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Posts written by Nolwenn

view post Posted: 23/5/2023, 17:48 Commentaires pour "Le point de vue de Terry" - Commentaires pour les Fanfictions
QUOTE (sunnyrainbow @ 12/5/2023, 00:59)
Ah Nolwenn!
Quel bonheur indescriptible de pouvoir lire à nouveau le point de vue de Terry sous ta merveilleuse plume avec ton doigté légendaire, maniant et mariant les mots comme les partenaires d'une danse évoluant au rythme des émotions et ressentis de notre beau brun!
Te dire que j'ai aimé, c'est un peu banal...
Alors laisse-moi t'avouer que ce fut un réel plaisir de me replonger dans ton univers, un vrai péché mignon! Telle une panacée fort appréciée, me sortant de mon quotidien pour me ramener dans les rêves de mon enfance. Et je ressens le même émerveillement devant cette histoire, et surtout pour ce personnage que tu as si bien réussi à rendre, en nous offrant les coulisses de sa perception à lui, nous portant témoins de toutes ses pensées.
Je me suis délectée de voir de si près ses tourments vis-à-vis sa mère, ses frustrations face à sa famille, ses émois par rapport à la jolie blonde qui occupe ses pensées et ses sentiments naissants pour elle, qui sont déjà si forts, en dépit de l'impression d'adolescent rebelle rébarbatif qu'il préfère laisser dans son sillage.
Merci pour tous ces beaux moments du DA que tu as si bien captés, décortiqués et améliorés (aide d'Alistair, rêve de Terry...) dirigés de ta main de maître à ta manière détaillée et lyrique.
J'ai tout simplement a-do-ré, et j'espère bien sûr que l'inspiration sera au rendez-vous afin que tu puisses continuer de nous offrir ce majestueux cadeau qu'est celui de pouvoir savourer ta magnifique prose!

Je te redis, encore une fois, un très grand merci, et chapeau, chère Nolwenn!✨🙏
:wub: :wub: :wub: :wub:

Coucou Sunny :wub:

Wow...
Avec tous ces compliments, en plus si bien tournés, je ne sais plus où me mettre *^^* Légendaire, mon doigté ?!? :=/:
Ce qui me paraît légendaire chez moi, c'est surtout ma lenteur à écrire la moindre phrase, même lorsqu'il s'agit juste d'en écrire quelques-unes pour te remercier :P
Avec ton commentaire si élogieux (même trop, sans doute, pour mes chevilles...) me voilà sur un petit nuage, dont je ne sais pas si je vais pouvoir redescendre de sitôt... Alors pour la suite, je ne sais pas, vu qu'il va d'abord falloir que j'arrive à reprendre mes esprits !
Encore merci :] Je suis vraiment ravie que ce chapitre t'ai plu <3



QUOTE (Rafaella @ 2/4/2023, 19:01)
merci Nolwenn, ravie que tu ais repris ta plume.
C'est toujours aussi réussi et captivant, même si on connait l'histoire grâce à toi, on a l'impression de la voir de l'autre côté du rideau.
J'adore. Merci pour ce partage.

Bonjour Rafaella et merci pour ton retour :love2:
Cela fait toujours plaisir de savoir qu'on est lu et apprécié !
ps : si tu en as l'occasion, tu peux effacer le commentaire que tu as mis à la suite du dernier chapitre du Point de vue de Terry.
view post Posted: 22/3/2023, 14:21 Commentaires pour "Le point de vue de Terry" - Commentaires pour les Fanfictions
QUOTE (Caroussel @ 22/3/2023, 00:09) 
Coucou Nolwenn,

Quel plaisir de voir que tu as repris l'écriture, c'est toujours très agréable de redécouvrir l'histoire a travers la pense de Terry a très bientôt pour la suite des aventures 😍

Coucou Caroussel,
Merci pour ton retour !
Pour la suite, on verra si l'inspiration est toujours là... J'espère qu'il ne va pas falloir attendre encore 10 ans !
view post Posted: 12/3/2023, 18:28 Commentaires pour "Le point de vue de Terry" - Commentaires pour les Fanfictions
Coucou :danse:
Pour toutes celles (et ceux ?) qui attendent encore patiemment une suite du point de vue de Terry, une grrrande nouvelle :
je viens enfin de réussir à finir et poster un chapitre supplémentaire !
Bonne lecture !
view post Posted: 12/3/2023, 18:22 Le point de vue de Terry - Fanfics pour tous les âges
Chapitre 10

Le secret de Terry




Terry se dirigeait sans entrain vers le bureau de la mère supérieure. La raison de cette énième convocation le laissait perplexe. Ce n’était tout de même pas liée à sa sortie au zoo ? Plusieurs jours s’étaient tout de même déjà écoulés depuis cet après-midi mémorable. D'ailleurs l’euphorie qui l’avait suivi s’était peu à peu étiolée : Terry, témoin bien malgré lui des discussions amicales et un peu trop intimes à son goût entre « sa » Taches de Sons et ses cousins bien trop envahissants avait fini par redescendre du petit nuage sur lequel il flottait.

Le cadet des frères Cornwell, en particulier, posait sur Candy un regard qui ne pouvait tromper, et l’exaspération que le jeune Grandchester en éprouvait trouva son point d’orgue lorsqu’il apprit qu’ils allaient tous trois se retrouver durant les vacances d’été, alors que lui se morfondrait tout seul dans le grand manoir londonien. À moins qu’il n’obtienne l’autorisation de partir pour l’Écosse ? Il grimaça. Il n’avait en ce moment aucune envie de solliciter son père pour quoi que ce soit… Mais il adorait les High Lands et ce serait un crève-cœur de ne pas s’y rendre. Encore faudrait-il que le Duc ne décide pas soudain d’y séjourner lui-même avec la duchesse et ses rejetons dont il n’avait aucune intention de supporter encore les basses insinuations…

Il réprima un soupir agacé et toqua à la porte du bureau, chassant ces considérations stériles de son esprit. De toutes façons, que lui importait en réalité ce que ferait la jolie blonde cet été ?

Alors qu’une voix autoritaire lui intimait d’entrer, il se redressa et pénétra dans la pièce, prêt à affronter le diable… D’ailleurs à la seconde où il apparut à la porte, la mère supérieure l’apostropha d’une voix peu amène :

– Terrence ! Que signifie ceci ?

Elle désignait, posée sur le bureau, une enveloppe décachetée sur laquelle l’adolescent reconnut l’écriture de sa mère. Son cœur bondit dans sa poitrine et il faillit se laisser déstabiliser par la vague d’émotions qui déferla en lui, enchevêtrement explosif de colère, de stupéfaction et d’exaltation qu’il eut bien du mal museler.

Il finit par relever les yeux vers son interlocutrice et frémit : celle-ci avait sans doute déjà pris connaissance du contenu de la missive qu’elle tenait avec une certaine répugnance entre deux doigts. Il eut toutes les peines du monde à ne pas la lui arracher des mains. Il lui fallait à tout prix feindre l’indifférence et il haussa les épaules.

– Je ne sais pas, fit-il d’une voix neutre. Une confirmation de l’indiscrétion dont vous savez faire preuve, peut-être… ?
– Ah ! Ne commencez pas, hein ! Vous savez parfaitement ce que je veux dire !
– Comment le saurais-je ?
– Vous savez très bien que le règlement interdit de recevoir ce genre de courrier ici ! fulmina la mère supérieure.

Elle lui secouait la feuille sous le nez sans manifester la moindre velléité de s’en dessaisir, mais Terry avait eu le temps de déchiffrer les quelques mots couchés au milieu de la page blanche :

Mon Chéri !
Je viendrai te voir cet été à Londres.
Je t’aime.



La lettre n’était pas signée et pouvait fort bien passer pour celle d’une des innombrables midinettes qui s’intéressaient à sa personne ou plutôt à ses prestigieuses origines. Il en était soulagé : moins le duc en saurait sur les projets de l’actrice et mieux son fils se porterait. Il fallait enfoncer le clou pour éviter que la vieille chouette n’en vienne à soupçonner la vérité.

– Que voulez-vous que j’y fasse ? Je ne peux empêcher mes nombreuses admiratrices de vouloir me contacter… lâcha Terry avec une arrogante nonchalance qui masquait fort bien le mélange de désarroi, d’inquiétude et de colère dans lequel l’avait plongé le message et ce qu’il impliquait.
– V… Vous…

La religieuse sur le point de s’étrangler, s’interrompit pour reprendre sa respiration alors que son interlocuteur la dévisageait sans ciller.

– Sortez ! Sortez immédiatement !

Elle n’avait pas eu le temps de finir ses exclamations outrées que son infernal pensionnaire avait déjà disparu, la laissant furieuse et frustrée.

---oooOOOooo---



Terry était revenu dans sa chambre les mains vides et l’esprit en ébullition. Il lâcha un ricanement amer : malgré son emploi du temps si chargé, la grande Éléonore Baker avait donc réussi à trouver un moment pour lui écrire… Un bref instant d’euphorie l’envahit, bien vite balayé par une flambée de cette douloureuse rancœur qui l’enserrait de ses griffes depuis ce jour maudit. Il eut l’impression de suffoquer alors que la scène des retrouvailles tournait en boucle dans son cerveau et se hâta d’ouvrir la porte-fenêtre pour laisser entrer un peu d’air frais. Comment sa mère pouvait-elle se permettre de lui envoyer ce genre de courrier après l’accueil qu’elle lui avait réservé à New-York ? Que croyait-elle ? Qu’il allait la recevoir à bras ouverts ? C’était tout à fait hors de question !

Il fouilla un moment dans ses tiroirs avant de mettre la main sur le carnet en cuir noir duquel il extirpa la photo de sa mère. Il contempla un moment le beau visage souriant avec un mélange de désespoir et de colère. Jamais il ne pourrait lui pardonner son abominable accueil ! Les mots qu’elle avait prononcés restaient plantés dans son cœur comme autant de dards empoisonnés. Elle ne voulait pas qu’on sache qu’il était son fils ? Eh bien, soit ! Puisque tel était son souhait, il allait y accéder sans plus d’états d’âme ! Désormais, il n’aurait plus de mère, non plus !!

Il s’empara de son stylo-plume pour inscrire sa rage en travers de l’image, en marmonnant « tu es morte… morte !!! »

Il saisit ensuite le cliché avec la ferme intention de se défaire de façon définitive de ce douloureux souvenir mais sa main s’attarda au-dessus de la corbeille à papier. Il hésitait soudain et, une grimace désabusée aux lèvres, finit par déposer à nouveau la photo griffonnée sur son bureau. Il verrait plus tard. Pour l’instant il ressentait le besoin urgent de se changer les idées. Et quoi de mieux que la magie d’un bon livre pour plonger dans une autre réalité ? Cela lui permettrait de faire disparaître au moins pour un moment, ce mal-être qui le rongeait depuis trop longtemps déjà… Il fronça les sourcils : le Roméo et Juliette de sa mère — seul ouvrage intéressant qu’il possédait dans sa chambre — n’était certes pas le choix idéal dans la situation actuelle. Pourquoi ne pas plutôt profiter de la bibliothèque et de sa réconfortante tranquillité ?

Alors qu’il longeait le couloir, il vit venir dans sa direction le cadet Cornwell en grande discussion avec un de ses camarades auquel il montrait quelque chose avec des airs de conspirateur. Celui-ci, enthousiasmé, s’exclama :

— Aaaah ! Elle est sublime sur cette photo. Tu en fais collection, toi aussi ?
— Oui, on en a des dizaines avec Stair…

Terry fronça les sourcils. Qu’est-ce qu’il était bruyant ce type ! Vraiment aucune classe…

— Oh ! Tu as de la chance ! continuait son camarade. Moi j’espère m’en faire dédicacer une, lorsqu’elle viendra à Londres cet été !
— Tu auras sans doute du mal à obtenir une dédicace. Elle ne se laisse pas vraiment approcher. On a déjà essayé de la voir plusieurs fois, sans jamais y parvenir. En tout cas nous, on a prévu d’assister à plusieurs de ses représentations !

Pour le coup, le fils du duc tiqua. Arrivé à leur hauteur, il ralentit le pas et considéra, sidéré, le cliché que le dandy tenait en main. Le ciel lui serait tombé sur la tête qu’il ne se serait pas senti plus ébranlé.

La colère et l’amertume qu’il ressentait déjà montèrent de plusieurs crans. Ainsi, tout un chacun pouvait se procurer les photos de sa mère ? Comment avait-il pu être assez naïf pour s’imaginer que celle qu’elle lui avait offerte était un exemplaire unique ? Quel âne bâté ! Sans compter qu’il semblait bien être le dernier informé de la venue de la « sublime actrice » de ce côté-ci de l’Atlantique… Certes, il n’était pas le genre à suivre avec passion la carrière de sa mère, surtout depuis ce désastreux voyage aux États-Unis. Malgré tout, que cette andouille endimanchée en sache plus long que lui à son sujet le mettait en rage.

Il eut bien du mal à réprimer son envie de l’envoyer à terre et pressa au contraire le pas, avant qu’un geste malheureux ne lui échappe, alors que les deux autres, trop absorbés par leur conversation, passaient à côté de lui sans se douter de ce qu’ils venaient d’éviter.

Le jeune Grandchester finit par arriver à la bibliothèque et souffla de frustration en trouvant porte close. À quoi pouvait-on s’attendre d’ailleurs à pareille heure ? Il était également inutile d’espérer se défouler au piano à présent que la nuit était tombée : la pièce serait sûrement plongée dans une complète obscurité… Restait Sheila. En temps normal, il évitait de monter sa jument si tard le soir, de peur qu’elle ne se blesse. Mais là, il se sentait sur le point d’exploser et n’était plus en état de se soucier de sécurité. Cette chevauchée nocturne lui était nécessaire, vitale même.

Il retourna au dortoir pour récupérer sa veste et quelques morceaux de sucre. Trop perdu dans ses pensées pour percevoir les bruits bizarres et le choc sourd qui émanaient de la chambre de ses voisins, il pénétra dans la sienne et entendit un « Oh ! » embarrassé. Le temps de refermer la porte, il se figea sur le seuil de la pièce, estomaqué par le tableau qui, l’espace d’un bref instant, s’offrit à lui : un éclair avait illuminé les lieux et dévoilé une présence incongrue et inopportune. Candy ?! Le saisissement qu’il éprouva, déclencha une brusque poussée d’adrénaline et il sentit son sang battre comme un torrent furieux dans ses tempes. Il attendit que ses yeux se réhabituent à l’obscurité alors que retentissait un violent coup de tonnerre. La jeune André n’avait pas bougé d’un pouce, sans doute pétrifiée par sa soudaine apparition et elle avait bien raison de craindre sa réaction : il n’avait jamais supporté qu’on s’immisce dans son intimité, et elle, pas plus qu’un autre, n’était autorisé à pénétrer son antre en toute impunité ! Contenant sa colère, il s’enquit :

— Candy, que faites-vous ici ?
— Oh… Oh…

Oh ? La belle intruse avait-elle définitivement perdu sa langue ? La contrariété de Terry était telle qu’il ne lui vint même pas à l’esprit de railler son vocabulaire apparemment restreint à cette seule onomatopée. Il s’avança vers elle et insista, la voix plus menaçante :

— Je vous ai demandé ce que vous faites ici !
— Euh… excusez-moi, je…

Devant le regard hostile qu’il lui lançait, Candy recula avec précipitation vers la porte-fenêtre tout en cherchant ses mots. Le cliché qu’elle tenait entre ses doigts tremblants lui échappa et tournoya lentement jusqu’au sol.

Lorsqu’il prit conscience de la signification de ce qui se déroulait sous ses yeux, le jeune Grandchester sentit la moutarde lui monter au nez. Ainsi, non contente de venir dans sa chambre, cette petite indiscrète ne s’était pas gênée pour fouiller dans ses affaires… Enfin, fouiller était un bien grand mot, vu qu’il avait laissé la photo traîner sur son bureau… Malgré tout, elle n’était pas obligée de s’en emparer !

Il réussit à maîtriser sa fureur et se pencha pour ramasser l’objet du délit. Pourquoi avoir hésité à s’en débarrasser, un peu plus tôt ? Quoique… même dans la corbeille à papier, Mademoiselle Fourre-son-Nez-Partout aurait été capable de le dénicher. Pas question de conserver plus longtemps cet embarrassant témoignage, ni de montrer à la jeune blonde à quel point il avait tenu à cette relique du passé. Il contempla une dernière fois le délicat visage à l’ovale parfait, relut la dédicace, avant de déchirer avec application et une feinte indifférence la photographie qui avait si souvent accompagné ses moments de dépression. Un nouvel éclair déchira la nuit et la petite voix de Candy lui parvint à peine, couverte par le fracas du tonnerre.

— Excusez-moi Terry, je… je me suis trompée de chambre, je vous le jure !

Un des battants de la porte-fenêtre claqua soudain alors qu’une rafale de vent s’engouffrait dans la pièce, soulevant les bouts de papier éparpillés au sol. Une boule au creux de la gorge, le fils du Duc les suivit du regard tandis qu’une nouvelle bourrasque en emportait une partie, ne laissant plus dans la pièce que quelques bribes de ce passé désormais révolu. Secouant la détresse qui menaçait de le suffoquer, Terry s’approcha de Candy et la saisit brutalement par les épaules.

— Ne parlez à personne de ce que vous avez vu. N’en parlez jamais ou je ferai de votre vie un enfer. C’est compris ?
— Terry…

Le regard débordant de compassion de la jeune blonde était plus qu’il ne pouvait en supporter et il se détourna, en proie à un enchevêtrement d’émotions où dominaient colère et confusion.

— Allez-vous en ! gronda-t-il.

Il y eut un silence, puis la voix feutrée de Candy s’éleva derrière lui :

— Terry, je n’en parlerai à personne je peux vous en donner ma parole, je ne dirai rien !

Ce n’était qu’un murmure, mais il emplit tout l’espace. Pourquoi s’attardait-elle ainsi ? Il avait besoin d’être seul à présent. Seul avec ce mal-être lancinant qui lui obscurcissait l’esprit. Ne pouvait-elle le comprendre ?

— Allez-vous en ! cracha-t-il.

Cette fois les légers craquements du parquet semblaient indiquer que Candy accédait enfin à son injonction. Son hypothèse se confirma lorsqu’il entendit la jeune fille répondre d’une voix joyeuse « Chuis là ! » aux appels anxieux d’Archibald. Il se retourna, un incompréhensible et désagréable sentiment de vide au creux de son être, et souffla, excédé. Il s’approcha à pas de loup de la fenêtre et les doigts tremblants, la referma sans bruit alors que sur le balcon voisin, un chimpanzé maladroit atterrissait sans grâce en poussant un cri de douleur qui lui tira un ricanement amer. Bien entendu, comme elle le lui avait assuré plus tôt, ce n’était pas lui qu’elle était venue voir…

Le matelas émit un léger chuintement lorsqu’il s’y affala sans force. Le jeune Grandchester ne s’était pas imaginé qu’en refluant, la vague d’adrénaline qui l’avait assailli un peu plus tôt, le laisserait dans un tel état d’épuisement. Il n’était plus question, dans l’immédiat, de cavalcade effrénée. Sans compter qu’avec l’orage qui s’annonçait, il lui aurait fallu être en pleine possession de ses moyens pour maîtriser sa jument… et lui se sentait vidé de toute énergie.

Il grimaça alors que lui parvenait à travers le mur, des éclats de voix et de rire. Il saisit son oreiller pour le plaquer contre son oreille avant de se recroqueviller en position fœtale. Il ne voulait plus rien entendre. Il voulait oublier que Mademoiselle Taches de Son était dans la pièce d’à côté, en train de discuter gaîment avec ses cousins. Il voulait oublier la façon dont il l’avait si ignominieusement traitée, alors qu’elle, au contraire, s’était donné beaucoup de mal pour lui apporter de l’aide lorsque leurs rôles étaient inversés. Parce qu’il était clair que, comme lui, elle avait atterri par mégarde dans sa chambre… Avoir retourné contre elle la colère qui le consumait, était non seulement pitoyable de sa part, mais aussi totalement improductif et n’avait, de fait, qu’exacerbé sa propre frustration.

---oooOOOooo---


Le jeune Grandchester déambulait sans but, perdu dans ses pensées, et sursauta lorsqu’il entendit, derrière lui, quelqu’un l’apostropher d’une voix condescendante :

— Candy m’a dit que tu te faisais passer pour le fils d’Éléonore Baker ?

Terry, leva la tête et rencontra le regard dédaigneux du dandy. Abasourdi, autant par le ton que par teneur de la déclaration, il marqua un temps d’arrêt avant de lâcher un « Candy ? » effaré. Elle ne pouvait pas l’avoir trahi ainsi ?

La jeune fille, dont il venait de remarquer la présence auprès de son cousin, lui lança un regard noir qu’il avait sans doute bien mérité mais auquel, malgré tout, il ne s’attendait pas du tout. Il la dévisagea, désarçonné, tandis que le cadet Cornwell, poursuivait :

— Tu penses vraiment que quelqu’un ici, serait assez naïf pour croire qu’une star comme elle pourrait donner naissance à un type comme toi ?

Il brandissait une photo de l’actrice. Et pas n’importe laquelle ! Une copie conforme de celle qu’il conservait avec tant de soin dans son carnet noir. Signée, elle aussi, d’un « Pour Archie, avec tout mon amour ! » Comme Terry, en plein désarroi, restait sans voix, le jeune homme reprit goguenard :

— D’ailleurs, elle va arriver tout à l’heure. Avec Alistair on a réussi à la voir dans sa loge, hier, après sa pièce, et elle a accepté de venir au collège. On verra bien à ce moment-là ce qu’elle pense de tes allégations !

Sa mère allait venir ? Ici ? Aujourd’hui ? Mais c’était impensable ! Pas question de la croiser ! Il tourna les talons, stressé à l’idée d’une confrontation qu’il redoutait, et se retrouva face à la personne même à laquelle il tentait d’échapper. Entourée d’une foule en délire, elle arrivait du fond du couloir, le visage rayonnant, dans l’exacte tenue qu’elle portait lorsqu’il l’avait vue deux ans plus tôt à Londres. Une tenue à la fois simple et élégante qui mettait sa silhouette en valeur. Il s’aplatit contre le mur, espérant contre toute vraisemblance passer inaperçu, alors que derrière lui, Archibald Cornwell claironnait :

— Est-ce vrai que votre fils se trouve dans cet établissement ?

L’actrice eut un rire perlé et s’esclaffa :

— Mon fils ? Ah… Je vois que les rumeurs vont bon train, ici aussi ! Vous m’imaginez avec un fils ? C’est touchant et amusant… Mais… Non bien sûr ! Je n’ai pas le moindre héritier, ici ou ailleurs, et cela vaut bien mieux, car je ne pourrais trouver le moindre moment à lui consacrer !

Tout en s’exprimant avec légèreté, Éléonore Baker planta un court instant son regard bleu et perçant dans celui de Terry. Ce qu’il lisait dans les yeux de la comédienne était on ne peut plus clair : il n’avait pas intérêt à divulguer leur lien de parenté ! Cette menace implicite ainsi que le démenti formel qu’elle venait de formuler devant tout le monde, achevèrent de le dévaster. Il tenta d’extérioriser un semblant d’aplomb, avant de commencer à perdre pied, au propre comme au figuré, tandis que le ricanement triomphant du cousin de Candy se perdait dans le soudain vacarme de cloches carillonnant à toute volée.

Le brutal effort qu’il fit pour ne pas tomber alors qu’il se sentait vaciller, le réveilla en sursaut, la respiration hachée, le cœur battant la chamade. Il déglutit et laissa passer quelques secondes avant de s’asseoir sur le bord de son lit, les coudes sur les cuisses, une main fourrageant dans ses mèches en désordre. C’était le couvre-feu de dix heures qui l’avait tiré de cet absurde cauchemar dont il se souvenait avec trop d’acuité et dont les pénibles émotions continuaient à l’oppresser, même après le réveil.

C’était ridicule…

Il contempla avec un soupir les quelques fragments du portrait de sa mère qui traînaient encore au sol. Pourquoi ne l’ai-je pas déchiré plus tôt, puisqu’elle est morte pour moi ? s’interrogea-t-il, à la fois frustré et malheureux. J’aurais dû m’en défaire depuis si longtemps ! Et pourquoi avoir écrit ces trucs stupides dessus ? Elle a dû les lire…

Ses pensées dérivèrent vers la jolie blonde aux yeux émeraude. La colère qu’avait déclenché son intrusion dans son antre, était exagérée. La façon cavalière dont il s’était adressé à elle, aussi. Sans parler de la brutalité avec laquelle il l’avait saisie, puis congédiée… Il devait admettre qu’il était déjà furieux avant même d’ouvrir la porte et que la présence de Candy dans sa chambre n’avait sans doute été qu’un prétexte pour libérer la violente émotion qui le consumait.

La tête entre les mains, il culpabilisait, cherchant dans son esprit tourmenté des justifications à son comportement inique. Mais il n’y en avait pas…

Je ne peux pas lui reprocher de s’être trompée de chambre, ni d’avoir trouvé cette photo, posée bien en évidence sur le bureau... C’est à moi que j’en veux… Pourquoi n’ai-je pas, jusqu’à aujourd’hui, trouvé en moi le courage de m’en débarrasser ?

Et que lui avait-il pris de la menacer de la sorte ? Candy n’était pas du tout du genre à trahir un secret, il en aurait mis sa main à couper. Et elle était bien la seule personne dans ce collège pour qui il éprouvait… de la curiosité… Oui. Juste une saine curiosité. Comment allaient évoluer leurs relations, à présent qu’elle avait été témoin de la violence dont il savait faire preuve ? Il avait lu la peur dans ses yeux… Il poussa un long soupir. Que lui importait sa réaction, finalement ?

Tout cela, c’était de la faute de sa mère. Ou de la sienne peut-être. Sans doute… Pourquoi était-il allé la retrouver ? Qu’espérait-il trouver en elle ?

Je voulais seulement la voir… la voir… me serrer contre elle… et elle m’a presque repoussé !

Il refoula le sanglot qui était sur le point de monter dans sa gorge. Il ne pleurerait pas. Il ne pleurerait plus. D’ailleurs n’était-ce pas durant ce voyage qu’il avait pour la première fois rencontré Candy ? La jeune fille aux taches de son avait été un tel baume sur son âme meurtrie, alors que, sur le pont du bateau, son désespoir atteignait les abysses… Un demi-sourire éclaira brièvement son visage alors qu’il se remémorait la scène, la sollicitude de la belle, sa colère aussi, leurs chemins qui ne cessaient de se croiser depuis, ses moues et grimaces lorsqu’il la provoquait ou se moquait d’elle, ses lumineux yeux verts, ses rires qui dissipaient instantanément sa morosité… Que lui importait sa réaction ? Vraiment ? Il ricana. Il était tout à fait vain de s’imaginer qu’il ne serait pas affecté, si la relation si spéciale qu’il avait avec elle disparaissait du jour au lendemain.

Je lutte contre moi-même, songea-t-il, mais sa gentillesse m’est précieuse et me redonne espoir en l’existence. Pourtant…

Pourtant la vie n’avait pas été tendre avec lui, entre une mère qui l’avait abandonné et ne semblait pas le regretter, une belle-mère qui le détestait et le lui faisait sentir sans vergogne, sans parler de ses rejetons qui la singeaient en tout point… et un père… un père…

Terry s’était levé et contemplait la photo qui trônait sur son bureau : celle du duc, tout aussi impassible et froid sur le cliché que dans la vraie vie. Cet homme était un vrai mystère pour le jeune homme. Comment pouvait-il écouter avec une telle indifférence quelqu’un, fût-ce son épouse, dire autant de mal de son fils ? Terry se rappelait encore avec clarté la façon dont s’était terminé son dernier et court passage dans la demeure ancestrale. Sa rage un moment mise en veille, s’était à nouveau éveillée alors que défilaient dans son esprit les événements qui avaient conduit à son éviction du manoir. La duchesse avait finalement atteint son but : l’expulsion hors du domaine ducal de l’insupportable intrus qu’il était à ses yeux. Et ce, sans que son père n’y trouve rien à redire ! Il avait juste suffi à l’infâme mégère de déclarer « je ne peux plus le voir », pour que son père accède à ses désirs et décide de son exclusion du cercle familial…

— Moi non plus je ne peux plus voir personne, gronda le jeune Grandchester en balayant d’un geste hargneux le cliché de son père qui semblait le narguer du haut de sa cruelle indifférence.

La photo et son lourd cadre en bois entraînèrent dans leur chute le vase posé juste à côté et qui, tout comme la plaque de protection en verre, se brisa, répandant au sol son contenu. Mais le fils du duc s’était déjà détourné, sans un regard pour les roses jaunes, misérablement éparpillées dans la flaque d’eau qui s’étalait au milieu des tessons. Il arracha sa cape du porte-manteau tandis qu’un éclair illuminait brièvement la pièce. Le coup de tonnerre assourdissant qui suivit aussitôt couvrit le bruit qu’il fit en claquant la porte derrière lui, exaspéré. Fort heureusement d’ailleurs, car couvre-feu ou pas il avait besoin d’air et il aurait été fâcheux de croiser le chemin les sœurs…

Comme il pouvait s’y attendre, Sheila s’affolait dans sa stalle. Elle se cabrait à demi au moindre coup de tonnerre et multipliait coups de sabots et hennissements nerveux. Le moment était bien mal choisi pour la sortir. Mais le fils du duc n’en avait cure. Il devait se débarrasser de cette horrible pression qui lui obscurcissait le cerveau. Il plongea la main dans sa poche et pesta : il avait oublié de prendre les morceaux de sucre… Tant pis… La selle sur le bras, la bride à la main, il se glissa dans le box. Mais à l’intérieur de cet espace encore réduit par les bonds chaotiques de sa monture, sa présence, loin de la calmer, ne fit qu’exacerber l’agitation de la bête. Et si d’ordinaire le fils du duc avait l’art et la manière de d’apaiser sa monture, aujourd’hui, ses gestes impatients et trop heurtés alors qu’il tentait de la harnacher, sa voix trop tendue, presque irritée alors qu’elle piaffait et se dérobait, ne risquaient pas de la tranquilliser : elle percevait l’humeur sombre de son cavalier et roulait des yeux affolés. Aussi le calme qu’elle manifesta soudain, alors qu’il s’apprêtait à batailler pour la faire sortir de l’écurie, le prit de court. Seuls quelques frissons parcouraient encore son pelage lorsqu’il mit le pied à l’étrier. Il en était soulagé, car, vu l’état dans lequel il se trouvait, il n’aurait pas été capable de contrôler encore longtemps l’exaspération qui menaçait de le submerger. Il aurait fini par retourner sa frustration contre la jument et mis en péril leur relation de confiance.

Il leva les yeux vers le ciel où se succédaient les éclairs et fronça les sourcils en recevant sur la joue une première goutte d’eau. Ce n’était pas le moment idéal pour une balade, pourtant, sous ses cuisses, Sheila frémissait d’impatience et il en conclut qu’elle avait au moins autant besoin que lui de se libérer de la tension qui l’habitait. La lancer au galop ne lui demanda aucun effort : le formidable crépitement qui emplit soudain la nuit, la propulsa dans une course éperdue.

Presque couché sur son encolure, ses sombres préoccupations reléguées au second plan, Terry dut faire appel à tout son savoir-faire pour maîtriser sa monture sur le point de prendre le mors aux dents. Il n’était pas question de se laisser déborder ! Oubliés, rigidité et crispation… Le jeune Grandchester avait retrouvé ses automatismes et accompagnait à présent avec souplesse chacun des mouvements de l’animal. Ses doigts jouaient avec dextérité sur les rênes et il reprit petit à petit le contrôle, sans pour autant chercher à ralentir cette folle chevauchée qu’il avait appelée de ses vœux. Comme un écho aux roulements de sabots, de sinistres grondements éclataient alentours, provoquant invariablement des hennissements qui se mêlaient aux sifflements du vent. Un déferlement d’énergie et de puissance dans lesquelles Terry sentit sa fureur se diluer peu à peu alors qu’ils enchaînaient, dans leur course effrénée, les aller-retours d’un bout à l’autre bout du parc.

Après cette débauche d’énergie, Sheila aussi peinait à maintenir son allure et n’opposa aucune résistance lorsque son cavalier raccourcit les rênes. Ils purent ainsi glisser tous deux dans un galop plus posé, plus confortable. Une petite pluie fine était en train de remplacer les quelques gouttes éparses du début de nuit et risquait de s’intensifier : il était plus que temps de mettre fin à cette folle équipée qui s’était sans doute prolongée un peu plus que nécessaire… Ils regagneraient l’écurie au petit trot, puis au pas, histoire de récupérer. En passant non loin du bâtiment des filles, Terry se demanda si Miss Taches de Son avait pu retourner sans encombre dans sa chambre et se morigéna aussitôt de cette vaine curiosité. Il devait cesser de prêter tant d’attention à ce que faisait ou ne faisait pas la demoiselle.

Terrence Grandchester était bien loin de se douter de ce qui allait suivre, lorsqu’il perçut une espèce de glapissement qu’il ne put identifier immédiatement dans le vacarme conjugué des coups de tonnerre et du claquement des sabots. Intrigué, il jeta un regard en arrière et ce fut la tache claire qui dégringolait l’escalier de secours qui le mit en alerte plus que le cri qu’avait poussé la jeune fille en perdant l’équilibre. Le tout avait été si rapide qu’il n’avait pas eu le temps de réagir et voilà qu’elle gisait au sol en chemise de nuit, face contre terre, dans une effrayante immobilité, ses boucles blondes éparpillées autour d’elle. Était-ce… Candy ?!

Gagné par l’affolement, il poussa sa jument dans l’allée, la respiration coupée, le cœur battant à tout rompre. La spectaculaire culbute dont il venait d’être témoin, avait ravivé en lui le souvenir de ce lointain cousin de son père, mort d’une chute dans un banal escalier de quelques marches à peine. Non !! Il était impensable… Il était impossible que… Reléguant dans le coin le plus reculé de son esprit les macabres pensées qui le submergeaient, il mit pied à terre et se précipita vers la jeune fille, alors que du ciel s’abattait soudain une forte averse. « Candy ! » s’exclama-t-il en s’agenouillant auprès d’elle. Il la retourna avec délicatesse, glissa un bras sous ses épaules et lui redressa le buste. La terrible angoisse qui l’avait saisi se dissipa quelque peu lorsqu’il vit l’artère carotide qui pulsait tranquillement sous la peau délicate de son cou. « Candy ! Répondez-moi ! » insista-t-il à nouveau en fixant avec anxiété ce visage qui avait tendance à trop le hanter ces derniers temps. Il entendit un bruissement sur sa gauche, tourna la tête et aperçut un animal qui l’observait, son museau clair masqué de noir, pointé à travers les buissons. La petite bête sortit de l’ombre et s’approcha d’eux en quelques bonds avec des glapissements inquiets, confirmant l’impression de Terry. C’était bien un raton laveur. Sans aucun doute celui de sa Taches de Son. « C’est toi Capucin ?» s’enquit-il, déconcerté par la sensation de réconfort que lui apportait la simple présence de ce petit compagnon. Celui-ci émit quelques gémissements supplémentaires tandis que Terry plaçait son autre bras sous les genoux de la belle évanouie pour la soulever avec précaution. Avec ce vent glacial et cette pluie battante qui était en train de les tremper, la première chose à faire était de la ramener à l’intérieur… Puis il faudrait réveiller les sœurs… Le jeune Grandchester grimaça et laissa échapper un soupir.

Puis, son précieux fardeau entre les bras il se redressa. « Candy ! » répéta-t-il, d’un ton plus appuyé, dans l’espoir d’obtenir enfin une réaction. Et celle qui s’ensuivit en effet, le laissa en pleine déconfiture. Les sourcils froncés, il observa la figure juvénile qui s’était crispée de chagrin. Cela n’avait été qu’un filet de voix, mais il l’avait entendue murmurer à deux reprises « Anthony », sans même reprendre conscience, avec un accent douloureux qui lui avait déchiré le cœur. Qui était cet Anthony dont il n’avait jamais entendu parler ? Terry ferma les yeux et soupira. Ce n’était ni le lieu ni le moment pour ces interrogations… Il devait parer au plus pressé.

Se reprenant en main, il contempla l’escalier de secours avant de décider d’essayer plutôt l’accès principal qui se trouvait un peu plus loin. Si le bâtiment des filles était construit sur le modèle de celui des garçons, un local servant d’infirmerie devait se trouver au rez-de-chaussée. Inutile donc de se fatiguer en montant à l’étage : il y perdrait en outre un temps précieux… La porte d’entrée céda sans difficulté lorsqu’il la poussa d’un grand coup d’épaule. Capucin sur ses talons, il s’engagea dans le couloir à peine éclairé sans chercher à se faire discret. Plus vite les sœurs seraient prévenues, mieux ce serait. Il s’éclipserait ensuite dès que possible. Il espérait juste que la mère supérieure ne soit pas la première à pointer son nez. Une nouvelle confrontation avec la vieille chouette, très peu pour lui. Même si une telle éventualité lui paraissait plutôt improbable à cette heure avancée de la nuit.

L’infirmerie, qu’on avait fort heureusement oublié de fermer à clef, était bien là où il le supposait et il put déposer la jeune fille toujours inconsciente sur le matelas moelleux. Il prit le temps de l’installer du mieux qu’il le pouvait. Maintenant se posait la question de savoir s’il devait lui ôter ses vêtements humides ou s’il valait mieux s’en abstenir, pour éviter tout malentendu ? Un peu plus loin, les gonds d’une porte grincèrent, quelqu’un allait arriver. Inutile donc de risquer un scandale… il recouvrirait juste sa Taches de Son avec la couverture, histoire d’au moins la réchauffer un petit peu. Les sœurs sauront quoi faire, se dit Terry tout en la bordant. Il observa avec un demi-sourire le manège de Capucin qui, après avoir bondi sur le lit, flairait à petits coups et avec moult gémissements le visage de la belle au bois dormant.

Le raton laveur eut tout juste le temps de se réfugier sous le lit en poussant des cris apeurés lorsqu’un bruit de pas précipités résonna dans le couloir, suivi presque aussitôt de l’irruption dans la pièce de la religieuse de garde. Terry eut un soupir intérieur de soulagement en rencontrant le regard médusé de la sœur Margareth.

Trop accaparée par la présence du jeune Grandchester pour remarquer le lit et son occupante, la sœur s’était figée, sur le seuil de la porte. Que faisait-il ici et en pleine nuit ? S’était-il blessé lors d’une de ses trop nombreuses virées nocturnes ? Car bien entendu, elle était au courant des frasques du fils du duc, même si la plupart du temps, elle fermait les yeux... Non… Il avait l’air en pleine forme. Même si trempé comme il l’était, cela risquait de ne pas durer… Il n’était quand même pas venu se réfugier ici à cause de la pluie ? Le dortoir des garçons ne se trouvait qu’à peine à quelques centaines de mètres de là… À moins qu’il ne cherche à braver, une fois de plus l’autorité ? À court d’idées, elle finit par s’enquérir :

—Terrence !? Mais que se passe-t-il ?

Ce n’était pas la première fois que sœur Margareth le surprenait dans le dortoir des filles, et il devait reconnaître que la fois précédente il s’était montré particulièrement odieux avec elle. Il s’attendait donc à quelques remontrances. Dérouté de constater qu’elle n’était animée que par la seule curiosité, il se décala vers le lit sans répondre. Son mouvement fit dévier le regard de la religieuse qui découvrit avec effarement la cause de tout ce remue-ménage.

— Candy ! s’exclama-t-elle, abasourdie.
— Elle est tombée en descendant l’escalier de secours.
— Ah, mon Dieu !

Elle se pencha vers la jeune André, souleva la couverture pour la tâter et prendre son pouls avant de se redresser. Elle avait envisagé un instant de continuer à l’ausculter et d’envoyer son interlocuteur chercher la directrice du collège. Elle avait même ouvert la bouche pour lui expliquer comment s’y rendre, mais après avoir visualisé le jeune Terrence en train de parcourir les couloirs du dortoir des filles, elle s’était ravisée. Ce n’était pas la meilleure idée qui soit…

Terry la dévisageait d’un air mi-interrogatif, mi-anxieux et elle précisa : « Je pense que ce n’est rien de grave. Je vais prévenir la mère supérieure ! Attendez-moi ici ! » Puis elle quitta à la hâte la pièce.

La mère supérieure, la mère supérieure, marmonna Terry. Je sens que je ne vais pas m’attarder ici… La charge émotionnelle de ces dernières heures l’avait épuisé, et il n’avait aucune envie de l’affronter une deuxième fois, aujourd’hui. Maintenant que la jeune André était en sécurité, et qu’il avait pu exposer les circonstances de son accident, plus rien ne le retenait auprès d’elle. Il avisa la fenêtre : même si elle se trouvait un peu en hauteur, il devrait pouvoir sans trop d’efforts passer par là et disparaître avant que l’ennemi ne se pointe… Alors qu’il en était là dans ses élucubrations, il entendit la jeune fille murmurer « Anthony… Ne monte pas ce cheval… » et se tourna vers elle, à la fois inquiet et troublé.

Anthony ? Le nom quel a déjà prononcé deux fois, songea-t-il avant de se rapprocher d’elle et de fixer le petit visage tourmenté, dont les yeux toujours fermés s’emplissaient de larmes sur le point de déborder. Du bout des doigts, Terry en cueillit une, prête à rouler sur la joue pâle, puis éleva sa main au niveau de son regard pour contempler la goutte qui brillait à l’extrémité de son index. C’est pour lui qu’elle pleure… Cette seule constatation l’affectait plus qu’il ne voulait l’admettre.

Il sursauta presque lorsque la voix revêche de la mère supérieure le tira de ses pensées.

