elle ! Elle s’effondra en larmes aux pieds d’Albert qui la considéra un moment avec un mélange de pitié et de mépris, avant de lâcher :
« Je suis venu te prévenir tout de suite pour que tu puisses préparer quelques affaires : il vient te chercher demain matin.
— Quoi ? pleurnicha-t-elle, hébétée.
— Il ne te reste plus que quelques heures. Ne traîne pas. »
—oooOOOooo—
Assis sous le vieux chêne centenaire, enveloppé dans une épaisse et chaude couverture qu’il avait empruntée aux dames de l’orphelinat, Terry se sentait le roi du monde, sa Taches de Son nichée au creux de ses bras.
Dès le départ des autres invités, elle avait tenu à grimper avec lui sur cette colline qu’elle aimait tant et, malgré le froid polaire qui régnait cette nuit-là, l’acteur n’avait pas voulu prendre le risque d’étouffer la joie enfantine dont débordait sa belle. Il leur suffirait de ne pas trop s’attarder…
Là-haut, dans le ciel scintillant d’étoiles, la comète traçait son chemin laissant dans son sillage une impressionnante traînée lumineuse.
« Quelle merveilleuse chevelure, souffla Candy, éblouie.
— Tu as raison elle est merveilleuse… murmura-t-il d’une voix rauque, en enfouissant son visage dans celle de sa bienaimée. »
La comète était certes magnifique, mais rien ne pourrait l’émouvoir et le fasciner davantage que celle qui venait d’accepter de l’épouser. Ils avaient déjà décidé de célébrer leur mariage le 28 janvier. Cependant il ne lui avait pas encore tout dit. Candy tourna la tête vers lui et surprit le regard intense qu’il posait sur elle. Il se racla la gorge.
« Candy… à propos de Mary…
— Je veux bien être sa maman si tu acceptes d’être son papa… l’interrompit-elle en souriant.
— Co… comment as-tu deviné ? »
La jolie blonde se mit à rire devant la mine perplexe de l’acteur.
« Ce n’était pas très difficile à deviner. Elle m’a dit qu’elle allait avoir un papa, qu’il lui fallait encore une maman. Et puis je vous ai vus si proche tous les deux ! Sans compter que lorsqu’elle m’a tendu la bague, tout à l’heure, ses yeux exprimaient une telle gratitude…
— Ma Taches de Son… »
Charly avait bien raison… Il s’était fait du souci pour rien. Candy était bien trop merveilleuse et lui avait la chance infinie de l’avoir à ses côtés. Il la serra contre lui en la dévorant du regard, alors que dans ses yeux à elle dansaient des étoiles.
« Je t’aime. »
Leurs deux voix s’étaient élevées au même instant sous le regard bienveillant de la comète.
Epilogue
« La Porte, le 7 mai.
Aujourd’hui c’est mon anniversaire, et c’est sans doute le deuxième plus beau jour de ma vie, après cette inoubliable journée, il y a trois mois, où Annie, Patty et moi avons célébré nos trois mariages consécutifs.
Je suis entourée des petits pensionnaires de la maison Pony et de tous mes amis assis autour de la table dressée devant la vieille bâtisse baignée de soleil, et la scène me rappelle un passé lointain mais heureusement révolu. Ce jour-là, aussi mes deux « mamans » avaient organisé un repas et invité tous mes amis. Ce jour-là aussi, il faisait beau. Ce jour-là aussi j’ai plaisanté et ri. Cependant ma joie n’était pas aussi complète qu’elle peut l’être aujourd’hui. Mon cœur déchiré par l’absence de certains êtres chers, continuait à saigner en sourdine.
Aujourd’hui, avec Alistair et surtout mon merveilleux Terry à mes côtés, rien de tout cela, pas la moindre amertume. Et même si Anthony me manque toujours, j’ai l’impression, en croisant le regard bleu ciel de Balthazar qui me sourit par-delà la table, que mon amour de jeunesse est là, tout près, que son esprit flotte quelque part au-dessus de nous et qu’il participe à sa façon à la fête.
J’ai appris la semaine dernière que j’étais enceinte. Je m’en doutais un peu depuis quelques temps. J’ai tout de suite mis Terry au courant, mais je ne l’ai annoncé aux autres que ce midi. Mon dieu, je ne pensais pas créer un tel tumulte... Mary m’a sauté au cou en me demandant comment on allait l’appeler… Je n’en ai encore aucune idée… Elle est en tout cas ravie que notre petite famille s’agrandisse et qu’on soit bientôt cinq. Car oui, j’ai oublié de le préciser, Balthazar, sur la demande de ses frères, est momentanément venu vivre avec nous.
Melchior a en effet décidé de suivre Susanna dans sa tournée. À mon avis, ces deux-là ne vont pas tarder à se marier… Quant à Gaspard, il est toujours dans sa tournée à lui, celle des orphelinats. Avec ma chère cousine, qui d’après lui s’est un peu amendée. Peut-être un nouveau miracle, selon Terry, même s'il attend tout de même de le voir pour y croire… »
« Qu’est-ce que tu fais, Candy ?
— J’avais envie d’écrire quelques mots pour bien finir cette merveilleuse journée !
— Tu ne penses pas qu’il y a d’autres façons de bien la finir ?
— Je ne vois vraiment pas à quoi tu penses, là…
— Hmm… Viens là… Tu vas tout de suite comprendre…»
FIN