— Qu’a-t-elle encore fait ?
— Je n’en sais rien ma mère ! Mais Terrence Grandchester qui la ramenée nous donnera sûrement des détails…

Ce n’était plus le moment de rêvasser. Ni une, ni deux, il se hissa jusqu’au rebord de la fenêtre et d’un bond, se retrouva à l’extérieur. Capucin avait suivi le même chemin que lui et se laissa soulever sans opposer la moindre résistance lorsque Terry se baissa pour le prendre dans ses bras. Par chance la pluie avait cessé. À part quelques rares nuages avec lesquels la lune jouait à cache-cache, le ciel s’était dégagé et seuls le pétrichor et la terre détrempée attestaient de la réalité de l’orage qui avait éclaté un peu plus tôt. Il s’étonna lorsqu’un souffle d’air frais bienvenu caressa son visage moite et lui ébouriffa les cheveux : il ne s’était pas rendu compte à quel point il avait chaud après ce sauvetage impromptu…

À l’intérieur du bâtiment, les voix se rapprochaient petit à petit et le fils du duc commença à saisir les propos échangés.

— …Terrence ?
— À l’infirmerie auprès d’elle !
— Mais que dites-vous ? Il n’est pas là…
— Il est sans doute ressorti par la fenêtre ma mère…

Le jeune homme avait d’abord songé à rester dans les parages pour mieux épier ce qui allait se dire, mais la réflexion de sœur Margareth, le fit changer d’avis. Il ne tenait pas à se laisser surprendre au cas où l’une des religieuses aurait décidé de jeter un coup d’œil au dehors… Mieux valait se dissimuler un peu plus loin, par exemple derrière cet arbre, d’où il pouvait observer la fenêtre sans se faire repérer. Le raton laveur commençait à s’agiter et à pousser de petits gémissements entre ses bras et il caressa le pelage soyeux en chuchotant : « Ne t’inquiète pas Capucin, la sœur Margareth et la mère supérieure vont s’occuper d’elle et bien la soigner. »

Il se trouvait trop loin pour percevoir avec précision ce que disaient les deux femmes mais entendit sans problème le « Aïe » sonore de Candy et en déduisit qu’elle avait repris conscience. Quelques bribes de phrases lui parvenaient également, dont quelques-unes prononcées par la jolie blonde. Un léger sourire lui étira le coin des lèvres : Miss Tarzan-Taches de Son semblait tirée d’affaire.

Le soulagement du jeune aristocrate ne fut malgré tout complet que lorsqu’il la vit s’avancer le long du couloir, précédée par la sœur Margareth. Elle marchait avec aisance et rien n’aurait pu laisser deviner qu’elle venait de reprendre conscience après avoir chuté dans un escalier… Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes…

Capucin, sans doute aussi heureux que lui de voir sa petite maîtresse à nouveau remise sur pied, poussa quelques petits cris excités que Terry inquiet, essaya d’étouffer de la main. Candy les avait entendus et s’était retournée et arrêtée, mais fort heureusement, la sœur Margareth, sans se douter de quoi que ce soit, l’avait interpellée puis entraînée à sa suite.

« Elle devait sûrement avoir l’esprit troublé par je ne sais quoi, sinon elle ne se serait pas évanouie… » murmura le jeune Grandchester, tourmenté par le souvenir de la voix pleine de détresse, du visage chagriné, des paupières closes et gonflées de larmes. Il observa sa main et le doigt qui en avait recueillie une sur la joue de sa Taches de Son et poursuivit, perturbé : « Anthony… Que peut-il bien être pour elle, cet Anthony ? ». Et qu’est-ce que c’était que cette histoire de cheval qu’il ne devait pas monter ?

Il se frappa le front et lâcha une bordée de jurons bien peu dignes du futur duc qu’il était peut-être encore, lorsque se présenta à son esprit le souvenir de son propre cheval qui l’attendait, ou pas, de l’autre côté du bâtiment. Il abandonna sans façons Capucin, qui se retrouva au sol et poussa un grognement de protestation — sa petite maîtresse ne l’avait pas habitué à ces méthodes de sauvage— et il s’élança au pas de course le long de la bâtisse.
Bien entendu, la jument avait disparu lorsque Terry, essoufflé, arriva à l’endroit où il l’avait laissée. Le contraire aurait d’ailleurs défié le bon sens vu les claquements assourdissants qui n’avaient cessé de troubler la nuit. Il soupira puis jeta un coup d’œil circulaire. Où avait-elle pu passer ? Au loin une branche craqua et il se hâta dans cette direction. Une centaine de mètres plus loin, il s’immobilisa l’oreille aux aguets, mais pas moyen de repérer quoi que ce soit aux alentours et il pesta.
Après un certain nombre de tours et de détours, il finit par découvrir Sheila là où il aurait dû la chercher dès le début. Elle se tenait devant l’écurie et l’accueillit d’un hennissement faible, l’encolure basse. Des frissons lui parcouraient l’échine et les volutes de vapeur qui s’élevaient au-dessus d’elle, éclairées par la lune blafarde, lui donnaient un air fantomatique. Terry se précipita vers elle, saisit la bride qui pendouillait au sol et la débarrassa des branchages qui s’y était accrochés. « Pardon, pardon… » murmura-t-il le front posé sur l’encolure humide de la jument. « Je vais m’occuper de toi maintenant. »
Ce ne fut que bien plus tard, après avoir vérifié avec soin que sa jument ne s’était pas blessée et l’avoir bouchonnée avec vigueur, qu’il put enfin retourner au dortoir. Arrivé dans sa chambre, dont il s’était bien gardé d’allumer le plafonnier, il se rappela soudain l’état dans lequel il l’avait laissée, et évita de justesse de piétiner les débris de verre qui jonchaient le sol. Je m’occuperai de tout ça demain, pensa-t-il avec un bâillement, avant de se déshabiller comme un automate et de se laisser choir sur son lit, exténué.

Et pour une fois, Morphée l’accueillit dans ses bras à la seconde où il posa la tête sur l’oreiller.





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Edited by Nolwenn - 23/5/2023, 18:51
view post Posted: 29/10/2022, 17:26 L'anniversaire - Fanfics pour tous les âges
Coucou Isa,
Oui, Suzanna s'y croit complètement... Merci pour ton gentil message qui a éclairé ma journée :love3:
view post Posted: 26/10/2022, 14:00 L'anniversaire - Fanfics pour tous les âges
QUOTE (petiteneige2printemps @ 26/3/2022, 14:57) 
Bonjour

J'arrive un peu tard, mais merci pour ce petit cadeau d'anniversaire.

Ce n'est pas grave, moi j'arrive presque toujours avec un retard dont je n'ose même pas préciser la durée...
Merci beaucoup pour ton retour.
view post Posted: 8/2/2022, 16:29 Commentaires pour "Le point de vue de Terry" - Commentaires pour les Fanfictions
Merci pour vos encouragements :Amour14: Je vais sérieusement songer à écrire la suite :=/:
Mais je ne vous promets rien :XP:
Et Glynda, contente de te voir ici 3_3 Tu sais que j'attends ton chapitre, hein !
view post Posted: 7/2/2022, 17:30 Les Rois Mages - Fanfics pour tous les âges
Chapitre 8

Tout est bien qui finit bien



Alors qu’il sortait de l’hôpital, Terry fut assailli par les flashes. Contrairement à ce qu’il espérait, le froid et l’épaisse couche de neige qui avait recouvert les rues de la ville n’avaient pas eu raison de la détermination des reporters qui battaient pourtant la semelle depuis l’aube sur le perron. S’il ne se trompait pas, la petite troupe s’était même étoffée et n’avait, semble-il, nulle intention de différer davantage l’interview promise. Il soupira. Candy était encore fatiguée et il aurait préféré lui éviter ce genre de joyeuseté. Mais autant en finir tout de suite.

Chacun essayait d’attirer l’attention de l’acteur dans sa direction.

« Monsieur Graham… Monsieur Graham !
— Terrence !
— Pourquoi avoir précipitamment quitté votre gala ?
— Quels sont les liens qui vous unissent à Mademoiselle André ?
— Susanna Marlowe est-elle au courant de votre voyage ?
— Que pense votre fiancée de votre présence en ces lieux ? »

Terrence leva les deux mains devant lui pour réclamer le silence qu’il obtint aussitôt et déclara :

« Susanna est bien sûr au courant de ce voyage. Et ce qu’elle en pense… Le mieux serait de le lui demander en personne, ne croyez-vous pas ? Quant à cette personne à mes côtés, ajouta-t-il en entourant à nouveau les épaules de sa Taches de Son d’un bras protecteur, sachez qu’il s’agit de l’amour de ma vie. »

Sa déclaration fut suivie d’un bref silence qui céda presque aussitôt la place à un brouhaha indescriptible durant lequel Candy baissa les yeux, le rouge aux joues, le cœur battant à tout rompre. C’était une chose que d’entendre Terry lui déclarer sa flamme dans l’intimité de sa chambre d’hôpital… C’en était une tout autre de la lui entendre clamer haut et fort à la face du monde. Affreusement gênée, elle entendait les commentaires pas forcément élogieux qui se succédaient pêle-mêle, des « Mais quel malotru ! » « C’est un scoop !» « J’ai toujours dit que c’était un coureur… » « C’est incroyable ! » « Ces célébrités, ça se croit tout permis… » pour ne citer que les plus bruyants.

Les journalistes s’interpellaient et se consultaient du regard, abasourdis. Puis une voix couvrit les autres.

« Mais, et Susanna Marlowe, alors ?
— Vous voulez dire que vous avez rompu vos fiançailles ? ajouta quelqu’un d’autre.»

Terry éleva à nouveau sa main libre, obtenant toute l’attention de la cour qui s’agitait devant lui.

« Non je ne les ai pas rompues !
— Mais c’est un scandale ! s’indigna une femme entre deux âges.
— Et ça ne vous gêne pas de vous exhiber ainsi ? renchérit quelqu’un d’autre.
— Après tout ce que cette pauvre Susanna Marlowe a fait pour vous… continua un moustachu à l’air peu affable. »

Le comédien commençait à sentir la moutarde lui monter au nez et les interrompit, exaspéré :

« Vous jugez sans rien savoir. Figurez-vous qu’il m’aurait été bien difficile de rompre ces fiançailles pour la bonne raison que Susanna et moi n’avons jamais été fiancés. »

Cette fois-ci ce furent des « Hein ? », des « Comment ? », des « Ces quoi encore ces histoires ? » interloqués qui secouèrent la petite assemblée qui lui faisait face.

« Pourtant, fit le journaliste qui se trouvait le plus à droite, lorsque Madame Marlowe elle-même l’a annoncé, vous n’avez pas démenti !
— Et alors ? Si je n’ai pas jugé bon de le faire à ce moment-là, c’est parce que Susanna était à mes côtés, et que je ne souhaitais pas l’embarrasser devant tout le monde. Elle avait déjà suffisamment de problèmes auxquels faire face. »

Terry se souvenait encore de toute la volonté qu’il avait dû mobiliser pour rester calme et souriant devant la troupe de journalistes, alors que sa seule envie en cet instant était d’étrangler de ses propres mains l’horrible mégère qui tentait de lui mettre la corde au cou.

Alors que les questions étaient sur le point de reprendre, Albert franchit à son tour les portes de l’hôpital et ce fut vers lui que se tournèrent aussitôt les micros.

« Monsieur André, que pensez-vous de la déclaration de Terrence Graham au sujet de votre fille ?
— Quelle déclaration ?
— Il a dit qu’elle était la femme de sa vie… N’avez-vous pas peur que ce soit uniquement votre fortune qui l’intéresse ? »

Le milliardaire observa durant quelques secondes l’homme qui venait de s’exprimer, puis il secoua la tête, une moue désabusée sur les lèvres, et rétorqua :

« La seule chose qui m’inquiète actuellement est l’état de santé de ma fille. Et ce ne sont pas les commérages que vous vous plaisez à répandre qui lui apporteront la sérénité nécessaire à un bon rétablissement. Candy a besoin de repos. Désolé, mais je ne peux m’attarder plus longtemps. »
— Tu viens, Terry ? Ou tu as encore des choses à déclarer à ces messieurs-dames ?
— J’arrive, Albert... fit ce dernier en lâchant un peu à contrecœur la jeune femme pour la laisser aux bons soins de son père. Je tenais juste à préciser, mesdames et messieurs, que contrairement à ce que vous avez l’air de croire, j’ai toujours aimé Candy. Je ne suis resté avec Susanna Marlowe que pour l’aider à se remettre du terrible accident dont elle a été victime… et il me semble qu’à présent, elle a suffisamment repris confiance en elle pour voler de ses propres ailes !
— Monsieur Graham est-il vrai que…
— C’est tout ce que j’ai à dire pour l’instant. »

Sans plus prêter attention aux questions qui continuaient à fuser, Terrence s’élança à la suite d’Albert et de Candy, fendant la petite foule qui s’était refermée derrière le milliardaire et sa fille. Sur le point de monter dans la carriole où l’attendaient les deux autres, déjà confortablement installés et emmitouflés dans des couvertures chaudes et douillettes, il s’immobilisa, abasourdi.

À quelques mètres de là se tenait… Il fronça les sourcils, n’en croyant pas ses yeux. Cette dégaine, ce regard fuyant… C’était bien… Niel. Niel Legrand. Impossible de se tromper.

Le sang de l’acteur ne fit qu’un tour. Ce que les autres lui avaient raconté le matin même lui était instantanément revenu à l’esprit. Il en avait été malade, malade d’apprendre que ce vaurien qui avait déjà tant harcelé et brutalisé Candy dans le passé, ne s’était pas gêné pour la forcer dans un mariage contre nature. Il songea que c’était presque une bénédiction de l’avoir, là, devant lui : il allait pouvoir extérioriser la rage qui l’avait submergé, telle un tsunami, et qui depuis, couvait en lui. Sans prendre le temps de la réflexion, sans chercher à comprendre la raison de la présence en ces lieux du fils Legrand, Terry se précipita vers lui.

Daniel s’était redressé hébété. Sans crier gare, sa sœur l’avait poussé hors du véhicule avec un petit glapissement de chat écorché « Ne reste pas là, fais quelque chose !!!» Cependant lui n’avait qu’une envie, disparaître dans un trou de souris. Il ne se voyait certainement pas affronter l’acteur qui arrivait sur lui comme un taureau furieux. Il se retourna vers la voiture cherchant de l’aide auprès d’Élisa mais celle-ci avait dû s’aplatir comme une crêpe sous le tableau de bord car il ne vit plus personne derrière le parebrise…

Puis les événements se précipitèrent. Niel se plia en deux, le souffle coupé. Il n’avait pas vu arriver le violent coup que venait de lui asséner Terrence au creux de l’estomac. Et quand bien même l’aurait-il vu, il n’aurait pu y changer grand-chose.

« Ahhh, ça fait du bien, s’exclama le comédien, même si je sais que je n’aurais pas dû m’abaisser à frapper quelqu’un d’aussi couard que toi. »

Accroupi au sol, un bras levé pour se protéger la figure, l’autre serré contre son ventre douloureux, le fils Legrand reçut le mépris de l’acteur comme un second coup de poing, presque plus désagréable que le premier. Terry s’accroupit près de lui et murmura :

« Tu touches encore un seul cheveu de Candy et je te tue… Tu as compris ? TU AS COMPRIS ?»

Le murmure avait cédé la place à un grondement menaçant et Daniel, recroquevillé sur lui-même, hocha frénétiquement la tête, incapable de garder les yeux ouverts. Terrence se releva, écœuré.

« Et tu diras à ton idiote de sœur qu’elle n’a pas intérêt à croiser mon chemin ou celui de Candy… Si par hasard j’ai le malheur de la rencontrer, je risque fort de me laisser aller à certaines extrémités que je ne suis même pas sûr de regretter par la suite. »

L’incident, vous vous en doutez bien, avait fait la joie des journalistes qui s’étaient aussitôt précipités afin de couvrir cet événement d’une importance capitale pour l’avenir de la nation… Malheureusement pour eux, l’acteur ne les avait point attendus et s’était prestement éclipsé dans la carriole qui s’était aussitôt ébranlée, ne leur laissant que Daniel Legrand à se mettre sous la dent.

« Pourquoi l’as-tu frappé, s’enquit Candy alors que le comédien prenait place près d’elle.
— J’avais besoin de me défouler…
— Oh… Terry !
— Tu vas faire la une des journaux, déclara Albert d’un ton sentencieux.
— J’ai l’habitude…
— Tu ne crains pas que ça te porte préjudice ?
— Bah… Il suffit de leur mettre d’autres nouvelles plus croustillantes sous les dents…
— En tout cas, cet abruti de Daniel aurait mieux fait de suivre mes ordres et de rester enfermé dans sa chambre… Il n’a eu que ce qu’il méritait…
— Oh, vous deux ! Vous exagérez quand même ! Qu’est-ce qu’il avait fait ce pauvre Daniel ?
— Avec tout ce qu’il t’a fait subir, tu t’inquiètes encore pour lui, Taches de Son ? Tu es et resteras toujours pour moi, une inépuisable source d’étonnement. »

—oooOOOooo—



Le souffle court, Terrence martela le sol de ses pieds et secoua le bas de son manteau pour le débarrasser de la neige qui s’y était accumulée, avant d’aider Tom à traîner l’énorme —et très lourd— sapin dans la pièce qui servait de salle de jeu aux petits pensionnaires. Un majestueux conifère, qu’ils étaient allés chercher ensemble dans la forêt toute proche. Candy, trop fatiguée, avait renoncé à les accompagner pour prendre un peu de repos et l’acteur avait dû se faire violence pour l’abandonner à l’orphelinat. À présent qu’il était revenu entre ces murs qui avaient vu grandir la jolie blonde, il n’avait qu’une idée en tête, la rejoindre au plus vite.

« Magnifique ! s’exclama Mademoiselle Pony, les mains jointes devant le cœur, un sourire épanoui sur la figure, alors que les deux hommes venaient de redresser l’arbre dans un coin de la pièce.
— Il n’y a plus qu’à le décorer, fit Tom, heureux d’avoir pu cette année encore, leur fournir un si beau sapin.
— Sœur Maria est justement allée chercher nos petits décorateurs… »

Terry essayait de prendre son mal en patience et se dandinait d’un pied sur l’autre, n’osant leur fausser compagnie.

« Tu ne vas pas voir comment va Candy ? lui demanda gentiment Tom qui avait remarqué sa fébrilité.
— Vous n’aurez pas besoin de moi ?
— D’habitude c’est Candy qui fait ça avec les enfants… répondit Mademoiselle Pony. Alors je pense qu’avec Tom, on va pouvoir se débrouiller ! »

Notre acteur ne se le fit pas dire deux fois et se précipita vers la chambre de sa belle sous le regard attendri de Mademoiselle Pony.

Arrivé devant la chambre de Candy, le comédien s’immobilisa, prit une grande inspiration pour se calmer, puis poussa la porte. Tout doucement.

La jeune femme dormait en chien de fusil. Ses boucles blondes recouvraient en partie son visage paisible. Terry s’approcha d’elle à pas de loup et avec mille précautions, remonta sur les jolies épaules rondes la couverture qui avait un peu glissé.

« Hmm… Terry… »

Le cœur de l’acteur bondit dans sa poitrine et il se figea, désolé d’avoir réveillée sa Taches de Son alors qu’elle avait tant besoin de reprendre des forces. Mais la jeune femme n’avait fait que parler dans son sommeil. Un sourire éclaira le visage de Terry alors que des souvenirs remontaient dans sa mémoire : une soirée d’orage et Candy, inconsciente entre ses bras et prononçant comme aujourd’hui un prénom, mais celui d’un autre. Puis prononçant ce même prénom, un peu plus tard, à l’infirmerie, où il l’avait transportée. Cela lui avait fait si mal à l’époque, si mal… Mais à présent, c’était son nom à lui qui s’échappait de la bouche adorée… Il en éprouvait un tel bonheur qu’un voile humide vint embuer ses yeux. Une violente envie de déposer un baiser sur les lèvres roses le prit, envie à laquelle il n’était pas sûr de pouvoir résister bien longtemps.

Il était temps de retourner aider les autres s’il ne voulait pas interrompre le sommeil de la belle au bois dormant. D’ailleurs, Candy serait heureuse de le voir se rendre utile auprès de ses « mamans » comme elle les appelait.

—oooOOOooo—



« Tu sais où est Mademoiselle Pony ? » s’enquit Terry en admirant l’arbre de Noël.

Les petits pensionnaires de l’orphelinat avaient bien travaillé. Le sapin était orné jusqu’à mi-hauteur de guirlandes de pop-corn, de bandes de papier savamment découpé et colorié, de pommes de pins ramassées dans la forêt et peintes de rouge, d’argent et d’or et d’autres babioles fabriquées avec soin à partir de matériaux de récupération.

« Mademoiselle Pony ? Elle est sortie à l’instant avec les enfants pour les faire goûter... Puisque tu es là, tu pourrais juste me passer l’étoile, là… »

Tom du haut de l’échelle montrait du doigt la décoration posée sur un coin de la table. L’acteur s’en saisit et la lui tendit.

« Terryyyy !!! » fit une petite voix joyeuse dans son dos.

Le comédien se retourna et contempla, éberlué la petite Mary qui, les joues rougies par le froid, accourait vers lui pour se jeter dans ses bras, suivie d’un Charlie tout sourire.

« Mary… Charlie… ? Mais comment êtes-vous arrivés là ? s’enquit Terry en recevant dans ses bras la petite boule d’énergie qui s’accrocha à son cou.
—Tu as raison de le demander ! Ça a été toute une aventure ! acquiesça Charlie en faisant un signe de tête à l’homme qui, du haut de son échelle, les dévisageait, un peu interloqué.
— Tom… enchanté… fit le jeune fermier en reprenant ses esprits.
— Charlie, un ami très cher, déclara Terry à son tour, et Mary, mon actrice principale. C’est grâce à elle que notre pièce a été un si franc succès… »

Il posa au sol la fillette qui rosissait de plaisir et la regarda avec affection. Celle-ci se tourna vers Tom, toujours juché sur son piédestal, et lui fit son plus beau sourire qu’elle accompagna d’une petite révérence gracieuse avant de chercher à nouveau le regard de l’acteur :

« Moi qui étais si pressée d’arriver ! Quand le train s’est arrêté et qu’il ne repartait plus, j’ai vraiment cru qu’on ne pourrait pas passer Noël ensemble…
— Elle a failli fondre en larmes !
— Pas du tout…
— Heureusement qu’un type s’est proposé pour nous amener. Une sacré veine qu’il connaisse ce coin perdu !
— Voyons, Tonton Charlie ! On ne dit pas un « type », mais un « monsieur ». Et il préfère qu’on l’appelle Gaspard !
— G… Gaspard ? bafouilla Terry, un peu estomaqué.
— Oui, Gaspard, comme le roi mage, c’est drôle, hein ? pépia Mary toute excitée, sans se douter de l’émoi qu’elle avait suscité en prononçant ce nom. Et on est venus en traîneau, tu te rends compte ? Avec les clochettes et tout et tout ! Tu devrais venir voir, c’est vraiment le traineau du Père Noël !
— Il manque juste les rennes… ricana Charlie qui avait remarqué le trouble de l’acteur et se doutait bien de ce qui avait pu le provoquer. »

Comme Terry le dévisageait, interrogateur, il haussa les épaules, dans un geste d’ignorance. Lui aussi s’était posé la question de savoir si ce Gaspard-là était celui de la commande… Mais il n’avait pas pu en avoir le cœur net. Dès le départ, Mary et l’homme s’étaient lancés dans des discussions sans fin et il avait fini par s’assoupir, à l’arrière du traineau, pour n’émerger que peu avant leur arrivée. C’est à ce moment seulement qu’il avait entendu Mary appeler le « monsieur » comme elle disait, par ce prénom et qu’il avait commencé à s’interroger. Terry interrompit ses pensées :

« Il est parti ?
— Qui ça ? Le sieur Gaspard ? Non… Il discute avec la directrice des lieux.
— Ils ont dit qu’ils nous rejoignaient, précisa Mary.
— Cette jeune fille, ici, était très, très, mais alors très pressée de te voir et il était impensable pour elle d’attendre une seconde de plus ! »

Mary fit la moue, un peu contrariée par le ton moqueur de Charlie.

« Tu ne m’en veux pas trop d’être parti sans même te dire au revoir, ma petite crevette ?
— Non, je ne suis pas fâchée. Mais je ne suis pas ta crevette ! Et je suis grande maintenant ! Où est-ce qu’elle se cache, Candy ?
— Tu connais Candy, toi ?
— C’est Robert qui lui en a parlé… C’est d’ailleurs lui qui nous a fait venir ici !
— Ah… Robert… Que deviendrai-je sans lui…
— Gaspard aussi connaît Candy, intervint la fillette. Il m’a raconté un tas de choses à son propos. »

Terrence fronça les sourcils. Donc cela signifiait que… Mais déjà, Mary continuait :

« Alors où est-ce qu’elle est ?
— Eh bien… elle dort pour l’instant.
— Elle dort ? À cette heure-ci ? On n’a qu’à aller la réveiller !
— Elle a besoin de se reposer, tu sais. Il lui est arrivé toute une aventure, à elle aussi…
— Je sais… mais je veux la voir ! Je veux savoir si elle est aussi jolie et gentille que Gaspard l’a dit ! »

Terry ne put s’empêcher de rire.

« Elle l’est, je peux te l’assurer et tu la verras tout à l’heure, promis. Pour l’instant tu peux aider à décorer le sapin.
— Ohhh ! Chic ! »

Mary s’était déjà libérée des bras du comédien pour se précipiter auprès de l’arbre qu’elle scrutait de haut en bas, les mains sur les hanches en secouant la tête.

« Ça manque de décorations, par ici ! »

Tom faillit s’esclaffer devant l’air sérieux qu’affichait la petite, mais il se retint. Il ne voulait pas la vexer. Et puis cette gamine lui rappelait beaucoup Candy, plus jeune. Mêmes boucles blondes, même air décidé, même gentillesse dans le regard… Il se demanda si l’acteur ne l’avait pas inconsciemment choisie pour cette raison.

Le regard de Terry passa de la fillette qui sautillait autour du sapin, ravie, à Charlie à qui il déclara :

« Je n’en reviens toujours pas de vous voir ici…
— Si tu n’étais pas le mécréant que tu es, je dirais que c’est un miracle qu’on soit là…
— Figure-toi que je commence à y croire, aux miracles… murmura le comédien. »

Puis il aperçut, dissimulant presque entièrement la petite silhouette replète de Mademoiselle Pony, l’homme souriant qui se tenait dans l’encadrement de la porte. En rencontrant son regard malicieux, Terry eut un mouvement de stupéfaction puis bredouilla :

« V…vous êtes… l’homme du train… ?
— En autre… déclara celui-ci en esquissant une courbette. Gaspard, pour vous servir !
— Vous vous connaissez ? intervint la vieille dame qui pénétrait à son tour dans la pièce, intriguée, tandis que Terry dévisageait le nouveau venu, abasourdi.
— En quelque sorte… acquiesça ce dernier avec un sourire bonhomme.
— Quelle coïncidence ! s’exclama la vieille demoiselle, toute réjouie. »

Et elle ajouta avec entrain :

« Figurez-vous que Gaspard sera notre Père Noël cette année !
— Mais cela reste entre nous, n’est-ce pas… murmura celui-ci sur un ton confidentiel. Je suis ici in-co-gni-to !
— Bien entendu, rit Mademoiselle Pony. »

L’acteur ne savait plus que penser : cela lui paraissait trop gros pour être qualifié de simple « coïncidence ». Il fronça les sourcils. Il avait besoin d’en savoir davantage sur cet étrange personnage, mais celui-ci emboîtait déjà le pas à Mademoiselle Pony. Terry l’arrêta d’un « excusez-moi » poli. Il venait en effet de se remémorer la bague qu’il avait glissée au doigt de Candy.

« Oui ? fit Gaspard en se retournant vers lui, dans l’expectative.
— Je… je crois bien que j’ai trouvé quelque chose qui vous appartient.
— Ah… la bague, peut-être ?
— Euh… Oui… J’ai essayé de vous rattraper lorsque…
— Je suis heureux de voir qu’elle a bien joué son rôle !
— Son… rôle ?! »

Pour toute réponse Gaspard se fendit d’un sourire avant de sortir de la pièce en ajoutant :

« Vous pouvez la garder. C’est un cadeau ! »

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Candy ouvrit un œil, puis l’autre.
Un peu désorientée, elle promena son regard sur les murs de la chambre avant de retrouver tout à fait ses esprits. Elle se sentait beaucoup mieux. C’était un fait. Elle s’assit sur le rebord de son lit, s’étira comme un chat et… s’aperçut qu’une petite fille la dévisageait, fascinée. Une petite fille qu’elle n’avait encore jamais vue à la maison Pony. Une nouvelle sans doute, qu’elle s’étonna de ne pas avoir remarquée plus tôt.

« Bonjour ! lui dit-elle gentiment pour ne pas l’effrayer. Comment t’appelles-tu ?
— Mary. Et vous, vous êtes… Candy, n’est-ce pas ?
— Oui, tu as bien deviné. Mais tu peux me tutoyer, tu sais. Tous les enfants ici me tutoient. Tu es ici depuis quand ?
— Je viens juste d’arriver. J’espère que je ne vous ai pas, euh…, que je ne t’ai pas réveillée.
— Non, non, ne t’inquiète pas. »

Pour appuyer ses dires et la tranquilliser, la jeune femme accentua le sourire qui lui était naturellement venu aux lèvres à la vue de l’enfant.

« Vous, euh, tu es vraiment aussi jolie qu’on le dit, surtout quand tu souris.
— Qu’on le dit ? s’étonna Candy, un bref instant troublée par cette phrase qui lui rappelait tant de souvenirs. Et qui t’a raconté ça ?
— Tout le monde… Gaspard, Charlie, Robert et bien sûr Terry. »

Candy se tut, déroutée. Cette petite connaissait donc Terry, ainsi qu’un certain Gaspard, dont elle-même n’avait jamais entendu parler, mais qui, lui, semblait la connaître. C’était pour le moins étrange. Quant aux deux autres, étaient-ils bien ceux auxquels elle pensait ?

« Si j’ai bien compris, tu n’es pas ici en tant que pensionnaire ?
— Non, pas du tout, même si je suis effectivement orpheline.
— Ah… Et comment tu connais Terry ?
— J’ai joué dans sa pièce, vous savez, pardon… tu sais ! J’y ai même joué le rôle principal, se rengorgea la petite. Une fille qui voulait un papa et qui finit par en trouver un. »

La petite se tut avant de poursuivre sur le ton de la confidence :

« Peut-être que pour moi, ça va se passer comme dans la pièce... en mieux !
—Oh ! Mais, tu en trouveras sûrement un, toi aussi !
— Non, ce que je voulais dire c’est que je l’ai peut-être déjà trouvé mais…
— Ah ? Tu as trouvé un papa ? »

La jeune femme pensa à son papa à elle, qu’elle voyait d’ailleurs plus comme un ami ou un grand frère que comme un père. Elle songea à tout ce qu’elle lui devait et à la chance qu’elle avait eu de le rencontrer, et elle ajouta :

« C’est merveilleux !
— C’est pas encore sûr et ça doit rester secret… murmura Mary.
— Compris ! Je serai muette comme une tombe. En tout cas, j’espère de tout cœur que tu vas l’avoir ton papa !
— Moi aussi… Il manque juste encore une maman ! »

Dans la bouche de la fillette, il ne s’agissait pas d’une plainte. Juste d’une constatation. Mais elle dévisageait Candy avec une telle intensité, une telle confiance que celle-ci, troublée, eut l’impression d’un appel au secours.

« Je suis sûre que tu vas en trouver une…»

Le regard clair, plein d’attente que la fillette posait sur elle la remuait profondément et elle essaya d’embrayer sur un autre sujet.

« Si je comprends bien, tu es venue de New-York avec Terry ?
— Oui… Non… C’est-à-dire… Je viens bien de New-York, mais je suis venue avec Charlie. Et on a fait la fin du trajet dans le traineau du père Noël !
— Du père Noël, rien que ça ?
— Oui, enfin. Il dit qu’il est le père Noël, mais en réalité, il s’appelle Gaspard. Et heureusement qu’on l’a rencontré, sinon on ne serait jamais arrivés…
— Attends… raconte-moi tout depuis le début, l’interrompit Candy en tapotant le matelas pour l’inviter à s’asseoir auprès d’elle.»

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« Je t’ai apporté les papiers, déclara Charlie en tendant à son ami une liasse de feuillets.

Des chants de Noël s’élevaient dans la pièce voisine. Les petites voix, même si elles manquaient parfois de justesse, étaient pleines de ferveur et donnaient un rien de solennité à l’ambiance festive dans laquelle ils baignaient.

« D’après Robert, continua-t-il, la procédure d’adoption a été accélérée parce qu’ils étaient persuadés que tu allais bientôt épouser ta jolie fiancée…
— Tu sais très bien que ce n’est pas ma fiancée, se renfrogna l’acteur.
— Je sais, je sais…
— Je la retiens, la mère Marlowe et ses affirmations mensongères ! Encore tout à l’heure…
— De quoi tu te plains ? le coupa Charlie. Ses mensonges auront au moins eu l’avantage de faire avancer un peu les choses.
— Si tu le dis… Sauf que l’adoption ne pourra prendre effet qu’une fois que je serai marié, constata Terry en lisant le premier feuillet du document. »

Il parcourut la suite, un peu inquiet. Heureusement, le nom de la femme qu’il était censé épouser n’était nulle part mentionné. Il fallait juste qu’il épouse quelqu’un. Il releva vers Charlie un regard soulagé.

« Eh bien, tu n’as plus qu’à te marier ! Tu le lui as proposé ?
— Non, pas encore…
— Et tu lui as parlé de la petite ?
— Je n’en ai pas eu le temps, non plus. Et j’avoue que je ne sais pas trop comment lui présenter la chose. »

Devant la mine soudain soucieuse de son ami, Charlie déclara :

« Tu devrais juste lui en parler, Terry. Telle que je la connais, elle va trouver que c’est une idée fantastique ! Elle qui aime tant les enfants ! Et puis elle a été élevée ici. Elle sait ce que c’est !
— Justement, Je ne voudrais pas qu’elle se sente obligée d’accepter le mariage juste dans l’intérêt de la petite.
— Tu rigoles ?
— Pas du tout… Candy a une tendance marquée à faire passer le bien-être des autres avant le sien et je sais de quoi je parle...
— Tu n’as qu’à ne pas lui en parler tout de suite, de la petite, tu verras bien…
— Peut-être, mais ensuite ? Je n’ai pas envie de lui imposer Mary comme ça, même si c’est une gamine formidable. »

Tout à leur discussion les deux hommes faillirent avoir une attaque lorsqu’une petite voix s’éleva derrière leur dos :

« Vous parliez de moi ? »

La fillette lâcha la main de Candy et se précipita vers Terry qu’elle entoura de ses petits bras.

« Doucement… rit celui-ci, à la fois heureux de voir sa Taches de Son debout, et inquiet à l’idée qu’elle ou Mary aient peut-être surpris des paroles qu’elles risquaient de mal interpréter. Je vois que vous avez fait connaissance, toutes les deux… »

La petite se haussa sur la pointe des pieds.

« Tu sais, tu as raison, lui glissa-t-elle à l’oreille. Elle est aussi gentille que jolie ! »

Si l’acteur avait craint un moment qu’elles puissent ne pas s’entendre, ces paroles et le sourire espiègle qui éclairait le visage de Candy le rassuraient sur ce point.

« Qu’est-ce que vous complotez, tous les deux ? s’enquit cette dernière en s’approchant d’eux.
— Rien du tout… fit Terry en remettant les papiers dans leur pochette. »

La discussion fut interrompue par l’arrivée d’Albert et d’Archibald. Présentations et embrassades se succédèrent dans un joyeux brouhaha. Le fils Cornwell s’était bien évidemment précipité vers sa cousine.

« Quel bonheur de te savoir tirée d’affaire ! » déclara-t-il en l’étreignant.

Terry rongeait son frein. Il avait beau se raisonner, être le témoin de ces effusions le hérissait, bien qu’il sût le Dandy à présent « casé ». Il faut dire aussi qu’avec cette arrivée impromptue, le moment de calme et d’intimité qu’il appelait de tous ses vœux était à nouveau repoussé aux calendes grecques.

« Annie ne t’a pas accompagnée ? s’étonna la jeune blonde avec un froncement de sourcil.
—Les filles sont restées avec Mademoiselle Pony, Sœur Maria et les enfants, intervint Albert.
— Les filles ? Patty est donc là aussi ? »

Comme un enfant devant un cadeau-surprise, Candy sautillait sur place d’excitation et son père l’observa avec un sourire attendri. Sa question laissait supposer que pas plus que lui, Terry n’avait trouvé le temps de raconter à la jeune femme les derniers développements survenus durant son séjour à l’hôpital. Il avait prévu de le faire durant le trajet jusqu’à l’orphelinat, mais la conversation s'était orientée dans une tout autre direction à cause de la présence devant l’hôpital de cette fripouille de Daniel. Albert s’avança vers sa fille, la prit par le coude et s’approcha avec elle d’un des bancs qui encadraient la longue table de bois sur laquelle traînaient quelques pop-corn égarés, crayons de couleur, papiers froissés et autres journaux témoignant de l’activité fébrile dont elle avait été le théâtre, un peu plus tôt.

« Ah… Justement… Tu veux bien t’asseoir, Candy ? Je dois te parler.
— Tu dois me parler ? Qu’est-ce qui se passe ? S’alarma aussitôt celle-ci.
— Rien de grave. Ce serait même plutôt une merveilleuse surprise. Mais vu ton état, je préfère prendre mes précautions. »

Assise à l’extrême bout du banc, le dos raide, Candy dévisageait Albert. Malgré ses paroles apaisantes, son inquiétude persistait et ne se dissipa que lorsque Terry enjamba le banc pour prendre place à califourchon derrière elle et l’entourer de ses bras en murmurant « Détends-toi, Taches de Son. Tout va bien » Et effectivement, elle sentit que tout allait bien. Que tout était revenu à sa place. Que son monde tournait à nouveau rond.

« Patty est là, effectivement, reprit Albert. Et elle a une grande nouvelle à t’annoncer.
— Elle est enceinte ? ne put s’empêcher de demander la jeune femme malgré l’absurdité de la question. »

Elle avait eu Patty au fil la semaine précédente et savait que celle-ci n’avait toujours pas trouvé l’âme sœur. Il faut dire que, tout comme elle, son amie ne faisait pas grand-chose pour la dénicher…

« Pas encore… rit Albert.
— Pas encore ? Pourquoi ? Elle s’est trouvé quelqu’un ? s’enquit la jeune femme, perplexe.
— Disons plutôt qu’elle a retrouvé quelqu’un…
— Retrouvé ? Je… Je ne comprends pas. »

Albert se tourna vers Archibald.

« Va donc les chercher. »

Celui-ci hocha la tête et s’éclipsa alors que Terry chuchotait à l’oreille de Candy « Alors ? Tu ne devines pas qui c’est ? ». La jeune femme se retourna vers lui et sonda son regard, y cherchant les réponses à ses interrogations. Elle avait bien entendu échafaudé quelques hypothèses toutes plus loufoques les unes que les autres, mais son esprit ne cessait de buter sur la plus folle d’entre elles. « C’est absurde… » dit-elle tout bas sans le quitter des yeux. L’acteur qui devinait ce qui se tramait dans la jolie tête blonde murmura : « Tu devrais davantage croire aux miracles, Taches de Son… N’es-tu pas dans mes bras ? »

Lorsqu’Annie et Patty se présentèrent à la porte, Candy se serait bien levée pour les embrasser, mais Terry la tenait fermement contre lui. Ce n’est que lorsque les deux frères Cornwell apparurent à leur tour dans l’encadrement de la porte, que la jeune blonde, mue par un élan irrésistible, s’arracha aux bras protecteurs de l’acteur qui, décontenancé, les laissa mollement retomber sur le côté, tandis qu’elle se jetait dans ceux de son cousin revenu d’entre les morts. Entre rire et larmes elle n’arriva à prononcer qu’un mot, en une interrogation extasiée : « Alistair ?! »

Celui-ci l’avait attrapée par la taille, soulevée en riant, embrassée avec fougue et fait tournoyer, manquant renverser son frère qui ne s’était pas écarté assez vite.

Terry observait la scène, encore ébranlé par le sentiment de frustration qui l’avait submergé lorsque sa Taches de Son lui avait brusquement échappé, le privant de la chaleur de sa présence. S’il comprenait fort bien la réaction de sa belle, il avait malgré tout du mal à se faire à l’idée qu’elle avait préféré sauter dans les bras de son cousin plutôt que de rester entre les siens… Mais Candy était ainsi, vive et joyeuse, offrant sans compter son affection et sa tendresse à ses amis qui le lui rendaient bien, parfois trop bien, même. Des amis qui, il le comprenait à présent, comptaient encore plus pour elle dans cette vie qu’elle s’était tracée loin de lui. Il devrait en prendre son parti, s’il voulait l’inclure à nouveau dans la sienne.

Un besoin vital de lui proposer le mariage, là, tout de suite, balaya son trouble et sa frustration. Une envie irrépressible de leur faire savoir à tous, qu’il désirait la faire sienne. Tant pis pour l’intimité… Et au diable les doutes qui ne cessaient de le tirailler. Il ne voulait plus, ne pouvait plus attendre.

Il se leva, l’air— mais seulement l’air — résolu, et s’approcha de la jeune blonde qui lui tournait le dos et buvait les paroles d’Alistair en train de lui conter son aventure. Ce dernier aperçut l’acteur et, un sourire de connivence aux lèvres, lâcha les mains de sa cousine pour la prendre par les épaules et lui faire faire demi-tour tout en lui murmurant « Je crois qu’il y a quelqu’un qui veut te parler… »

Dans l’effervescence de l’instant, Candy ne s’était rendu compte de rien et sursauta en découvrant Terry si proche d’elle. Sans lui laisser le temps de reprendre ses esprits, celui-ci mit un genou à terre et lui présenta l’écrin dans lequel reposait la bague qu’il s’était procurée le matin-même chez un joaillier. Un ami d’Albert, qui avait accepté d’ouvrir sa boutique aux aurores, rien que pour lui.

« Candy, je remets mon cœur et ma vie entre tes mains…
— C’est juste une bague, murmura Archibald dans son dos. Aïe !
— Chuuuut ! »

Annie outrée lui avait donné un bon coup de coude dans les côtes.

« Tu ne vas quand même pas gâcher un instant pareil, lui chuchota-t-elle à l’oreille. C’est si romantique !
— Romantique, pff… »

Par chance, nos deux tourtereaux, totalement immergés dans leur propre monde, ne percevaient plus rien de celui qui les entourait, et l’acteur, plus fébrile qu’un jour de première, chercha à calmer sa respiration erratique avant de reprendre sa tirade d’une voix dont il n’avait pas réussi à supprimer complètement les tremblements.

« … dans l’espoir fou que tu consentes à unir ta vie à la mienne.
— Oh, Terry… J’y consens. J’y consens de toute mon âme. »

Candy était si émue qu’un sanglot lui échappa. Elle qui avait si longtemps rêvé ce moment ! Elle qui avait fini par abandonner tout espoir ! Voilà que le miracle se produisait… Les jambes en coton, elle se laissa choir à genoux devant l’acteur et enroula ses bras autour de son cou, ses yeux humides fixés sur les siens. Dans son geste, elle percuta la petite boîte de velours noir qui échappa aux mains de Terry dans un claquement sec pour passer au travers de celles d’Alistair qui tentait de la rattraper au vol et finir sa course aux pieds de Mary.

Dans le silence ahuri qui suivit l’incident, on entendit quelqu’un pouffer.

« Ex… cusez… moi » hoqueta Albert, pris d’un fou rire qui gagna le reste de la petite assemblée, brisant définitivement l’attention religieuse dont l'acteur et sa belle étaient le centre.

Nos deux héros, brusquement tirés du petit nuage de bonheur dans lequel ils baignaient, furent les seuls à ne pas prendre part à l’hilarité générale. Candy, rouge comme une pivoine était terriblement gênée par sa maladresse, et se demandait comment son Terry si parfait pouvait aimer pareille empotée. Ce dernier qui devait décidément lire dans ses pensées, lui adressa un tendre sourire, puis la serra dans ses bras avant de chuchoter dans le creux de l'oreille :

« Ma petite Taches de Son, ne change jamais… C’est comme ça que je t’aime ! »

---oooOOOooo---



Mary secoua la main de Terry lorsqu’elle aperçut l’homme tout de rouge vêtu qui se tenait à l’entrée de la pièce, un gros sac de jute sur le dos, et s’extasia :

« Ooooh ! On dirait le vrai père Noël !
— Comment ça, on dirait le vrai père Noël ? déclara l’acteur à son tour. Parce que moi, je n’avais pas l’air d’un vrai père Noël, peut-être ?
— Eh bien, toi, je savais que c’était toi…
— Et lui… Tu sais bien que c’est lui aussi, non ?
— C’est vrai, mais…
— Mais ?
— Ben, lui, il a l’air tellement vrai !
— Je vois… murmura Terry, un peu vexé. »

C’est alors qu’une bande de gamins survoltés prit la pièce d’assaut. Bientôt, le « père Noël » fut entouré d’une nuée d’enfants surexcités. Mademoiselle Pony les contemplait en souriant alors que Sœur Maria se démenait comme un beau diable — c’est juste une façon de parler, bien sûr — pour tenter sans y parvenir vraiment de réduire le niveau sonore devenu infernal.

« Ho ! Ho ! Ho ! Les cadeaux ça se mérite, les enfants ! »

La voix tonitruante ne s’était pas éteinte, que le calme était déjà revenu, et la religieuse se demanda si elle ne devrait pas emprunter à Gaspard son costume pour mieux se faire obéir.

Le repas convivial qui suivit fut joyeux et animé. Chacun constata avec plaisir et soulagement que Candy avait retrouvé son appétit d’ogre, ou plutôt d'ogresse, et savourait avec gourmandise chacun des plats et surtout des succulents desserts placés devant elle.

Vers dix heures, Mademoiselle Pony décida qu’il était l’heure pour les enfants, d’aller au lit. Quelques protestations fusèrent bien ici ou là, mais sans grande conviction. En présence du Père Noël, mieux valait être sage, n’est-ce-pas ? Pour tenter d’apaiser la déception des enfants, Candy leur proposa de venir les border avec Annie et Patty, ce qu’ils acceptèrent avec des cris de joie. Terry qui n’avait pas envie de la voir s’éloigner de lui déclara à son tour :

« Et moi je vais vous raconter une histoire. Tu viens nous aider, Mary ?»

La fillette ne se fit pas prier. Jouer la grande sœur auprès des plus petits, elle adorait ça. Alistair et Archibald ne furent pas en reste. Sans se concerter, ils se levèrent à la même seconde, pour emboîter le pas au reste de la troupe.

Gaspard s’éclipsa quelques minutes plus tard, prétextant une envie pressante.

Resté seul, Albert se leva et se planta devant le magnifique sapin en soupirant. Il ne savait toujours pas quoi faire d’Élisa malgré la houleuse discussion qu’il avait eue avec les rejetons Legrand.

Daniel, ulcéré par la façon dont sa sœur l’avait propulsé sous les projecteurs pour ensuite le laisser en plan — car, oui… la chipie était partie, le laissant tout seul, le pauvre, à la merci des journalistes dont il avait été la risée— Daniel, donc était venu lui expliquer tout ce qu’il savait. La façon dont elle avait escamoté les invitations, puis le vol, car c’était bien ce dont il s’agissait, du billet de train ainsi que tout ce qu’elle avait entrepris pour empêcher la rencontre entre Terry et Candy, sans compter, le matin même, la façon dont elle l’avait ignominieusement harcelé pour obtenir son aide…

Ce que lui avait révélé son neveu recoupait les dernières informations qu’il avait obtenues par Tom d’une part, et par sa fille et son chevalier servant d’autre part, lors du trajet jusqu’à l’orphelinat, et le patriarche de la famille André n’avait pas eu grand mal à reconstituer le puzzle des événements. Daniel n’avait probablement pas vraiment pris part à quoi que ce fût de tangible. Pour ce qui le concernait, Albert trouvait que le coup de poing qu’il avait reçu en public était une humiliation suffisante.

Le problème c’est qu’il ne voyait absolument pas quel genre de « punition » pourrait amender l’esprit retors de son insupportable nièce. Il soupira derechef, pas convaincu qu’une telle punition pût exister puis sursauta lorsque quelqu’un chuchota derrière son dos :

« Il semblerait que vous cherchiez quoi faire de votre nièce… »

Albert se retourna et dévisagea, interloqué, l’homme tout de rouge vêtu qui venait de lui adresser la parole.

« Comment êtes-vous au courant ? s’enquit-il.
— Ah ça… C’est un secret !
—Mais encore ? »

Les yeux du bonhomme pétillèrent et Albert devina un sourire sous l’imposante barbe blanche.

« Quel Père Noël serais-je si je n’étais pas capable de faire la différence entre les enfants sages et ceux qui ne le sont pas ?
— Ce n’est pas faux… lui répondit le milliardaire en esquissant un sourire. Mais ça ne me dit pas…
— Écoutez, j’ai une proposition sérieuse à vous faire. Je compte visiter les orphelinats du pays et j’ai besoin de quelqu’un pour m’accompagner dans ma tournée. Je suis prêt à engager votre nièce comme secrétaire. Pour un an.
— C’est très aimable à vous et ça lui ferait sûrement un bien fou, mais… soupira Albert ne sachant comment continuer.
— Mais ?
— Je ne me sens pas le droit de vous imposer sa présence…
— Pourquoi ?
— Vous ne la connaissez pas. Elle est un peu difficile à vivre. »

Et c’est un euphémisme continua Albert pour lui-même.

« Un peu ? »

L’homme à la houppelande lâcha un petit rire et poursuivit :

« Ne vous inquiétez pas, j’en ai parfaitement conscience. Je pense que je saurai me débrouiller avec elle. »

Albert se gratta l’arrière du crâne, à bout d’arguments. Il s’enquit :

« Gaspard, c’est ça ? »

L’autre acquiesça.

« Je voudrais que vous preniez le temps de réfléchir, tout de même.
— Si ça doit vous tranquilliser… »

—oooOOOooo—



« C’est une blague ? » s’insurgea la jeune rousse qui n’en croyait pas ses oreilles et dévisageait, sidérée, son oncle qui venait de la réveiller en plein milieu de la nuit pour lui déblatérer des inepties.

Elle était furieuse. Depuis le matin, les catastrophes ne cessaient de s’amonceler sans qu’elle ne pût s’y soustraire. D’abord cette gifle psychologique qu’elle avait reçue après la révélation publique de Terrence Graham. Celui-ci n’avait pas hésité une seconde lorsqu’il avait déclaré son amour pour cette moins que rien de Candy… Comment pouvait-on aimer ce genre de fille ? Elle en avait éprouvé un tel dépit qu’elle avait envoyé Niel à la rescousse, espérant contre toute attente que pour une fois, son frère saurait faire preuve d’un peu d’initiative. Las…
La seconde gifle avait suivi, humiliante au possible. L’acteur avait osé la traiter d’idiote et la déclarer persona non grata devant cette bande d’imbéciles de journalistes qui ne se gêneraient sans doute pas pour le relater dans les colonnes de leurs torchons. Elle était par chance, invisible, dissimulée comme elle l’était, mais elle n’était pas sourde, et les mots qu’il avait prononcés avaient été pour elle comme autant de coups de poignards. Elle avait senti monter un irrépressible besoin de vengeance qui lui avait sans doute dicté cette nouvelle idée. Une idée qui nécessitait son retour immédiat au manoir. Impossible d’attendre que son béta de frère se sorte des serres des vautours qui l’encerclaient.
La brutale marche arrière que la rouquine avait enclenchée, avait failli envoyer le véhicule dans le décor, mais son obstination l’avait finalement conduite à destination. Dès son arrivée, elle avait téléphoné à une amie journaliste qui habitait New-York. Il fallait prévenir au plus vite Susanna Marlowe de ce qui se tramait ici. C’était la seule solution. Pourquoi n’y avait-elle pas pensé plus tôt ?

« Tu ne m’apprends rien, figure-toi et à mon avis le lui dire ne servira pas à grand-chose…
— Pourquoi tu dis ça ?
— Je crois qu’elle est déjà au courant. Depuis hier, elle s’affiche avec un type qu’on ne connaît ni d’Ève, ni d’Adam. Je ne l’ai pas vu de mes yeux, mais il paraît qu’il est beau comme un Dieu. Et quand on lui a demandé ce qu’allait en penser son fiancé, devine ce qu’elle a répondu !
— Qu’est-ce que tu veux que j’en sache ?
— Elle a dit : « Je ne pense pas que ça le dérange. D’ailleurs, on n’est même pas vraiment fiancés… »
— Quoi ? Tu plaisantes ?
— Pas du tout. En fait… »

Élisa n’avait pas été capable d’en entendre davantage et avait raccroché au nez de son interlocutrice, avant de s’affaler sur le sofa, les jambes en coton. Alors c’était vrai ? Ils n’étaient pas fiancés ? Rien de ce qu’elle espérait ne semblait vouloir se concrétiser.

Et puis son frère avait fini par arriver, dans un état lamentable et une fureur indescriptible. Elle avait eu beau s’évertuer à lui expliquer la situation, qu’elle ne l’avait nullement « lâchement abandonné » comme il le prétendait, que c’était juste que pour mettre à exécution le plan qu’elle venait d’imaginer, il lui fallait absolument et incessamment retourner au manoir… il n’avait rien voulu entendre et avait tout déballé à Albert lorsque celui-ci était rentré, un peu plus tard… Son oncle l’avait à peine regardée et avait simplement laissé tomber d’une voix sèche qu’il prendrait une décision la concernant d’ici peu. Et voilà que ce moment était arrivé…

La voix de son oncle, menaçante et exaspérée, la ramena au présent.

« Non, ce n’est pas une blague. Et tu as intérêt à t’y plier avec grâce, si tant est que tu en sois capable.
— Mais…
— Terry est prêt à porter plainte contre toi, dans le cas contraire. Et crois-moi, tu n’as aucune chance de t’en sortir.
— C’est du chantage !
— On ne récolte que ce qu’on sème…
— Mais, un an ?
— Ce n’est pas négociable. »

Un an à faire la secrétaire pour un type sorti de nulle part ? À fréquenter des orphelinats ? À côtoyer des miséreux ? Quelle déchéance pour une femme du monde comme elle ! Elle s’effondra en larmes aux pieds d’Albert qui la considéra un moment avec un mélange de pitié et de mépris, avant de lâcher :

« Je suis venu te prévenir tout de suite pour que tu puisses préparer quelques affaires : il vient te chercher demain matin.
— Quoi ? pleurnicha-t-elle, hébétée.
— Il ne te reste plus que quelques heures. Ne traîne pas. »

—oooOOOooo—



Assis sous le vieux chêne centenaire, enveloppé dans une épaisse et chaude couverture qu’il avait empruntée aux dames de l’orphelinat, Terry se sentait le roi du monde, sa Taches de Son nichée au creux de ses bras.

Dès le départ des autres invités, elle avait tenu à grimper avec lui sur cette colline qu’elle aimait tant et, malgré le froid polaire qui régnait cette nuit-là, l’acteur n’avait pas voulu prendre le risque d’étouffer la joie enfantine dont débordait sa belle. Il leur suffirait de ne pas trop s’attarder…

Là-haut, dans le ciel scintillant d’étoiles, la comète traçait son chemin laissant dans son sillage une impressionnante traînée lumineuse.

« Quelle merveilleuse chevelure, souffla Candy, éblouie.
— Tu as raison elle est merveilleuse… murmura-t-il d’une voix rauque, en enfouissant son visage dans celle de sa bienaimée. »

La comète était certes magnifique, mais rien ne pourrait l’émouvoir et le fasciner davantage que celle qui venait d’accepter de l’épouser. Ils avaient déjà décidé de célébrer leur mariage le 28 janvier. Cependant il ne lui avait pas encore tout dit. Candy tourna la tête vers lui et surprit le regard intense qu’il posait sur elle. Il se racla la gorge.

« Candy… à propos de Mary…
— Je veux bien être sa maman si tu acceptes d’être son papa… l’interrompit-elle en souriant.
— Co… comment as-tu deviné ? »

La jolie blonde se mit à rire devant la mine perplexe de l’acteur.

« Ce n’était pas très difficile à deviner. Elle m’a dit qu’elle allait avoir un papa, qu’il lui fallait encore une maman. Et puis je vous ai vus si proche tous les deux ! Sans compter que lorsqu’elle m’a tendu la bague, tout à l’heure, ses yeux exprimaient une telle gratitude…
— Ma Taches de Son… »

Charly avait bien raison… Il s’était fait du souci pour rien. Candy était bien trop merveilleuse et lui avait la chance infinie de l’avoir à ses côtés. Il la serra contre lui en la dévorant du regard, alors que dans ses yeux à elle dansaient des étoiles.

« Je t’aime. »

Leurs deux voix s’étaient élevées au même instant sous le regard bienveillant de la comète.





Epilogue




« La Porte, le 7 mai.

Aujourd’hui c’est mon anniversaire, et c’est sans doute le deuxième plus beau jour de ma vie, après cette inoubliable journée, il y a trois mois, où Annie, Patty et moi avons célébré nos trois mariages consécutifs.

Je suis entourée des petits pensionnaires de la maison Pony et de tous mes amis assis autour de la table dressée devant la vieille bâtisse baignée de soleil, et la scène me rappelle un passé lointain mais heureusement révolu. Ce jour-là, aussi mes deux « mamans » avaient organisé un repas et invité tous mes amis. Ce jour-là aussi, il faisait beau. Ce jour-là aussi j’ai plaisanté et ri. Cependant ma joie n’était pas aussi complète qu’elle peut l’être aujourd’hui. Mon cœur déchiré par l’absence de certains êtres chers, continuait à saigner en sourdine.

Aujourd’hui, avec Alistair et surtout mon merveilleux Terry à mes côtés, rien de tout cela, pas la moindre amertume. Et même si Anthony me manque toujours, j’ai l’impression, en croisant le regard bleu ciel de Balthazar qui me sourit par-delà la table, que mon amour de jeunesse est là, tout près, que son esprit flotte quelque part au-dessus de nous et qu’il participe à sa façon à la fête.

J’ai appris la semaine dernière que j’étais enceinte. Je m’en doutais un peu depuis quelques temps. J’ai tout de suite mis Terry au courant, mais je ne l’ai annoncé aux autres que ce midi. Mon dieu, je ne pensais pas créer un tel tumulte... Mary m’a sauté au cou en me demandant comment on allait l’appeler… Je n’en ai encore aucune idée… Elle est en tout cas ravie que notre petite famille s’agrandisse et qu’on soit bientôt cinq. Car oui, j’ai oublié de le préciser, Balthazar, sur la demande de ses frères, est momentanément venu vivre avec nous.

Melchior a en effet décidé de suivre Susanna dans sa tournée. À mon avis, ces deux-là ne vont pas tarder à se marier… Quant à Gaspard, il est toujours dans sa tournée à lui, celle des orphelinats. Avec ma chère cousine, qui d’après lui s’est un peu amendée. Peut-être un nouveau miracle, selon Terry, même s'il attend tout de même de le voir pour y croire… »




« Qu’est-ce que tu fais, Candy ?
— J’avais envie d’écrire quelques mots pour bien finir cette merveilleuse journée !
— Tu ne penses pas qu’il y a d’autres façons de bien la finir ?
— Je ne vois vraiment pas à quoi tu penses, là…
— Hmm… Viens là… Tu vas tout de suite comprendre…»




FIN

view post Posted: 4/2/2022, 16:45 Les Rois Mages - Fanfics pour tous les âges
Chapitre 7

Les (ig)Nobles Cousins




Environ une heure plus tôt à l’hôpital.

Terry poussa doucement la porte pour ne pas déranger Candy qu’il croyait plongée dans un sommeil bienfaisant. La voix anxieuse qui s’éleva le fit presque sursauter.

« Où étais-tu ? »

Il se rapprocha de la jeune femme alitée et prit dans les siennes les petites mains chaudes avant de murmurer d’un ton doux et réconfortant :

« Tu avais l’air de dormir si bien… Je ne pensais pas que tu allais te réveiller. Mais je suis là maintenant. Le docteur m’a simplement envoyé chercher Albert. Ils devraient passer d’un instant à l’autre tous les deux.»

Il se tut quelques secondes, abîmé dans la contemplation de ce visage chéri, levé avec tant de candeur vers lui. Dire qu’il avait un temps espéré pouvoir l’oublier —quelle idée absurde ! Comment avait-il pu s’imaginer pouvoir un jour la chasser de son esprit ? Devant son regard interrogateur, il poursuivit :

« Et si tu me racontais le fin mot de cette histoire de lac, en attendant ?
— Hum… soupira Candy en détournant le regard pour fixer leurs mains enlacées. Tu vas encore te moquer de ma maladresse…
— Mais non. Je voudrais juste comprendre quel démon a bien pu pousser ma petite Tarzan à vouloir patiner sans patins sur un lac réputé dangereux.
— Tu vois… fit-elle d’une petite voix en fronçant les sourcils. »

Il releva d’un geste délicat le menton de sa belle et lui sourit :

« Bon, bon, d’accord, je me tais et je t’écoute. »

Candy fit une moue adorable, ses grands yeux verts (mais cernés) fixés sur lui, puis elle soupira et expliqua :

« Eh bien si tu veux tout savoir, lorsque je me suis mise en route avec la sacoche du facteur... »

La jolie blonde s’interrompit et se mordilla la lèvre inférieure, comme si elle hésitait à continuer.

« Oui ? s’enquit Terry, sa curiosité aiguisée.
— Eh bien… Élisa…
— Élisa ?! Qu’est-ce qu’elle est encore allée manigancer, celle-là ?»

Terry sentit l’irritation le gagner. Avec tous les événements qui s’étaient enchaînés depuis, il avait complètement oublié cette harpie et leur rencontre improbable devant l’orphelinat. Maintenant qu’il y repensait, il devait admettre qu’Il s’était laissé manipuler comme un bleu. Mais elle ne perdait rien pour attendre. La voix claire de Candy l’interrompit dans ses réflexions :

« Écoute, ce n’est pas de sa faute… et elle n’a rien manigancé du tout.
—Dis-moi plutôt pourquoi elle était là et ce qu’elle a fait avant de prendre sa défense comme ça.
— Ah zut… J’ai oublié de demander à Albert ce qu’il me voulait.
— Qu’est-ce que tu racontes, l’interrompit Terry qui avait du mal à suivre.
— Eh bien, c’est lui qui a envoyé Élisa me chercher.
— C’est lui qui… commença l’acteur sceptique. C’est elle qui t’a dit ça ?
— Mais … Oui…
— Et tu l’as crue…
— Pourquoi est-ce qu’elle mentirait ?
— Oui pourquoi… Je me le demande bien.»

Terry avait pris malgré lui un ton sarcastique.

« En tout cas, comme elle s’est foulé la cheville… poursuivit Candy sans rien remarquer.
— Foulé la cheville ? C’est ce que t’a raconté cette peste ?
— Voyons Terry, ne sois pas comme ça ! Je l’ai vue quand elle se l’est foulée… »

Terry ferma les yeux et poussa un profond soupir pour maîtriser le début d’énervement qui montait en lui. Candy n’y était pour rien. Il le savait. Lui-même n’avait pu empêcher les perfides affirmations de l’insupportable rousse de lui obscurcir le cerveau et le jugement.

Une chose était certaine cependant, il n’était pas question qu’elle vienne en plus lui gâcher ses retrouvailles avec sa Taches de Son. Il inspira un bon coup et reprit d’une voix plus calme :

« Tu as raison, j’exagère… mais avoue que ta cousine n’est pas une sainte.
— Tu n’as pas tort, rit Candy. Mais du coup, avec cette cheville foulée, elle a perdu l’équilibre, s’est accrochée à mon bras et a fait tomber la sacoche. Et par pure malchance, le paquet qui contenait le médicament a glissé le long de la berge et s’est retrouvé sur le lac. Tu vois bien, elle n’y est pour rien…
— Pour rien ?! »

Terry la dévisageait, incrédule. Pensait-elle vraiment ce qu’elle disait ?

« Enfin si, peut-être un peu, admit Candy. Mais, en tout cas, elle ne l’a pas fait exprès !
— Et elle n’a sans doute pas fait exprès, non plus, de me raconter que tu sortais avec Tom…
— Elle t’a dit que je sortais avec Tom ? Mais qu’est-ce qui a bien pu lui faire croire une chose pareille ?»

Pour le coup, Terry ne put retenir un soupir d’exaspération.

« Elle ne croyait sûrement rien du tout… »

Puis remarquant l’expression interloquée et fatiguée de Candy, il s’interrompit et esquissa un sourire contrit avant d’ajouter :

« Bon assez parlé de ton affreuse cousine. Viens là ! »

Il s’assit sur le lit, l’enveloppa de ses bras et se noya dans le regard émeraude levé vers lui avec tant de confiance. Élisa et ses manigances instantanément remisées aux oubliettes, il s’apprêtait à vivre pleinement cet instant magique quand le docteur pénétra dans la pièce, suivi de l’infirmière et d’Albert.

Terrence poussa un soupir frustré et s’écarta de la jeune blonde. L’esprit ailleurs, il ne put suivre un traître mot de ce qui se disait, même si, à n’en pas douter, les conclusions du médecin devaient revêtir une importance capitale pour la santé de Candy. Celle-ci n’avait pas semblé suivre davantage les propos échangés. Heureusement Albert était là, qui prenait mentalement note de tous les conseils et explications fournis par l’homme de l’art.

L’infirmière quitta rapidement les lieux non sans avoir injecté un calmant à Candy, malgré les protestations véhémentes de cette dernière. Mais le médecin avait insisté : sa patiente avait, selon lui, besoin d’une bonne nuit de sommeil si elle voulait pouvoir sortir dès le lendemain. Il ne fallut pas attendre bien longtemps avant que la jeune blonde se mette bailler à s’en décocher la mâchoire, l’esprit embrumé. L’entrevue ne se prolongea guère et la porte se referma sans bruit derrière Albert et le docteur.



--oooOOOooo—



Tirée des bras de Morphée par le léger arôme de vanille et de café qui flottait jusqu’à ses narines, Candy ne put empêcher un sourire de naître au coin de ses lèvres. Mais elle se figea presque aussitôt. Quelque chose lui manquait. La chaleur du corps de Terry contre le sien. Elle fronça les sourcils. Où était-il passé ? Avait-il fini la nuit sur le lit d’appoint ? Elle se souleva sur un coude et dut se rendre à l’évidence. Personne n’y était couché. Les draps n’étaient même pas défaits. Et Terry… Terry avait tout bonnement disparu. Il n’y avait plus la moindre trace de son passage. Tout au plus pouvait-elle deviner, dans l’atmosphère aseptisée de la pièce, une subtile senteur boisée mêlée à l’odeur de café, mais si éthérée qu’elle se demanda si ce n’était pas juste le fruit de son imagination.

L’affolement la gagna. Quand était-il parti et pourquoi, alors qu’il avait promis de n’en rien faire ?

La veille déjà, elle avait paniqué lorsqu’elle s’était réveillée dans une chambre vide. Mais la veille, le manteau de Terry était encore là, soigneusement plié en travers du dossier de la chaise et son sac n’avait pas bougé du coin où il l’avait posé, près de la fenêtre. Candy s’était donc rapidement calmée : il ne pouvait être bien loin. Il allait revenir, cela ne faisait aucun doute. Peut-être était-il simplement allé se chercher quelque chose à boire ?

Comme elle se sentait encore un peu groggy, et c’était un euphémisme, elle avait décidé de l’attendre sagement, sans quitter son lit, mais un peu stressée malgré tout. Et de fait, il était réapparu peu après à son grand soulagement.

Aujourd’hui, cependant, c’était différent. Tout à fait différent. D’abord parce que la veille, après le passage du médecin et avant de sombrer entre les bras de Terry dans un sommeil sans rêves, elle lui avait extorqué la promesse de ne plus la laisser seule sans prévenir, promesse qu’il lui avait faite sans rechigner, vous vous en doutez.

Et pourtant, voilà qu’il avait à nouveau disparu. Plus préoccupant encore, ses affaires s’étaient volatilisées avec lui. Il avait donc dû quitter l’hôpital pour de bon, cette fois-ci. Où était-il parti ? Et surtout… pourquoi ?

Elle se souvenait encore des paroles qu’il avait prononcées sur un ton taquin : « Tu es sûre, Mademoiselle Taches de Son ? Tu sais que je suis têtu ! Si je te promets ça, tu n’auras plus aucun moyen de te débarrasser de l’insupportable personnage que je suis ! » Elle avait frénétiquement hoché la tête et il avait promis, avec l’ébauche de ce sourire en coin qui la faisait fondre — et toutes ses admiratrices par la même occasion.

Pourquoi l’avait-il abandonnée ainsi ? Candy se sentait au bord des larmes. Elle s’extirpa de son lit malgré la migraine qui s’était mise à pulser sous son crâne. Une désagréable sensation nauséeuse l’immobilisa presque aussitôt et elle essaya de la chasser en inspirant à petits coups précipités. Peut-être ferait-elle mieux d’appeler quelqu’un, finalement… Non… Après réflexion, elle était sûre que si elle se risquait à sonner, le docteur West voudrait la garder une journée supplémentaire en observation, voire plus. Or elle tenait absolument à passer Noël à la maison Pony, comme elle l’avait promis aux enfants. Et elle espérait si fort le passer là-bas avec Terry… Où était-il ? Elle devait absolument le trouver !

D’abord se changer. Elle ne risquait pas d’aller bien loin dans sa tenue d’hôpital… Une déplaisante surprise l’attendait lorsqu’elle ouvrit la penderie : celle-ci était désespérément et irrémédiablement vide. Elle se demanda si tous ses vêtements n’étaient pas restés chez Tom et grimaça de dépit.

Un nouvel épisode nauséeux la saisit et elle se figea au milieu de la pièce, les jambes en coton.


—oooOOOooo—




Terrence Graham s’élança vers les escaliers dont il grimpa les marches quatre à quatre, sans prêter attention aux personnes qui s’étaient retournées vers lui, lorsqu’en coup de vent, il avait fait irruption dans le hall de l’hôpital. Des murmures médusés s’étaient élevés sur son passage. La présence de l’acteur entre les murs de l’hôpital confirmait la rumeur selon laquelle il avait fait le trajet de New-York tout exprès pour venir au chevet de Mademoiselle André. Lui, habituellement plutôt discret sur sa vie privée, ne semblait en faire aucun cas aujourd’hui. D’ailleurs les journalistes qui depuis l’aube, faisaient le pied de grue devant l’entrée du bâtiment, se frottaient les mains… Le comédien leur avait en effet promis une interview dans la journée.

Terry pénétra dans la chambre de sa Taches de Son. Le sourire heureux qui éclairait son séduisant visage se figea en un rictus à la minute même où il en franchit le seuil. Candy, blanche comme un linge se tenait devant lui, les pupilles dilatées, le souffle court, comme si c’était elle et non lui qui venait de monter les trois étages en courant. Elle semblait sur le point de défaillir et lâchant les sacs et la petite valise qu’il tenait à la main, il se précipita pour la recueillir entre ses bras.

« Candy ! Tu n’aurais pas dû te lever !
—Pourquoi n’étais-tu pas là ? Tu m’avais promis ! fit-elle d’une voix de petite fille effrayée. »

Ses yeux verts débordaient de larmes. Elle frissonna au contact glacé du manteau, dont Terry, sans cesser de la soutenir, se débarrassa d’un mouvement fluide des épaules avant de le laisser choir au sol, pour serrer plus fort contre lui celle qui hantait depuis si longtemps ses rêves et ses pensées. Dieu, qu’elle lui avait manqué durant toutes ces années ! Pourquoi avait-il tant attendu avant de venir la retrouver ?

« Je suis désolé, Taches de Son. Je comptais rentrer bien avant ton réveil.
— Je… J’avais si peur que tu ne sois parti pour de bon ! sanglota-t-elle contre son torse.
— Mais… tu n’as pas vu mon mot ?
— Quel mot ? »

L’acteur lui désigna d’un hochement de tête une feuille de papier placée bien en évidence sur la desserte, près du lit, et Candy remarqua le plateau-repas qui y était également posé et qui expliquait sans doute la bonne odeur de café qui l'avait réveillée. Elle se demanda par quelle aberration le mot avait pu lui échapper.

« Je suis vraiment désolé, répéta Terry en la soulevant dans ses bras, j’aurais dû me dépêcher davantage. »

Elle s’agrippa à lui comme à une bouée de sauvetage et il s’immobilisa au milieu de la pièce, les yeux clos, surpris par l’étrange félicité qui l’avait envahi. Porter une femme avait si longtemps été synonyme d’accablement, de tristesse ou de lassitude… Nul regret, aujourd’hui. Nulle incertitude. Seule, cette sensation insolite et grisante d’avoir enfin trouvé sa place, le corps chaud et frémissant de Candy contre le sien. C’était si bon de la porter, si… naturel !

« Où étais-tu parti ? » s’enquit Candy, la figure enfouie dans son cou.

Les mèches soyeuses de l’acteur lui caressaient les joues et elle se laissa emporter par l’odeur qui vint lui chatouiller les narines. Un mélange de savon et de sueur —malgré le froid glacial du dehors— auxquels s’ajoutait cette senteur boisée et ensoleillée qui lui rappelait tant sa colline bienaimée. Elle soupira de plaisir et se rendit compte que migraine et nausée s’étaient envolées comme par enchantement. Puis elle leva vers lui un regard interrogatif.

« Terry ? »

Ce dernier secoua la torpeur bienheureuse dans laquelle il s’était senti glisser et dévisagea sa jolie Taches de Son : ses joues avaient repris leur délicate teinte rosée. Il lui sourit et porta jusqu’au lit son précieux fardeau, non sans avoir déposé un petit baiser dans la chevelure dorée de la jeune femme dont les pommettes se colorèrent un peu plus.

Tout en s’asseyant près d’elle, il dégagea l’une de ses mains pour pointer du doigt l’un des sacs qu’il avait laissés choir à l’entrée de la pièce :

« Je suis allé chercher ça. Et j’ai vérifié… Tout est en parfait état.
— Ooooh, fit Candy en se redressant. »

Elle avait suivi du regard la direction qu’il lui indiquait et découvert la sacoche du facteur.

« Comment l’as-tu retrouvée ?
— Ce fut un travail d’équipe.
— D’équipe ?
— Oui, j’en ai parlé à Tom, hier soir. Entre parenthèses, il a bien apporté le fameux médicament... Tu n’as plus à t’inquiéter pour ça, maintenant. En tout cas, il se rappelait parfaitement avoir aperçu cette sacoche, mais dans l’urgence, il n’a pas pensé à la ramasser et ensuite avec tout ce qui s’est passé, ça lui est complètement sorti de l’esprit.»

Terry passa sous silence la culpabilité qu’il avait lue sur le visage du jeune fermier et le fait que celui-ci, ni une ni deux, avait décidé de partir sans délai à la recherche de ladite sacoche malgré la neige et l’obscurité. Le comédien avait eu beaucoup de mal à le convaincre qu’il serait bien plus facile de la retrouver le lendemain matin, à la lumière du jour et en s’y mettant à plusieurs.

« On avait rendez-vous là-bas, ce matin à l’aube. Albert et Archibald sont venus nous prêter main-forte.
— Oh…
— Quoi, oh ?
— À cause de moi, tout le monde a été dérangé…
— Mais non. On était tous très heureux de faire ça pour toi ! Crois-moi ! Et puis ça n’a pas duré très longtemps. Tom avait une idée assez précise de l’endroit où pouvait se trouver la sacoche. Il avait apporté des pelles et à cinq il a été plutôt facile de la repérer.
— À cinq ? Tu veux dire à quatre ? »

Terry lâcha un petit rire embarrassé.

« Voilà que je ne sais même plus compter… »

En réalité, ce que le comédien avait préféré taire c’était que l’aîné des Cornwell était là, lui aussi. C’était d’ailleurs lui qui avait mis la main sur la sacoche.

Son retour inexplicable dans le monde des vivants avait fini par se frayer un chemin dans la conscience de notre acteur préféré. Le matin-même en effet, Alistair l’avait accueilli d’un large sourire au volant de son improbable tacot. Un véhicule qu’il avait, selon ses dires, passé une bonne partie de la nuit à bricoler pour qu’il puisse rouler sur la neige. Et pour rouler, ça oui, il roulait… Un peu trop vite même au goût de Terry. Après un démarrage sur les chapeaux de roues, le trajet jusqu’au lac quoique plutôt court avait été effrayant, chacun des passagers se cramponnant comme il le pouvait à ce qui se trouvait à sa portée. Le comédien, les mains raidies sur le tableau de bord, avait vite compris la raison du sourire crispé que lui avaient offert Albert et Archibald, assis à l’arrière de l’engin sans piper mot. Il se rappelait s’être même dit que si le cousin de Candy était aussi casse-cou lorsqu’il pilotait, cela expliquait peut-être son accident d’avion …

Alistair, lui, n’avait pas eu l’air de se douter le moins du monde de l’état de stress dans lequel se trouvaient ses passagers et n’avait pas arrêté de poser des questions sur l’état de santé de Candy, n’arrachant à l’acteur que des bouts de phrases principalement constitués de grognements et d’onomatopées.

Et ce n’est qu’une fois arrivés en un seul morceau à destination qu’ils avaient pu, entre deux pelletées de neige, échanger des propos plus cohérents, l’histoire rocambolesque d’Alistair se partageant la vedette avec l’accident de Candy.

L’acteur plongea son regard dans celui de sa jolie Taches de Son. Ce n’était pas à lui de raconter le roman qu’avait vécu cet autre miraculé et pour être honnête, ce n’était pas tout à fait ce qu’il avait en tête dans l’immédiat. Ses yeux glissèrent jusqu’aux lèvres roses qui s’étaient entrouvertes comme une invitation à être goûtées. Sa respiration s’accéléra.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » s’enquit la jeune ingénue.

Sa voix claire le tira de la spirale dans laquelle il se sentait aspiré. Il redressa la tête et s’ébroua mentalement. Candy avait tout de même failli se trouver mal quelques instants plus tôt et se laisser aller à l’embrasser maintenant était peut-être un peu prématuré. Elle avait juste besoin de sa tendresse…

« Tu es si belle… murmura-il simplement en lui caressant la joue.
— Ne te moque pas de moi ! fit-elle avec une moue perplexe. »

Elle avait rougi et sans en avoir conscience, essayait de remettre un semblant d’ordre dans ses boucles blondes qu’elle n’avait pu discipliner, faute de brosse.

« Je suis sérieux »

La voix de l’acteur, douce et profonde, la fit frissonner et pour masquer son trouble, elle essaya de plaisanter :

« C’est ma tenue d’hôpital qui te fait cet effet-là ?»

Cette tenue-là ou une autre, Terry s’en fichait éperdument. Ce qui lui importait c’était elle. Sa Candy. Il lui sourit.

« Si elle te gêne, tu peux te changer. Albert est passé à ton appartement ce matin et m’a donné quelques vêtements pour toi.
— Ooooh… C’est vrai ? »

Un sourire s’épanouit sur le visage de la jeune femme et Terry se leva aussitôt pour lui apporter la petite valise qui attendait à l’entrée. Il en profita pour ramasser son manteau qui gisait toujours sur le carrelage et le déposer dans un même geste sur le fauteuil. Candy s’était assise et avait replié ses jambes sous elle pour faire de la place sur le lit. Le comédien déposa la mallette devant elle avant de la lui ouvrir. Toute heureuse, Candy commença à farfouiller à l’intérieur. Albert avait même pensé à y mettre sa trousse de toilette. Un vrai père-poule, cet homme, personne ne pourrait jamais le lui enlever... Elle commença à sortir une robe pour l’étaler sur la couverture.

« Peut-être qu’il vaudrait mieux attendre que le médecin passe avant de te changer… observa Terry après réflexion. Il me semble qu’il a dit vouloir t’ausculter encore une fois avant de te laisser sortir, non ?
— Tu as raison, il a dit qu’il devait venir en début de matinée. Qu’est-ce qu’on va faire en attendant ? »

Un petit sourire taquin étira les lèvres de l’acteur. Je pourrais t’embrasser… pensa-t-il, te déclarer ma flamme, t’offrir le petit cadeau qui attend dans ma poche, te proposer de passer le restant de tes jours à mes côtés… mais l’idée d’être interrompu en un moment pareil par l’arrivée inopinée —enfin, pas si inopinée que ça— du médecin, l’ennuyait au plus haut point et il y renonça. Écartant l’oreiller pour s’installer à la place ainsi libérée, il serra Candy tout contre lui, le nez dans ses cheveux. Et un bonheur sans limite l’envahit. Le mot que lui avait envoyé Gaspard s’imposa soudain à son esprit :

« Vous ne regretterez pas de vous investir dans ce projet qui pourrait certes vous paraître un peu hasardeux, mais pour lequel vous serez payé au centuple. »

Il comprenait mieux, à présent, la signification de cette énigmatique affirmation et il devait bien reconnaître que ce que les trois frères lui avaient généreusement octroyé en échange de son année de travail payait bien au-delà du centuple les efforts qu’il avait consentis. Tenir, même pour quelques secondes sa Taches de Son entre ses bras était sans prix. Qui sait en quel lieu il se morfondrait en cet instant s’ils n’étaient pas venus bouleverser le train-train insipide de sa vie ? Dire qu’il avait failli renoncer à la chance qui lui était offerte de retrouver sa Taches de Son… Heureusement que l’exaspération de Balthazar avait eu raison de ses hésitations !

La pensée du petit prince blond lui remit à l’esprit la lettre qui traînait toujours quelque part au fond de son sac. Une lettre qu’il était censé remettre à Candy. C’était sans conteste l’instant idéal pour le faire quoiqu’il n’eût aucune envie de se détacher du corps chaud lové contre lui. Il déposa plusieurs petits baisers dans la chevelure dorée.

Candy tourna son visage vers lui et il eut l’impression d’y lire un désir égal au sien. Troublé, il déglutit puis se racla la gorge. Ce… Ce n’était pas le moment… Pas encore. Il prit une profonde inspiration pour essayer de s’arracher à la contemplation de sa belle, mais celle-ci le retint, les yeux brillant d’une lueur qu’il ne lui connaissait pas, et il se sentit chavirer.

« Candy… » murmura-t-il, irrésistiblement attiré par les lèvres frémissantes.

Ce fut le moment que choisit l’estomac de la jolie blonde pour émettre une vigoureuse protestation, rompant d’un coup la magie de l’instant. Toute la tension qui n’avait cessé de croître entre les deux jeunes gens retomba comme un soufflet trop tôt sorti du four, les laissant l’un et l’autre désemparés et le souffle court. Puis Terry ne put s’empêcher de pouffer. Un rire nerveux qui enfla malgré lui.

« C’est ça, moque toi… » ronchonna Candy en évitant son regard, la mine boudeuse.

Elle se sentait mortifiée. Comment son corps avait-il pu la trahir de la sorte ? Le beau brun, lui, était plutôt soulagé de ne pas avoir « succombé à la tentation » dans cette chambre d’hôpital. Il rêvait d’un lieu plus en accord avec le sentiment absolu qui l’habitait, un lieu plus propice où échanger leur premier « vrai » baiser. Un baiser qui ne se terminerait pas par des gifles… Il lui lança un regard taquin :

« Ne me dis pas que tu n’as pas encore pris ton petit-déjeuner ?! Une gourmande comme toi… »

Candy, frustrée, le repoussa des deux mains et lui tira la langue ce qui eut pour seul effet de le faire rire un peu plus. Pourtant elle devait bien admettre qu’elle s’était réveillée le matin même avec une faim de loup, prête à dévorer tout ce qui lui serait tombé sous la main. Mais le seul fait de se rendre compte de l’absence de Terry avait suffi à lui couper complètement l’appétit et s’alimenter était devenu le cadet de ses soucis. Maintenant qu’elle y songeait, cela expliquait sans doute la sensation de faiblesse qui l’avait saisie tantôt… Elle n’avait rien avalé depuis le déjeuner de la veille. Terry avait déjà récupéré le plateau, dont il avait soulevé le couvre-plat qui dissimulait la nourriture. Rien de bien transcendant, mais Candy en eut malgré tout l’eau à la bouche et son estomac manifesta à nouveau bruyamment son impatience alors que l’alléchant arôme de café se répandait dans la pièce. L’acteur tenta tant bien que mal de contenir son hilarité et posa le plateau devant sa belle. Celle-ci aurait bien continué à bouder, mais elle se sentait soudain trop affamée et plongea avec un certain empressement sa cuillère dans la bouillie d’avoine. Terry s’était calmé et sourit, attendri.

« Tu sais… commença-t-il.
— Hmmm ? fit Candy la bouche pleine.
— Ton petit patient Balthazar… »

Déconcertée, la jeune femme fronça comiquement les sourcils ce qui fit frémir son petit nez et la multitude de taches de rousseur qui le parsemaient, la rendant plus craquante que jamais. Il se racla la gorge.

« Il m’a remis un message pour toi.»

Candy marqua un léger temps d’arrêt avant de s’étonner la bouche pleine :

« Un véchage ? Our voi ? »

La curiosité brillait dans ses yeux verts mais ne l’empêcha pas de se remettre à avaler goulûment quelques bouchées supplémentaires.

« Oui… Pour toi, fit Terry en retenant un rire. »

L’acteur lui déposa un léger baiser sur la tempe et alla s’accroupir devant son sac, puis farfouilla à l’intérieur tandis qu’elle finissait son bol d’avoine à une allure record. Il finit par mettre la main sur l’enveloppe quelque peu fripée dont le dos était barré de la mention « À remettre en mains propres ».

Tout en goûtant une gorgée de café qu’elle s’étonna de trouver encore si chaud, Candy se saisit de la lettre qu’il lui tendait et la tourna et retourna entre les doigts, visiblement trop troublée pour penser à la décacheter. Elle n’avait pas imaginé un instant que le fait de s’épancher auprès de son petit patient pourrait avoir une telle issue.

« Eh bien, qu’est-ce que tu attends ? Ouvre-la ! »

Sortant de son hébétude, la jeune blonde s’exécuta, retira l’unique feuillet que contenait l’enveloppe et lut le court message qu’y avait inscrit le garçon de son écriture ronde et appliquée. Debout près d’elle, Terry la vit rougir et tendit la main vers le message, tout en l’interrogeant :

« Qu’est-ce qu’il a écrit ? Je peux voir ? »

Candy leva les yeux vers Terry et à son grand étonnement serra le feuillet contre elle en bafouillant :

« Je… C’est… C’est… personnel. »

Elle le dévisagea en se mordillant la lèvre inférieure, embarrassée, alors qu’il fronçait les sourcils, un peu désarçonné par son refus. Il regretta un court instant de ne pas avoir pris connaissance plus tôt du contenu de cette lettre. Que diable pouvait y avoir écrit Balthazar qui la faisait rougir ainsi et qu’elle n’osait lui montrer ?

Bien vite cependant, il se reprit et balayant la légère déception qu’il avait ressentie sous un sourire taquin, il s’enquit :

« Personnel ? Me voici encore plus curieux !
— Je… C’est-à-dire que…
— Serait-ce un message de quelque nouveau prétendant ?
— Voyons, Terry ! Tu sais bien que ce n’est pas le cas…
— Ah ? Et comment je saurais ça, moi ? Tu serres ce bout de papier contre ton cœur avec tant de passion…
— Terryyyy…
— Et cet air emprunté… poursuivit celui-ci sur un ton badin. À croire que tu cherches juste une excuse pour…»

L’acteur sentit que ses paroles étaient en train de déraper dans une direction qu’il n’avait pas le moins du monde prévu de lui donner et le « pour me planter là… » qui était sur le point de s’échapper de ses lèvres se perdit dans un murmure confus. Il baissa les yeux et se tut, embarrassé. Il ne s’était pas rendu compte à quel point son esprit restait parasité par l’épreuve de leur rupture. Malgré le temps et tous ses efforts, de douloureuses interrogations ne cessaient de flotter à la lisière de sa conscience, l’empêchant de jouir du bonheur présent.

Candy, la figure à moitié cachée derrière la tasse de café qu’elle venait de porter à ses lèvres autant pour se donner une contenance que pour cacher son propre trouble, l’interrompit dans ses réflexions :

« Arrête de raconter des sottises… »

Il releva lentement les yeux vers la jolie blonde qui visiblement, n’avait pas saisi la fin de sa phrase. Il ne savait pas s’il en était soulagé ou au contraire déçu. Il aurait tellement voulu connaître la véritable raison de la terrible décision qu'elle avait prise en ce soir d'hiver… Candy avait senti le changement d’humeur du jeune homme et le dévisageait, intriguée.

Terry hésita, indécis. À présent que la question avait ressurgi avec force dans son esprit, il n’arrivait plus à l’occulter. Il avait besoin de savoir. Savoir lui permettrait, espérait-il, de reléguer le passé à sa place, dans le passé et d’enfin vivre pleinement le présent. Il n’y tint plus et finit par s’enquérir dans un murmure :

« Pourquoi es-tu partie ce soir-là ? »

Candy faillit s’étouffer avec la gorgée de café qu’elle venait d’ingurgiter. La question de Terry l’avait prise au dépourvu, la replongeant avec brutalité à l’instant maudit où sa vie avait basculé. Elle déglutit avec peine, forçant le reste de liquide dans un œsophage devenu soudain récalcitrant. Terry, inquiet, se pencha aussitôt vers elle, lui tapotant gentiment le dos avant de lui envelopper les épaules d’un bras plein de sollicitude.

« Désolé, Taches de Son. Je n’aurais pas dû… Ça va ? »

La susnommée hocha la tête et le moment d’émoi passé, elle prit une longue inspiration et lâcha dans un souffle :

« J’étais persuadée que c’était elle que tu aimais…
— Elle… ? Mais… Comment as-tu pu croire une chose pareille? Quand je t’ai retenue dans l’escalier, tu n’as pas compris…
— Elle m’avait affirmé que tu savais que je t’aimais… l’interrompit Candy.
— Je… Je n’en… savais rien ! Je… je… je l’espérais, mais n’osais y croire vraiment, bégaya l’acteur, déstabilisé par l’aveu de sa Taches de Son.
— Et que tu n’agissais de la sorte que par pitié, pour ne pas me rendre malheureuse…
— Cette…
— Et que si je t’aimais vraiment, il fallait que je te laisse libre…
— Libre ?? Libre de quoi ? souffla Terry, amer, en songeant que ce n'était pas du tout cette version-là que lui avait servie Susanna, lors de cette fatidique soirée.
— J’avais l’impression que je ne te méritais pas…
— Ma petite Taches de Son !
— Que si j’avais été à sa place, je n’aurais sans doute pas risqué ma vie pour sauver la tienne !
— C’est ce qu’elle osé te dire ?
— Non, elle ne m’a pas dit les choses de cette façon-là, elle m’a juste fait comprendre que tu l’aimais et qu’elle, elle était prête à mourir pour toi. Et moi… moi… j’étais juste l’inconnue en trop dans l’équation si parfaite que vous réalisiez tous les deux…
— Candy… fut tout ce que Terry réussit à articuler.»

Apprendre de la bouche même de sa Taches de Son que cette séparation dont elle avait pourtant elle-même pris l’initiative, l’avait dévastée autant que lui et l’affectait encore aujourd’hui à ce point, l’avait bouleversé à l'extrême. Il se tut et la pressa plus fort contre lui, le cœur serré. Une fureur sourde courait dans ses veines, contre Susanna et sa mère, bien sûr, mais surtout contre lui-même. Il s’était comporté comme un parfait imbécile. Incapable de faire la part des choses et de deviner ce qui se tramait… Incapable de retenir près de lui, celle qu’il chérissait plus que tout ! Que d’années gâchées à cause de cet absurde manque de confiance qui le paralysait dès qu’entraient en jeu des êtres chers… Son orgueil blessé aussi, n’avait pas arrangé les choses, il lui fallait bien l’admettre.

« Candy, reprit-t-il la voix enrouée, sache que c’est toi que j’aime et que j’ai toujours aimée…»

Les mots avaient franchi ses lèvres un peu malgré lui, même s’il n’avait pas vraiment cherché à les retenir, bien trop conscient qu’ils étaient nécessaires après ce que venait de lui révéler sa Taches de Son.

Candy s’était un peu écarté de lui, et le dévisageait, interdite, le feu aux joues. Avait-elle bien entendu ? Il… l’aimait ? Fallait-il en conclure que toutes ces années de souffrance reposaient sur un simple malentendu ?

« Oh, Terry… Mais pourquoi ne me l’as-tu pas dit à ce moment-là ?
— Je comptais le faire, mais tu m’as pris de vitesse en m’annonçant que tu repartais… Ça m’a… ça m’a tellement déstabilisé que je… eh bien… je ne comprenais plus… je ne savais plus… comment … comment réagir. J’avais… l’esprit vide et besoin de temps pour… pour me retourner… pour… t’expliquer, pour m’expliquer… C’est… c’est pour ça que je t’ai proposé de t’accompagner à la gare. J’espérais… trouver le courage de tout t’avouer. Mais… mais…, il déglutit, tu as refusé et j’ai complètement perdu pied. Je n’ai pas osé insister sachant, pour le vivre quotidiennement, ce qu’une obstination excessive peut avoir d’insupportable. Et je n’ai pas pu… pas su te retenir… »

Les larmes aux yeux, le cœur battant la chamade, la jolie blonde contemplait celui qu’elle avait eu la bêtise de quitter, une douloureuse boule au creux de la gorge. Incapable de prononcer le moindre mot, elle écarta simplement de son sein la lettre qu’elle lui avait refusée un peu plus tôt. Le comédien la lui ôta doucement de la main et se mit à parcourir des yeux le message de Balthazar :

« Chère Candy,

Puisque ce courrier vous est parvenu, c’est sans doute que Terry est devant vous et que j’ai réussi à tenir la promesse que je m’étais faite lorsqu’avec tant de gentillesse et de professionnalisme, vous vous êtes occupée de moi.
Je fais le vœu que se présente enfin pour vous l’occasion de lui exprimer les sentiments que vous lui portez et espère que rien ni personne ne viendra plus se mettre en travers de votre amour pour lui.

Je vous remercie pour tout et vous souhaite à tous deux tout le bonheur possible.

Balthazar »


Candy, plus rouge que jamais, le dévorait du regard. Terry releva lentement le sien vers elle, cherchant dans les yeux de sa belle des réponses à ses interrogations. Était-ce sa façon à elle de lui déclarer qu’elle non plus n’avait jamais cessé de l’aimer ? Il voulait le croire. Et soudain, sans plus se préoccuper de ce qui était raisonnable ou opportun, il laissa libre cours au désir qu’il refoulait depuis le réveil de sa jolie Taches de Son. Il franchit l’espace qui séparait son visage du sien, comme on pénètre un lieu sacré, et posa avec une précaution infinie ses lèvres sur les siennes. Il s’attendait presque à recevoir une gifle et eut la surprise de constater que Candy répondait au contraire à son baiser, avec une ardeur confinant au désespoir. Lorsqu’elle enroula avec fougue les bras autour de son cou, il eut tout juste le temps de goûter à la perfection de l’instant, avant de sentir un liquide chaud lui couler sur l’épaule. Il s’écarta surpris.

« Oh… » fit Candy, confuse, en apercevant le café qui dégoulinait le long de la chemise de Terry.

Un bref coup résonna sur la porte et le Docteur West fit irruption dans la pièce en les saluant d’un « Bonjour ! » sonore et jovial. Il remarqua aussitôt les joues toutes roses, presque cramoisies de sa patiente ainsi que ses yeux qui brillaient d’un étrange éclat. Avait-elle de la fièvre ou était-ce autre chose ?

Le regard du médecin passa de la tasse de café presque vide qu’elle tenait à la main, au plateau qui reposait en équilibre instable sur une valise et il réprima un sourire. Le jeune couple n’avait même pas songé à utiliser la petite table sur roulette prévue tout exprès à cet effet… Il nota ensuite avec satisfaction le bol vide, puis fronça les sourcils en apercevant les taches de café qui maculaient les draps, ainsi que… la chemise de Terrence Graham. S’étaient-ils disputés ?

S’adressant à l’acteur, il s’enquit :

« Puis-je vous demander de sortir, le temps que j’ausculte Mademoiselle André ?»

—oooOOOooo—



Élisa n’avait pas réussi à fermer l’œil de la nuit. Elle ressassait dans son cerveau enfiévré l’inconcevable nouvelle que leur avait assénée Albert. Elle n’arrivait pas à y croire. N’avait-il pas tout inventé dans le seul but de la mettre hors d’elle ? Comment Terry, qu’elle avait vu monter dans le train pour New-York aurait-il pu être encore à La Porte ? Il lui fallait en avoir le cœur net, il lui fallait constater l’impossible de ses propres yeux avant d’admettre quoi que ce fût.

Son scepticisme ne l’empêchait pas malgré tout de chercher déjà un moyen pour mettre un ultime coup d’arrêt à cette suite d’incidents malheureux qui n’arrêtaient pas, malgré tous ses efforts, de contrecarrer ses plans les plus habiles. Il fallait absolument enrayer la terrible catastrophe qui se profilait à l’horizon.

Vers trois heures du matin, n’y tenant plus, elle rejeta d’un geste rageur les draps, enfila un négligé en soie rouge sang et se faufila sans bruit hors de sa chambre pour se rendre à pas de loup dans celle, contiguë, qu’occupait son frère. Malgré l’obscurité qui y régnait, la rouquine put distinguer la couverture qui gisait en tas au bas du lit. Daniel était allongé sur le dos, les bras écartés en travers du matelas, et sa bouche largement ouverte laissait échapper des ronflements disgracieux et si sonores qu’ils en faisaient presque trembler les murs de la pièce. La jeune femme se plaqua les mains sur les oreilles et ne put s’empêcher de grimacer, les sourcils froncés, en le voyant dormir comme un bienheureux. Les événements n’avaient pas l’air de l’avoir perturbé plus que ça, lui.

« Niel, lui souffla-t-elle au visage en le secouant sans ménagement. »

Les ronflements cessèrent net et une suite de bruits étranges vint les remplacer avant que son frère ne finît par émerger du lourd sommeil dans lequel il était plongé. Son haleine empestait l’alcool, ce qui expliquait sans doute le regard semi-comateux qu’il posa sur elle. Il referma les yeux, et se retourna sur le côté, persuadé d’avoir affaire à un cauchemar, ce en quoi il n’avait pas tout à fait tort, vous l’admettrez.

« Niel ! insista la rouquine en le secouant derechef.
— Mais ça va pas ? ronchonna celui-ci en tentant de la repousser d’une main molle.
— Réveille-toi ! »

Daniel poussa un long soupir exaspéré avant de prendre conscience de l’obscurité environnante. Il fronça les sourcils.

« Mais il est quelle heure, là ?
— Trois heures.
— Trois heures ? Du matin ?
— Évidemment du matin, espèce de bêta !
— Du matin ? geignit-il n’en croyant pas ses oreilles. Mais tu es folle, Élisa…
— Oui, je suis folle… Folle de rage !
— Laisse-moi dormir, là. Je suis crevé !
— J’ai besoin de toi, frérot !
— De moi ? À cette heure-ci ? Mais pourquoi faire ?
— Je ne peux pas laisser cette fille d’écurie se taper mon Terrence. »

Daniel ne se risqua pas à faire observer à Élisa que l’acteur n’était sûrement pas « son » Terrence… Pas plus que la jolie blonde n’était et ne deviendrait jamais « sa » Candy à lui… Il avait fini par le comprendre, même si son cœur avait bien du mal à l’accepter et continuait à battre la chamade à chaque fois qu’il la croisait.

Daniel, navré, observait sa sœur qui se laissa lourdement tomber sur le lit en poussant un soupir exaspéré. Que comptait-elle faire de toute façon ? Ils étaient coincés là et ne pouvaient pas tenter grand-chose. C’est ce qu’il entreprit de lui expliquer :

« De toute façon, Albert nous a formellement…
— Je me fiche d’Albert. »

Pas moi, pensa le fils Legrand. Il essaya de raisonner la donzelle qui s’était relevée d’un bond et marchait à présent de long en large en secouant ses anglaises rousses qui voletaient en tous sens, lui donnant presque le tournis :

« Mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse en plein milieu de la nuit ? Attends au moins demain !
— Il faut qu’on concocte un plan !
— Eh ben, débrouille-toi toute seule. J’en ai marre de faire le larbin. »

Élisa énervée par le manque de coopération dont faisait preuve son frère décida d’allumer le plafonnier.

« Éteins ça ! rouspéta Daniel en remontant aussitôt le drap au-dessus de ses yeux.
— J’ai besoin que tu m’aides ! lui répondit sa sœur, les bras croisés, l’air buté. Et tu vas m’aider !
— Mais à quoi faire ? Tu ne sais même pas toi-même…
— Justement, le coupa la rouquine, il faut y réfléchir, et à deux on aura plus d’idées.
— À cette heure-ci, je ne risque pas d’en avoir. Sans compter que je n’ai plus envie d’entrer dans tes combines. Candy a déjà failli mourir par ta faute.
— Tu y as joué un rôle, toi aussi, Niel. Ne l’oublie surtout pas.»

Daniel ne le savait que trop bien et la bouteille qu’il avait vidée la veille ne l’avait aidé à oblitérer son sentiment grandissant de culpabilité qu’un bien trop court instant. Il se tut et tourna le dos à sa sœur qui continuait à vitupérer :

« Et l’idée de mettre des bâtons dans les roues de Terrence ne t’avait pourtant pas gêné outre mesure, si je ne m’abuse… »

Ce n’était pas faux, non plus, mais malgré toute l’antipathie que lui inspirait l’insupportable acteur, il préférait Candy heureuse entre ses bras plutôt que six pieds sous terre par leur faute.

« Sors de ma chambre, grogna-t-il avec lassitude.
— Tu ne peux pas me faire ça ! hurla Élisa.
— Chuuuut… »

Une porte claqua, quelque part dans la grande demeure et les deux jeunes gens se figèrent.

« Tu devrais retourner dans ta chambre, chuchota Daniel. On discutera demain si tu veux. »

Élisa eut une moue exaspérée, mais à la grande surprise de son frère, elle s’exécuta.

—oooOOOooo—



Un bruit venait de tirer Daniel du sommeil. Avant même d’ouvrir les yeux, il sut que sa sœur était de retour dans sa chambre et souffla, déjà de mauvaise humeur.

« Qu’est-ce que tu fous là, Élisa, s’enquit-il d’une voix ensommeillée sans chercher à étouffer le bâillement sonore qui s’échappait de ses lèvres.
— Tu as dit qu’on pourrait parler ce matin. »

Le fils Legrand jeta un coup d’œil par la fenêtre. L’aube commençait à peine à percer les ténèbres.

« Mais enfin… Pourquoi si tôt ? gémit-il en refermant un instant les yeux.
— Je viens de les voir sortir. »

Devant le regard chargé d’incompréhension que lui avait lancé Daniel, elle précisa :

« Albert et les cousins.
— Oui… Et alors ? »

Cette fois ce fut au tour d’Élisa de soupirer, agacée. Que son frère pouvait être obtus, parfois.

« Eh bien puisqu’ils sont partis, ça signifie qu’on est seuls, et qu’on a donc toute latitude pour mettre au point un super plan !
— Je t’ai dit hier que je ne voulais plus prendre part à tes plans foireux.
— Tu m’as dit hier qu’on pourrait discuter ce matin !
— C’était pour que tu me fiches la paix…
— Quoi ? »

La rouquine, furieuse, tapa du pied. Mais pour une fois, Daniel ne se laissa pas démonter et déclara :

« Tu devrais vraiment laisser tomber, Élisa !
— Écoute frérot, avec tout ce qu’on a vécu ensemble, tu ne peux quand même pas me lâcher comme ça… »

La jeune femme avait pris un ton presque pleurnichard, mais si par ce biais, elle avait espéré mettre ainsi son frère dans sa poche, elle en fut pour ses frais. Daniel baissait la tête sans rien dire et elle observa son visage fermé, un peu déboussolée. Elle ne l’avait jamais vu arborer ce genre d’expression. En tout cas pas vis-à-vis d’elle. La fureur l’envahit. Dire que tout ça, c’était à cause de cette fichue fille d’écurie. La petite peste avait réussi à briser la complicité qui les avait toujours unis, son frère et elle. Cette moins que rien allait payer pour ça aussi.

—oooOOOooo—



Daniel souffla, l’humeur massacrante. Un frisson glacé lui parcourut l’échine. Ce n’était vraiment pas un jour pour mettre le nez dehors, et pourtant il était là, au volant de sa voiture, bravant le froid et le danger, sans parler de l’interdit imposé par son oncle. Comment avait-il pu, une fois de plus, se laisser embobiner pas sa sœur ? Il avait pourtant fait la sourde oreille et résisté une bonne partie de la matinée prétextant qu’elle pouvait bien, elle-même se charger de ses plans foireux. Et alors qu’il avait cru la partie enfin gagnée, elle était revenue à la charge, lui demandant « juste » de l’accompagner jusqu’à l’hôpital, alors qu’elle savait pertinemment qu’il détestait conduire sur la neige. Il laissa échapper un soupir irrité. Cette fois-ci serait la dernière ! À partir de maintenant, elle ne pourrait plus rien tirer de lui. Il se le jurait tout bas. Il avait d’ailleurs maintenu son allure d’escargot, malgré les cris de sa sœur qui s’agitait à côté de lui en lui demandant de rouler plus vite.

Pourtant, ce qu’aucun des deux n’avait anticipé était la horde de journalistes qui encombraient les abords de l’entrée. Impossible dans ces conditions de pénétrer dans le bâtiment sans se faire repérer. Et Daniel ne tenait pas à ce que leur petite escapade fût découverte. Il n’avait aucune envie d’affronter la fureur de son oncle, juste pour satisfaire les caprices de sa sœur… Ils n’avaient plus qu’à faire demi-tour et rentrer.

« Mais qu’est-ce que tu fais ? hurla celle-ci, alors qu’il commençait à manœuvrer.
— Tu vois bien, on rentre ! »

C’est à ce moment qu’ils remarquèrent les flashes qui crépitaient soudain. Élisa agrippa le bras de son frère avec tant de brusquerie que celui-ci faillit envoyer la voiture dans le décor.

« Mais ça va pas ?
— Avance-toi un peu, lui ordonna la rouquine sans tenir le moindre compte de ses protestations. Je veux savoir ce qui se passe ! »

à suivre...
view post Posted: 1/2/2022, 18:45 Les Rois Mages - Fanfics pour tous les âges
Chapitre 6

Peines d'Amour envolées



Depuis le départ de l’infirmière, Albert observait les deux jeunes gens qui, l’air emprunté, semblaient s’éviter : Candy, le sourire un peu crispé, le regard accroché au sien, comme si elle avait peur de rencontrer celui de Terry et ce dernier fixant obstinément un endroit précis au pied du lit, à tel point qu’il finit par y jeter lui-même un coup d’œil, s’attendant presque à y découvrir quelque déplaisante bestiole… Mais bien entendu, il ne s'y trouvait absolument rien.

« Vous deux, alors… déclara-t-il mi-moqueur, mi-moralisateur, Candy ne s’est pas plus tôt réveillée qu’il faut déjà que vous vous chamailliez?
— On ne se chamaillait pas ! protesta vivement la jolie blonde, son sourire mourant aussitôt sur ses lèvres pour être remplacé par une moue boudeuse.
— Ah bon ? Pourtant on vous entendait jusqu’à l’autre bout du couloir ! »

Deux coups discrètement frappés à la porte dispensèrent Candy de la réplique qui lui aurait permis de clore la discussion, mais qu’elle ne parvenait pas à extirper de son cerveau encore en pleine confusion.

« Oui ? » fit-elle de sa jolie voix claire, s’attendant, comme les deux autres à voir entrer le médecin.

Pourtant ce fut Tom qui apparut à la porte. Gauche et intimidé, il n’en dépassa pas le seuil, son visage affichant un déconcertant mélange de joie, d’effarement, d’embarras et peut-être aussi, se dit Terrence, de jalousie. Avec un profond soupir, notre acteur préféré pensa qu’il était temps pour lui de quitter la scène et il se pencha pour récupérer son sac avant de se redresser.

Candy, qui avait gentiment invité Tom à entrer, vit du coin de l’œil son Terry qui semblait sur le point de vouloir prendre la poudre d’escampette et dans un geste impulsif qu’elle n’avait pas eu le temps de préméditer, elle lui saisit l’avant-bras d’une poigne étonnamment ferme pour quelqu’un qui venait à peine d’émerger du coma.

« Reste… » murmura-t-elle en resserrant davantage son étreinte.

Elle ne pouvait le laisser partir. Puisqu’il avait décidé de venir jusqu’à elle et quelles qu’en aient été les raisons, il était hors de question qu’elle le laisse à nouveau et si vite sortir de sa vie. Hors de question, qu’elle le laisse fuir, comme elle-même l’avait fui en ce soir fatidique. Qui sait quand elle aurait l’occasion de le revoir, et quand elle aurait l’occasion de sentir à nouveau battre son propre cœur de la sorte ? Elle ne pouvait se permettre de laisser à nouveau disparaître Terry. Elle ne se sentait ni la force ni le courage de l’attendre dix années supplémentaires !

Lui, la dévisageait, un peu hagard, indécis, n’osant croire à ce qu’une telle requête pouvait signifier.

« S’il te plaît… » insista-t-elle encore, une petite lueur d’espoir vacillant tout au fond de ses beaux yeux verts.

Relâchant un peu son étreinte, elle laissa glisser sa main jusqu’à celle de l’acteur qu’elle saisit, mêlant ses doigts aux siens. Ce dernier baissa le regard vers leurs deux mains enlacées. Son cœur faisait de tels bonds dans sa poitrine qu’il avait l’impression que tout l’hôpital résonnait de ses coups. Pour la première fois depuis bien trop longtemps il se sentait vivant. Véritablement et extraordinairement vivant. Il avait envie de saisir Candy par la taille, là, tout de suite, de la relever et de danser avec elle, de la faire tournoyer, de l’embrasser, de…

Il revint sur terre. Ce n’était évidemment pas possible… Pas maintenant, alors qu’elle venait tout juste de sortir du coma et pas ici, devant les deux autres qui étaient en train de les observer : Albert, soulagé, son évidente satisfaction malgré tout teintée d’un certain fatalisme, et Tom… Eh bien en ce qui concernait Tom, c’était une tout autre histoire, mais Terrence, s’en fichait bien à présent… Il serra la main de sa belle en signe d’assentiment, puis se rassit à côté d’elle, incapable de retenir le sourire heureux et presque triomphal qui lui montait aux lèvres.

« Ne reste pas à la porte, Tom ! Entre donc ! proposa le chef du clan André.
— Je… Je crois que je vais aller prévenir les autres…
— Ah oui, pourquoi pas… C’est une excellente idée, approuva Albert qui ne comprenait que trop bien la réticence du jeune fermier.
—Quels autres ? s’enquit Candy.
— C’est une surprise !
— Annie et Patty sont déjà arrivées ?
— Tu verras bien, petite curieuse !»

Terrence était resté silencieux durant cet échange, savourant la nouvelle et étrange sensation qui l’avait envahi avec une force irrésistible et qui lui ouvrait soudain des perspectives insoupçonnées ; une sensation qu’il croyait connaître, mais qu’il n’avait appréhendée que de façon bien superficielle, il s’en rendait compte à présent ; une sensation dont il n’avait pas, jusqu’à cet instant, anticipé le formidable impact. Les yeux rivés sur le visage parsemé de taches de rousseur, il buvait sa Candy des yeux, aveugle et sourd au reste du monde.

L’infirmière sur ses talons, le médecin-chef se matérialisa soudain derrière Tom qui s’éclipsa sans demander son reste. En pénétrant dans la chambre, le spécialiste arborait l’air de quelqu’un qui vient d’échapper de justesse à une effroyable catastrophe. Monsieur William André versait en effet à l’hôpital une aide plus que substantielle, ce qui leur avait permis d’acquérir pour leurs divers services une quantité d’appareils coûteux et sophistiqués, d’installer un laboratoire de recherche doté de tout ce qui se faisait de plus révolutionnaire, et de constituer une équipe de chercheurs de haut niveau qui grâce à cette manne providentielle se trouvait être à présent à la pointe du progrès.

Aussi le médecin ne tenait-il pas à ce qu’il arrivât quoi que ce fût de fâcheux à la petite André, dont il avait de plus appris à connaître la gentillesse et le dévouement au début de l’année écoulée. Il avait remué ciel et terre lorsqu’on la lui avait amenée, inconsciente, puis lorsque son état s’était aggravé. Mais rien n’y avait fait. Son cas demeurait pour lui, comme pour les brillants confrères qu’il avait sollicités, un véritable mystère défiant toute logique. Que la jeune femme fût à présent réveillée et selon les dires de l’infirmière, en parfaite condition physique, ne pouvait que le combler même si cette histoire de soi-disant rémission complète restait un point à éclaircir.

Il vint serrer la main du patriarche de la famille André, puis salua le jeune —et fameux, avait-il entendu dire— acteur qui était à ses côtés et qui, toujours selon l’infirmière, avait joué le rôle de catalyseur dans cet heureux dénouement. Comment avait-il bien pu s’y prendre, il l’ignorait. Le jeune homme s’était levé à son entrée, l’avait poliment salué à son tour, sans toutefois lâcher la main qu’il tenait dans la sienne. À le voir ainsi, il lui faisait plus penser à un amoureux transi qu’à la star adulée qu’il était censé être.

Le médecin s’approcha de la jeune fille. Celle-ci lui sourit et s’exclama :

« Je suis bien contente de vous voir, Docteur West !
— Mademoiselle Candy Neige André, lui répondit celui-ci d’un ton bourru et en articulant de façon exagérée chaque syllabe, je ne me souviens pas vous avoir donné l’autorisation de revenir ici en tant que patiente…
— Oh… Désolée ! fit celle-ci en prenant une mine faussement contrite. J’ai complètement oublié de vous en demander la permission… »

La jeune fille se souvenait de sa première rencontre avec le chef du service de réanimation qui lui avait paru d’un abord froid et distant lorsqu’elle était venue lui demander l’autorisation de s’occuper de Balthazar. Il l’avait reçue dans son bureau qui était tout sauf chaleureux et avait simplement déclaré « Eh bien ?». Ensuite il l’avait laissée s’expliquer, sans mot dire, les sourcils froncés, avait lu la lettre de recommandation du docteur Martin, l’air toujours aussi revêche et sans davantage émettre le moindre avis. À tel point qu’elle avait cru qu’il allait refuser tout net. Puis le téléphone avait sonné et le docteur lui avait demandé d’attendre dehors. Lorsqu’il était venu la chercher à nouveau, après d’interminables minutes d’attente, un léger sourire éclairait son visage et il lui avait donné son accord sans plus de cérémonie. Elle s’était toujours demandé ce qui avait motivé ce soudain revirement d’humeur mais n’avait pas eu l’occasion de le lui demander.

« En tout cas, reprit le médecin, vous m’avez l’air d’aller effectivement bien mieux.
— On ne peut mieux, Docteur, on ne peut mieux ! Et en tant qu’infirmière, je sais de quoi je parle !
— Je n’en doute pas, mais il va sans doute quand même falloir faire quelques examens et analyses pour être sûr de ne pas passer à côté de quelque chose de sérieux. »

Puis s’adressant aux deux hommes qui se trouvaient dans la pièce, il ajouta :

« Je dois amener Mademoiselle André au premier pour les examens. Cela ne devrait pas prendre plus d’une heure. Vous pouvez l’attendre ici ou dans la salle d’attente, comme vous voudrez…»

L’infirmière approcha le fauteuil roulant qu’elle avait laissé à l’entrée de la chambre et Candy eut un froncement de sourcil.

« Je n’en ai pas besoin, déclara-t-elle tout net en se redressant, sa main toujours dans celle de Terry. Je peux marcher.
— Peut-être, rétorqua le médecin, mais c’est la procédure et je ne tiens pas à prendre le moindre risque.
— Je ne vais quand même pas me faire pousser jusqu’à la salle d’examens ?
— Et pourquoi pas ?
— Mais je vous ai dit que je me sentais parfaitement bien !
— Allons Candy… intervint Albert sur un ton conciliant. Une petite promenade en fauteuil roulant, ça ne doit pas être si terrible que ça !»

Terrence étouffa tant bien que mal un rire en voyant la mine renfrognée de sa Taches de Son : elle était si drôle lorsqu’elle faisait ce genre de mines ! Puis il l’aida à se lever. Candy dut admettre que le docteur n’avait pas complètement tort. Le changement de position s’était effectivement accompagné de quelques vertiges. Légers certes, mais de vertiges tout de même. Rien d’insurmontable, malgré tout. Elle en avait vu d’autres et aurait sûrement été capable de descendre les deux étages à pieds, mais n’ayant pas anticipé la sensation, elle s’était tout de même sentie déstabilisée.

Fort heureusement, même s’il ne pouvait pas ne pas avoir remarqué son léger déséquilibre, Terry s’était contenté de la soutenir gentiment, sans faire le moindre commentaire désobligeant ou moqueur qui en aurait sans doute attiré d’autres de la part du médecin ou d’Albert. Elle lui sourit avec reconnaissance avant de prendre place, avec un petit soupir résigné, dans le fauteuil roulant.

Puis elle sentit qu’il était sur le point de lui lâcher la main et le dévisagea avec une certaine anxiété. N’allait-il pas disparaître à nouveau ?

« Ça va aller… la rassura-t-il comme s’il avait lu dans ses pensées. Ne t’inquiète pas, je ne bougerai pas d’ici ! »

Et sans la quitter du regard, il lui embrassa le bout des doigts avant de la laisser aux bons soins du docteur West et de son infirmière.

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Dans le hall de l’hôpital, l’annonce du réveil de Candy avait provoqué un instant de flottement incrédule, puis le silence angoissé qui oppressait les uns et les autres avait cédé la place à une joyeuse effervescence. Tom, bombardé de questions, leur confia ce qu’il savait, c’est-à-dire pas grand-chose, juste ce qu’avait laissé filtrer l’infirmière qu’il avait croisée, alors qu’elle partait chercher le médecin et que lui revenait des toilettes où il était allé se rafraîchir un peu la figure pour essayer de chasser ses idées noires. Comme il leur répondait que l’état de santé de Candy s’était spectaculairement amélioré, Annie s’enquit :

« Tu as pu la voir ?
— Pas longtemps, mais elle souriait et avait l’air d’aller effectivement bien. »

Il omit de préciser que lorsqu’il avait quitté la chambre, elle et l’acteur se tenaient par la main, l’air béat, ce qui l’avait suffisamment perturbé pour qu’il préfère ne pas s’attarder davantage sur les lieux. Il se remémorait l’instant béni où l’infirmière, toute souriante, lui avait appris le réveil de Candy. Son cœur avait éclaté de joie à cette nouvelle. Mais ensuite, après la scène qui s’était déroulée devant ses yeux, Candy agrippant avec une énergie farouche le bras de Terrence Graham, il n’avait plus su quoi dire ou quoi faire, tiraillé qu’il était entre le bonheur de la savoir sortie d’affaire et la déception de la voir lui en préférer un autre.

« Si on montait lui faire un bisou ? proposa Archibald qui ne tenait plus en place.
— Oh ouiii ! s’exclama Annie avec un enthousiasme enfantin.
— Elle est avec le médecin, pour l’instant, intervint Tom. Il vaudrait peut-être mieux attendre.
— Tu as sans doute raison, approuva Alistair. Et d’ailleurs, voilà Albert ! »

En effet ce dernier se dirigeait vers eux, sa physionomie totalement transfigurée par rapport à celle qu’il présentait lorsqu’il était passé, environ une heure plus tôt pour entraîner à sa suite un Terrence hébété. Un grand sourire éclairait à présent son visage, et même si ses traits accusaient encore une certaine fatigue, on sentait que toute son énergie était revenue.

« Alors ? Tom vous a mis au courant ?» demanda-t-il.

De fait, ce n’était pas vraiment une question car il lui aurait été impossible de ne pas remarquer l'euphorie du petit groupe qui lui faisait face.

« C’est un vrai miracle… ajouta-t-il en songeant que le destin avait bien fait les choses en leur amenant le jeune acteur juste à point nommé.
— Et Grandchester, alors ? Il est où ? s’enquit Archibald avec une certaine véhémence qui ne pouvait échapper à son interlocuteur.
Terry, répondit celui-ci en insistant sur le prénom du jeune homme, a préféré rester là-haut, dans la chambre de Candy, pour l’y attendre.
— Tu l’as laissé seul dans sa chambre ?!
— Pourquoi ? Tu as peur qu’il lui arrive quelque chose ? se moqua Albert.
— Tu sais très bien ce que je veux dire ! À cause de lui, Candy a vécu les pires moments de son existence.
— Peut-être… Mais c’est aussi grâce à lui qu’elle s’en sort aujourd’hui.
— Grâce à lui ? répliqua Archibald en haussant le sourcil et le ton. Grâce à lui ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? Pour moi ça n’est rien de plus qu’une simple coïncidence : il a juste eu la chance de se trouver au bon endroit, au bon moment !
— Archibald… intervint Annie, en lui prenant le bras, une nuance de reproche dans la voix.»

Quelques personnes s’étaient tournées vers eux le regard surpris, voire outré.

« Je ne crois pas à une simple coïncidence, reprit Albert. Et de toute façon Candy sera heureuse de le retrouver dans sa chambre.
— Heureuse ? s’indigna Archibald.
— Oui, heureuse, je confirme, déclara Tom un peu à contrecœur. »

Archibald le dévisagea, interdit.

« Tu sais bien à quel point elle tenait à lui, Archie », lui fit remarquer Alistair en lui posant la main sur l’épaule.

Et voyant la grimace peu convaincue de son frère, il ajouta :

« Le principal n’est-il pas que Candy soit tirée d’affaire ? Tu ne vas quand même pas gâcher un moment pareil, non ?
— Tu as raison, soupira Archibald, qui malgré tout ne voulait pas s’avouer vaincu et ajouta : Et si on allait tous l’attendre dans sa chambre ?
— Archie…
— Et pourquoi pas ? Je suis sûr qu’elle sera aussi contente de nous voir que de voir ce type qui n’a pas hésité à la laisser lâchement tomber.
— La chambre de Candy est bien trop petite pour nous accueillir tous, déclara Albert d’un ton sans réplique. Moi je propose plutôt qu’en attendant, on aille fêter ça en prenant un pot à la cafétéria. Je ne sais pas vous, mais moi j’ai tout à coup très, très soif ! »

À peine eut-il prononcé ces mots que les autres se rendirent compte à quel point ils avaient eux-mêmes la gorge sèche après cette oppressante et interminable attente : une petite boisson, pour sûr, ne serait pas de trop…

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Candy se frotta machinalement l’avant-bras à l’endroit où l’infirmière venait de retirer son aiguille. Quoique physiquement présente dans la pièce, son esprit s’était attardé dans la chambre qu’elle venait de quitter et elle avait suivi les instructions du médecin sans vraiment y prêter attention.

Elle avait du mal à croire à son bonheur : Terry avait-il réellement fait le trajet jusqu’à La Porte pour venir la voir, elle ? C’était tout bonnement inimaginable… Pourtant, il était là. Elle l’avait vu. Et même si elle continuait à se demander si leurs retrouvailles n’étaient pas juste un produit de son imagination, la bague qui ornait désormais son annulaire était là pour témoigner du contraire.

« Il est venu… » fit-elle tout bas en la retirant de son doigt pour la contempler, émerveillée.

Elle n’y connaissait pas grand-chose mais avait l’impression que c’était une bague de grand prix. Peut-être un bijou de famille… Et Terry la lui avait glissée au doigt, en toute simplicité. Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ? Était-ce la preuve qu’il tenait à elle autant qu’elle tenait à lui ? Tournant et retournant la bague entre ses doigts, sa bouche s’entrouvrit et sa respiration s’accéléra lorsqu’elle découvrit l’inscription gravée à l’intérieur de l’anneau : «gage d’amour ».

Le médecin qui la surveillait du coin de l’œil eut un petit sourire amusé. C’était la première fois qu’il voyait sur le visage de la jeune André une telle expression, oscillant entre perplexité et émerveillement. La joie enfantine qui émanait d’elle lui rappelait celle de ses petits malades lorsqu’ils avaient découvert les décorations du sapin de Noël qu’il avait fait dresser pour eux dans la petite salle qui leur était réservée. Mais ce qui l’avait le plus frappé était la subite disparition de cette mélancolie qu’il décelait habituellement chez elle malgré la bonne humeur et l’entrain qu’elle ne cessait d’afficher.

Le téléphone se mit à sonner et sa jeune patiente sursauta, remit précipitamment sa bague et leva les yeux vers lui.

« Peut-être que je pourrais attendre les résultats dans ma chambre ? »

L’impatience de la petite André était attendrissante et, tout en décrochant le combiné, le docteur hocha la tête et lui sourit avant de faire signe à l’infirmière de la raccompagner.

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De son côté, Terry avait commencé par s’asseoir sur le lit et le nez plongé dans l’oreiller qu’il serrait entre ses bras, humait avec bonheur la douce fragrance de sa belle. Il finit malgré tout par sortir de l’hébétude bienheureuse dans laquelle l’avaient plongé le regard brillant qu’elle avait posé sur lui et la délicieuse sensation de ses doigts entre les siens. L’attente se prolongeait un peu trop à son goût et l’inquiétude qui l’avait quitté un moment refit surface. Il se leva, remit avec soin l’oreiller à sa place et se posta devant la fenêtre qui se découpait, rectangle obscur sur le mur brillamment éclairé. Un de ses index battait une mesure frénétique sur ses bras croisés. Il laissa glisser son regard le long de la rue enneigée qui s’enfonçait dans la nuit et se figea soudain. Là-bas, tout là-bas, une petite silhouette pressée s’éloignait au milieu des flocons qui animaient à nouveau l’air de leur danse gracieuse. Il fronça les sourcils, désemparé par la force des émotions que cette apparition venait de déchaîner en lui et se retourna en un mouvement réflexe vers le lit, où il s’attendait presque à découvrir une Susanna larmoyante.

Bien entendu et heureusement, son regard ne rencontra qu’une couche vide aux draps défaits. Le comédien soupira, agacé d’avoir un instant, aussi bref fût-il, pu imaginer pareille ineptie. Sans qu’il en eût conscience, ses doigts vinrent fourrager dans ses mèches brunes et sa main s’attarda sur son front comme pour chasser le douloureux souvenir de ce soir d’hiver, souvenir qui le hantait déjà avec une désagréable persistance lors de ses trop nombreuses insomnies. Il n’était pas question qu’il vienne encore assombrir ce moment de sa vie où s’ouvraient enfin de nouvelles perspectives. Les fantômes du passé devaient rester à leur place, dans ce passé qu’il espérait définitivement révolu. Il lui fallait à présent se tourner vers l’avenir qu’il ne pouvait plus, qu’il ne voulait plus envisager sans sa Taches de Son. Il se demanda soudain s’il ne ferait pas mieux d’aller la retrouver plutôt que de se ronger inutilement les sangs. Mû par une énergie nouvelle, il se redressa et se dirigea d’un pas décidé vers la porte tout en se demandant où pouvait bien se trouver la salle d’examen.

Trop absorbé dans son monde intérieur pour prêter attention aux bruits provenant du couloir, il tendit la main vers la poignée de la porte qui s’ouvrit à la volée, poussée du coude par une infirmière débordant d’enthousiasme. Notre acteur préféré eut tout juste le temps de s’écarter d’un bond pour ne pas se la prendre en pleine figure. Vous conviendrez qu’il eut été dommage d’abîmer un si beau visage…

« Oh, pardon ! s’exclama l’infirmière, confuse. J’aurais dû frapper…
— Ce n’est rien, lui assura l’acteur. »

Il lui sourit mais son regard l’effleura à peine et s’arrêta sur celui de Candy qui le dévisageait comme si sa vie en dépendait. L’infirmière eut un petit rire et déclara :

« Je crois que je vais vous laisser. La plupart des résultats seront prêts d’ici une petite heure. Il me semble que vous serez capables de vous débrouiller seuls jusqu’à là. »

Et à l’intention du comédien, elle ajouta, l’air sévère :

« Pas de folies, hein ? Elle sort du coma, tout de même. Et n’oubliez pas : il y a une petite sonnette en cas d’urgence !
— Je n’oublierai pas.»

Lorsque la porte se referma derrière elle, Candy s’enquit, inquiète :

« Tu partais ?
— Pas du tout. Je trouvais juste le temps bien long sans toi, et j’avais décidé de te rejoindre au plus vite… »

Le sourire heureux qui s’épanouit sur le joli visage de sa belle lui réchauffa le cœur. Alors qu’il rapprochait le fauteuil roulant du lit, la raison pour laquelle elle se trouvait à l’hôpital lui vint à l’esprit.

« Dis donc, Mademoiselle Tarzan-Taches de Son, je te savais casse-cou mais pas inconsciente à ce point ! Qu’est-ce que tu essayais de prouver en allant t’aventurer sur ce lac ? »

Tu ne cherchais quand même pas à te… Terry chassa la désagréable idée qui venait de traverser son esprit et vit les beaux yeux verts s’agrandir de saisissement.

« Oh, mon Dieu ! s’exclama-t-elle, en portant la main devant ses lèvres qu’il avait tant envie de baiser. J’ai oublié de demander à Tom… »

Elle s’interrompit puis rajouta un peu affolée :

« Quel jour sommes-nous ? »

L’évocation du fermier avait été une douche froide sur la douce euphorie dans laquelle baignait Terry et sans répondre à sa question, il s’enquit d’un ton mordant :

« Tu as oublié de lui demander quoi ?
— S’il avait bien pu apporter le médicament. »

Le comédien tombait des nues. Un médicament ? Mais de quoi sa Taches de Son parlait-elle ? Il la dévisagea en fronçant les sourcils, remarqua alors son air bouleversé et se traita d’âne bâté… C’était à lui qu’elle avait demandé de rester près d’elle tout à l’heure, pas à Tom. Il fallait qu’il laisse sa jalousie au placard. Il s’accroupit près du fauteuil et prit les petites mains que Candy était en train de triturer en tous sens. Il les sentit toutes contractées entre les siennes et se mit à tracer de légers cercles sur ses paumes. Il chercha ses yeux et lui demanda avec douceur :

« Quel médicament ? Explique-moi !
— J’étais censée rapporter à la clinique un tout nouveau traitement qui devait sauver un de nos patients dont l’état était critique. Et puis il y a eu cet épisode au lac et j’ai demandé à Tom de le faire à ma place… Mais après je ne sais pas ce qui s’est passé.
— Si tu le lui as demandé, il l’a fait, tu peux me croire.
— Tu en es sûr ?
— Cela ne fait aucun doute. Ne t’inquiète donc pas pour ce médicament. Il est arrivé à bon port.»

Terry ne disait pas cela juste pour la réconforter, il le pensait sincèrement. Tom ne se serait pas permis de trahir la confiance de Candy. Il avait l’air de bien trop tenir à elle, mais notre comédien préféré n’avait certainement pas l’intention d’insister à ce propos. Il reprit, le ton léger :

« Et cet épisode du lac, comme tu dis ? Que s’est-il passé pour que ma jolie Candy décide de braver les lois de la physique ? »

La jolie Candy en question se mit à rougir pour le plus grand plaisir de son interlocuteur, baissa timidement les yeux puis les releva vers lui :

« Ce n’était vraiment pas mon intention, tu sais, c’était juste un concours de circonstances… J’ai rencontré par hasard Monsieur Marsh, le facteur… »

Terry sentit les mains de Candy se crisper à nouveau sous les siennes.

« Mon Dieu… ajouta-t-elle dans un souffle horrifié. Les lettres... Elles ont dû rester là-bas… »

Le comédien n’y comprenait rien et se demandait presque si, après ce qu’elle avait subi, Candy n’avait pas un peu perdu la tête. Il insista gentiment :

« De quelles lettres parles-tu ?
— De celles qui étaient dans la sacoche que m’avait confiée Monsieur Marsh, répondit Candy en se mordillant la lèvre inférieure.
— Le facteur t’avait confié sa sacoche ? s’étonna Terry, de plus en plus perplexe.
— Eh bien, il y avait beaucoup de neige et je comptais justement passer à la clinique et à la maison Pony, alors je lui ai proposé de déposer le courrier à sa place.
— Je te reconnais bien là, mon adorable petit chimpanzé !
— Terry !
— Désolé, ça m’a échappé. Bon et alors ?
— Alors… Candy poussa un petit soupir. Je pense qu’elle est restée là-bas, au carrefour. Elle doit être sous des tonnes de neige, maintenant… »

Elle leva vers lui des yeux pleins de détresse :

« Ne t’inquiète pas pour ça, Candy. On la retrouvera cette sacoche. Je t’aiderai à la chercher.
— Tu ferais ça ?
— Bien sûr, pourquoi pas ?»

Sans en avoir conscience, il porta l’une de ses mains jusqu’à ses lèvres pour y déposer un baiser, sans quitter des yeux le beau visage figé dans une expression comique où se mêlaient surprise, embarras et joie. Et une certaine fatigue aussi.

« Tu ne veux pas t’allonger un peu ?»

Candy hocha la tête. Toute à la joie de voir Terry, elle n’avait pas pris la mesure de l’état d’épuisement dans lequel elle se trouvait. Elle avait en effet besoin de se reposer un peu. Pas de dormir. Non. Elle ne pouvait se le permettre alors qu’il avait fait un si long voyage depuis New-York rien que pour venir la voir, et surtout elle n’avait pas envie de gâcher le moindre instant passé à ses côtés.

Avec des gestes d’une infinie délicatesse, le jeune acteur l’aida à s’étendre sur le lit. Il la sentit frissonner sous ses doigts et remonta le drap et la couverture sur son corps alangui. Elle lui sourit avec reconnaissance, les paupières lourdes de fatigue.

« Prends-moi dans tes bras, soupira-t-elle d’une voix ensommeillée, s’il te plaît ! »

Trop heureux d’accéder à sa requête, il se pencha aussitôt vers elle, une expression sérieuse, presque grave dans le regard. Lui qui rêvait de la serrer dans ses bras depuis qu’elle était sortie du coma —et depuis bien plus longtemps encore, faut-il le préciser— voilà que son souhait allait, enfin, se réaliser.
Il rabattit en partie la couverture, afin de dégager le haut du corps de l’élue de son cœur, passa d’un geste tendre, un bras derrière son dos et la ramena vers lui. Le lit était bien un peu étroit pour l’accueillir lui aussi et il avait dû batailler pour trouver un équilibre précaire, sur le bord extrême du matelas, mais à présent qu’il serrait contre lui sa Taches de Son, le monde pourrait s’écrouler autour de lui, il ne s’en apercevrait même pas.

Candy se pelotonna tout contre lui et poussa un soupir comblé.
Le nez enfoui dans ses cheveux blonds, Terrence, enivré de bonheur, ferma ses yeux embués de larmes. Un instant de félicité pareil, cela valait tous les sacrifices !

Au bout d’un moment cependant, les questions restées en suspens se pressèrent à nouveau dans son esprit et il s’enquit :

« Alors, raconte-moi ce qui s’est passé sur ce lac… »

Un reniflement bien peu gracieux lui répondit et Terry dut se rendre à l’évidence : vaincue par le sommeil, sa Candy s’était laissé emporter au pays des songes et… ronflait. Il lâcha un petit rire, remit en place d’un geste doux, une mèche dorée qui s’était égarée en travers du petit nez constellé de taches de rousseur. Rien ne pressait. Les péripéties du lac attendraient le lendemain... La main de l’acteur s’attarda en une caresse légère sur la joue duveteuse de la jeune blonde dont la respiration se fit plus calme, plus profonde, comme apaisée. Il l’observa avec tendresse, fasciné par le visage endormi et persuadé d’être l’homme le plus heureux du monde.

Lorsqu’un peu plus tard, le docteur West pénétra dans la chambre après avoir frappé sans obtenir de réponse, il trouva le couple enlacé. Le comédien qui ne comptait fermer les yeux qu’un instant, s’était lui aussi laissé surprendre par le sommeil dont il émergea avec peine, jetant au médecin un regard désorienté avant de reprendre tout à fait ses esprits. Sa première pensée cohérente fut de s’étonner de ne pas être tombé du lit. Puis il prit conscience du corps chaud et doux lové entre ses bras et un sentiment de bien-être et de gratitude absolue lui emplit l’âme. Merci, mon Dieu d’avoir répondu à mes prières malgré mon attitude de mécréant… Et merci aux trois rois mages, Balthazar, Gaspard et Melchior. Sans eux il n'aurait jamais découvert l’existence de ce chemin de traverse qui lui avait permis de sortir de l’ornière dans laquelle il s’était enlisé.

Il leva d’un air interrogateur les yeux vers le médecin qui s’était rapproché du lit et qui observait sans la toucher la jeune André.

« Depuis quand dort-elle ? s’enquit-il dans un murmure.
— Elle s’est endormie presque aussitôt après être revenue de la salle d’examen, chuchota l’acteur.
— Inutile de la réveiller. Elle a grand besoin de se reposer. Vous savez où se trouve Monsieur André ?
— En bas, dans le hall avec les autres, je suppose.
— Cela ne vous dérangerait pas de le prévenir que je l’attends dans mon bureau ? L’hôpital a été pris d’assaut aujourd’hui et les infirmières sont toutes terriblement débordées… »

Terrence hocha la tête et se détacha à regret de sa Taches de Son, en prenant bien soin de ne pas la réveiller. Il la borda gentiment, se redressa et la contempla un moment avec un soupir, avant de rejoindre le médecin qui l’attendait dans le couloir.


---oooOOOooo---




Le patriarche de la famille André venait de rentrer au manoir, soulagé par le tour qu’avaient pris les événements. Les examens s’étaient révélés parfaitement normaux, ce qui n’avait pas manqué étonner le praticien de l’art. Sa jeune patiente venait tout de même de subir un choc thermique et ses défenses avaient dû être mises à rude épreuve. Il trouvait donc plutôt extraordinaire que le seul symptôme tangible qui venait corroborer les faits qu’avait rapportés Tom fût cette fatigue bien réelle qu’elle extériorisait et il s’inquiétait de savoir si quelque chose d’important ne lui avait pas échappé. Aussi, même si les résultats affirmaient qu’il n’y avait plus lieu de craindre pour sa santé, le médecin avait préféré, par précaution, la garder en observation jusqu’au lendemain.

Malgré la grimace sans équivoque que Candy n’avait pu retenir lorsqu’elle avait appris la nouvelle —elle se sentait parfaitement remise, et n’avait aucune envie de passer la nuit toute seule dans une chambre d’hôpital— Albert avait approuvé sans réserve cette décision pleine de bon sens.
Les protestations de sa fille adoptive s’étaient rapidement calmées lorsque Terry avait offert de passer la nuit avec elle, en tout bien, tout honneur, cela va de soi… Mais qu’étiez-vous en train d’imaginer…? Et au moment où le docteur West et lui-même donnaient leur aval à la proposition du jeune comédien, le chef du clan André avait vu le soulagement succéder au désarroi sur le joli minois de Candy et en avait ressenti un étrange sentiment sur lequel il ne réussit pas à mettre de nom. L’hôpital leur avait bien entendu fourni aussitôt un lit d’appoint et il se demandait, avec un certain fatalisme, s’il allait beaucoup servir.

Il jeta un coup d’œil à l’horloge et poussa un petit soupir. Il était déjà bien tard et il ne lui restait plus guère que quelques heures pour expédier les affaires urgentes qu’il avait cru devoir remettre à plus tard. La bonne nuit de repos que lui réclamait à grands cris son corps nerveusement épuisé, risquait d’être de bien courte durée.

Un rire désagréable, qu’il se serait vraiment passé d’entendre, résonna soudain dans le silence du hall de la grande demeure. Élisa devait être dans le petit salon, sans doute en train de pérorer devant son imbécile de frère qui était toujours au garde-à-vous et bouche-bée devant elle. Quelle plaie… Il n’avait ni le temps, ni surtout l’envie de discuter avec ces deux-là et il essaya de passer aussi discrètement que possible devant la porte entrebâillée d’où s’échappait la voix criarde :

« En tout cas, ce qui est sûr c’est qu’elle ne risque plus de mettre le grappin sur Terry maintenant qu’il a repris le train pour New-York. »

Albert s’immobilisa un instant devant la porte du salon avec l’irrépressible envie de détromper son insupportable nièce et d’en profiter pour la remettre à sa place, mais il avait dans l’immédiat d’autres chats à fouetter. Il était sur le point de continuer vers l’escalier qui menait aux étages lorsqu’il entendit Élisa qui se vantait :

« En tout cas, j’ai finalement réussi mon coup !
— Mais tu te rends compte qu’à cause de toi, Candy est entre la vie et la mort ?
— Pff… Des mauvaises herbes comme elle, ça ne craint rien. Et puis j’y peux rien, moi, si cette fille d’écurie… »

Élisa, vautrée dans le canapé, s’arrêta net en remarquant l’air affolé de son frère qui, bouche ouverte et l’air plus niais que jamais, fixait un point derrière elle. Elle se redressa et se retourna pour voir ce qui pouvait bien le mettre dans un tel état et crut mourir de frayeur en reconnaissant Albert qui les observait, le visage fermé.

« Tiens, Élisa… Daniel…
— Ah… Mon oncle… balbutia la rouquine.»

Daniel dans son coin, cherchait désespérément à se fondre dans le décor. Il ne savait plus à qui devait aller sa loyauté. Si par malheur Candy devait ne pas survivre au tragique enchaînement de circonstances dont sa sœur, il le voyait bien, était la cause directe, il n’était pas sûr de pouvoir le lui pardonner un jour.

« Je serais curieux de savoir de quel « coup » tu parles, Élisa. Venant de toi, c’est toujours un peu inquiétant. »

Élisa pâlit, ne sachant quoi répondre.

« Alors ? Tu as perdu ta langue, on dirait…
— C’est-à-dire… commença la jeune rousse en cherchant ses mots, après avoir dégluti avec peine. »

Comme rien ne venait Albert insista « Oui ? Je t’écoute…» puis il ajouta sur un ton rogue « Reste là où tu es, Daniel. »

Ce dernier avait en effet cru l’attention de son oncle toute entière accaparée par Élisa et essayait de s’éclipser sans bruit. Il s’immobilisa aussitôt, dans la position improbable où l’avait surpris cet ordre auquel il espérait échapper, et ferma les yeux, attendant les foudres du patriarche qui ne sauraient tarder. Il devait bien s’avouer qu’elles seraient méritées, même si son rôle à lui, dans l’affaire était tout à fait minime.

« Je n’en ai pas fini avec toi non plus. »

Daniel se ratatina sur lui-même, le regard fuyant.

« Toi, tu dois bien savoir ce qui se passe, non ? Peut-être que tu peux répondre à la place de ta sœur qui je le crains, a perdu la voix…
— Je… je…
— Tu… tu ? »

Daniel déglutit, incapable de poursuivre. Albert poussa un long soupir exaspéré. Que devait-il faire de ces deux incapables-là ? Il était exténué et ne se sentait pas l’énergie nécessaire pour pousser l’interrogatoire plus avant et prendre dès maintenant les mesures qui s’imposaient.

Daniel se racla la gorge et d’une voix peu assurée s’enquit :

« Co… Comment… va-t-elle ?
— Qui ça ? Candy ? Pourquoi ? Ça t’intéresse maintenant ?
— Je… Je m’inquiète pour elle… avoua le jeune homme en baissant les yeux. »

Albert considéra son neveu avec un certain étonnement : il avait l’air sincère. Élisa, elle, prit une mine pincée et détourna le regard d’un air méprisant. Que son frère se fasse du souci pour la fille d’écurie était une chose qu’elle ne pourrait jamais ni admettre, ni comprendre. Et la présence de son oncle n’y changerait rien.

« Eh bien tu seras heureux d’apprendre que malgré vos manigances, elle est tirée d’affaire. Et Terry est auprès d’elle.
— Quoi ? Quoi ? Mais... Mais c’est parfaitement… impossible. Je l’ai vu prendre le train pour New-York tout à l’heure, s’écria Élisa, décomposée. »

Elle avait l’impression que le monde s’écroulait autour d’elle.

« Tu es mal renseignée, ma pauvre Élisa. Et je compte tirer au clair ton rôle et celui de ton frère dans cette affaire. Ce soir je suis occupé. On verra ça demain matin. D’ici là vous êtes tous deux consignés dans vos chambres respectives. Et je vous déconseille fortement d’en sortir. »


à suivre...
view post Posted: 1/2/2022, 17:58 L'anniversaire - Fanfics pour tous les âges
Merci pour vos retours :love2: J'apprécie énormément que vous ayez pris le temps de lire et de commenter !!
view post Posted: 31/1/2022, 17:17 Les Rois Mages - Fanfics pour tous les âges
Chapitre 5

Songe d'une nuit d'hiver



Mais qu’avait-il bien pu se passer un peu plus tôt dans le chalet de Tom ? Eh bien, après le départ de son ami, Candy s’était plongée dans la contemplation des flammes qui crépitaient gaiement dans la cheminée et dont elle n’avait jamais tant apprécié la chaleur bienfaisante. Une délicieuse torpeur l’avait envahie, en même temps que cette sensation… cette sensation vraiment étrange… grisante… magique… Complètement irréaliste, de fait, cette sensation. La sensation d’une présence… D’une présence presque palpable… Sa présence.

La jeune femme savait parfaitement que Terry ne pouvait en aucun cas se trouver là, juste derrière la porte. Mais l’impression était si incroyablement vive… Et puis c’était si bon de laisser galoper son imagination. Candy était presque convaincue que celui que son cœur n’avait cessé de réclamer, allait se matérialiser dans l’entrée, d’une minute à l’autre et que toutes ces années de souffrance seraient balayées d’un coup… Et elle fixait la porte avec un espoir insensé.

Pourtant, au bout d’un moment, la merveilleuse sensation s’était estompée. D’ailleurs ses mains, inexplicablement, étaient à nouveau glacées et elle avait dû se rendre à l’évidence : l’agréable cocon de chaleur qui avait commencé à l’envelopper venait subitement de se déchirer, lui laissant un décourageant sentiment d’incomplétude. L’air de la pièce s’était soudain rafraîchi et elle se sentait à nouveau transie. En y réfléchissant bien, cela n’avait rien de si extraordinaire. Tom avait sans doute simplement laissé la porte ouverte trop longtemps, au moment de sortir… Candy se leva, poussa tant bien que mal le grand fauteuil au plus près des flammes dansantes avant d’être prise de vertiges. Elle eut tout juste le temps de se retenir à l’accoudoir du fauteuil pour ralentir la chute qu’elle sentait venir, avant de sombrer dans un trou noir.



--oooOOOooo—




Terrence s’éveilla, l’angoisse au cœur. Il ne savait plus de quoi il avait rêvé, mais c’était sûrement, une fois de plus, un de ces cauchemars qui venaient régulièrement le hanter depuis l’époque où il avait eu la bêtise de laisser partir Candy. Cauchemars qui lui laissaient toujours ce goût amer et cette sensation de détresse insurmontable. Il jeta un regard hébété autour de lui avant de reconnaître la pièce où il se trouvait. C’est alors que les événements de la veille lui revinrent en mémoire, l’engloutissant dans un océan de désespoir. Le voyage de retour à New-York s’était déroulé dans une sorte de brouillard et lorsqu’il était finalement entré dans son appartement, le comédien n’avait fait aucun effort pour résister à l’incoercible envie d’alcool qui l’avait saisi. À quoi bon ? Il s’était dirigé tout droit vers l’armoire où il gardait quelques bouteilles dont il aurait sans doute mieux fait de se débarrasser. Combien de verres s’était-il servi ? Il n’en avait plus aucune idée. Il se rappelait seulement l’état second dans lequel il s’était senti lorsqu’il était finalement allé dans sa chambre avant de s’écrouler sur son lit. Curieusement, la migraine qui accompagnait habituellement chacun de ses excès n’était pas au rendez-vous. Il se redressa lentement sur un coude et aperçut par terre le journal que son étrange vis-à-vis avait tenu à lui fourrer entre les mains avant de quitter le train. Il s’interrogeait d’ailleurs : pourquoi l’avoir rapporté chez lui, plutôt que de s’en débarrasser dans la première poubelle venue ? C’était un journal local, daté du… Terrence fronça les sourcils, Comment ce journal pouvait-il être daté du vingt-cinq ? Ce n’était pas possible… Mais il n’eut pas le temps de s’attarder davantage sur cette anomalie, car son regard venait d’être happé par le gros titre qui barrait la première page du quotidien : « Terrible accident : l’héritière André… » Il fallait déplier le journal pour lire la suite mais celui-ci lui glissa des mains. Non… Non !!! Il ferma les yeux, essayant de chasser de son esprit ces mots qui ne présageaient rien de bon. Il devait être en train de faire un mauvais rêve… un très mauvais rêve. C’était… C’était sûrement ça… Rien qu’un horrible rêve… Il ne pouvait en être autrement ! D’ailleurs, il avait vu sa Taches de Son, pas plus tard que la veille, et elle était parfaitement vivante, même si c’était dans les bras d’un autre... C’était son imagination qui lui jouait des tours et l’alcool aussi, sans doute. Lorsqu’il rouvrirait les yeux tout ceci aurait disparu.

Mais ce ne fut pas le cas. Le journal était toujours là, par terre devant lui. Il se laissa tomber à genoux et lorsqu’il le déplia d’une main fébrile, la phrase complète apparut : « Terrible accident : l’héritière André n’a pas survécu à sa chute dans les eaux glacées du lac Orr. Candice Neige André…» Il ne put lire la suite, la respiration coupée, les pensées en déroute, toute volonté annihilée. Il sentit une secousse comme si le sol se dérobait sous ses pieds et il tendit la main dans un mouvement réflexe pour retrouver son équilibre. Un grondement sourd et de sinistre augure se fit entendre. Qu’était-ce à présent ? Un tremblement de terre ? Le comédien eut à peine le temps de se dire que la terre pouvait bien l’engloutir à présent, qu’un long sifflement aigu déchira sa conscience. Il ouvrit les yeux, désorienté, tout en sueur, le cœur battant à un rythme effréné, des mèches de cheveux collées sur son front moite... Et tout de suite il comprit. Mon Dieu, tout ceci n’était qu’un cauchemar, un affreux, un horrible cauchemar. Il était toujours dans le train… Il fut envahi d’un tel soulagement qu’il eut toutes les peines du monde à refouler les larmes qui lui étaient monté aux yeux.

L’homme en face de lui avait abandonné son journal et le dévisageait avec une curiosité qu’il ne cherchait même pas à dissimuler, un sourire narquois au coin des lèvres. En d’autres circonstances ce manque de savoir-vivre aurait irrité au plus haut point notre comédien préféré. Mais là, il était si heureux d’avoir pu échapper au drame qu’avait forgé son inconscient... Et puis peut-être avait-il crié dans son rêve… Ou peut-être, plus certainement, l’homme venait-il de le reconnaître ? Peu importait après tout… Le principal était que Candy fût vivante… Vivante ! Du moins l’espérait-il. Après ce cauchemar qui lui avait semblé si réel et dont le moindre détail était resté gravé dans son esprit, avec une déplaisante acuité, il ressentait un besoin viscéral d’aller vérifier si tout allait bien. Que n’aurait-il donné pour pouvoir le faire ? Malheureusement il était coincé dans ce train qui… Mais… Minute ! Quelque chose clochait et Terrence se tourna vers la baie vitrée, avant d’interroger son vis-à-vis.

« Que se passe-t-il ?
— Je crains que nous ne soyons revenus à notre point de départ.
— À notre point de départ ? Quel point de départ ?
— Ah… C’est vrai ! Vous n’avez pas dû entendu l’annonce… Nous sommes revenus à La Porte. Il semblerait qu’un arbre ait endommagé la voie en tombant.
— Nous… Nous sommes revenus à La Porte ?»

Terrence n’en croyait pas ses oreilles. L’homme ajouta :

« Eh bien maintenant que vous êtes réveillé, je vais pouvoir y aller je présume. Permettez…»

Et se penchant vers lui, il récupéra le vêtement avec lequel il lui avait recouvert les épaules. Une espèce de large houppelande rouge avec des bords en fourrure blanche qui ressemblait à s’y méprendre au costume de père Noël que l’acteur avait utilisé pour jouer sa pièce. Des couleurs qu’il avait choisies parce qu’inconsciemment sans doute elles lui rappelaient sa Taches de Son*. L’homme plia le vêtement et le rangea soigneusement dans son sac. Privé de la chaleur douillette qui l’enveloppait jusqu’à présent, Terrence prit soudain conscience du froid glacial et du silence qui régnaient dans le wagon et il se rendit compte qu’ils y étaient absolument seuls.

« Où sont passés tous les autres voyageurs ?
— Ils sont partis. Cela fait près d’une demi-heure que nous sommes en gare, mais vous aviez l’air dans un tel état d’épuisement… J’ai réussi à convaincre le contrôleur de vous laisser dormir. Le train vient juste d’exécuter une manœuvre. C’est ce qui a dû vous réveiller. »

Notre héros aurait bien entendu préféré être réveillé plus tôt, afin de ne pas avoir à vivre l’expérience traumatisante qu’il avait cru réalité, mais il n’en dit mot et remercia poliment son vis-à-vis. Après tout, un cauchemar n’était rien de plus qu’un cauchemar…

« Peut-être est-ce un signe du destin, poursuivit l’homme en jetant un regard pensif à travers la vitre et en ajustant son sac sur son épaule.
— Un signe du destin ?
— Oui, le signe que j’ai sans doute encore à faire ici, finalement… »

Et sur un demi-sourire énigmatique, il prit congé de Terrence. Celui-ci mit un certain temps avant de se décider à lui emboîter le pas. Ce fut la température glaciale qui eut raison de l’état d’hébétude dans laquelle l’avait mis ce nouveau revirement de situation. Il commença à se redresser et entendit le tintement d’un objet métallique qui venait de heurter le sol devant lui. Il se baissa avec lenteur pour le ramasser. C’était une bague, sans doute un bijou de prix, lequel avait sûrement dû glisser d’une des poches de la houppelande que son voisin lui avait si obligeamment déposée sur les épaules. Retrouvant brusquement son énergie, Ie comédien enfila précipitamment son propre manteau, saisit son sac et se hâta à la poursuite de celui à qui devait appartenir l’objet. Naturellement il n’y avait plus personne lorsqu’il sauta à son tour sur le quai, cependant les traces de pas qui s’éloignaient dans la neige fraîche laissaient sans peine deviner la direction à suivre.

Ce fut un Terrence Graham dépité et hors d’haleine qui atteignit le carrefour désert où il n’était plus question de distinguer quoi que ce soit parmi les dizaines de traces de pas qui s’entrecroisaient en tous sens. Sans compter que la neige, soulevée par un vent de plus en plus violent, recouvrait peu à peu les dites traces. Où retrouver le propriétaire de cette bague à présent ? Autant chercher une aiguille dans une botte de foin… L’acteur devait se rendre à l’évidence. Il n’avait plus qu’à rejoindre l’hôtel où l’attendait sa suite, du moins l’espérait-il.


--oooOOOooo—




Il y avait du monde devant le comptoir de l’hôtel, sûrement un contrecoup du retour impromptu du train pour New-York. Terrence eut du mal à ronger son frein... Sa chambre allait-elle être proposée à l’un de ces clients potentiels ? Ou peut-être avait-elle déjà été réservée ? La phrase de l’homme à la houppelande lui trottait dans la tête. Avait-il, lui aussi, encore des choses à faire ici ? En tout cas, puisque le « destin » lui en offrait la possibilité, il irait au plus vite s’assurer que sa Taches de Son se portait aussi bien que possible, bien qu’il lui en coûtât de prendre le risque de croiser à nouveau le dénommé Tom. En attendant son tour, Terrence sortit la bague de sa poche pour l’examiner de plus près. C’était une bague ancienne dont l’argent terni semblait évoquer une longue histoire. Vu sa taille, il y avait fort à parier que ce bijou fût destiné à une femme. Une femme aux doigts particulièrement fins. Une petite pierre précieuse, un diamant sans doute, ornait l’anneau. Une inscription était gravée à l’intérieur : « gage d… » le reste se perdait à moitié sous un dépôt noirâtre que l’acteur tenta de faire disparaître du bout de son index. Sans succès. Mais en mettant le bijou dans la lumière, Terrence finit malgré tout par déchiffrer « gage de santé ». Curieux, comme inscription… Ce n’était pas en général ce que l’on faisait graver sur ce genre de bague… Le comptoir se vida soudain de ses derniers clients qui partaient dans un grand brouhaha de rires et d’éclats de voix.

« Je me doutais bien que vous alliez revenir... annonça le réceptionniste en souriant. J’ai tenu votre chambre prête.
— C’est fort aimable à vous, le remercia Terrence, soulagé.»

Il ne comptait pas s’attarder davantage dans le hall de l’hôtel, pressé qu’il était d’aller déposer son sac qui commençait à lui peser. Cependant, son stupide cauchemar restait si vivace dans son esprit qu’il s’enquit encore :

« Je vous ai entendu tout à l’heure parler de quelqu’un qui avait failli se noyer dans un lac… Savez-vous de qui il s’agit ?
— Ah, oui… Quel malheureux accident… Il s’agit de la jeune André. La fille du milliar… »

L’homme s’interrompit net en remarquant la pâleur soudaine de son interlocuteur. Terrence avait l’impression que ses jambes allaient se dérober sous lui et il s’était agrippé au bord du comptoir. Ainsi… ce cauchemar… Comment était-ce possible ?

« Vous allez bien ? »

Question idiote, bien entendu. Il était clair que son interlocuteur était plus que bouleversé par la nouvelle qu’il venait de lui annoncer.

« Elle… Elle… commença Terrence dans un murmure inintelligible, sans oser aller au bout de la question dont il redoutait la réponse.
— J’ai entendu dire qu’elle était à l’hôpital central de La Porte.»



--oooOOOooo—




Lorsqu’à bout de souffle, Terrence s’engouffra dans le hall de l’hôpital, il les aperçut aussitôt : les frères Cornwell et les deux amies de Candy. Une telle consternation se lisait sur leurs visages qu’il eut l’impression que son cœur allait s’arrêter de battre. Son esprit vidé de toute pensée, il ne s’interrogea même pas sur la présence de l’aîné des Cornwell qu’il croyait pourtant mort et enterré.

Archibald releva la tête et l’aperçut à son tour.

« Qu’est-ce qu’il fait là, celui-là ? » gronda-t-il entre ses dents en serrant les poings, prêt à en découdre avec le nouveau venu.

Son frère le retint par l’épaule.

« Ce n’est ni le lieu, ni le moment… »

Archibald se dégagea avec humeur, pas vraiment prêt à capituler avant même d’avoir engagé les hostilités. Mais l’arrivée d’Albert mit fin à toute velléité de bagarre. Son expression pâle et défaite en disait long sur l’état de fatigue dans lequel il se trouvait. Un certain découragement aussi semblait l’avoir gagné, ce qui lui ressemblait si peu… Les autres se raidirent, redoutant de mauvaises nouvelles, mais il les ignora et, se dirigeant à grands pas vers le jeune acteur, il lui lança sans préambule :

« Mais où diable étais-tu donc passé ? Je t’ai fait chercher partout…»

Déstabilisé par cette étrange entrée en matière Terrence ne put trouver le moindre début de réponse dans son cerveau en pleine confusion. Mais déjà Albert lui agrippait le bras et l’entraînait à grands pas dans les couloirs grisâtres et mornes de l’hôpital, comme si le temps leur était compté.

« Mademoiselle Pony nous a dit que tu étais venu à La Porte et que tu cherchais Candy. »

Mademoiselle Pony… Bien sûr… Terrence l’avait oubliée, mais alors... complètement oubliée. Comme il avait sans doute oublié tout un tas d’autres choses à l’instant maudit où il avait aperçu Candy dans les bras du fermier.

« Candy… Comment va-t-elle ? se résolut-il finalement à demander.
— Pas très bien, commença Albert sur un ton incertain, sans pour autant ralentir l’allure.»

Ils finirent par arriver devant une chambre et la main sur la poignée de la porte, le patriarche de la famille André s’immobilisa et fixa avec intensité le jeune acteur.

« En vérité elle va mal… Son état se dégrade, et les médecins ne comprennent pas pourquoi. C’est comme si elle se laissait mourir… »

L’expression qui s’inscrivit sur le visage du jeune acteur indiquait assez la panique que ces paroles venaient de déclencher en lui. Non… Ce n’était pas possible. Un mouvement convulsif le secoua, tandis que devant lui Albert poussait la porte. L’infirmière, une dame d’un certain âge, s’écarta du lit devant lequel elle se trouvait.

Et il la vit. Sa Taches de Son. Reposant là. Minuscule, dans ce grand lit. Aussi blanche que les draps qui la recouvraient. D’une immobilité… effrayante. Avec à son chevet, le fameux Tom. Serrant entre les siennes la petite main de Candy…

Terrence aurait voulu lui hurler de la lâcher et se précipiter pour prendre sa place. Mais il était cloué sur place, atterré. Incapable du moindre mouvement. Ainsi ce rêve… C’était donc vrai ? Tout ce qu’il avait cru être un cauchemar était donc vrai ? Non, c’était inconcevable… Il était sûrement encore en train de rêver, n’est-ce pas ? N’est-ce pas ?!? La réalité ne pouvait être aussi cruelle !

Tom, perdu dans un océan de sombres pensées, avait tout de même fini, au bout d’un certain temps, par remarquer leur présence. Le regard qu’il leva vers eux fit frémir l’acteur. Un regard vaincu qui semblait admettre que le destin s’était irrémédiablement mis en marche. Mais Terrence ne voulait ni ne pouvait y croire ! Le sang lui battant douloureusement les tempes, il fixa à nouveau le visage adoré et si pâle cherchant à y déchiffrer le moindre indice qui eût pu infirmer ce que tout, alentour, semblait porter à croire. Sans y parvenir. Ce fut dans une sorte de brouillard qu’il entendit :

« Tom, pourrais-tu nous laisser, s’il te plaît ? »

Et sans vraiment savoir comment il était arrivé là, Terrence se retrouva assis sur le siège qu’occupait le jeune fermier quelques instants auparavant. Absolument seul dans la pièce, avec sa Taches de Son. Quand donc les trois autres étaient-ils sortis de la pièce ? Il n’en avait aucune idée. L’esprit paralysé par la puissance dévastatrice d’une vague d’émotions et de sentiments contradictoires comme il n’en avait plus connue depuis… depuis ce jour maudit… le jeune homme avait bien du mal à aligner deux pensées cohérentes. Culpabilité et incompréhension luttaient pour prendre la main dans son cerveau enfiévré. Ce qui arrivait aujourd’hui, c’était sûrement le résultat de ses choix passés… Pourquoi l’avoir laissée partir ce soir-là ? Et comment se faisait-il d’ailleurs, qu’après avoir accepté cette séparation, il fût ici, en lieu et place de celui que Candy avait finalement choisi ? Et comment justifier ce sentiment bien malvenu de satisfaction à l’idée de se retrouver là, à côté d’elle, plutôt que lui ? Une satisfaction au demeurant bien vite balayée par la terreur de perdre celle qu’il aimait. Sans parler de l’affolement, omniprésent. Que faire ? Que faire ? Pourquoi Albert l’avait-il amené là ? Qu’attendait-on de lui ? Même les médecins, malgré leur grande compétence, semblaient dépassés par la situation… Qu’est-ce que lui, Terry, pouvait bien espérer faire de plus? Il prit la petite main inerte dans la sienne.

« Candy, ne pars pas ! Ne me laisse pas… J’ai besoin de toi ! S’il te plaît ! » murmura-t-il avec un mélange de ferveur et de désespoir.

Et les larmes trop longtemps retenues glissèrent silencieusement le long de ses joues.

—oooOOOooo—



Candy cheminait le long d’un tunnel interminable. Un tunnel comme un autre, à ceci près que ses parois semblaient ne pas être constituées de matière mais au contraire d’une espèce de — comment dire — de néant peut-être, de vide noir et absolu. Pourtant la jeune fille ne trouvait pas cela étrange du tout. Et elle n’avait pas peur. Non ! Pourquoi du reste aurait-elle eu peur alors qu’à ses pieds embaumaient des pétales blancs veinés de vert qui, étrange phénomène, luisaient faiblement dans l’obscurité comme pour lui montrer le chemin ? Elle se sentait au contraire sereine et déterminée. Et légère… Si légère ! Comme si tout ce qui pesait si douloureusement sur ses épaules ces temps derniers s’était soudain évanoui dans l’éther. D’ailleurs ses pieds effleuraient à peine le tapis de roses qui se déroulait devant elle pour la guider à travers l’obscurité vers cet attirant petit point lumineux qui scintillait tout là-bas. Elle prit conscience d’un son — une voix qui l’appelait. Une voix dont elle avait presque oublié les inflexions caressantes. Une voix reconnaissable entre toutes même si elle ne l’avait plus entendue depuis longtemps, bien longtemps, trop longtemps. Une voix douce et persuasive qui lui disait de venir vers elle, de venir vers la lumière.

« J’arrive, Anthony, chuchota-t-elle, j’arrive ! »

—oooOOOooo—



C’était ridicule, et Terrence en avait parfaitement conscience, mais puisque selon le corps médical il n’y avait plus rien à faire, alors autant tout essayer. Même les choses les plus extravagantes. Il se pencha vers Candy pour embrasser ses lèvres exsangues, avec l’espoir déraisonnable qu’elle allait se réveiller. Comme dans les contes de fée… Peut-être même qu’elle le giflerait comme la dernière fois ? Pourquoi pas… Il était prêt à endurer toutes les gifles qu’elle voudrait bien lui donner. Il était prêt à tout pour elle. Mais évidemment, on n’était pas dans un conte de fée, qu’alliez-vous imaginer...? Et rien de tel ne se produisit.

Et quoique cette issue fût en vérité inéluctable, l’acteur se sentit encore plus misérable et se mit à sangloter, les lèvres pressées sur la main de celle qu’il aimait. Il se sentait révolté aussi. Comment Dieu, s’il existait vraiment, pouvait-il laisser se produire une chose pareille ?

Avec le passé qu’on lui connaissait, s’adresser à Dieu en un tel moment semblait bien relever un peu de l’hypocrisie, et pourtant il se mit à prier. Et même à prier avec conviction, les deux mains autour de celle de Candy, le visage tout baigné de larmes, sanglotant et reniflant, quand un besoin urgent et parfaitement saugrenu en pareil moment, se fit sentir. Il avait besoin de… de se moucher… C’est ça la réponse de Dieu ? se demanda-t-il avec un soupir de dérision. Il voulut récupérer le mouchoir qui se trouvait au fond de la poche son manteau et ses doigts rencontrèrent la bague qu’il y avait glissée un peu plus tôt dans le train. Son envie de se moucher passa aussitôt au dernier plan de ses préoccupations. N’était-il pas écrit « gage de santé » sur cet anneau ? Et si… Et si… Il se saisit du bijou sans attendre et en retenant son souffle, doucement, précautionneusement, il le glissa le long de l’annulaire de sa Candy. Par le fait du plus pur des hasards, la bague en lui allait comme un gant, enfin, si vous me permettez l’expression…

Malheureusement, le miracle tant attendu n’eut pas davantage lieu cette fois-ci et le comédien, anéanti, se laissa glisser à terre et se retrouva à genoux, le front posé sur ses deux mains qui serraient toujours convulsivement entre elles celle de Candy. Il ne vit pas le rayon de lune qui, perçant les épais nuages, vint éclairer les boucles blondes de sa Taches de Son, lui faisant comme une auréole argentée.

—oooOOOooo—



Ayant presque atteint le bout du tunnel, Candy s’arrêta net, tous les sens en alerte. Alors que quelques instants auparavant elle se sentait sereine et légère, prête à rejoindre enfin Anthony, quelque chose dans l’atmosphère s’était subtilement modifié, une imperceptible distorsion de l’espace qui l’empêchait d’avancer davantage le long du sentier fleuri. Elle se sentait soudain lourde et gauche, comme si son corps, subitement, avait repris consistance, brisant la calme euphorie qui l’accompagnait jusqu’alors. Le plus gênant était cet état de déséquilibre et d’indécision dans lequel elle se débattait à présent, cette impression d’être tiraillée dans deux directions diamétralement opposées. L’écho d’un son flottait à la lisière de sa conscience et elle dut faire un effort démesuré pour y accéder et l’identifier. C’était une voix… mais pas celle d’Anthony. Et soudain tout fut d’une clarté limpide. Elle ne pouvait plus se permettre de quitter ce monde. Quelqu’un l’attendait ici, quelqu’un qui avait désespérément besoin d’elle. Elle eut la sensation d’être aspirée dans un gigantesque tourbillon puis tout ne fut plus qu’obscurité.

Lorsqu’elle reprit conscience, la première chose qui lui vint à l’esprit fut de savoir si Tom avait réussi à apporter à temps le précieux médicament. Puis elle ouvrit les yeux et malgré la confusion qui régnait encore dans son esprit, elle devina presque aussitôt où elle se trouvait. Après tout, n’avait-elle pas passé de longues heures dans ce service, lorsqu’elle y avait veillé Balthazar ? Elle se demandait même si elle ne se trouvait pas dans la chambre même où le jeune accidenté avait lutté pour échapper à la mort. C’est alors qu’elle se rendit compte de la chaleur dans laquelle baignait sa main gauche et son regard se porta lentement dans cette direction. Mais elle ne put distinguer que la chevelure brune d’un homme qui pleurait silencieusement et qui lui fit oublier ses préoccupations actuelles. Était-ce… Était-ce…

« Terry ?!»

Sa voix, à peine un murmure, eut sur le comédien l’effet d’une onde de choc. Il lâcha la main comme s’il se fût brûlé et se redressa d’un bond, n’en croyant ni ses oreilles, ni ses yeux lorsque son regard croisa celui de sa Taches de Son.

Le miracle avait-il véritablement eu lieu ?

« Candy… » murmura-t-il à son tour, bouleversé et le souffle court, des larmes de soulagement remplaçant celles de désespoir qu’il versait jusqu’à présent.

La jeune fille esquissa un faible sourire tandis que, Terrence, sans oser quitter des yeux le visage chéri se rasseyait lentement tout en reprenant dans les siennes la main qu’il venait de lâcher pour y déposer avec ferveur un nouveau baiser. Dieu, qu’elle était belle ainsi, doucement éclairée par la lune.

« Candy ! J’ai eu si peur ! »

Oui… Si peur de la perdre encore une fois et cette fois-ci définitivement… Encore maintenant, la peur lui nouait les entrailles. Sa Taches de Son allait-elle vraiment mieux ? Fallait-il avertir les infirmières, les médecins ? Albert lui avait montré la sonnette sur laquelle appuyer si quoi que ce soit se produisait. Ce qui était justement le cas. Mais avertir le corps médical, c’était clore un tête-à-tête que le comédien appelait de toute son âme et qu’il aurait voulu prolonger, ne serait-ce que de quelques instants. Lisant l’incompréhension dans les yeux de sa belle il expliqua :

« Tu es à l’hôpital, tu t’étais évanouie.
— Comment…. Comment se fait-il que tu sois… ici ? »

À la place Tom, compléta mentalement Terrence en contractant involontairement les mâchoires, blessé. Alors qu’il était sur le point de lui avouer ses sentiments, de lui avouer qu’il n’avait jamais cessé de l’aimer et que malgré la promesse qu’elle lui avait arrachée, elle resterait pour toujours son seul et unique amour, Candy venait brutalement de lui rappeler une évidence : c’était Tom qui à présent partageait sa vie et c’était bien entendu Tom qu’elle aurait préféré trouver là, à ses côtés. Ravalant son chagrin et sa fierté, il lâcha à regret la main chérie et murmura :

« Tom était là jusqu’à présent… Je viens juste de prendre sa relève…
— Tom ? Mais pourquoi me parles-tu de Tom ?
— Eh bien…
— C’est de ta présence à toi dont je parle… » fit Candy en cherchant à se redresser.

Trop déconcerté pour seulement songer à l’aider — d’ailleurs s’il l’avait fait, s’il s’était penché vers elle pour remonter l’oreiller derrière son dos, qu’en aurait-il découlé, hein, je vous le demande ? — ou bien chercher à l’en dissuader — était-elle vraiment en état de s’asseoir là, déjà ? Ne valait-il pas mieux qu’elle reste encore allongée ?— Terrence vit Candy froncer les sourcils, comme si elle cherchait à faire remonter un souvenir dans sa mémoire.

« Tu n’avais pas un gala à New-York ? murmura-t-elle finalement.
— Si… Je t’avais d’ailleurs envoyé une invitation…
— Tu m’avais envoyé une invitation ? Mais… Mais, je n’ai rien reçu, moi… Rien du tout… »

Candy avait fini sa phrase d’une toute petite voix, incapable de masquer totalement le désarroi qu’elle avait éprouvé lorsqu’elle avait fini par admettre que Terry n’avait pas jugé utile de la compter au nombre de ses invités. Ce fut au tour du jeune homme de froncer les sourcils. Il était tout à fait sûr que Robert avait bien fait le nécessaire pour envoyer les billets à la famille André — il avait suffisamment insisté à ce sujet… Se pouvait-il que ces billets se fussent… perdus en route ? Mais alors… Mais alors l’absence de Candy à son gala n’avait plus du tout la signification qu’il avait cru devoir lui donner. Se pourrait-il que… Terrence dévisageait intensément la jeune fille, avec une envie grandissante de reprendre entre les siennes les petites mains qu’elle tenait à présent serrées l’une contre l’autre dans une posture qui révélait son trouble. Mais avant même qu’il n’ait eu le temps d’esquisser le moindre geste, il vit les pupilles de sa Taches de Son se dilater sous l’effet de la surprise. Ses doigts venaient d’effleurer la bague qu’il lui avait glissée à l’annulaire et elle la fit miroiter dans le pâle rayon de lune avant de lever vers lui un regard interrogateur. Celui de l’acteur s’arrêta sur le bijou dont l’argent terni, à son grand étonnement, brillait à présent comme un sou neuf. Le petit diamant qui y était enchâssé étincelait lui-même de mille feux, jetant dans la pièce des éclats colorés et changeants. Par quel tour de passe-passe le dépôt si tenace qui recouvrait la bague s’était-il soudain volatilisé alors qu’il n’avait pas réussi à l’éliminer, plus tôt dans le hall de l’hôtel ?

Candy incrédule et le cœur battant, leva vers lui ses beaux yeux verts et murmura :

« Elle est magnifique ! C’est toi qui…
— Je… J’avais tellement peur que tu ne te réveilles plus… »

Terrence laissa sa phrase en suspens, ne sachant comment expliquer à sa Taches de Son que cette bague, il ne la lui avait passée au doigt que poussé par un prodigieux concours de circonstances, qu’a priori elle ne lui était pas destinée et qu’il leur faudrait sans doute la rendre à son véritable propriétaire. Candy, elle, retrouvait peu à peu des couleurs. Elle avait l’impression de nager en plein rêve et n’osait croire tout à fait à la réalité des faits. Elle craignait que ce ne soit, effectivement, qu’une illusion née de sa soif impérieuse de voir Terry, de le toucher, de le sentir. Et pour lever le doute déplaisant qui sournoisement se frayait un chemin dans son esprit, elle ressentait un besoin viscéral de rendre plus tangible ce merveilleux moment. Le meilleur moyen, lui semblait-il, était d’extérioriser le bonheur qui montait en elle à le savoir là, tout près d’elle. Aussi se décida-t-elle à lui avouer :

« Je suis si heureuse que tu sois là ! » même si elle avait un peu l’impression, ce-faisant, de rompre la promesse faite à Susanna.

Pour la première fois depuis qu’il l’avait vue dans les bras du fermier, Terrence sourit, le cœur en partie libéré de l’étau qui l’enserrait depuis si longtemps. Peut-être lui restait-il malgré tout un petit espoir : Candy était heureuse qu’il soit là, elle venait de le lui déclarer sans ambages… Il lui saisit les deux mains et déposa sur ses paumes tièdes des baisers légers comme des caresses.

« Moi aussi… murmura-t-il. Tu ne peux pas savoir à quel point… »

Les joues de Candy se colorèrent délicatement, laissant davantage ressortir les petites taches de rousseur qui la rendaient si unique et Terrence dut combattre l’envie irrésistible qu’il avait de l’embrasser ici et maintenant. Mais il comprit que le moment était mal choisi en décelant dans les yeux de sa belle une pointe d’incertitude et d’hésitation. Et lorsqu’elle retira doucement ses mains des siennes, il ne pouvait prétendre qu’il ne s’y attendait pas du tout. Après tout subsistait le problème de Tom…

« Mais… et… et Susanna ? s’enquit Candy mal à l’aise.»

L’acteur, interloqué, eut un soupir agacé. C’était bien le moment de lui rappeler l’existence de cette… — il se retint — de cette fille qui lui avait pourri la vie… Et qui aujourd’hui encore, sans même avoir besoin d’être physiquement présente, venait de lui ruiner cet instant de paradis. Il fallait en finir avec cette ombre maudite qui planait sur sa vie.

« Écoute Candy, même si ça doit te mettre en colère, sache que je me fiche comme de l’an quarante de cette chère Susanna…
—Terry !
— Quand je pense qu’elle a réussi à t’extorquer cette ignoble promesse ! fit celui-ci en repoussant avec une certaine véhémence une mèche rebelle.
— Co… Comment… Que… Quelle promesse ?
— Eh bien celle de ne plus chercher à me voir… Comment as-tu pu prendre un tel engagement ? Je comptais si peu pour toi ?
— Qui… Où es-tu allé pêcher pareilles… sornettes? »

Susanna n’avait quand même pas été stupide au point de lui faire cet aveu ? Mais si ce n’était pas elle, alors qui ? Candy n’en avait jamais parlé. À personne. Elle avait gardé cette douloureuse promesse cachée tout au fond d’elle-même. Une promesse accompagnée d’une telle charge émotionnelle, de tant de détresse et de regrets qu’elle avait eu toutes les peines du monde à la tenir… Combien de fois n’avait-elle eu envie de tout plaquer là et de courir retrouver Terry à New-York ? Et combien de fois ne s’était-elle posé cette même question, celle qu’il venait de lui poser : comment, mais comment avait-elle bien pu prendre un tel engagement?

Terrence observait Candy dont les pommettes avaient encore rosi, ce qui en soi était une confession, même si la jeune fille avait tenté, bien maladroitement, de nier la réalité de sa promesse.

« Tu te souviens de ton petit patient, Balthazar ?
— Balthazar ? Tu connais Balthazar, toi ?!
— Il est venu me voir hier, figure-toi. Et il m’a parlé.
— Parlé ? Parlé ? Mais… de quoi ? fit Candy, complètement perdue.
— Eh bien… De tout ce que tu lui as confié.
— Mais… Mais…
— Tu t’es bien épanchée auprès de lui, non ? »

Candy contemplait le comédien, bouche entrouverte et sourcils comiquement relevés en accent circonflexe. Elle était vraiment irrésistible ainsi et Terrence dut faire un gigantesque effort pour maîtriser le violent élan qui le poussait vers elle. Il avait une folle envie de la serrer dans ses bras. Elle n’est pas encore prête, se raisonna-t-il, et d’ailleurs, peut-être n’en a-t-elle-même pas envie, poursuivit une petite voix perfide en filigrane. Pourtant ne venait-elle pas d’affirmer qu’elle était heureuse qu’il soit là ?

Sortant de la sidération où l’avait plongée les révélations de Terry, Candy protesta :

« Mais ce n’est pas possible ! Il était dans le coma…
— Peut-être bien, mais il t’entendait.
— Il m’entendait ?
— Aucun doute là-dessus vu ce qu’il m’a raconté. Des choses dont seuls toi et moi étaient au courant. »

Candy rougit, affreusement gênée. Elle se rappelait parfaitement de tout ce qu’elle avait raconté alors que son jeune protégé était plongé dans le coma. Elle ne se serait sûrement pas épanchée ainsi, si elle avait seulement pu deviner que celui-ci pouvait l’entendre et qu’il irait ensuite rapporter ses paroles à Terry.

« Il t’a tout raconté ? fit-elle d’une petite voix embarrassée.
— Je ne sais pas s’il m’a tout raconté, mais en tout cas il m’en a dit suffisamment long pour me faire venir jusqu’ici. Candy… »

Je t’aime , aurait-il voulu ajouter. Mais les mots restaient coincés au bord de ses lèvres. Le fermier demeurait malgré tout un obstacle de taille…

« Qu’y a-t-il entre toi et Tom ? »
— Entre moi et Tom ? Qu’est-ce que tu veux dire ? »

Candy ouvrait de grands yeux, au comble de l’étonnement. Terry insista :

« J’ai besoin de savoir…
— Mais… C’est un ami d’enfance. On a été élevés ensemble à la maison Pony…
— Oui, ça je le sais. »

Grâce à ta sympathique cousine ajouta-t-il pour lui-même.

« Mais alors, que veux-tu savoir ? » s’enquit Candy.

Puis elle eut un petit rire incrédule.

« Tu ne veux pas dire que tu crois que lui et moi… »

Elle s’arrêta, sidérée. Comment Terry avait-il bien pu s’imaginer une chose pareille ? Terrence la considéra un long moment sans rien dire puis finit par laisser tomber d’une voix atone :

« Je vous ai vu tous les deux.
— Tu nous as vus ? Tous les deux ? Mais quand ça ?
— Tout à l’heure, dans son ranch. »

Candy en resta sans voix et le silence s’étira d’une singulière façon. Se pouvait-il que l’étrange sensation qu’elle avait éprouvée cet après-midi–là coïncidât avec la venue de Terry au ranch ? Se pouvait-il qu’elle eût véritablement senti sa présence ? Mais que faisait-il dans le coin ? Et pourquoi ne s’était-il pas manifesté ? Alors qu’il l’avait vue… Il venait de l’affirmer… Il était donc venu, l’avait vue et au lieu de faire comme un certain Jules César, il était reparti ? Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ?

« Dans son ranch ?!
— Oui…
— Tu veux dire que tu nous… espionnais ?
— Pas du tout, je ne vous espionnais pas…
— Qu’est-ce que tu faisais alors ? Tu étais là par hasard peut-être ? Pourquoi n’as-tu pas frappé à la porte ? Tu as eu peur quand tu m’as vue ? »

Le ton montait petit à petit.

« Tes vêtements étaient éparpillés par terre…
— Et tu oses dire que tu ne nous espionnais pas ?
— Tu étais dans ses bras, nue…
— Comment ça, nue ? D’abord je n’étais pas nue… répliqua Candy en haussant encore le ton, indignée, et je te prierai de ne pas tirer de conclusions hâtives alors que tu… »

La porte s’ouvrit brusquement et l’infirmière, qui avait été alertée par les éclats de voix, se hâta dans la pièce, suivie de près par Albert.

« Candy ! » s’écria ce-dernier au comble du soulagement en se précipitant vers sa protégée pour l’embrasser, tandis que Terrence, qui n’avait pas osé en faire autant, l’observait avec une pointe de jalousie.

« Pourquoi n’avez-vous pas sonné ? lui reprocha sévèrement l’infirmière avant d’ausculter avec beaucoup de professionnalisme et d’efficacité la jeune malade qu’Albert avait fini par lâcher.
— Comment va-t-elle, s’enquit ce dernier, toujours très préoccupé malgré tout.
— Je me sens parfaitement bien, Albert, ne t’inquiète pas, lui répondit Candy en lui dédiant un sourire lumineux.
— Il semble en effet qu’elle soit complètement remise, c’est tout à fait extraordinaire ! confirma l’infirmière en reposant ses accessoires.»

Elle était sidérée. Dans toute sa longue carrière elle n’avait jamais constaté rémission aussi surprenante. Soudaine et complète. C’était tout bonnement incroyable. Un vrai miracle. Elle considéra d’un œil neuf le jeune acteur qu’elle venait d’admonester. Qu’avait-il bien pu faire pour ramener de façon si spectaculaire la petite André à la vie ?

« Je vais prévenir le médecin » annonça-t-elle avant de s’éclipser.


à suivre...


*Note de l’auteur : C’est Terrence Graham et nul autre qui est véritablement à l’origine de l’image en rouge et blanc que nous avons actuellement du père Noël, quoi que vous puissiez lire ou entendre dire par ailleurs…
view post Posted: 31/1/2022, 16:42 Les Rois Mages - Fanfics pour tous les âges
Chapitre 4

Tempête



Il y avait en réalité deux chevaux, mais un seul cavalier. La jument baie que montait ce dernier avait pilé juste devant Élisa Legrand, la recouvrant de gros paquets de neige humide et glaciale, qui s’étaient infiltrés partout et lui avaient arraché un cri de protestation et de rage : elle venait de trébucher et s’était retrouvée, de façon bien peu esthétique, les quatre fers en l’air, après s’être vivement reculée pour éviter ce cavalier incapable de tirer correctement sur ses rênes. Celui-ci, sans même un regard pour elle, s’était jeté à bas de sa monture, décrochant dans le même geste fluide le lasso qui pendait à sa selle, avant de se précipiter vers la jeune femme en perdition sur le lac gelé.

« Candy ! » hurla-t-il en arrivant près du bord du lac sur lequel il ne fit pas la folie de s’avancer.

C’était bien assez d’une personne, prisonnière de cette eau glacée. Qu’avait-il bien pu lui passer par la tête pour s’aventurer ainsi sur de la glace non encore stabilisée ? Elle n’était pourtant pas née de la dernière pluie et savait le danger qui guettait l’imprudent trop audacieux ! Fort heureusement, le sol à cet endroit descendait en pente douce et Candy, quoique relativement éloignée du bord, n’avait de l’eau que jusqu’à la taille. Mais, même jusqu’à la taille, c’était déjà bien trop par cette température glaciale. Sans perdre une minute il fit tournoyer son lasso, et d’un geste sec et adroit du poignet l’envoya droit au but, comme il l’avait déjà fait des milliers de fois. Dès que la jeune fille eut passé la corde sous ses bras, il raffermit sa prise et après s’être calé contre un rocher, il commença à tendre la corde pour aider son amie à se hisser hors de l’eau. Après maints efforts, elle finit par se retrouver sur la neige et il se mit à tirer avec plus de vigueur sur la corde pour ramener au plus vite près de lui la pauvre Candy. Elle tenait toujours entre ses doigts crispés par le froid le précieux paquet pour lequel elle venait de risquer sa vie.

« Candy ! Que s’est-il passé ? » s’écria-t-il à nouveau en la débarrassant de la corde qu’il ne prit pas le temps d’enrouler à nouveau autour de son bras. Il reviendrait la chercher plus tard.

Sans attendre une réponse qui ne venait pas, il ouvrit sa pelisse et soulevant sans difficulté la jeune blonde frigorifiée, il l’installa tout contre lui, lui offrant la chaleur de son corps, avant de la recouvrir de son manteau et de remonter avec elle en haut de la berge. Candy, frissonnante et les lèvres bleuies par le froid, n’arrivait plus à parler, mais son regard exprimait toute sa reconnaissance.

La rouquine, qui avait fini par se relever en pestant – on ne se refait pas – les observait d’en haut et le jeune homme se demanda un instant si ce n’était pas elle qui avait poussé Candy… Il en avait tant entendu à son sujet !

« Élisa Legrand, je suppose ? » s’enquit-il tout en récupérant d’une main les rênes des deux chevaux qui l’attendaient sans broncher.

La fille l’observait avec le mépris des gens riches pour les petites gens et s’enquit à son tour, d’un air méfiant :

« Comment connaissez-vous mon nom ?
-Eh bien, comme Candy n’a qu’une cousine… Vous savez monter à cheval ?
-Évidemment, pour qui me prenez-vous ?
-Vous pourriez aller jusqu’à l’orphelinat, avertir Mademoiselle Pony de ce qui s’est passé et leur dire que Candy est avec moi ?
-C’est-à-dire, avec ma cheville enflée, ça va être dur… fit la rouquine en boitillant.
-Vous pouvez ou vous ne pouvez pas ? »

Élisa réfléchit et une lueur étrange s’alluma dans ses yeux.

« Je vais faire ce que je peux, je dois bien ça à ma cousine… »

L’homme l’observa les sourcils légèrement froncés, mais il n’avait pas le temps de chercher à comprendre les motivations de cette fille. Candy était clairement en hypothermie et avait besoin de se réchauffer rapidement.

« Dites-leur que je ramène Candy au ranch, lui dit-il en lui tendant les rênes du second cheval avant de remonter sur le sien.
-Et vous êtes qui ?
-Ah, oui… Pardon. Je suis Tom.
-Tom ? Je n’ai jamais entendu parler de vous… »

Moi, par contre… faillit dire Tom, mais il se reprit juste à temps et déclara seulement :

« Ne vous inquiétez pas ! Candy et moi avons été élevés ensemble à la maison Pony ! Tout le monde me connaît là-bas.»

Et comme il sentait Candy trembler et frissonner contre lui, il ne s’attarda pas davantage et lança son cheval au galop, sans plus prêter attention à Élisa. Il avait d’autres chats à fouetter à présent. Dieu merci, le ranch ne se situait qu’à quelques kilomètres de là.


--oooOOOooo—




Terrence était assis en face de Mademoiselle Pony, une tasse fumante à la main. Il savait que Candy devait arriver d’une minute à l’autre, mais l’attente s’étirait de façon incroyablement pénible, malgré la gentillesse des deux charmantes dames de l’orphelinat qui étaient venues l’accueillir avec une amabilité et une bienveillance qu’il avait senties sincères. Puis Sœur Maria avait dû se retirer pour vaquer à ses occupations – à savoir à cette heure-ci, préparer un goûter conséquent – tout en veillant sur la petite troupe pleine de vie qui nécessitait une attention de tous les instants. Lui se sentait de plus en plus nerveux et impatient. Et si elle ne venait pas ? S’il lui était arrivé quelque chose ? Son hôtesse l’observait, un léger sourire aux lèvres, tandis que pour la énième fois il passait fébrilement sa main dans ses longs cheveux bruns, pour remettre en place une mèche rebelle imaginaire.

« Vous savez, Candy ne manquerait pour rien au monde ses rendez-vous avec nos petits pensionnaires ! Ne vous inquiétez donc pas… Elle ne va pas tarder ! Elle a dû faire un tour à la clinique… »

Le jeune homme, gêné, se rendit compte que sa nervosité était visible comme le nez au milieu de la figure. Bon sang ! En tant qu’acteur, il aurait dû savoir jouer l’indifférence, ou au moins être capable de montrer un certain détachement. Il lui fit un sourire un peu embarrassé avant de remarquer :

« Vous avez sûrement beaucoup à faire vous aussi, avec une si grande maisonnée, et je vous retiens…
-Oh, mais je suis très heureuse de discuter à nouveau avec vous. Candy nous a tant parlé de vous.
-Ah ? »

Terrence, qui avait noté le temps qu’avait employé son interlocutrice, dut se faire violence pour ne pas poser la question qui lui brûlait les lèvres « Et maintenant ? Est-ce qu’elle vous parle encore de moi, maintenant ? ». Comme en réponse à sa question, la vieille dame poursuivit, songeuse :

« Il est vrai qu’à présent, elle est devenue plus secrète. »

Le comédien sentit ses épaules s’affaisser malgré lui. Ce que venait de déclarer la vieille dame ne signifiait rien en soi, et pourtant, il ne pouvait s’empêcher de penser que si Candy ne parlait plus de lui, c’était sans doute, c’était sûrement, qu’elle – au moins – avait réussi à passer à autre chose. Mademoiselle Pony se leva en s’excusant, elle aussi avait à faire. Terrence se leva en même temps qu’elle.

« Vous pouvez rester ici, ou vous joindre à nous si une bande de gamins bruyants et excités ne vous fait pas peur.
-Je vais plutôt aller attendre Candy dehors…
-Mais non ! Restez donc ici, il y fait bien meilleur !
-J’ai… J’ai besoin de prendre un peu l’air. »

Il avait aussi et surtout besoin du réconfort que pourrait lui procurer une petite cigarette, mais cela, il ne l’aurait avoué à aucun prix à la vieille demoiselle qui lui souriait si gentiment.

« Comme vous voudrez… Cependant, n’hésitez pas à venir vous réchauffer ici si vous en avez assez d’attendre dehors par ce froid. Vous savez que vous êtes le bienvenu. »

Oui, cela, il l’avait bien senti. Et pourtant il était mal à l’aise, espérant et redoutant à la fois, l’arrivée de Candy qui mettrait un point final à ses interrogations et sans doute aussi, à ses rêves. Il sortit, sous le regard bienveillant de Mademoiselle Pony, referma doucement la porte derrière lui et s’avança dans la neige.

L’étalon gris qu’il avait attaché à un anneau, près de la grange tourna sa belle tête racée vers lui. Balthazar et ses frères n’avaient rien laissé au hasard. En arrivant en gare de La Porte, le comédien avait trouvé, mise à sa disposition, une voiture de sport de la même marque que celle qu’il conduisait habituellement et qui lui avait permis de rejoindre son hôtel sans encombre, malgré la neige qui commençait à recouvrir le sol. La réservation à l’hôtel avait été faite sous un nom d’emprunt et suprême attention, il avait découvert que l’attendait dans l’écurie attenante à l’hôtel ce magnifique spécimen anglo-arabe. Pour circuler en cas de neige, était-il précisé sur le papier. L’animal, voyant revenir son cavalier, émit un son doux et grave en s’agitant un peu. Terrence s’approcha pour lui flatter l’encolure en lui murmurant « Tout à l’heure, tout à l’heure… »

Puis il s’éloigna suffisamment de l’orphelinat avant d’oser allumer sa cigarette. Mais le moment était-il bien choisi pour s’adonner à ce péché mignon qui mettait Candy dans tous ses états ? Si elle le surprenait, elle se fâcherait tout rouge, pour sûr, et les taches de rousseur qui parsemaient son visage mutin et la rendaient si craquante n’en seraient que plus apparentes… Terrence, sourit à cette seule évocation et la cigarette à la main, il sortit son briquet, déjà rasséréné. Mademoiselle Tarzan devrait se faire à l’idée qu’il fumait toujours. Mais il n’avait pas plus tôt tiré sur sa première bouffée qu’il aperçut un cheval au loin. Ni une, ni deux, la cigarette à peine commencée fut envoyée d’une chiquenaude dans la neige. Mais au fur et à mesure que se rapprochait la cavalière, car c’était bien une cavalière, notre comédien, après le frisson de joie et d’excitation qui l’avait parcouru, commença à se poser des questions. Cette silhouette… Ce ne pouvait être Candy… Terrence fut extrêmement contrarié lorsqu’il comprit qu’il avait affaire à…

« Élisa !? »

Il s’était attendu à tout mais certainement pas à l’irruption de l’insupportable rousse qui semblait faire une tache malvenue dans cette blancheur immaculée. La cavalière arrêta son alezan, ou plutôt celui que lui avait prêté Tom, tout près du comédien, et lui sourit du haut de sa monture, savourant son air surpris et se délectant à l’avance du tour qu’elle comptait lui jouer s’il se montrait ne serait-ce qu’un poil désagréable avec elle.

« Tiens, Terrence… Le grand Terrence Graham… Je croyais que tu avais un gala ou je ne sais trop quoi hier soir à New-York ? Qu’est-ce qui t’amène dans ce trou perdu ?
-Je pourrais te retourner la question ! déclara l’acteur sans aménité.
-Oh… On a l’air de mauvaise humeur ! J’habite dans la région, moi, je te signale…
-Et, bien sûr, tu viens rendre visite aux orphelins du coin ! Comme c’est touchant ! Je reconnais bien là ton altruisme légendaire ! »

Le sarcasme et le mépris étaient évidents dans la voix de Terry et Élisa qui contenait à grand-peine sa fureur, lui lança :

« Si tu veux tout savoir, Tom m’a demandé de prévenir les dames de l’orphelinat que Candy ne pourrait pas venir cet après-midi comme prévu.
-Tom ?
-Tu ne connais pas Tom ? » minauda la rouquine avec une satisfaction manifeste, sa colère soudain envolée.

Ah… Comme il était bon de voir qu’on était à nouveau maître du jeu. Elle décida de pousser son avantage.

« Alors, tu ne dois pas savoir non plus qu’elle sort avec lui depuis quelque temps déjà ? Il faut dire qu’ils ont été élevés ensemble, ça crée des liens ! »

Terrence avait absorbé le choc de cette révélation sans broncher. Mais il était tout de même resté un moment sans voix. Élisa, elle, exultait, comme vous pouvez vous l’imaginer. C’était vraiment trop facile ! Un petit mensonge et hop le tour était joué… Quoique… Était-ce vraiment un mensonge ? Vu la façon dont le dénommé Tom s’était précipité pour secourir cette moins que rien de Candy et la serrer ensuite fébrilement dans ses bras, il n’était pas exclu que, de son côté à lui tout du moins, l’amitié ne fût pas le seul moteur de leur relation.

Comme le silence glacial que lui opposait l’acteur se prolongeait, Élisa, quelque peu agacée, poursuivit en ricanant :

« C’est si chou ! Deux orphelins… Je les trouve si parfaitement assortis ! Le fermier et la fille d’écurie !
-La ferme Élisa…
-Ne me dis pas que tu en pinces toujours pour cette catin qui couche avec tout ce qui lui tombe sous la main ?! »

Elle avait eu une moue dégoûtée et Terrence dut faire un violent effort sur lui-même pour ne pas laisser éclater la colère qui grondait en lui et se jeter sur l’odieuse créature qui le narguait du haut de sa jument, pour la faire dégringoler de son piédestal et lui donner l’occasion de vérifier de près, de très, très près, à quoi ressemblait la neige ! Cela aurait été si rafraîchissant, pour elle comme pour lui ! Cependant il réussit à se contrôler. Et il réussit même à esquisser un sourire et à ne pas mettre dans ce sourire tout le mépris qu’il éprouvait pour cette fille dont le but ultime semblait être de faire de la vie de Candy et de la sienne, par la même occasion, un enfer. Il n’allait tout de même pas se laisser déstabiliser par les déclarations de cette langue de vipère, dont les mensonges avaient déjà fait suffisamment de dégâts dans le passé, non ? D’ailleurs elle n’avait pas eu l’air plus surprise que cela de le rencontrer en ces lieux. C’était plus qu’étrange… Que mijotait-elle ? Il la dévisagea, puis lâcha sur un ton neutre :

« Ne dis pas de bêtises, Élisa. Candy, c’est de l’histoire ancienne…
-Ah ? Vraiment ? Qu’est-ce que tu fais là, alors ?
-Je comptais juste fumer une cigarette, fit Terrence en ressortant son paquet entamé. Ça te gêne ? Tu en veux une peut-être ?
-Tu as très bien compris de quoi je parle !
-Oh… ça… fit le comédien en tournant la tête vers l’orphelinat. Je crois que ça ne te concerne pas le moins du monde, Élisa. Et si tu cherchais quelque chose de croustillant à te mettre sous la dent tu vas en être pour tes frais : sache que c’est purement professionnel.
-Purement professionnel ? Tu te paies ma tête ?
-Ma foi, peut-être bien …»

Élisa, rouge comme une tomate et au comble de la fureur, se mit à hurler : « Tu vas me le payer », tout en gesticulant comme un pantin désarticulé. Se faisant, elle abattit violemment, mais tout à fait involontairement, son poing sur l’encolure de sa monture, tandis qu’un de ses talons s’enfonçait brutalement, et de façon pas plus réfléchie, dans le flanc de la malheureuse bête qui, obéissant docilement à l’injonction de sa cavalière, bondit en avant, laissant notre pauvre rouquine qui ne s’y était pas du tout préparée sur place. Enfin, quand je dis « notre pauvre rouquine » ce n’est évidemment, vous l’aurez compris, qu’une façon de parler…

Terrence, au contraire, avait un peu anticipé la réaction de la jument et avec un art consommé de la chose équestre, avait saisi au vol les rênes qui pendaient, libres sous le mors. Tout en calmant l’animal de la voix, il lui avait emboîté le pas sur quelques mètres et avait réussi à briser son élan. À présent, il lui tapotait affectueusement l’encolure. Quelle bête formidable… Elle avait fait ce que lui n’avait osé faire ! Malgré tout, grand seigneur, Terrence revint vers Élisa et lui tendit une main secourable, étouffant tant bien que mal le fou rire qui le gagnait à la vue de la posture bien peu distinguée dans laquelle la rouquine se trouvait. Mais celle-ci, vexée au plus haut point, ignora délibérément l’aide qu’il lui offrait et enfourcha sa monture, sans un regard pour lui.

« Bon, alors, lui lança-t-il goguenard tandis qu’elle s’éloignait au trot. Tu comptes prévenir ces dames ou tu préfères que je le fasse pour toi ? »

Puis il secoua la tête, le regard toujours moqueur. Ce serait à lui d’annoncer la nouvelle en fin de compte et en prenant soudain conscience de ce qu’il devait annoncer, l’image de Candy dans les bras d’un autre, surgit avec une douloureuse acuité dans son esprit, le faisant brutalement choir du petit nuage d’allégresse sur lequel l’avait propulsé la déconvenue d’Élisa. Et le besoin d’une bonne cigarette se fit aussitôt sentir, plus pressant que jamais.


--oooOOOooo—




« Élisa est passée.
-Élisa ? Élisa Legrand ?? »

Terrence acquiesça d’un bref hochement de tête. Mademoiselle Pony semblait tout à fait déconcertée par la nouvelle et s’étonna :

« Élisa Legrand ?! Mais que voulait-elle ?
-Elle voulait vous prévenir que Candy ne viendrait pas. Elle est, paraît-il, chez un certain Tom. »

Terrence supposait que ce Tom-là était celui dont lui avait parlé Candy, autrefois, sans toutefois en être absolument certain.

« Chez Tom ? s’exclama la directrice de l’orphelinat, au comble de l’étonnement. Mais que peut-elle bien faire chez Tom ?
-Je n’en sais rien… »

Le comédien avait haussé les épaules, mimant l’ignorance et une indifférence qu’il était loin de ressentir. Il préférait passer sous silence les allégations de la rouquine concernant Candy et ce fermier et scrutait attentivement le visage de son interlocutrice, cherchant à y déchiffrer ses pensées les plus profondes. Avait-elle appris quelque chose à propos de Tom et de Candy qu’elle lui aurait dissimulé à dessein ? Rien ne permettait de le supposer.

Un pli soucieux barrait le front déjà bien ridé de Mademoiselle Pony : que Candy décide de rester chez Tom, alors que celui-ci était censé passer lui aussi à l’orphelinat pour s’occuper du sapin, était déjà plutôt étonnant, mais qu’elle ait envoyé sa cousine les prévenir qu’elle ne viendrait pas lui paraissait proprement inconcevable.

« J’espère qu’il ne lui est rien arrivé ! » murmura-t-elle comme pour elle-même.

La façon dont la vieille dame avait prononcé ces quelques mots mit tous les sens de l’acteur en alerte.

« Pourquoi dites-vous cela ? s’enquit-il, soudain inquiet. Vous pensez qu’il lui est arrivé quelque chose ?
-Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, ce n’est pas du tout le genre de Candy de laisser tomber les enfants ! Surtout de façon si cavalière… Et que sa cousine y soit mêlée ne m’inspire pas particulièrement confiance…
-Pourquoi ne pas téléphoner à ce Tom et lui demander ce qui se passe ?
-Nous n’avons pas le téléphone… D’ailleurs Tom ne l’a pas non plus. Par contre, si j’osais… »

Mademoiselle Pony, s’interrompit, un peu embarrassée, mais Terrence avait saisi le souhait de la vieille dame.

« Vous voudriez que j’aille vérifier si tout va bien ? »

Le visage de Mademoiselle Pony s’éclaira d’un coup.

« Oh oui… Ce serait une excellente idée !
-Eh bien, dites-moi juste comment accéder là-bas.»


--oooOOOooo—




Il commençait déjà à faire presque nuit lorsque Terrence arrêta sa monture derrière le ranch du dénommé Tom. Quelques hennissements assourdis saluèrent son arrivée, étouffés par la neige qui s’était mise à tomber dru et amortissait le moindre son. Après avoir attaché son cheval à la barrière qui courait le long du mur de la maisonnette en rondins, il se mit en devoir de contourner le bâtiment et se figea en passant près d’une des fenêtres. Ce qu’il avait aperçu du coin de l’œil le prenait de cours : à l’intérieur de la pièce, des vêtements étaient éparpillés au sol dans le désordre le plus complet, ce qui prouvait au moins une chose, c’est qu’ils avaient certainement été enlevés à la va-vite. Et une analyse plus détaillée lui apprit qu’il s’agissait à n’en pas douter, de vêtements féminins. Le comédien, en état de choc, essayait désespérément de donner à cette vision troublante un autre sens que celui qui lui était venu tout naturellement à l’esprit. Il eut subitement l’impression qu’un froid polaire s’insinuait au plus profond de son être, et la belle flambée qui brûlait à l’intérieur, haute et claire, dans l’énorme cheminée qui mangeait tout un pan de mur ne pouvait lui être d’aucun secours.

Mais Terrence n’avait pas encore tout vu. À travers le garde-corps ajouré de l’escalier qui faisait face à la fenêtre, il distingua d’abord une jambe, puis une autre. Quelqu’un descendait prudemment les marches de l’escalier, sans doute le maître des lieux. De ses bras pendait une épaisse couverture beige qu’il tenait précautionneusement serrée contre lui et de laquelle notre comédien préféré vit avec effarement dépasser une masse de cheveux blonds humides et une épaule. Ronde, blanche… et nue ! Sa Taches de Son… dans les bras de ce… de ce rustre !

Il dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas laisser échapper le cri de dénégation désespéré qui était sur le bord de ses lèvres. Candy… Non !! La joie qu’il s’était imaginé éprouver en retrouvant enfin celle qu’il avait perdue de vue depuis si longtemps, n’était pas au rendez-vous ! À sa place, une souffrance incommensurable lui broyait les entrailles, et il se sentait anéanti, son cœur soudain vidé de toute espérance. Dans le même temps, une sourde fureur commençait à l’envahir. Comment avait-il pu être assez bête pour s’imaginer que Candy allait l’attendre indéfiniment ? Quelle idée stupide que ce voyage ! Il se maudit et maudit le gamin qui lui avait fait miroiter un hypothétique avenir heureux, faisant renaître en lui un fol espoir. Un espoir qui n’attendait que ce petit coup de pouce. Un espoir qui venait brutalement de se dissiper dans l’éther le laissant amer et accablé. Il ne lui restait donc plus qu’à repartir pour New-York et retrouver ce semblant de vie qu’il s’était imposé en laissant partir sa Taches de Son ce soir-là… Comment ça, non ? Qu’auriez-vous fait à sa place ? Il n’allait tout de même pas frapper en toute simplicité à la porte et déclarer : « Coucou, c’est moi, j’espère que je ne dérange pas… » ?! Admettez que ce serait un peu inconvenant, tout de même. Non, il n’y avait pas à tergiverser et Terrence savait qu’il était inutile de s’attarder plus longtemps : rien ne le retenait plus en ces lieux. Pourtant il restait là comme hypnotisé devant ce spectacle qui était en train de lui déchirer le cœur, complètement inconscient des flocons qui continuaient à tomber et des tremblements qui le parcouraient et qui n’étaient pas uniquement dus à la température glaciale qui régnait au dehors.

À l’intérieur, Candy que Tom avait délicatement déposée sur le canapé, avait enfin cessé de grelotter après le bain bien chaud qu’il était allé préparer pour elle. Elle était tellement frigorifiée à leur arrivée au ranch que malgré le feu ronflant que son ami avait ranimé sitôt la porte franchie, elle avait été incapable d’esquisser le moindre geste pour se déshabiller et c’était lui qui avait dû la débarrasser à la hâte de ses vêtements trempés. Elle ne se sentait pas du tout gênée d’être en petite tenue devant lui. Il était son frère et elle pensait être pour lui comme une sœur. Cependant le regard qu’il portait maintenant sur elle alors que l’inquiétude et la tension qui avaient suivi l’accident commençaient à se dissiper semblait affirmer le contraire. Soudain embarrassée, elle resserra autour d’elle la chemise qu’il lui avait prêtée et qui, bien trop grande pour elle, avait un peu glissé, remonta la couverture et se mit à penser que c’était le regard d’un autre homme qu’elle aurait voulu voir posé ainsi sur elle, sans imaginer une seconde que l’objet de ses pensées ne se trouvait qu’à quelques mètres à peine d’elle, le cœur en lambeaux.

« Tom, il faudrait apporter ce médicament à la clinique maintenant…
-Pas de problème. Je vais le faire, mais tu prendras bien une boisson chaude d’abord ?
-C’est urgent Tom !
- Ça attendra bien cinq minutes… Un café, ça te va ?
-Bon, d’accord… »

Tandis que le jeune homme quittait la pièce pour préparer ledit café, Candy, un peu agacée, ne put retenir un profond soupir. Elle n’avait tout de même traversé ce qu’elle venait de traverser pour s’entendre dire en gros, que le médicament pour lequel elle avait bravé tous les dangers pouvait attendre et qu’il fallait qu’elle boive d’abord un café... Pourtant, si. Elle savait que Tom pouvait se montrer aussi têtu qu’elle. Et elle ne pouvait se permettre de froisser son ami, après ce qu’il venait de faire pour elle. Elle n’avait qu’à se dépêcher de le boire, ce café.

Un mouvement capta son attention, du côté de la fenêtre et elle se figea, essayant de percer la nuit noire qui s’étendait au dehors, sans rien voir d’autre que quelques flocons virevoltants. Pourtant, une sensation étrange l’avait envahie. Une drôle de sensation, comme si…

« Voilà ton café ! fit Tom d’une voix joviale en se penchant vers elle, l’interrompant brusquement dans ses pensées. Et ne t’inquiète pas, j’y vais… »

Et, le précieux paquet en main, il quitta le chalet, laissant à l’intérieur une Candy souriante et à peine vêtue, Terrence avait pu s’en rendre compte lorsqu’elle avait réarrangé autour d’elle la couverture après le départ du jeune homme. Une chemise d’homme ! Elle portait juste une chemise d’homme ! Certainement celle du dénommé Tom. Et elle paraissait si parfaitement à l’aise… Il en était malade. Il aurait pu aller lui parler maintenant qu’elle était seule, mais à quoi bon se torturer davantage et entendre de sa jolie bouche la réalité de ce qu’il avait fini par comprendre et admettre ? Car tout ce qui venait de se dérouler sous ses yeux ne pouvait avoir qu’une seule et unique explication. Élisa, pour une fois, n’avait pas menti.


--oooOOOooo—




Si en pénétrant dans l’hôtel, Terrence laissait derrière lui la tempête qui régnait au dehors, ce n’était certes pas le cas de celle qui se déchaînait à présent avec rage dans son cœur et son esprit. Son manteau et ses bottes étaient détrempés par la neige, mais il n’en avait aucune conscience. Il se dirigea comme un automate vers le comptoir pour y récupérer ses clefs, l’esprit annihilé par le brutal revers qu’il venait de subir et il entendit, comme dans un rêve, quelques bribes de la conversation que tenaient le réceptionniste et quelques clients à propos d’une personne qui avait failli se noyer dans le lac gelé. Il ne s’attarda pas, peu disposé à se laisser entraîner dans leur discussion. Que les gens d’ici soient assez sots pour aller s’aventurer sur leurs lacs gelés, cela ne le concernait en rien.

Il monta dans sa chambre et jeta avec humeur ses quelques affaires dans son sac. Il espérait pouvoir repartir le soir même et oublier le plus rapidement possible cet épisode malheureux… Oublier ! Comme si oublier était possible… Les yeux lui piquaient et il se servit un verre d’alcool fort qu’il vida d’un trait, en grimaçant, sans y trouver le moindre réconfort. Il lui en aurait fallu bien davantage pour faire cesser le tourbillon de pensées incohérentes et morbides qui s’entrechoquaient dans son esprit mais il ne pouvait se permettre de se noyer dans l’alcool s’il voulait pouvoir regagner au plus vite New-York. À l’employé qui s’étonnait de son départ précipité, alors qu’il venait à peine d’arriver et que son séjour à l’hôtel était censé se prolonger encore au moins une semaine, il répondit d’une voix sans timbre qu’une urgence le rappelait chez lui.

Arrivé à la gare, Terrence s’avança sur le quai, le visage fermé, le regard glacial, un pli amer au coin des lèvres. Pourquoi s'était-il ainsi laissé emberlificoter par les élucubrations du jeune Balthazar ? Alors qu’il avait fini par se faire à l’idée de cette vie insipide qui était la sienne ? Faire un tel voyage, pour un aussi piètre résultat... Quelle ironie ! Quelle absurdité ! Mon Dieu, Candy… Pourquoi ne m’as-tu pas attendu ? Il s'était plu à imaginer leur rencontre dans une infinité de situations différentes, mais jamais il n’avait envisagé cette pitoyable non-rencontre... Il s’assit sur un banc en triturant le billet qu’il venait d’acheter. Dans son malheur, il avait tout de même eu de la chance. Le train pour New-York n'allait pas tarder à entrer en gare et il avait pu sans mal obtenir une réservation. Il n’aurait donc pas à rester plus longtemps dans ce patelin où sa présence, clairement, était de trop.

Lorsque le train s’approcha, soufflant comme un vieux grand-père fatigué et bougonnant, le comédien se releva lentement et s’avança vers la voie alors que les wagons défilaient devant lui en ralentissant. La locomotive s'immobilisa enfin dans un grincement infernal et les portières s'ouvrirent. Un homme se précipita vers celle près de laquelle se tenait Terrence, pour accueillir celui qui en sortait en ahanant. Un gros homme, rougeaud et congestionné mais au visage sympathique.

« Vous avez pu avertir mon infirmière habituelle ? s'enquit le voyageur dès qu'il aperçut l'autre.
-J’ai eu la clinique, mais il y a eu un problème… »

Terrence s’éloigna rapidement, n’ayant aucune envie d’entendre parler d’infirmières – cela lui rappelait trop douloureusement celle qu’il était venu retrouver, celle qu’il avait espéré retrouver… En vain… En vain… Il se hissa dans un autre wagon, un peu plus loin, avec l’impression de porter sur ses épaules toute la misère du monde. Il rejoignit d’un pas traînant sa place et s’installa en face d’un type qui ne daigna même pas lever les yeux du journal derrière lequel il semblait se dissimuler, ce qui, soit dit en passant, l’arrangeait. Il aurait été incapable de tenir la moindre conversation avec qui que ce soit. Après plus d’une demi-heure d’attente, le train s’ébranla enfin.

Retour à la case départ, songea le jeune acteur, en refoulant ses larmes, infiniment malheureux. Il ferma les yeux avec la pénible sensation d’un nouvel et irrémédiable gâchis.


à suivre...
view post Posted: 30/1/2022, 21:20 Les Rois Mages - Fanfics pour tous les âges
Chapitre 3

La nuit des Rois




Terrence se laissa choir avec un soupir d’aise à la place dont il avait hérité. Elle n’était à l’évidence pas aussi confortable que la luxueuse cabine douze qu’il aurait dû occuper, avec sa moquette épaisse, son lit moelleux et bien-être suprême, son cabinet de toilette qui lui aurait été bien utile pour se rafraîchir après cette trépidante journée et la nuit qu’il allait passer, mais au moins il était dans le train pour La Porte et cet entêté de contrôleur ne pouvait plus rien contre lui. S’il était soulagé, il se sentait également au bord de l’épuisement, aussi bien physiquement qu’intellectuellement. La tension constante à laquelle il s’était soumis durant les quelques semaines qui venaient de s’écouler n’y était certes pas étrangère, mais c’était sans nul doute le tourbillon dans lequel il s’était laissé emporter ces dernières heures qui l’avait achevé. Il souleva un coin du rideau qui masquait la fenêtre pour contempler le paysage fantomatique qui défilait au dehors, faiblement éclairé par un petit croissant de lune. Et c’est là qu’il la vit, belle, lumineuse et spectaculaire… Spectaculaire ? Mais qui ? Eh bien, la comète, bien sûr ! Avec toute l’effervescence qui avait précédé la mise en route du spectacle, sans parler de son tête-à tête avec Balthazar, cette histoire de comète lui était totalement sortie de l’esprit. Pourtant les journaux en faisaient tout un foin : on ne reverrait pas sa pareille de sitôt, il ne fallait la manquer à aucun prix, bref, c’était la comète du siècle… Et il fallait avouer que dans ce ciel d’encre, il était difficile de ne pas se laisser captiver par la traînée argentée qu’elle dessinait dans sa course. Le plus curieux, constata soudain notre voyageur éberlué, était qu’elle donnait l’impression d’avoir la même destination que lui… Il laissa échapper un petit rire incrédule : avec ces trois « rois mages » qui venaient de bouleverser sa vie à la veille de Noël, le tableau était au complet…

Terrence les yeux fixés sur le brillant sillage de la comète laissa vagabonder ses pensées, lesquelles, vous vous en doutez bien, ne s’attardaient jamais bien loin de sa délicieuse Candy. Que faisait-elle à cette heure-ci ? Elle était peut-être sur le point de se coucher ? Un petit sourire coquin étira ses lèvres, lorsqu’il l’imagina en train de se changer… Mais la sensation agréable qui accompagnait cette évocation s’évapora brusquement pour se muer en une sourde inquiétude. Et si elle n’était pas seule ? Et s’il était en train de commettre l’erreur la plus effroyable de sa vie ? Non, songea-t-il en fronçant les sourcils, c’était tout bonnement impossible, pour la simple et unique raison que sa plus effroyable erreur, il l’avait déjà commise, plusieurs années auparavant. Et il ne pourrait jamais se la pardonner sauf si… Sauf si quoi, Terry ? Tu crois vraiment qu’elle va te tomber dans les bras ? Tu crois vraiment qu’elle n’a pas refait sa vie ? Tu crois vraiment tout ce que t’a raconté ce Balthazar sorti de nulle part ? Il faut croire que oui, puisque te voilà assis dans ce wagon, espérant... espérant quoi au juste ? T’a-t-elle ne serait-ce qu’une seule et unique fois déclaré qu’elle t’aimait ? Non. La réponse était simple et claire et c’était non. Et cette certitude le minait.

Et, bien qu’il fût dans ce train qui le rapprochait à chaque instant de sa jolie Taches de Son et bien que le jeune Balthazar eût affirmé haut et fort qu’elle ne l’avait point oublié, le comédien ne pouvait empêcher son esprit tourmenté d’échafauder des scénarios tous plus démoralisants les uns que les autres, où son rôle se bornait à prendre acte de situations auxquelles ni lui, ni personne d’autre ne pouvait plus rien changer. Heureusement il finit par sombrer dans les bras de Morphée, vaincu par la fatigue. Mais son sommeil fut agité et peuplé de cauchemars où un Anthony revenu d’entre les morts, secouait en ricanant une réservation de train devant son nez, tout en tenant de façon fort possessive une Candy tout sourires qui s’abandonnait avec délectation entre ses bras, et ce cruel tableau ne pouvait que balayer d’un coup tous ses espoirs de reconquérir son amour perdu.

À quelques wagons de là, Élisa pestait en voyant que toutes ses manigances, euh pardon, que toutes ses géniales tentatives avaient échoué. Elle avait profité d’un arrêt pour télégraphier à son frère de venir la chercher le lendemain à la gare. Et depuis, elle se terrait dans sa cabine, furibonde. Elle se ferait servir ses repas ici-même. Pas question de prendre le risque de croiser Terry au détour d’un couloir ou dans le wagon restaurant. Elle aurait bien sûr adoré aller minauder auprès de lui, mais pour une fois elle avait suivi la voie de la sagesse qui lui conseillait d’éviter de se faire remarquer. Il valait mieux rester à l’écart pour l’instant. Et trouver un nouveau plan de bataille. Comment allait-elle empêcher ces deux-là de se retrouver ? Il fallait absolument trouver quelque chose ! Elle ferma les yeux, et tapa du pied, irritée au plus haut point de ne pas avoir davantage d’idées et le jeune employé qui se présenta juste à cet instant pour prendre sa commande pour le lendemain dut subir les foudres de la rouquine qui avait enfin trouvé quelqu’un sur qui passer ses nerfs. Aucun des plats proposés n’avait l’heur de lui plaire : ils étaient tous d’une affligeante banalité. D’ailleurs, rien, dans cette cabine, ne lui convenait. Le rideau ne descendait pas assez bas et fermait mal, les draps du lit faisaient des plis, la lampe éclairait trop, ou pas assez peut-être, je ne sais plus trop, le moquette était d’un jaune sale à faire vomir, il y avait une petite tache sur le lavabo, là, dans ce coin… Et la liste n’en finissait plus. Le pauvre homme qui n’y était pour rien et qui n’y pouvait pas grand-chose non plus, faisait le dos rond et laissait passer l’orage, avec des « Oui, Madame », des « Mais bien sûr, Madame » et force courbettes et sourires contraints, espérant apaiser, sans vraiment y réussir, la furie qui se démenait devant lui en secouant en tous sens ses anglaises rousses. Lorsqu’enfin il put quitter la cabine, il poussa un énorme soupir de soulagement avec l’impression qu’il venait d’échapper à l’enfer… À l’intérieur, Élisa continuait à marmonner des imprécations bien peu dignes de la femme du monde qu’elle prétendait être. Elle se mit à tourner en rond tel un lion en cage dans cette cabine beaucoup trop exiguë à son goût. Elle regrettait le compartiment douze, ô combien plus spacieux et luxueux ! Mais elle n’avait pas osé s’y installer, de peur que Terrence ne l’y découvrît. S’il commençait à lui poser des questions gênantes, elle n’était pas sûre de savoir comment y répondre. Après tout, rien ne lui permettait d’être sûre que le comédien, malgré le vol de son billet, n’ait pas retenu le numéro de sa cabine. D’un autre côté, pour d’obscures raisons qu’elle seule serait sans doute à même d’expliquer, la rouquine préférait ne pas la laisser vacante non plus et elle n’avait pas hésité à apostropher une voyageuse qui justement passait par là pour lui débiter avec un parfait aplomb un de ces mensonges éhontés dont elle était coutumière. Et elle avait réussi à persuader cette idiote crédule d’accepter le fameux billet et de ne surtout en parler à personne, question de vie ou de mort.


—oooOOOooo—




Beaucoup plus à l’ouest, dans son appartement qu’elle n’avait pas voulu quitter malgré l’insistance d’Albert qui aurait préféré qu’elle vienne habiter Lakewood, Candy était en train de rêvasser près de la fenêtre, le visage tourné vers la comète dont la trace semblait palpiter sereinement dans le ciel étoilé. Une comète qui faisait la une des journaux, comme le faisait aussi l’amour de sa vie, un amour qui était passé dans sa vie tel un météore, un amour qui lui était désormais défendu.

Terry doit la voir, lui aussi, à New-York, songea-t-elle, avec un soupir de tristesse. Est-ce qu’il pense encore à moi, parfois ? Mais qu’est-ce que je raconte, il est avec Susanna, maintenant…

Après tout un temps où elle les avait évités comme la peste, elle recommençait à lire les journaux et avait vu les photos qui montraient les deux stars de Broadway se tenant par la main, elle assise bien droite dans son fauteuil roulant et lui, debout, à côté d’elle. Elle, rayonnante et le visage souvent amoureusement tourné vers lui, tandis que son regard à lui était toujours rivé sur l’objectif et que son sourire avait quelque chose de factice.

Mais non, se morigéna-t-elle, il doit sûrement être très heureux avec elle.

Elle détourna son regard de la comète pour le laisser errer avec lassitude dans l’obscurité de la pièce. Elle se sentait si désespérément coupable de continuer à penser sans cesse à lui, de ne pas chercher avec assez de volonté et de ténacité à tourner la page et qui plus est, de persister, tout au fond d’elle-même, dans cet espoir insensé que lui ne l’avait pas oubliée non plus. Pourtant, elle en doutait de plus en plus. Si cela avait vraiment été le cas, ne lui aurait-il pas envoyé à elle aussi une invitation pour le gala qu’il avait organisé et qui, tout comme la comète faisait la une des journaux ? Il avait bien invité tout ce que le continent comptait en personnalités ! Certes, elle-même ne se considérait pas vraiment comme une personnalité, mais elle était tout de même une représentante de la famille André, connue à travers tout le pays et le fait que Terry n’ait pas daigné l’inclure parmi ses invités l’avait affectée bien plus profondément qu’elle ne voulait se l’avouer.… Elle poussa un long soupir désabusé. C’était justement aujourd’hui que ce gala devait avoir lieu. Elle ne s’y serait sans doute pas rendue, puisqu’elle avait promis à Susanna… Elle eut un moment de faiblesse et ses yeux se mouillèrent de larmes lorsque la terrible scène qui avait suivi cette promesse lui submergea l’esprit, plus vive que jamais. Cette sensation de perte irrémédiable lorsqu’elle avait quitté la chaleur de ses bras... Mais elle se redressa et s’essuya les yeux d’un geste rageur. Elle n’allait tout de même pas se remettre à pleurer… De toutes façons, Susanna, avec sa gentillesse et sa beauté devait certainement avoir réussi à gagner le cœur de Terry et s’il avait ce sourire de commande qui ne semblait pas atteindre ses yeux, c’était sûrement parce qu’il devait être débordé de travail.

C’était son cas à elle en tout cas. Jusqu’à aujourd’hui. La journée de la veille avait été particulièrement rude, un ballet ininterrompu de malades – de la grippe principalement – et d’éclopés – le verglas était toujours aussi traître. Elle avait eu un gros coup de fatigue en fin de journée et le bon docteur Martin avait exigé qu’elle prenne une semaine de repos. Une semaine ! Elle soupira. Une bonne nuit de sommeil lui aurait amplement suffi ! Elle n’avait pas besoin d’une semaine de repos. Ce dont elle avait besoin c’était de se plonger dans le travail, pour oublier… Pour l’oublier… Mais le vieux médecin avait été intraitable. Pas question qu’elle remette les pieds à la clinique, il ne voulait pas la revoir avant le jeudi suivant… Voilà pourquoi, elle était assise là à se morfondre devant la fenêtre de son salon.

La jeune infirmière se demanda ce que devenait le jeune Balthazar. Depuis l’apparition de la comète dans le ciel, ses pensées revenaient souvent à ce garçon, sans doute parce qu’il portait justement le nom d’un des rois mages. Le terrible accident de cheval lui revint en mémoire ainsi que l’atroce sensation qui l’avait assaillie, lorsqu’elle avait entendu les hennissements au loin, puis, vu, à travers la fenêtre de la clinique où elle était en train de préparer le matériel pour la journée, le cavalier chuter au moment où sa monture franchissait d’un bond impressionnant une barrière qui séparait les champs, au-delà de la route.

Elle s’était aussitôt ruée hors de la clinique, malgré ses jambes en coton, son cœur battant de façon anarchique dans la poitrine, et elle n’avait pu retenir un « Non ! » à la fois éperdu et révolté en apercevant la silhouette qui gisait à terre, inerte. Tandis qu’elle se précipitait pour lui porter les premiers secours, la ressemblance de ce jeune blond avec Anthony l’avait frappée au cœur, faisant monter en elle un flot d’émotion et de souvenirs d’une insoutenable intensité qui l’avaient paralysée, lui ôtant, durant quelques brèves secondes, toute initiative. L’impression d’être en train de revivre l’effroyable cauchemar qu’avait été pour elle la mort de son premier amour, l’avait laissée en état de choc. Fort heureusement, bien qu’inconscient, le blessé respirait encore et avec l’aide de sa collègue Flanny qui avait eu la bonne idée de la rejoindre quelques instants plus tard avec un brancard, Candy avait pu le ramener à la clinique.

Le jeune cavalier était malgré tout très mal en point et notre jolie infirmière avait dû mobiliser tout son savoir-faire et toute son énergie pour l’arracher aux griffes de la mort. Elle se souvenait encore, comme si c’était hier, de l’oppressante sensation qui l’avait saisie, alors qu’elle s’affairait auprès de lui, en essayant de maîtriser l’affolement qui la gagnait : ce garçon ne devait pas, ne pouvait pas mourir, elle l’aurait vécu comme un échec personnel. Elle se souvenait qu’elle avait pensé qu’Anthony ne pouvait pas mourir une seconde fois…

Si les deux infirmières avaient été soulagées lorsque le docteur Martin était enfin arrivé et avait pris la direction des opérations, Candy, elle, n’avait pas quitté le chevet du blessé, le veillant nuit et jour et ne cédant sa place pour rien au monde, jusqu’à ce que le médecin eût décrété que le garçon, bien que toujours dans le coma, était suffisamment remis de ses blessures pour supporter un transfert dans une unité spécialisée plus adaptée à son cas. Candy avait bien protesté, pour la forme, tout en reconnaissant que le docteur avait raison. Balthazar recevrait là-bas des soins qu’on ne pouvait lui prodiguer dans leur petite clinique. Cependant elle n’avait nullement l’intention d’abandonner « son » patient à son sort et ressentait un besoin viscéral de continuer à le suivre jusqu’à sa guérison. Elle avait donc sollicité du docteur Martin l’autorisation d’aller passer ses matinées dans le service où allait être transféré le jeune accidenté, autorisation qui, vous vous en doutez, lui avait été aussitôt accordée.

Et c’est à l’hôpital principal de La Porte, dans cette petite chambre qu’on avait attribuée à Balthazar, qu’elle avait commencé à lui parler, pour essayer de le tirer du néant où son esprit s’était réfugié, lui parler de la pluie et du beau temps d’abord, puis de choses plus personnelles, pour finir par lui ouvrir son cœur et lui conter la tristesse qui l’habitait et qu’elle essayait de cacher aux autres. Et de pouvoir s’épancher, pour la première fois depuis sa rupture avec Terry, lui avait fait un bien fou. Elle regrettait beaucoup d’avoir dû s’absenter juste au moment où le garçon, était sorti du coma et elle s’en voulait terriblement de ne pas avoir songé plus tôt à prendre contact avec son frère, qui, elle le savait, venait tous les soirs lui rendre visite. Lorsqu’elle était revenue, pour reprendre ses visites quotidiennes, Balthazar était déjà reparti dans le Maine où habitait sa famille. Il lui avait été impossible de savoir où précisément, malgré ses recherches et l’aide d’Albert.

Ce dernier devait justement venir la chercher le lendemain soir pour l’amener à Lakewood afin de fêter Noël en famille. Annie serait de la partie, ainsi qu’Archibald. Patty, qui avait perdu sa grand-mère l’été précédent devait venir, elle aussi et si Candy se réjouissait d’avoir autour d’elle tous ses amis, elle regrettait de ne pas pouvoir passer les fêtes de fin d’année avec ses chères mamans et les enfants de la maison Pony, tout aussi chers à son cœur. D’ailleurs puisqu’elle était de congé, elle en avait profité pour passer la journée avec eux et en était revenue fatiguée mais détendue et heureuse, du moins autant qu’elle pouvait l’être. Une fois de plus elle se dit que sa place était là-bas, parmi eux. C’était là-bas qu’elle se sentait vraiment chez elle : entourée de tout ce petit monde plein de vie, elle en oubliait son mal-être. Demain, dans la matinée, elle irait faire ses derniers achats pour les petits – certains d’entre eux lui avaient glissé à l’oreille le matin même ce qu’ils avaient commandé au père Noël – et elle retournerait ensuite à l’orphelinat pour y passer l’après-midi.

Candy songea un moment à Albert qui devait l’y rejoindre en soirée. Il posait depuis quelques temps sur elle un regard qui la déconcertait. D’ailleurs elle se demandait, songeuse, s’il n’était pas sur le point de l’embrasser ce dimanche d’automne, lorsqu’après une course endiablée, ils étaient descendus de cheval hors d’haleine et hilares, et s’étaient retrouvés dans les bras l’un de l’autre. Ce n’était pas la première fois que cela leur arrivait mais cette fois-là la jeune fille avait senti que c’était différent. Quelque chose dans l’attitude de son ami, quelque chose qui l’avait mise mal à l’aise. Par chance, quoiqu’il eût en tête, quelqu’un les avait interrompus en toussotant, embarrassé, avant de dégringoler à quelques pas d’eux de la branche sur laquelle il était perché. Ses longs cheveux bruns l’avaient mise en émoi et elle s’était arrachée des bras qui la retenaient encore pour se précipiter vers lui :

« Terry ?! »

Mais bien sûr, ce n’était pas Terry. D’ailleurs ses cheveux n’étaient ni aussi long, ni aussi brun que ceux dont elle se souvenait… Comment avait-elle pu le confondre avec lui ? Du reste, pourquoi Terry se serait-il retrouvé à ici, je vous le demande !

Les yeux rieurs du jeune homme avaient accroché les siens et soudain elle s’était rappelé l’avoir aperçu plusieurs fois en train d’errer dans les couloirs de l’hôpital à La Porte.

« Vous ne seriez pas par hasard…
-Je suis désolé, l’avait-il coupée, je ne cherchais pas vous espionner… »

Un peu désarçonnée par la réplique, elle en avait oublié ce qu’elle voulait demander et le métier reprenant le dessus, elle s’était inquiétée :

« Vous ne vous êtes pas fait mal ? »

Mais apparemment, l’apprenti acrobate était retombé sans dommage sur ses pieds. Il leur avait fait un sourire contrit, s’était excusé à nouveau avant de s’éclipser presque aussi soudainement qu’il était apparu. Albert, durant tout ce temps, était resté en retrait avec une indéfinissable sensation de malaise. Était-ce d’avoir entendu le cri du cœur qui était sorti de la bouche de Candy ou de constater que la jeune fille semblait si soulagée d’avoir échappé à cette étreinte qui n’avait rien de vraiment paternel ? Toujours est-il que depuis cet épisode, il n’avait plus tenté quoi que ce soit et avait même mis un peu de distance entre eux, et Candy lui en était reconnaissante. Elle l’aimait certes beaucoup, mais comme un ami ou un frère, et elle ne se sentait pas du tout prête à franchir le pas. Plus tard, peut-être…


—oooOOOooo—




Lorsque Terrence se réveilla le lendemain, il soupira en consultant sa montre. Il était encore bien tôt et on était loin d’être arrivé. Il étira ses muscles endoloris puis songea à l’enveloppe que Balthazar lui avait remise et la récupéra dans son sac. Il en sortit la lettre qu’il n’avait pas pris le temps de lire la veille et s’aperçut qu’elle ne lui était nullement adressée. Alors, comme ça, je suis censé jouer le facteur ? pensa-t-il avec un brin d’agacement, une forte curiosité s’éveillant dans le même temps en lui. Un instant, il fut tenté de décacheter l’enveloppe pour prendre connaissance de son contenu. Un instant seulement. Ce n’était pas son genre. Et de toute façon il n’allait tout de même pas suivre l’exemple de l’enfant gâtée qu’était Susanna…

D’ailleurs, justement, Susanna, parlons-en… Lorsqu’il était arrivé à la réception, la veille, en compagnie de Robert et qu’il l’avait aperçue, les yeux brillants et les joues roses de plaisir, entourée d’une foule d’admirateurs, il s’était fait la remarque qu’il ne l’avait jamais vue aussi enjouée, ou plutôt, si… maintenant qu’il y songeait, elle était ainsi, au tout début, alors qu’ils venaient de se rencontrer et qu’elle ne connaissait pas encore l’existence de Candy.

Dès qu’il avait posé le pied sur le sol en marbre de la salle brillamment éclairée, un « Aaaah ! » de satisfaction l’avait accueilli et les journalistes, tout comme une partie des invités présents, s’étaient précipités et l’avait assailli d’un feu nourri de questions, auxquelles il s’était soumis de bonne grâce sous le crépitement des flashes. Le plus étonnant était que Susanna, qui ne pouvait pas ne pas avoir remarqué cette arrivée peu discrète et qui de plus adorait être au centre de l’attention, eh bien Susanna, contre toute attente, ne s’était pas empressée de venir à ses côtés, elle s’était même discrètement éclipsée, à la suite d’un homme dont il n’avait qu’entre-aperçu la silhouette. Il en avait été quelque peu désarçonné. N’allez surtout pas y voir de la jalousie… Pas du tout… Mais ce qui venait d’avoir lieu, lui semblait juste si… si incongru, si incroyablement inattendu ! Robert lui avait chuchoté à l’oreille :

« Tu vois… Je te l’avais dit… Notre petite Susanna a trouvé un admirateur qui, ma foi, ne semble pas lui déplaire…
-Peut-être, avait marmonné le comédien, sans vraiment y croire. »

L’attroupement qui s’était formé autour du comédien, n’avait pas rebuté la petite Mary qui s’était faufilée comme une anguille pour se jeter à son cou, en le gratifiant d’un « Terryyyyy ! » joyeux. Il l’avait soulevée dans ses bras et lui avait lancé à son tour « Alors, petite crevette… ». La petite crevette en question avait protesté vigoureusement « Je ne suis pas une petite crevette ! » en lui bourrant la poitrine de ses poings menus, la mine boudeuse, provoquant des rires dans l’assemblée.

Lorsqu’enfin il avait pu rejoindre Susanna, il l’avait retrouvée seule et songeuse, dans un des salons annexes. Aucun « mon chéri » n’avait salué son arrivée, alors qu’elle en parsemait d’ordinaire à tout bout de champ ses phrases, ce qui avait le don de l’exaspérer au plus haut point. D’ailleurs, elle n’avait pas pipé mot du tout, ce qui était très inhabituel de sa part. Et elle ne s’était pas non plus pendue à son bras, comme elle avait coutume de le faire, et quoique plutôt soulagé, Terrence en avait tout de même ressenti un brin de… non, pas vraiment de frustration, je n’irais pas jusqu’à là, mais tout de même, cela l’avait un peu ébranlé dans son amour-propre.

« Où est-il ? lui avait-il demandé, plus sèchement qu’il ne l’aurait voulu.
-Qui ça ? »

Elle était l’innocence personnifiée, avec ses grands yeux bleus étonnés, et le comédien s’était demandé si Robert n’avait pas tout inventé.

« Eh bien, ton ami d’enfance…
-Oh… Tu es au courant ? »

Elle avait rougi.

« Robert m’en a touché un mot.
-Ah…
-Alors ? Où est-il ?
-Il est parti. Il s’appelle Mel…»

L’air rêveur avec lequel elle avait prononcé son nom ne lui avait pas échappé et lui avait tiré un froncement de sourcil.

« Mel… comme Melchior ?
-Co… Comment as-tu deviné ?
-Eh bien, je me demande si ce n’était pas son frère, tout à l’heure, dans ma loge.
-Oh… »

Susanna s’était tue un moment avant d’ajouter d’un ton distrait :

« C’est vrai qu’à l’époque il m’avait dit qu’il venait d’avoir un petit frère…
-Je vais partir, Susanna. Ce soir.»

La comédienne était restée silencieuse, perdue dans ses pensées. Un léger sourire flottait sur ses lèvres.

« Tu m’as entendu, Susanna ?
-Mmh ?
-Je prends le train ce soir…
-Ah ? »

Aucune protestation… C’était très étrange. Elle avait même pris un air… calculateur ? Oui… Un air calculateur. Elle s’imaginait sans doute déjà que son départ faciliterait ses retrouvailles avec le dénommé Melchior. Qu’il avait été donc stupide de croire à ses caprices d’enfant gâtée. De croire que sans sa présence constante à ses côtés, elle ne pourrait survivre. Et d’avoir pour elle sacrifié ce qu’il avait de plus précieux, sa Taches de Son. Toutes ces années gâchées à cause de ce stupide accident et de l’entêtement de cette fille qui s’était entichée de lui. Il eut envie de lui faire mal à son tour.


« Tu ne veux pas savoir où je vais ?
-Et où vas-tu ?
-Je pars pour La Porte.
-La Porte ? Près de Chicago ? Ce n’est pas là-bas qu’est partie… qu’est partie… »

Elle s’était tu, en proie à un soudain désarroi. La nouvelle et ses implications avaient fini par atteindre sa conscience et brusquement arrachée à sa douce rêverie la comédienne avait fixé son fiancé, interdite. Un peu mal à l’aise, Terrence avait gardé le silence, mais son regard et son attitude parlaient pour lui.

« Mais… Tu ne peux pas partir comme ça… Que va dire Robert ? »

Le comédien avait retenu un ricanement. Voilà maintenant que son départ risquait de contrarier Robert…

« Robert est au courant, figure-toi. Et il est d’accord.
-Robert est d’accord ? »

Il avait confirmé d’un hochement de tête moqueur.

« Et… Et moi, dans tout ça ? avait-elle fait d’une toute petite voix.
-Écoute ce sera l’occasion de te faire consoler par ton ami d’enfance. J’ai cru comprendre qu’il n’était pas insensible à ton charme et qu’il ne te laissait pas insensible non plus…»

Elle avait ouvert et refermé la bouche plusieurs fois de suite, comme un poisson hors de l’eau, incapable de former la moindre pensée cohérente – ce qui, je vous l’accorde, n’était pas chose si rare chez elle – et il regrettait maintenant le ton cynique et provocateur qu’il avait pris. Après tout, si Susanna trouvait vraiment chaussure à son pied, cela lui ôterait une belle épine du sien…


--oooOOOooo—




Lorsque le train finit par arriver à destination, en début d’après-midi, il s’était mis à neiger à gros flocons. Terrence était déjà sur le marchepied, prêt à sauter sur le quai, inspirant à plein poumons l’air froid et piquant de la petite ville, presque un village pour lui qui avait l’habitude des grandes métropoles. Enfin !!! Enfin il était arrivé ! Une étrange sensation, mélange d’exaltation et d’appréhension emplissait tout son être. Comment sa Taches de Son allait-elle accueillir son arrivée ?

Le comédien était plutôt pressé de rejoindre l’hôtel que lui avaient réservé les « rois mages » pour y faire un brin de toilette avant de partir à la recherche de Candy. S’il avait pris le temps de regarder un peu autour de lui, il aurait remarqué Daniel Legrand qui patientait, en tapant des pieds pour se réchauffer, à l’autre bout du quai et il se serait sans doute posé quelques questions surtout s’il avait attendu un peu et surpris Élisa, qui descendait précautionneusement du wagon, pour ne pas s’étaler sur le sol devenu glissant.

« Salut frérot ! »
-Salut… Qu’est-ce que tu manigances encore ?

La rouquine embrassa son frère en riant et déclara :

« Tu me connais bien, hein ? C’est à propos de la fille d’écurie…»

Daniel tiqua. Il s’en était douté et était très réticent à l’idée d’entrer une fois de plus dans les combines de sa sœur mais lorsque celle-ci se mit à lui expliquer qu’il s’agissait d’empêcher l’acteur à trois sous de rencontrer Candy, il décida finalement d’entrer dans son jeu et lui rapporta tout ce qu’il savait au sujet de la jolie blonde.

« Tu veux que je t’accompagne ?
-C’est gentil frérot, mais ce n’est pas la peine. Je pense que je me débrouillerai très bien toute seule. »

En réalité, Élisa ne souhaitait pas le moins du monde s’encombrer de son balourd de frère qui en pinçait toujours pour la moins que rien. Pff !! Comment pouvait-on s’éprendre de cette catin ?


—oooOOOooo—




Monsieur Marsh, j’imagine que je n’ai pas besoin de vous présenter ce vieux bonhomme… Donc Monsieur Marsh arrêta sa voiture près de l’embranchement où se tenait Candy. De toute façon il y avait bien trop de neige et le piteux état de son véhicule ne lui permettait pas d’envisager de s’engager sans risques sur le petit chemin ; mais ce ne serait pas la première fois qu’il poursuivrait la route à pieds, n’est-ce pas ? Pour l’instant, en tout cas, la rencontre qu’il venait de faire le comblait de plaisir. Comme vous le savez très certainement, cet homme un peu bavard adorait voir la jeune fille, malgré les tours pendables qu’elle lui avait joués dans sa jeunesse.

« Bonjour, Candy !
-Bonjour Monsieur Marsh, comment allez-vous ? Vous avez du courrier pour la maison Pony ?
-Oui, et un paquet pour la clinique aussi…
-Oh ! Je pourrais voir ?
-Mais bien sûr ma petite Candy ! »

Le facteur farfouilla dans un grand sac en jute qui était posé sur le siège passager et il lui montra ledit paquet. Celui-ci venait d’un laboratoire pharmaceutique spécialisé.

« Oooh ! s’exclama Candy. C’est merveilleux. Je crois que c’est ce médicament que nous attendions depuis plusieurs jours pour un de nos patients dont l’état commençait vraiment à nous inquiéter.
-Ah oui… Le docteur Martin m’en avait parlé ! Il m’avait dit que c’était urgent !
-Et ça l’est ! Mais dites-moi, vous comptez faire le reste du chemin à pieds ?
-Je crois que je n’ai pas trop le choix, avec toute cette neige, n’est-ce pas ? D’ailleurs je vois que tu n’as pas pris ta voiture toi non plus…
-C’est plus prudent. Et puis j’adore marcher dans la neige ! Mais puisque j’y vais, moi, à la maison Pony et à la clinique, je peux me charger du courrier !
-Tu es sûre que tu veux te charger de tout ça ? Ça ne va pas être trop lourd ?
-Vous vous moquez j’espère, plaisanta Candy en pliant et dépliant plusieurs fois ses bras, je suis musclée, moi, qu’est-ce que vous croyez !
-Bon d’accord, alors tiens, prends aussi ma sacoche, ce sera plus pratique ! »

Le vieux bonhomme enleva du sac tout le courrier inutile et après y avoir rajouté le paquet pour la clinique, il tendit le tout à la jeune fille.

« Cette fois-ci je ne vous vole pas votre sacoche… rit Candy. C’est vous qui me l’avez confiée !
-Tu n’es plus la petite fille indisciplinée de jadis.
-Eh bien, j’ai grandi tout de même ! »

Pendant ce temps, Élisa, ou bien devrais-je dire l’affreuse Élisa, garée un peu plus loin, était sortie de son véhicule et assistait à la scène de loin, sans bien comprendre de quoi il retournait. Quand est-ce que ce facteur de malheur allait enfin disparaître ? Elle commençait à s’impatienter : l’air était glacial, la neige tombait de plus en plus dru et malgré l’épais manteau de fourrure dont elle s’était enveloppée, des frissons lui parcouraient le corps. Si à cause de cette espèce de fille d’écurie, elle attrapait mal… Soudain la voiture de l’homme moustachu démarra et Candy se retrouva seule au milieu de la route. La rouquine ne put s’empêcher d’esquisser un pas de danse et faillit s’étaler dans la neige. Mais elle réussit, malheureusement pour nous, à se retenir à la poignée de la portière, tout en pestant selon sa bonne habitude, puis elle se précipita dans sa voiture. Elle n’avait pas encore décidé de ce qu’elle allait faire, mais il fallait absolument qu’elle agisse.

Au son du moteur, Candy, un peu interloquée, s’était retournée. Et lorsqu’elle vit sa cousine descendre du véhicule et lui faire signe, ses yeux s’agrandirent encore. Que faisait Élisa dans ce coin perdu ?

« Albert veut te voir ! Il m’a envoyé te chercher, fit la rouquine en forçant sur son visage un sourire engageant.
-Il t’a envoyé me chercher ? »

Qu’est-ce que c’était encore que cette plaisanterie ? Candy n’était pas sûre de vouloir croire ce que lui affirmait sa cousine. Mais même si cela s’avérait être exact, Albert devrait attendre un peu. Elle avait beaucoup plus urgent à faire. Ce médicament devait absolument parvenir à son destinataire le plus rapidement possible.

Élisa, fronça les sourcils, un peu désappointée par la réticence qu’elle avait sentie dans la voix de sa cousine. Ce serait plus difficile qu’elle ne se l’était imaginé. Cette casse-pieds de Candy semblait avoir perdu une partie de sa naïveté.

« Oui, c’est urgent, insista-t-elle.
-Peut-être, Élisa, mais moi je dois d’abord apporter le courrier. »

La rouquine retint un soupir d’exaspération. Comment quiconque pouvait-il même imaginer, qu’une jeune femme du monde pût jouer le rôle de facteur ? Mais Candy n’était certainement pas une jeune femme du monde, elle le savait depuis fort longtemps. Depuis leur première rencontre, en fait. Réfléchissant à toute allure, cherchant dans tous les recoins de son cerveau dérangé la solution à son problème elle proposa :

« Je peux t’y accompagner, si tu veux, ça ira plus vite. Et je trouverai bien le moyen de t’empêcher de parvenir à destination ! continua-t-elle pour elle-même.
-Toi ? Tu veux m’accompagner ? » s’exclama la jeune blonde.

Candy observait sa cousine avec un étonnement croissant : serait-elle vraiment devenue serviable ? Cela lui paraissait tout de même plutôt improbable. Puis son regard se porta sur la route enneigée et elle déclara :

« Écoute Élisa, c’est vraiment gentil, mais je peux me débrouiller toute seule. De toute façon la route est bien trop dangereuse pour une voiture ! »

À bout d’arguments, la fille Legrand faillit se laisser aller à hurler. Rien ne se passait comme prévu. D’abord Terry qui avait pris le train malgré le vol de son billet et maintenant la fille d’écurie qui ne s’en laissait pas compter. Mais elle se reprit juste à temps. Il n’était pas dit qu’elle allait abandonner la partie si facilement. Il suffisait de retenir cette insupportable orpheline suffisamment longtemps. Une lueur diabolique s’alluma dans ses yeux.

« Aïe ! » fit-elle en faisant mine de s’être tordu la cheville, pour s’étaler ensuite, sans grâce aucune dans la neige. Tu me paieras ça aussi, marmonna-t-elle à voix basse.

Cette fois-ci, la ruse fut payante, car Candy se précipita vers elle.

« Tu t’es fait mal ?» s’inquiéta-t-elle en s’accroupissant près de sa cousine.

Celle-ci, ne répondit que par des grognements de souffrance plutôt convaincants pour qui ne connaîtrait pas sa fourberie. Candy, bonne âme, s’y laissa prendre et l’aida à se relever puis à s’asseoir dans le véhicule. Elle voulut lui ôter immédiatement sa botte, car elle savait qu’une fois que la cheville aurait enflé ce serait beaucoup moins aisé. Mais la rouquine poussait de tels cris de d’orfraie, qu’elle finit pas y renoncer. Avisant le gros véhicule dans lequel sa cousine était arrivée Candy hésita un court instant. Devait-elle la ramener en ville comme celle-ci l’exigeait ? Elle songea au malade qui était entre la vie et la mort et qui attendait ce remède miracle qu’elle tenait entre ses mains et elle sut quelle était sa priorité.

« Je vais aller chercher du secours à la clinique » déclara-t-elle.

Élisa n’aurait qu’à attendre dans sa luxueuse automobile. Une lueur d’effroi s’alluma dans les yeux de la rouquine. Cette fois-ci d’ailleurs, elle n’avait nul besoin de feindre ou de jouer un quelconque rôle, elle était vraiment paniquée. Terry s’y trouvait peut-être à la clinique. Elle l’avait épié et l’avait vu partir à cheval dans cette direction. Si Candy l’y retrouvait, tous ses efforts n’auraient servi à rien. Elle ne pouvait même plus lui courir après avec cette soi-disant cheville foulée. Comment faire ?

« Tu ne vas pas me laisser là toute seule ?
-Allons Élisa, tu es une grande fille… Je fais juste un aller-retour. Cela ne va pas durer des éternités, lui répondit la jolie blonde avec une mimique d’encouragement. »

Candy n’avait pu s’empêcher de sourire intérieurement en voyant l’affolement si clairement inscrit sur la figure de sa cousine. Évidemment elle se serait moins amusée et davantage méfiée si elle avait seulement deviné à quoi était véritablement due la panique de la rouquine. Celle-ci, ne sachant plus quoi faire et exaspérée au plus haut point par le ton taquin qu’avait osé prendre l’orpheline, se jeta sur elle en hurlant :

« Tu ne peux pas me laisser ! »

Candy repoussa la jeune fille qui s’accrochait frénétiquement à elle et soupira. Elle ne pouvait effectivement pas laisser pareille hystérique toute seule et elle déclara :

« Bon, d’accord, on y va ensemble, mais tu risques de souffrir !
-Tant pis, fit l’autre, levant bien haut son nez pointu, écœurée d’être contrainte de prendre appui sur le bras que lui offrait gentiment sa compagne. »

Se faisant, elle s’accrocha involontairement à la sacoche que le facteur avait confiée à Candy, et sous son poids, une des boucles céda et le contenu du sac se répandit dans la neige.

« Élisa, voyons… » fit Candy contrariée par la bêtise de sa cousine, en se dépêchant de récupérer le courrier éparpillé avant qu’il ne soit trempé par la neige.

C’est alors qu’elle remarqua que manquait à l’appel, le colis contenant le précieux médicament. Elle releva la tête pour le chercher et comprit avec horreur qu’il avait dû glisser sur la berge enneigée. Elle l’aperçut alors qu’il continuait sa course sur le lac gelé et en partie recouvert de neige avant de finalement s’immobiliser assez loin du bord. Elle ne remarqua pas la lueur de triomphe qui luisait dans les yeux d’Élisa qui sans le vouloir avait réussi un coup de maître. Tout le monde savait que le froid ne sévissait que depuis peu et que la glace était encore très fragile. Personne n’oserait aller s’aventurer sur le lac dans des conditions pareilles… Plus de médicament, plus de raison d’aller à la clinique ! La rouquine cacha tant bien que mal sa jubilation derrière un air compassé et déclara :

« Écoute, je suis vraiment désolée de ma maladresse. Mais puisque maintenant ton paquet est hors d’atteinte, ce n’est plus la peine que tu ailles à la clinique ! On peut prendre la voiture et rentrer à Lakewood ! »

Candy regardait sa cousine d’un air hagard. Était-elle folle ? Il n’était pas question de laisser quelqu’un mourir par leur faute. Mais que faire ? Si elle décidait d’aller chercher du secours en ville ou à la clinique, cela risquait de prendre trop de temps. La neige aurait le temps de tout recouvrir de son blanc manteau et il serait difficile voire impossible de localiser le paquet. Non il n’y avait qu’un moyen.

« Tu n’aurais pas une corde dans ta voiture ?
-Une corde ? Qu’est-ce que tu veux faire d’une corde ?
-Essayer d’attraper le paquet !
-Attraper le paquet ? »

Bien sûr Élisa ne connaissait pas l’habileté de sa cousine au lasso, et eût-elle été au courant, qu’elle le lui aurait reproché. Comment une dame bien née pouvait-elle s’adonner à pareille activité ? Mais bien sûr tout le monde savait que Candy n’était qu’une orpheline, dont les origines obscures faisaient tache dans celles, prestigieuses, de la famille André.

Candy n’avait pas cru bon continuer une discussion qui ne menait à rien et était déjà en train de fouiller dans la voiture d’Élisa, sans grand succès malheureusement. Elle revint au côté de sa cousine et constata que le paquet qui la narguait là-bas commençait déjà à être en partie enseveli sous la neige. Il n’y avait plus de temps à perdre. Elle s’élança vers le lac. Ce qu’elle n’avait absolument pas anticipé était la déclivité traîtresse de la berge rendue encore plus dangereuse par la neige qui la recouvrait. Aussi, comme vous pouvez vous en douter, ce qui devait arriver, arriva. Le pied de notre jolie blonde dérapa, et subitement privée d’appui, Candy perdit l’équilibre, atterrit assez brutalement sur son séant et poursuivit, avec un cri de frayeur, une descente devenue incontrôlable.

La neige s’était brusquement calmée et la charmante Élisa qui avait une vue imprenable sur la glissade forcée et bien peu gracieuse de sa cousine ne put retenir un ricanement et haussa les épaules avec mépris. Ce que Candy pouvait avoir l’air grotesque ainsi ! Quelle idée aussi de vouloir sans cesse jouer les héroïnes ! Cette fois-ci cependant risquait d’être la dernière et Élisa était bien près d’être débarrassée de façon définitive de celle qui depuis le début avait l’impudence de lui voler la vedette. Mais Candy, rouge et hors d’haleine, avait par miracle été arrêtée assez rapidement dans sa course. Encore un peu sonnée elle se releva lentement, cligna des yeux et se dirigea prudemment vers ce qui devait être le bord du lac, puis la mine résolue, elle s’engagea précautionneusement au-dessus du lac, vers le petit monticule de neige que faisait encore le paquet. Élisa n’en croyait pas ses yeux. Elle avait tant de fois rêvé de voir mourir sa rivale ! Malgré tout, la situation présente la mettait mal à l’aise. Ce n’était absolument pas ainsi qu’elle avait imaginé les choses et elle ne se voyait pas assister à l’accident qui n’allait pas manquer de survenir si Candy persistait dans son projet déraisonnable.

« Tu es folle ? s’exclama-t-elle, un peu effrayée.
-Tu as une autre solution ? lui cria de loin sa cousine en continuant sa progression, plus prudemment que jamais.»

Élisa, les lèvres pincées, croisa les bras et fronça les sourcils en secouant ses anglaises rousses. Après tout, si cette moins que rien tenait absolument à se noyer, ce n’était pas elle qui allait l’en empêcher. Et qu’on ne compte pas sur elle non plus pour aller tirer de là cette petite sotte, lorsque l’inévitable se produirait. De toute façon qu’aurait-elle bien pu faire avec sa cheville blessée ? Elle ricana bêtement à cette pensée. Puis elle entendit un craquement sinistre et ne put retenir un cri :

« Attention ! »

Candy avait quasiment atteint le paquet que la neige avait presque entièrement recouvert, mais malgré ses précautions, elle aussi sentait la couche d’eau gelée craquer sous son poids et elle s’immobilisa, anxieuse. Le médicament était là, quasiment à sa portée… Elle n’allait tout de même pas abandonner maintenant ? Elle s’avança encore un peu, tendit la main et referma ses doigts sur la ficelle qui maintenait le colis fermé. Elle retint le cri de joie qui lui montait aux lèvres. C’est alors qu’elle sentit la couche de glace céder sous ses jambes qui basculèrent lentement dans l’eau gelée. Affolée, elle essaya de s’agripper à quelque chose. N’importe quoi. Mais ses mains ne rencontraient qu’une surface lisse et glacée.

Élisa était restée muette de saisissement lorsqu’elle avait vu sa cousine s’enfoncer dans le lac gelé. Sa jubilation avait laissé la place à une certaine hébétude. Elle ne savait pas si elle devait quitter les lieux au plus vite pour qu’on ne lui mette pas la noyade de l’orpheline sur le dos ou si au contraire elle devait aller chercher du secours, ne serait-ce que pour montrer qu’elle avait tout tenté pour sauver Candy. Albert serait furieux s’il apprenait d’une façon ou d’une autre qu’elle était mêlée à cet accident. Mieux valait sans doute disparaître le plus rapidement possible. Elle jeta un regard circulaire pour voir si quelqu’un avait pu l’apercevoir et, dut se rendre à l’évidence : un cavalier s’approchait au petit trot et il n’avait pas pu ne pas l’apercevoir. Elle n’avait plus d’alternative et en agitant frénétiquement les bras, elle se mit donc à hurler :

« Au secours ! À l’aide ! Ma cousine est en train de se noyer ! »


à suivre...

Edited by Nolwenn - 22/12/2023, 10:32
view post Posted: 30/1/2022, 09:26 Les Rois Mages - Fanfics pour tous les âges
Chapitre 2

Partir ou ne pas partir telle est la question




Élisa Legrand avait assisté avec une certaine jubilation à la représentation théâtrale, certaine que celle-ci serait au centre de l’actualité des prochaines semaines. Le célèbre acteur avait invité tout ce que l’Amérique comptait de personnalités, et bien entendu la famille André, avait, elle aussi, reçu son lot d’invitations. Et c’était elle, Élisa, qui avait eu la chance de les réceptionner. Elle venait justement d’arriver au manoir de son oncle ce jour-là, lorsque Dorothée avait déposé un abondant courrier sur la table du salon. La rouquine n’avait pu s’empêcher d’aller y jeter un coup d’œil et lorsqu’elle avait compris ce que contenait l’enveloppe aux bords argentés, elle s’était empressée de l’escamoter, une lueur mauvaise dans le regard. Et une fois rentrée chez elle, elle avait sorti les invitations de l’enveloppe et en avait bien sûr trouvé une pour Candy, qu’elle avait lentement fait brûler entre ses doigts, avec une joie sauvage, avant de se débarrasser des restes calcinés du carton dans la cheminée.

Elle ricana rétrospectivement. La fille d’écurie ne risquait pas, cette fois-ci, de lui pourrir sa soirée.
Et, lorsqu’elle s’était mise en tête d’aller voir l’acteur dans sa loge, pour le féliciter et plus si affinités, et elle ne s’était pas gênée pour prendre l’identité de Candy afin de passer le barrage des employés, qui apparemment avaient pour ordre de ne laisser passer que cette moins que rien. Elle avait dû se forcer un peu tout de même… Imaginez donc… Se faire passer pour Candy… Quelle horrible déchéance ! Elle grimaça de dépit en pensant à ce que cela pouvait sous-entendre : Terry n’avait apparemment pas oublié cette… cette petite… dévergondée qui faisait tourner la tête de tous les hommes qu’elle croisait… Par chance – mais pouvait-on vraiment parler de chance alors qu’elle avait si habilement manœuvré – cette petite sotte n’était pas là ce soir et c’était elle, Élisa Legrand, qui aurait le privilège d’approcher le bel acteur, lequel, elle ne l’oubliait pas, était aussi fils de duc, même s’il avait apparemment rompu tout lien avec son auguste famille.

Alors qu’elle était là, devant la loge du comédien, vérifiant une dernière fois la bonne ordonnance de la tenue dernier cri qu’elle s’était offerte pour l’occasion, remettant une mèche en place et enfin prête à frapper à la porte, elle interrompit son geste, en entendant un bruit de voix, celle grave et bien timbrée de Terry et une autre qu’elle n’arrivait pas à situer. Une femme ? Un enfant ? Elle approcha son oreille de la porte pour mieux distinguer ce qui se disait. Ben quoi… Vous ne vous imaginiez tout de même pas que la rouquine allait se comporter en femme du monde et s’éloigner dignement de là… Non ? Si ?! Oh ! Mon Dieu, mais vous ne connaissez pas Élisa Legrand alors… Il faudra que je vous explique… Enfin, vous comprendrez en lisant la suite…

Ladite Élisa avait à présent l’oreille carrément collée à la porte et percevait avec une certaine netteté les paroles échangées dans la loge. Il y était question de… de… de Candy ?! Elle s’écarta un instant de la porte en serrant les poings, folle de rage et dut se faire violence pour ne pas laisser échapper le hurlement qui montait dans sa gorge et réprimer l’envie qu’elle avait de tout casser autour d’elle. Cette peste n’arrêterait-elle donc jamais de se mettre sur son chemin ? Elle aurait dû l’étrangler de ses propres mains depuis bien longtemps, en fait depuis le moment où sa chiffe molle de frère avait fini par se laisser lui aussi embobiner par les airs de sainte nitouche de cette fille aux origines douteuses. Après avoir inspiré un bon coup pour essayer de se calmer un peu, elle colla derechef son oreille à la porte et sa fureur monta encore d’un cran lorsqu’elle comprit qu’il était question que Terry se rende à La Porte. Heureusement, le comédien semblait réticent. Peut-être devait-elle intervenir et lui dire qu’il avait bien raison d’hésiter, que la meilleure chose à faire pour lui était d’oublier cette Candy de malheur et de s’intéresser enfin à des personnes de qualité, et que si Susanna, ne lui convenait pas, elle était prête, elle, la merveilleuse Élisa Legrand, à lui offrir sa précieuse compagnie… Un sourire niais aux lèvres, elle était déjà en train de s’imaginer au bras du séduisant comédien lorsque la porte s’ouvrit à la volée. Elle eut tout juste le temps de se jeter dans un recoin sombre et vit passer un garçon blond qu’elle n’avait encore jamais vu, et qui lui rappelait vaguement Anthony. Sans doute un de ces petits va-nu-pieds dont s’occupait sa cousine et qui lui vouaient, elle ne savait pourquoi, une reconnaissance éternelle. Cette dévotion… C’était à n’y rien comprendre. Et d’ailleurs, comment ce garçon avait-il pu passer le barrage des employés du théâtre pour se rendre dans la loge de l’acteur ? Hein ? Il n’avait tout de même pas pu, lui aussi se faire passer pour Candy ?

Elisa n’avait pas eu le temps de réfléchir davantage et de décider quoi faire que Terry sortait à son tour en trombe de la petite pièce, l’air halluciné, tenant à la main une enveloppe dont s’échappa un bout de papier qui tournoya et ne toucha terre que bien après que celui qu’elle était venu féliciter eût disparu au bout du couloir. Elle se pencha et ramassa le petit ticket qui se trouva être la fameuse réservation pour La Porte. Elle l’examina, incrédule, puis se mit à exulter intérieurement devant ce que le sort lui avait mis entre les mains. Finalement, même si elle n’avait pu rencontrer Terry aujourd’hui, en lui soustrayant le billet, elle allait l’empêcher de commettre l’irréparable. Il fallait à présent quitter les lieux au plus vite. Elle enfouit son précieux butin au fond de sa poche, un sourire triomphal aux lèvres.

--oooOOOooo—




Susanna commençait à s’impatienter dans la grande salle du premier où se déroulait la réception prévue pour le gratin New-Yorkais, toutes ces personnalités qui avaient bien voulu se donner la peine d’honorer de leur présence ce spectacle pas comme les autres. Bien que très entourée par toute une cour de femmes et surtout d’hommes qui ne tarissaient pas d’éloges sur sa prestation et la félicitaient de sa gracieuse démarche qui en avait ébahi et séduit plus d’un, elle commençait à trouver le temps long. Que faisait Terrence ? Elle et la petite Mary étaient sans nul doute les stars de ce spectacle, elle, parce qu’elle avait surpris et enchanté le public en se levant et en marchant à la fin de la pièce, alors que tout le monde la croyait définitivement clouée à ce maudit fauteuil roulant, et la petite Mary, car il n’était pas si courant qu’une gamine de cet âge joue dans une pièce, qui plus est un rôle aussi marquant, et avec un tel talent et une telle maturité… Néanmoins, l’absence de l’acteur-phare de la troupe à ses côtés ne passait pas inaperçue.

Robert était déjà venu lui demander si elle savait où se cachait la star du spectacle et elle lui avait expliqué qu’il ne devrait plus tarder. Mais voilà… Cela faisait déjà presque une heure et rien de concret ne se profilait à l’horizon. La jeune comédienne s’était déjà rendue à l’étage inférieur où une mini-réception avait été prévue pour les petits invités et leurs accompagnateurs. Elle espérait y trouver Terrence. Mais sa quête avait été vaine. Susanna se souvenait encore de la colère noire dans laquelle était entré l’acteur lorsqu’on lui avait annoncé que la direction de l’hôtel où devait se dérouler la réception proposait d’organiser deux buffets distincts, car elle refusait que les petits orphelins soient mêlés aux invités de marque. C’était une question d’étiquette. Et c’était Susanna, et elle n’en était pas peu fière, qui avait convaincu Terry : les gamins allaient sans doute se sentir bien plus à l’aise s’ils n’étaient pas sans cesse houspillés par des adultes pointilleux qui porteraient sur eux un regard critique et ne cesseraient de stigmatiser leurs manières insuffisamment policées.

Elle jeta un énième regard circulaire et aperçut enfin l’objet de ses recherches, de dos, à moitié dissimulé par les somptueuses plantes qui décoraient l’immense salle et entouré d’une nuée de jeunes femmes qui semblaient avoir été plus promptes qu’elle à l’accaparer. Muselant la jalousie qui lui broyait les entrailles dès qu’elle voyait une femme s’approcher d’un peu trop près de son Terrence, elle s’excusa en souriant aimablement à ses admirateurs et laissant Mary aux bons soins de Robert, elle se dirigea vers celui pour lequel elle n’avait pas hésité à sacrifier sa jambe. Mais elle eut l’impression que l’assistance toute entière s’était liguée contre elle pour l’empêcher de rejoindre son fiancé : chacun semblait s’être donné le mot pour venir la féliciter juste à ce moment précis et elle qui, avant son accident, accueillait avec un sourire exquis et un plaisir sans partage le moindre éloge, dut faire appel à tout son professionnalisme pour rester calme et souriante et ne pas envoyer sur les roses tous ces admirateurs trop enthousiastes.

Elle finit, malgré tout, par arriver à sa portée, et écartant les importunes, elle posa avec grâce et une certaine possessivité sa main sur le bras de son fiancé tout en lui déclarant doucement, mais d’un ton suffisamment appuyé, pour qu’aucune des pimbêches agglutinées autour de lui ne put douter du lien qui l’attachait à Terrence Graham :

« Ah, mon chéri ! Te voilà enfin ! »

Lorsque le jeune homme se tourna vers elle, elle eut un hoquet de surprise et porta vivement la main devant sa bouche, incapable de trouver une réaction plus appropriée tant elle était désarçonnée. Ce n’était pas Terry. S’il portait les cheveux longs, tout comme son fiancé, elle s’aperçut que, sans doute trompée par les jeux d’ombre et de lumière, elle s’était méprise sur leur couleur. Peut-être aussi, la douce Susanna était-elle un peu myope, je veux bien vous l’accorder.

Cette scène fâcheuse n’était évidemment pas passée inaperçue. Dans le silence embarrassé qui avait suivi la prise de conscience de la comédienne, quelques chuchotements et rires étouffés s’étaient faits entendre – des femmes, sans nul doute, jalouses du talent et du succès de la jeune actrice – et il n’avait pas fallu attendre bien longtemps avant que deux ou trois des nombreux photographes présents n’immortalisent l’instant, en un crépitement de flashes aveuglants et bien ciblés, que la pauvre Susanna, les pensées en pleine déroute, n’eut pas la présence d’esprit d’éviter. Durant quelques brèves secondes qui lui semblèrent s’étirer d’une façon déplaisante, elle resta paralysée face à cet inconnu qui la dévisageait de son regard gris et pénétrant où flottait un mélange de curiosité, d’admiration et aussi d’une autre chose sur laquelle elle n’arrivait pas à mettre de nom. Un inconnu qui ne lui semblait pas si inconnu que cela… Où l’avait-elle déjà vu ?

« Qui… Qui êtes-vous ? »

Le sourire de l’inconnu se crispa involontairement, puis retrouva toute sa chaleur lorsqu’il se présenta :

« Melchior, pour vous servir, Mademoiselle Marlowe » fit-t-il d’un ton moqueur en lui saisissant la main sur laquelle il déposa un léger baiser qui la fit frissonner.

Robert Hathaway qui surveillait toujours du coin de l’œil tout son petit monde, était intervenu presqu’aussitôt, repoussant avec tact mais autorité les journalistes, leur demandant de laisser un peu respirer son actrice principale, dont le teint déjà plutôt pâle en temps normal était devenu blafard.

« Ça va ? lui demanda-t-il avec sollicitude, en entourant ses épaules du bras.
-Oui… fit Susanna dans un souffle. »

Le directeur de la troupe entraîna sa jeune protégée un peu à l’écart et s’enquit à voix basse :

« Où est Terrence ? Ne devait-il pas venir nous rejoindre ?
-Si… Je ne sais pas ce qu’il fait… Je croyais… »

Elle se tut, troublée. Elle ne savait plus trop ce qu’elle croyait et, par-dessus l’épaule de Robert, elle jeta un coup d'oeil en direction du dénommé Melchior et rencontra aussitôt son regard.

« Terry était encore dans sa loge tout à l’heure, je pense qu’il ne va plus tarder », se reprit-elle en retrouvant quelques couleurs.

Robert se retourna pour voir ce qui retenait ainsi l’attention de Susanna, et fronça les sourcils en apercevant le jeune homme qui la dévorait des yeux :

« Tu le connais ?
-Je… Je crois…
-Comment ça, tu crois ?
-Je… je ne suis pas sûre… je ne suis pas sûre que ce soit bien lui…
-Lui, qui ?
-Mel… Un… Un… camarade d’enfance…
-Eh bien tu n’as qu’à aller le lui demander…»

Les fans de la jeune comédienne n’étaient pas vraiment au cœur des préoccupations de Robert. Il fallait qu’il retrouve son acteur principal. Susanna, quant à elle, n’arrivait pas à en croire ses yeux.

« Mel ? » s’enquit-elle, lorsqu’un peu plus tard elle s’approcha à nouveau de lui.

Il l’observa, le regard pétillant de malice. L’incrédulité qu’il lisait sur le visage de la belle actrice semblait l’amuser au plus haut point.

« Oui… J’ai un peu changé, n’est-ce pas ?
-Un peu ? »

C’était un euphémisme. Comment ce garçon, grassouillet et maladroit, sans parler de sa voix de fausset, avait-il pu se muer en ce séduisant jeune homme ? Oh, certes, pas aussi séduisant que Terrence, cela va sans dire… D’ailleurs ç’eut été proprement impossible ! Mais tout de même… Quelle transformation ! À moins que ses souvenirs ne fussent pas aussi fidèles qu’elle se l’imaginait. Mais pourtant, si… Elle se rappelait comment, du haut de ses douze ans, elle avait vertement remis à sa place le gamin boutonneux qu’il était alors, le jour où, après plus d’une année de tergiversations, celui-ci avait pris son courage à deux mains et lui avait ouvert son cœur. Susanna rêvait du prince charmant, pas du bouffon sans grâce que Mel était à ses yeux, et elle le lui avait fait savoir sans ménagement.

Et voilà que le vilain petit canard s’était métamorphosé en un magnifique cygne. Lui tenait-il encore rigueur pour la façon cavalière et même blessante, devait-elle admettre, dont elle l’avait envoyé sur les roses ?

« Si tu es d’accord, j’aimerais bien te revoir après la réception… » lui murmura-t-il avec un petit clin d’œil.

Il avait retrouvé avec aisance le tutoiement et, étrangement, Susanna en éprouva un grand soulagement et lui dédia un sourire charmeur.


--oooOOOooo—




Mais où est donc passé ce satané billet ?

Terrence avait eu beau vider l’enveloppe, éparpillant son contenu sur la table de sa loge et fouillant fébrilement parmi les divers documents qui s’y trouvaient, des réservations et adresses d’hôtels pour la plupart, une clef et un petit mot qu’il n’avait pas encore pris le temps de lire. Il avait retourné ses poches, bien qu’il fût certain de ne pas y avoir glissé le billet. Il s’était même mis à quatre pattes pour vérifier si celui-ci ne s’était pas égaré sous le fauteuil. Mais non… Rien… Nada… Le vide complet.

Il se redressa, consterné et commença à passer ses longues mains dans les cheveux, en un geste d’impuissance accablée.

« Réfléchis Terrence… » s’exhorta-t-il, les doigts fourrageant dans ses mèches brunes, espérant sans doute déclencher ainsi l’éclair de génie qui lui indiquerait où chercher.

Voilà… Il avait dû perdre le billet dans les couloirs du théâtre, tantôt, lorsqu’il avait essayé de rattraper Balthazar. Il refit le parcours à vive allure, dans un sens sans rien trouver, puis plus lentement dans l’autre, fouillant du regard chaque recoin sans plus de succès, et encore une troisième fois et une quatrième, mais c’était peine perdue. Quelqu’un l’avait peut-être ramassé ?

« Vous n’auriez pas trouvé un billet de train ? s’enquit-il auprès des quelques employés du théâtre qui finissaient de ranger du matériel.
-Un billet de train ? » fit l’un d’eux interloqué.

Les autres n’avaient pas l’air davantage au courant et le comédien ne s’attarda pas davantage avec les machinistes, regagnant, dépité, sa loge. Qu’avait-il fait de ce fichu billet ? Il chercha encore au fond de l’enveloppe, qui était pourtant clairement vide, ne pouvant se résoudre à accepter la réalité de la situation. Il se laissa tomber dans son fauteuil, abattu. Était-ce le signe qu’il ne devait pas aller à La Porte ? Qu’il ne devait pas aller la rejoindre ? Lui qui avait finalement réussi à se sortir de l’indécision, voilà que la disparition du billet semblait mettre un point final à son joli rêve. Il finit par se relever avec un gros soupir de frustration. On l’attendait à la réception, réception à laquelle il n’avait plus aucune envie de se rendre. Pour se donner du courage, il pensa à la petite Mary qu’il avait prise sous son aile et qui, avec sa joie de vivre et sa spontanéité, lui rappelait tant sa Taches de Son. D’ailleurs, il avait promis à Mary… Il ouvrit la porte de la loge et se retrouva nez à nez avec Robert qui, immédiatement, remarqua la physionomie renfrognée de son protégé. Après le succès qu’ils venaient tous de vivre, c’était plutôt étrange.

« Qu’est-ce qui t’arrive ?
-Rien… soupira le comédien.
-Comment ça, rien ? Ne te moque pas de moi…
-Rien d’important, en tout cas. »

Terrence avait décidé de tirer un trait sur ce qui s’était passé et n’avait absolument pas envie d’en discuter, pas même avec son ami Robert. Ce dernier le considéra un moment avant de secouer la tête, l’air désapprobateur. L'expérience lui avait prouvé que lorsque son acteur vedette était dans cet état, il pouvait devenir vraiment détestable et la soirée risquait de tourner au vinaigre. Il le repoussa gentiment dans la loge, ferma la porte derrière lui et déclara sur un ton décidé :

« On ne sort pas d’ici tant que tu ne m’as pas tout raconté !
- Je n'ai rien à te dire... Ça ne te regarde pas ! marmonna le jeune homme irrité.
-Oh que si ! Je ne tiens pas à ce que les journalistes trouvent matière à gloser à ton sujet.
-Je me fiche bien des journalistes !
-C’est bien là le problème ! »

Terrence fixa le sol devant lui, l’air buté. Mais Robert savait être aussi têtu que lui et ne voyant pas d’échappatoire le jeune homme finit par se résigner et laissa tomber, sur un ton las :

« Tu te souviens de Candy ?
-La jeune fille pour laquelle tu m’avais demandé un billet pour la première de Roméo et Juliette ?
-Oui…
-Je m’en souviens. »

Non seulement Robert se rappelait la jeune demoiselle aux cheveux d’or, mais il se souvenait aussi très bien de l’étincelle qui s’était allumée dans les yeux de son protégé lorsque celui-ci lui avait fait part de son souhait… Mais comme, après ces premières paroles, Terry laissait le silence se prolonger, apparemment plongé dans de douloureux souvenirs, il insista :

« Et alors ? »

Le jeune comédien, qui ne se sentait plus vraiment tenu par le secret puisque le projet était enfin arrivé à son terme, se décida à tout lui confier, depuis les prémices qui avaient présidé à la naissance de cette entreprise peu commune jusqu’aux derniers développements auxquels il devait son humeur actuelle.

« À quelle heure devait partir ce train ? »

Dérouté par la question, tant il était convaincu que Robert n’aurait qu’une idée, celle de le dissuader de se lancer dans une pareille aventure, surtout ce soir où chacun attendait que se montre enfin l’initiateur de ce projet qui venait de faire un tabac, Terrence, les sourcils froncés, dévisagea son mentor en cherchant à comprendre ses motivations profondes.

« Alors ? À quelle heure ?
-À vingt-deux heures douze… Pourquoi ? »

Notre acteur préféré se rappelait parfaitement de l’heure, comme il se rappelait aussi parfaitement du numéro de la place : cabine douze dans le wagon numéro vingt-deux… Cela l’avait marqué, étant donné qu’on était justement le vingt-deux décembre.

« Vingt-deux heures douze ? Eh bien, tu as tout à fait le temps de m’accompagner à la réception pour satisfaire la curiosité des invités et répondre aux questions des journalistes avant de te préparer pour ce long voyage… Après cette année tumultueuse, tu as besoin d’un petit congé que je t’accorde bien volontiers.
-Mais je ne peux pas partir comme ça ! J’avais promis à Mary…
-Je m’occuperai de Mary !
-Mais…
-Ne t’inquiète donc pas… Je lui expliquerai et elle comprendra ! Tu sais qu’elle est très mûre pour son âge ! »

Il le savait. Mais il y avait aussi…

« Et Susanna ?
-Susanna ? Notre chère petite Susanna semble avoir retrouvé un ami d’enfance avec lequel le courant a l’air de très bien passer. Tu pourras t’en rendre compte par toi-même… Allons-y maintenant, il s’agit de ne pas perdre davantage de temps ! »


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Élisa s’était rendue à la gare. Avec armes et bagages. Un pressentiment. Et qui s’était malheureusement avéré tout à fait fondé. Elle avait à nouveau dû faire un gigantesque effort pour retenir un hurlement de rage en apercevant la silhouette du fils du duc, qu’elle avait reconnu malgré son déguisement. Mais pourquoi était-il là ??? Sans le quitter des yeux, elle se dissimula derrière une des nombreuses colonnes qui s’élevaient sur le quai et se mit à l’espionner.

Heureusement pour elle, grâce à son intelligence peu commune – enfin c’était ainsi qu’elle voyait les choses – elle avait eu la brillantissime idée de réserver toutes les places encore disponibles sur le train pour La Porte. Elle s’était dit qu’ainsi l’acteur se retrouverait le bec dans l’eau si par un incroyable concours de circonstances, il se présentait malgré tout à la gare, comme il semblait que ce fût le cas. Pourvu que cette petite sotte de guichetière ne fasse pas du zèle… pensa la rouquine, alors que Terrence se tenait devant le guichet. L’employée avait en effet tiqué lorsqu’Élisa lui avait fait part de son extravagant souhait, mais, elle y avait tout de même donné suite. De toute façon, comment une petite employée de rien du tout aurait-elle pu aller à l’encontre des desiderata d’une grande dame comme elle ? Lorsqu’elle vit le découragement qui s’était peint sur le visage de l’acteur, elle passa instantanément de la fureur à la jubilation. Une fois de plus elle avait gagné la partie ! Le comédien, quant à lui, s’était laissé tomber sur un des bancs qui longeaient le quai et se tenait la tête entre les mains.

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Pourquoi, mais pourquoi donc tout allait ainsi de travers ? Et pourquoi s'être lancé dans une aventure qui ne pouvait qu'être vouée à l'échec ? Il avait pourtant fini par comprendre, au fil du temps, que sa place était auprès de Susanna, même si tout au fond de lui, il avait beaucoup de mal à se faire à cette déplaisante idée. C'était sans doute la raison pour laquelle il n'avait pu s'empêcher de prêter foi aux dires de ce gamin qui lui ouvrait de nouveaux et merveilleux horizons... Mais il avait sans doute trop tergiversé avant de se décider à retrouver Candy. Il n'avait su, comme Balthazar le lui avait fait remarquer, saisir sa chance lorsqu’elle s’était présentée à lui et le destin cruel prenait à présent un malin plaisir à se moquer de lui : il était condamné à rester sur le quai de la gare et voir partir le train qui aurait pu, qui aurait dû l’amener auprès de sa Taches de Son.

« Sa » Taches de Son… Il soupira longuement. Avait-il seulement encore le droit de l’appeler ainsi ? Sans doute valait-il mieux qu’il reste à New-York. Cette idée de la rejoindre à La Porte était totalement idiote en fin de compte. Et puis ce serait l’aveu de son échec : ne lui avait-il pas promis d’être heureux ? Mais aussi, comment tenir cette promesse si loin d’elle ? Il essayait de concentrer ses pensées sur la petite Mary qui serait sûrement heureuse de le revoir si vite mais son esprit, submergé par des réflexions amères et douloureuses, lui refusait tout concours. Un sifflement aigu le tira de ses pensées et il eut l’impression que son cœur, comprimé comme il l’était, allait éclater. Le train était sur le point de s’ébranler et Terrence releva la tête, accablé. Il valait mieux quitter la gare au plus vite. Il ne se sentait plus le courage de rester une seconde de plus à retourner le couteau dans la plaie. Alors qu’il venait de se lever, une impulsion subite le poussa dans le train. Il n’allait pas se laisser abattre par la première difficulté venue, nom d’une pipe ! Il se débrouillerait pour trouver une place à bord… D’ailleurs, la cabine douze devait bien être disponible, non ?

Élisa qui ne l’avait pas quitté des yeux se jeta à son tour, au bord de l’hystérie, dans le plus proche wagon. Ce n’était pas Dieu possible ! Elle avait pourtant fait tout ce qui était en son pouvoir ! Pourquoi Terrence s’acharnait-il ainsi à aller rejoindre cette orpheline qui n’en valait absolument pas la peine, alors qu’il était entouré de tant de belles femmes ? Tournant la tête de gauche et de droite, elle chercha encore comment éviter le pire. Le pire, c’est-à-dire, vous l’aurez compris, que Terry puisse rejoindre la fille d’écurie. Et soudain une nouvelle idée de génie lui traversa l’esprit. Elle se précipita vers le contrôleur qui déambulait tranquillement dans le wagon, la casquette vissée sur le crâne, tout en compulsant les documents que le chef de gare venait de lui remettre.

« Monsieur le contrôleur, l’homme là-bas… chuchota-t-elle d’un air de conspiratrice en l’entraînant vers le bout du couloir où elle lui désigna le fils du duc qui s’éloignait d’eux dans le wagon suivant.
-Eh bien ?
-Il est monté sans billet !
-Vous êtes sûre ?
-Tout à fait sûre… »

Le contrôleur fronça les sourcils, un peu interloqué par cette singulière démarche. Ce n’était pas tous les jours qu’un voyageur se permettait d’en dénoncer ainsi un autre… Mais il avait bien d’autres soucis en tête que de chercher à comprendre les motivations de cette jeune femme. Il fallait mettre au clair cette histoire de billet. Il se dirigea donc vers l’homme, qui venait de faire demi-tour devant lui.

« Monsieur, votre billet s’il vous plaît ! »

Terrence réprima la grimace qui avait failli lui échapper et fit mine de fouiller ses poches, son sac, ses poches à nouveau… Son écharpe glissa, révélant son visage qui se décomposait au fur et à mesure de ses infructueuses recherches. Le contrôleur s’y serait laissé prendre sans le signalement de la jeune rousse.

« Je ne le retrouve plus… fit l’acteur d’un air confus.
-Je suis désolé, Monsieur, mais dans ce cas je vous demanderai de descendre au prochain arrêt.
-Mais je vous assure que j’avais une réservation pour la cabine douze dans le wagon vingt-deux ! »

Le contrôleur quelque peu déstabilisé par l’accent de vérité qui perçait sous les paroles du voyageur qu’il venait d’interpeler, lui proposa d’aller jusqu’à la cabine qu’il disait avoir réservée. Mais si, en effet, personne ne l’occupait, la cabine en question ne semblait pas davantage disponible. Un extravagant chapeau de femme reposait sur la banquette ainsi qu’une petite valise blanche. Terrence se demanda un instant… Mais non… Elle n'aurait jamais porté ce genre de couvre-chef ridicule !

« Vous ne m’avez pas dit que vous étiez accompagné, lui déclara avec suspicion le contrôleur.
-Euh… Je n’en savais rien non plus… »

L’acteur était visiblement déconcerté et l’homme à la casquette le dévisagea, un peu intrigué. Disait-il vrai ? Avait-il vraiment perdu son billet ? Mais il cessa presque aussitôt de s’interroger. Après tout, son rôle de contrôleur n’était pas de chercher à éclaircir ce genre d’affaires, son rôle à lui était de vérifier si les voyageurs étaient en règle ce qui n’était le cas de celui-ci et il reprit :

« Vous comprendrez bien que dans ces conditions je n’ai pas le choix, je dois vous faire descendre de ce train.
-Mais il faut absolument que j’aille à La Porte. Mon avenir en dépend !
-Je suis désolé, le règlement c’est le règlement ! Je ne peux vous laisser voyager sans billet !
-Mais vous voyez bien que ce train est loin d’être complet comme on me l’avait annoncé au guichet ! Je suis prêt à payer le double, le triple, enfin ce que vous voulez pour faire le voyage.»

Terrence commençait à sentir la moutarde lui monter au nez devant l’entêtement de cet homme trop zélé. Le contrôleur, quant à lui, devait bien admettre que le nombre de places libres était conséquent, alors que le listing qui lui avait été remis indiquait qu’elles étaient toutes réservées au départ de New-York. C’était à n’y rien comprendre. Il retira sa casquette et se gratta la tête, curieusement mal à l’aise. Le voyageur qu’il avait appréhendé ne ressemblait en rien à un petit voyou. Il n’en restait pas moins qu’il n’avait pas de billet. Et que, contrairement à ce qu’on aurait pu croire, il n’y avait plus une seule place de disponible. Même s’il l’avait voulu, il n’aurait pu lui en proposer une. Il en était là dans ses réflexions lorsqu’une jeune femme les héla en s’excusant. Elle voulait accéder à la fameuse cabine douze. L’employé du chemin de fer s’écarta pour la laisser passer tandis que Terrence se demandait comment cette jolie brune avait pu entrer en possession de son billet.

« C’est vous l’occupante de la cabine douze ? » demanda le contrôleur qui espérait enfin quelques éclaircissements.

La jeune femme fit un petit signe de tête affirmatif, un sourire un peu contraint aux lèvres.

« Je peux voir votre billet ? »

L’intéressée plongea aussitôt la main dans son sac et en retira la réservation que Terrence reconnut immédiatement à son coin légèrement écorné.

« Où avez-vous eu ce billet ? s’enquit-il, la voix grave.
-Je… euh… ça ne vous regarde pas !
-Ce Monsieur prétend qu’il avait une réservation pour cette cabine, intervint l’homme à la casquette, sarcastique. Il prétendait avoir perdu son billet…
-Eh bien… Je…» fit la jeune femme, avant de se taire, troublée, puis de dévisager le jeune homme qui ressemblait tant à… à...

« Vous ne seriez pas par hasard ce fameux acteur… ? »

Elle n’osait prononcer son nom de peur de se tromper et que l’on se moque d’elle. Terry l'observa. En toute autre circonstance, le comédien aurait démenti, prétextant une ressemblance qui le suivait et le poursuivait pour son malheur, mais là, il se demandait si ce n’était pas justement l’occasion de profiter de sa notoriété.

« Terrence Graham ? Oui… C’est bien moi… »

La jolie brune le regardait bouche bée, les yeux brillants, tandis que le contrôleur bougonnait :

« Acteur ou pas, il est en infraction et il descendra à la prochaine station.
-Écoutez, déclara la jeune femme, j’ai un billet supplémentaire. Une amie qui devait venir et qui n’a pas pu. Je vous le donne…»

L’explication sonnait faux aux oreilles de Terrence. Mais cela n’avait aucune espèce d’importance. Le principal était de pouvoir rester à bord. Il prit le billet que lui tendait la providentielle passagère et la remercia chaleureusement. Et sur celui que lui avait offert Balthazar, il signa l'autographe qu'elle sollicitait : « À Anna, sans qui je ne pourrais faire ce merveilleux voyage… » et lorsqu’il l’embrassa sur les deux joues, tout heureux, elle ne put s’empêcher de rougir. Terrence Graham, le grand Terrence Graham, celui qui faisait tourner la tête de toutes les femmes, Terrence Graham l’avait prise dans ses bras et embrassée… Le contrôleur les observa un instant avant de s’éclipser sans bruit. Il n’avait plus rien à faire là.

--oooOOOooo—




« Alors ? fit Élisa, au moment où le contrôleur passait auprès d’elle pour lui réclamer sa réservation.
-Alors quoi ? aboya l’intéressé de façon bien peu amène tout en poinçonnant le billet.
-Eh bien, commença la rouquine un peu désarçonnée, ce type sans billet…
-Vous vous êtes trompée… Il en avait un !» la coupa sèchement l'homme à la casquette.

Et il lui tourna le dos sans plus de façons.

à suivre...

Edited by Nolwenn - 30/1/2022, 11:21
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